L’archipel des Andaman, le dernier voyage

Un an nous sépare de notre dernier voyage en Inde. Il m’a fallu un an pour me reconnecter aux histoires et aux voyages de notre vie indienne. Aujourd’hui est une autre histoire que le temps éloigne toujours un peu plus de ce que nous avons vécu. Ne reste que les souvenirs encore frais dans notre mémoire. Une ancienne vie qui s’éloigne inexorablement.

Je ne pouvais pas me résoudre à abandonner ce blog, inactif depuis trop longtemps, délaisser ces récits mis en images. Il fallait que je boucle la boucle, que je termine le travail, que j’aille jusqu’au bout de mon projet. Qu’en restera-t-il ? Je n’en sais rien mais il me peine à penser que c’est la fin, ne laissant qu’une trace de quatre années de vie enregistrée dans un ordinateur. Quelle suite donner à cela ?

Voici donc en quelques lignes le récit de notre merveilleux voyage dans l’archipel indien Andaman-et-Nicobar, nos dernières vacances du 17 au 27 août 2023, juste avant notre retour définitif en France le 31. Nous passerons les trois derniers jours chez des amis indiens vivant dans un quartier populaire, cosmopolite et truffé d’artistes, que nous avons découvert et apprécié.   

L’archipel : à près de 1350 kilomètres à l’est de Chennai, nous sommes toujours en Inde et sur le même fuseau horaire malgré la distance. Il y fait nuit dès 17 heures et jour dès 4 heures. Les îles Andaman-et-Nicobar sont un immense archipel dont une toute petite partie du territoire est accessible et autorisée aux non-Indiens. C’est avant tout un territoire militaire, d’où les restrictions d’entrée. Mais pas que. Des communautés autochtones adavasi protègent aussi âprement et même de façon hostile les incursions étrangères à leurs communautés, à commencer par les Indiens eux-mêmes, à l’instar des Sentinelles localisées principalement sur les îles Nicobar. Ces îles sont, elles, situées entre 300 et 550 km plus au sud des îles Andaman. L’État indien protège et surveille également leurs eaux territoriales si proches des côtes d’Asie du sud-est ; 150 km de l’Indonésie et 190 km du Myanmar.  Sur les 572 îles que compte l’archipel, seules une douzaine est ouverte aux touristes, Havelock étant la plus fréquentée et où nous nous trouvions. Ainsi, lors de ces dix jours de vacances, nous n’avons visité qu’une infime partie de ce monde si éloigné du sous-continent, si semblable et pourtant si différente.

La saison ne s’y prêtait pas trop. Dans ces pays sujets aux moussons, il ne pleut pas à longueur de journées. La surprise, c’est justement qu’on ne sait pas quand il va pleuvoir. On est dans l’attente et on sent la pluie tout le temps. Tous les indicateurs sont visibles : chaleur écrasante, ciel bas et plombé de gros nuages gris chargés d’eau, humidité, coups de vent. Pourtant, le soleil n’est jamais très loin, il pointe fréquemment et darde ses rayons brûlants. Il faut donc toujours avoir à portée de main un vêtement de pluie, un chapeau étanche et de la crème solaire. Pays des contradictions.

En introduction, le guide touristique « Lonely planet », décrit [un] littoral de toute beauté, des spots de plongée d’exception, des terres luxuriantes, un isolement splendide. Les îles Andaman se prêtent autant à l’exploration qu’au farniente balnéaire. Cela est tout à fait juste et justifié. Nous sommes dans un petit paradis sur terre au nord de l’océan indien. Nous avions choisi essentiellement la seconde option. Malgré la saison peu propice au tourisme, nous avons adoré voir la mangrove et la jungle tropicale ourler les plages sans soleil parfois, si différentes entre la côte est et la côte ouest. A cette saison, les eaux ne sont pas turquoise et plutôt agitées offrant des dégradés du vert au gris, les rouleaux des vagues soulèvent le sable (on en avait partout dans le maillot de bain) et ne rendent pas la mer limpide. Les levers et couchers de soleil se cachent derrière d’épais nuages et donc, nous n’assisterons à aucun embrasement du ciel en feu comme nous en avions pu en admirer à Goa, à Hampi, dans le Kérala. Tant pis !

Une petite parenthèse historique. Il reste encore beaucoup de mystères sur les premiers habitants des îles Andaman mais les spécialistes des migrations pensent que les communautés natives viendraient des ethnies négritos et malaises. Ces îles ont toujours été la source de légendes. Un aventurier persan décrivit ces îles peuplées de cannibales. Marco Polo romança ou fantasma l’histoire en décrivant des populations à têtes de chiens. Sur des tablettes retrouvées à Tanjavur (Tanjore) dans le Tamil Nadu, l’archipel porte le nom de Timaittivu, les îles Impures. Il n’empêche que cet archipel fait l’objet de convoitises. Les Cholas puis les Marathes intégrèrent ces îles à leurs possessions à la fin du XVIIème siècle. Les Britanniques en firent une colonie pénitentiaire d’une extrême rigueur, enfermant dans des conditions particulièrement cruelles des prisonniers politiques. Celle-ci a été la plus grande et la plus dure au monde pour les 698 prisonniers condamnés aux travaux forcés, subissant quotidiennement restrictions, sévices et tortures. Le Cellular Jail National Memorial leur rend un vibrant hommage. Des sept ailes de la prison rayonnant autour d’une tour centrale de contrôle, construites par les britanniques de 1896 à 1906, il n’en reste que trois, la prison ayant été bombardée par les Japonais. Ceux-ci, accueillis à bras ouverts par une frange politique d’Indiens, envahirent l’archipel durant la Deuxième Guerre mondiale. Très vite, ces mêmes Indiens déchantèrent face à la cruauté des envahisseurs. En 1947 à l’indépendance de l’Inde, l’archipel est rattaché à l’Union indienne. Les migrations augmentèrent rapidement la population qui passa de quelques milliers à 350 000 habitants, beaucoup de Bengalis qui avaient fui le chaos de la Partition. La conséquence inévitable en fut le déclin des populations natives déjà durement touchées par la catastrophe naturelle de 2004. Toujours les mêmes relations de causes à effets.

En arrivant à l’aéroport de Port Blair, la capitale provinciale, nous avons dû demander un permis de séjour valable 30 jours, à présenter lors des déplacements, notamment en ferry.

Le temps des vacances et des visites. À commencer par Port Blair où nous sommes restés deux jours … Presque trop ! Rien de trop intéressant en termes de visites. C’est cependant une jolie petite ville bien organisée, très propre et assez calme. On est loin du point commun entre toutes les villes indiennes. Ici, dès 22 heures, tout le monde est couché, les stores sont baissés et plusieurs bars et restaurants sont déjà fermés. Cette ville a un important brassage de populations issues de tout l’océan indien (Bengalis, Tamouls, Nicobarais, Birmans, Télougous). C’est depuis notre hôtel, le Sinclair Bayview, sur la route de Corbyn’s Cove (lire plus bas), avec sa vue imprenable sur la mer, son joli jardin et son bunker japonais, que nous avons finalement organisé notre séjour et nos réservations de ferries.

Bunker japonais à l’hôtel Sinclair Bayview

En face, à une vingtaine de minutes en navette maritime, des ruines sur l’île de Ross rappellent l’époque victorienne, centre administratif britannique des Andaman. Nous n’y sommes pas allés mais des photographies en noir et blanc vues au pénitencier montrent la vie quotidienne des familles britanniques vivant exactement comme en Angleterre, femmes portant des robes longues blanches en mousseline, corsets, arborant chapeaux et dentelles, hommes en complets vestons sombres, chemises col cassé, guêtres, assises sur l’unique placette publique sous le gros arbre centenaire donnant une ombre bienvenue. Elles se rassemblent, discutent, fument, les enfants près des jupes de leur mère, à côté de la boulangerie et de l’église. Une vie tranquille, au calme apparent, éloignée de quelques encablures des indigènes. Nombre d’entre eux mourront de la malaria ou du choléra.

L’île de Ross vue de Port Blair

Je viens d’évoquer la visite du Cellular Jail National Memorial. Cela sera un moment intense et chargé d’émotions.

La visite du musée anthropologique montre l’histoire locale dans des salles où les présentoirs poussiéreux n’ont pas d’âge. Cependant, il présente un portrait détaillé des communautés adavasi de l’île. Les photographies sont délavées, ternies par le temps mais les artefacts rendent bien compte du mode de vie. Les explications et les schémas montrant l’organisation intercommunautaire en termes économiques – basée sur les échanges, les possibilités de cultures agricoles pour les unes ou de pêche pour les autres, l’artisanat et surtout les compétences de toutes – sont extrêmement intéressantes et éclairantes. À l’intérieur du musée, quelques touristes égarés et beaucoup de scolaires. Malheureusement pour moi, les photographies sont interdites. « Voler » les images de communautés hostiles aux étrangers, même par voie photographique, serait-il considéré -moralement – comme pénétrer de façon intrusive dans leur vie ?

Plus au sud à sept kilomètres de la ville et pour notre première visite, nous avions loué un chauffeur qui nous conduisit à Corbyn’s Cove ; plages et anse sablonneuse bordées de palmiers. La route est jalonnée de bunkers japonais. Ce sera notre premier coucher de soleil invisible. Surprenant pour nous qui voyons cela pour la première fois, de nombreux troncs d’arbres sont couchés sur les plages de l’île, lissés par le temps et blanchis par le soleil. Ils sont la preuve du terrible séisme, des répliques et du tsunami qui s’ensuivirent et qui ont dévastés les îles en 2004.

Direction Havelock Island à 1h30 en ferry de Port Blair. Contrairement à ce qui était prévu lors de la préparation de ce voyage à Chennai, là où nous devions rester deux jours, nous y avons finalement passé tout notre séjour, et ça a été tant mieux.

Havelock est une île paradisiaque, agrémentée par la faible affluence touristique à cette saison. Les plages de sable blond et fin sont merveilleuses à l’ouest. À l’est, elles sont bordées de rochers qui affleurent la surface de l’eau lorsque celle-ci se retire. La forêt tropicale, vue de loin ou en survolant ces îles, laisseraient accroire que ces territoires sont inhabités.

La mangrove se découvre à marée basse montrant les racines des arbres à nu, et encore les étonnants arbres morts, déracinés, jetés sur la grève par le tsunami d’il y a vingt ans. Aujourd’hui, ce sont de magnifiques sculptures contemporaines, installations naturelles artistiquement disposées à ciel ouvert.

Tant que les marées nous l’ont permis, nous nous sommes baignés dès le matin. Notre resort était situé sur la côte est avec ses plages rocailleuses. À marée haute, nous plongions dans ces eaux rafraîchissantes, éloignées d’une vingtaine de mètres de notre bungalow.

Notre resort et vue sur notre bungalow

Là, dans la sérénité matinale, seuls les bateaux de pêcheurs étaient bercés par les flots, attachés d’un long cordage aux palmiers sur la plage. De rares promeneurs dont nous faisions partie jouissaient de ces moments calmes, sereins et décontractés. Nous allions ensuite au Full Moon Café prendre notre petit déjeuner composé d’un merveilleux café, d’un extraordinaire jus de fruits et d’un tiffin – en-cas – à choisir parmi l’omelette indienne épicée ou le sandwich fait maison, fourré de produits frais. A cette saison, la carte était très réduite. Avec son accueil aimable, cordial et convivial, le « Thank you, come again » n’était pas surfait.

Rituel quotidien : nous nous rendions ensuite sur la plage de la côte ouest. Quinze minutes en rickshaw pour huit kilomètres, empruntant l’une des très peu nombreuses routes de cette île, îlot devrait-on dire ?

La plage de Radhanagar est réputée pour être la plus belle d’Asie. Je ne sais pas sur quels critères un tel jugement mais c’était tout simplement stupéfiant de beauté.

Sur cette plage, les gros nuages chargés de pluie offrant un côté dramatique contrastaient avec la délicieuse température de l’eau. La pluie est arrivée, qu’importe ! Des kilomètres de plage de sable fin, un rivage bordé d’une belle forêt invitant à la promenade et à la découverte, de fréquentes baignades, des repos allongés sur la plage ou à l’ombre de la mangrove ou des palmiers, éloignés les uns des autres, la vision des pêcheurs à pied lançant leur filet par gestes élégants et puissants, postures olympiques, remplissaient de joie nos après-midi.

Tantôt sous le soleil, tantôt sous la pluie. Mais toujours une bonne chaleur.

Attention, terrain glissant : pour arriver sur la plage des Éléphants, nous avions choisi de traverser la forêt. Était-ce un choix raisonnable ? Nous n’avons pu nous prononcer qu’une fois la traversée effectuée. Quelle expérience !

On nous avait dit que nous atteindrions la plage en trente minutes, il nous a fallu 1h30 à descendre, glisser dans la boue et nous perdre dans les nombreux sentiers, entourés d’une forêt dense, avant qu’un jeune habitué des lieux nous prenne en charge et nous montre le chemin. Alléluia ! Nos chaussures souillées collaient à la boue, aspirées par les nombreux trous. La lourdeur devenait difficilement tenable. Le bas de nos pantalons blancs en lin se noircissait et les traces de boue tachaient maintenant jusqu’aux mollets. La moiteur était insupportable et on n’en voyait pas la fin, aspirant avec force à être dans l’eau au bout du calvaire. Notre jeune sauveur cavalait comme un cabri, se retournant de temps à autre pour s’assurer que nous le suivions, ce que réussissions avec peine. Il nous attendait parfois, nous montrant ici un grand trou d’eau à éviter, là, un chemin détourné pour ne pas tomber dans une grande plaque de boue profonde. Qu’il en soit ici remercié. Et le retour demanderez-vous ? Il aura fallu attendre que l’on veuille bien nous embarquer sur l’une de ces nombreuses vedettes qui avaient transporté les touristes indiens qui, eux, n’avaient pas eu la mauvaise idée de l’aventure à travers bois.

En fin de journée, de retour, avec notre conducteur de rickshaw « attitré », sympathique comme tout, anticipant le dîner avec fébrilité, nous nous offrions un massage ayurvédique de 90 minutes, notre peau huilée, les nœuds musculaires dénoués, le corps et l’esprit enfin détendus, nous nous préparions pour la soirée et une bonne nuit de repos.

Mais avant cela, déjà enveloppés par l’obscurité, nous savourions une bière dans le bar-restaurant face au resort puis nous nous rendions dans l’un des deux restaurants sur lesquels nous avions jeté notre dévolu – il n’y avait pas grand choix de toute façon. Nos dîners étaient composés essentiellement, pour ne pas dire exclusivement, de poissons et de crustacés grillés. Les langoustes, énormes gambas, crabes et poissons frais ont été quotidiens. Nous en avons dégusté tout notre saoul pour notre plus grand plaisir.

Un autre jour, nous nous sommes offert une exploration de la faune et la flore sous-marine avec masque et tuba. Il y a bien eu un moment de déception car nous n’avons pu nous offrir un baptême de l’eau en plongée. Mais cela a été magique tout de même pendant près d’une heure sous l’eau. On se serait cru dans un aquarium ! Nous avons nagé, accompagné d’un guide, parmi les bancs de poissons colorés et avons observé des coraux dans une mer chaude dès 8 heures le matin. Ce fut une belle expérience.

8 heures du matin et prêts pour la grande plongée !!!

Enfin, l’île s’endormait et nous aussi, heureux que nous étions de ces belles journées qui s’écoulaient paisiblement, contrastant avec la vie trépidante des mégalopoles. Et c’est exactement ce que nous recherchions, ce que nous voulions et ce que nous avions trouvé. Garder une impression apaisée et sereine de ce pays si mouvementé, si bruyant et si pollué.

Et voilà, tout est dit, tout est écrit et tout est mis en images de cette fabuleuse expérience et tranche de vie indienne. Pour nous, elle se terminait en beauté, on n’aurait pas pu finir mieux et s’en aller, s’envoler aussi rassasiés, complets et heureux de cette vie-là. On vous remercie de nous avoir suivi en Inde, ce qui nous a rendu un peu plus proches.

Kolkata – Bengale-Occidental

Séjour du 9 au 15 août 2023. Depuis ma première visite en Inde il y a plus de 40 ans, j’ai enfin découvert Calcutta avec Éric. A l’époque, sac à dos et peu d’argent en poche, mes amis et moi avions fait l’impasse sur cette ville, au prétexte d’un itinéraire long de deux mois, de nombreuses nuits passées sur des couchettes en bois en 3ème classe dans les trains indiens et des milliers de kilomètres qui nous ont conduits de l’extrême nord au sud du pays. Nous avions délibérément évité Calcutta (nom de l’époque) craignant d’y voir trop de miséreux, d’enfants abandonnés à leur sort, de lépreux, de saletés et de violences. Nous avions eu peur de nous faire harceler à chaque coin de rues pour quelques roupies ; préjugés non fondés réellement. On aurait dû lire avant ce grand voyage le roman de Dominique Lapierre, « La Cité de la joie », paru en 1985, dont le personnage principal est un prêtre français travaillant dans les bidonvilles de Calcutta, délivrant un merveilleux message d’espoir.

Ces bracelets portés ainsi sont un signe distinctif
des hommes bengali

A peine six jours dans une ville que l’on se faisait une joie de découvrir, enfin, à quelques petites semaines de notre retour définitif en France, et destination souvent contrariée car d’autres lieux s’imposaient alors à nous comme étant « prioritaires ». La saison n’est pas la meilleure, la mousson menace à tout instant. Il se trouve que dès notre arrivée, Éric se sent assommé par un gros rhume et moi je suis embêté par des problèmes gastriques comme si je venais d’arriver en Inde et ne supportais pas la nourriture épicée et pimentée. Oh ! Bonne Mère ! comme diraient les Marseillais ! Nous avions réservé trois visites guidées sur des thématiques nous permettant de découvrir les divers aspects de la ville à différentes époques, mais avons finalement annulé la dernière qui devait débuter à une heure très matinale et nous ne sentions ni la force ni le courage d’affronter la ville si tôt le matin. Dès le lever du jour, il fait chaud et humide ; c’est une particularité à Kolkata, sans doute parce qu’elle n’est qu’à 130 kilomètres de l’embouchure du Gange, formant le delta le plus grand au monde. La mousson ne fait que rajouter des particules d’eau à l’air déjà saturé par les pollutions et nous arpentons les rues sous un ciel menaçant, les nuages gris et bas prêts à craquer à tout moment. On ressort de ces visites de plus de deux heures trempés par la pluie et par la sueur, étouffants sous nos imperméables. D’ailleurs, nous avons pu remarquer, à l’inverse d’autres villes, que dans certains quartiers, beaucoup d’hommes sont torse nu. A déambuler le nez en l’air sur le parcours dans ces conditions, nous rentrions exténués et surtout prêts pour une bonne douche et un repos réparateur.

Calcutta bungalow. Notre hôtel se situe à Shyam bazaar près du quartier Kumartuli, au nord de la ville. C’est assez excentré mais la vieille demeure bourgeoise est très bien restaurée et a beaucoup de charme avec ses deux patios arborés et ses coursives fleuries distribuant les chambres. L’accueil y est chaleureux, le personnel efficace et à disposition pour tous types de renseignements, de visites incontournables et de réservation de voiture avec chauffeur. Notre chambre de taille modeste est néanmoins confortable et joliment décorée. Après notre retour en France, nous avons appris via les réseaux sociaux que le nouvel ambassadeur de France en Inde y avait séjourné lors de sa visite officielle.

Kumartuli. Après notre installation, nous effectuons notre première visite. Ce quartier est proche du fleuve Hooghly jusqu’où nous voulons aller. Kumartuli est un quartier étonnant où vivent de modestes familles de modeleurs, traditions deux fois centenaires. Les échoppes sont ouvertes sur la rue et nous avons pu voir travailler ces artisans.

Toute l’année, ils fabriquent pour le gouvernement et les particuliers des milliers de divinités (statuettes, bustes et même des formats géants). Ils sont les uns à côtés des autres, pas de concurrence, chacun sa spécialité sans doute.

Ils vivent là-même ou ils travaillent et l’on peut voir femmes et enfants à leurs activités domestiques. Ici, comme un peu partout à Kolkata, les urinoirs publics sont ouverts sur la voie ; les hommes pissent à la vue de toutes et tous sans que l’on y prête attention. Pas plus d’ailleurs, le fait d’être presque nus pour se laver aux nombreux points d’eau dans les rues, de l’eau qui coule en permanence et qui dérive en ruisseaux le long des caniveaux (quand il y en a), nettoyant ainsi les rues et les trottoirs. Les minces lunghis (longue pièce de tissu portée autour de la taille) des hommes laissent deviner les verges et les fesses collées au tissu mouillé tandis que les femmes, les cheveux défaits et les poitrines couvertes du seul calicot, montrent sans vergogne, ventres et dos dénudés, hanches, fesses et seins enserrés dans les plis des saris.

Et puis, ce sont les marchands de thé ou de fruits et légumes qui s’intercalent ici et là, circulation empêtrée par les vélos à plateau venus livrer de la paille, des tiges métalliques ou de la glaise nécessaires à la fabrication de ces statues. Tout cela rend vivant et animé tout un quartier populaire. Et nous avons adoré ! Tout devra être prêt pour la grande fête religieuse de Durga Puja, offrandes à la déesse Durga, qui a lieu vers les mois de septembre ou octobre en fonction du calendrier lunaire. En ce début du mois d’août, lorsque nous y étions, l’activité était à son comble. La fête à laquelle nous n’assisterons pas est imminente. A cette époque, les divinités seront richement décorées et habillées, les processions parcourront toute la ville allant jusqu’au fleuve où elles seront immergées en offrande.

Howrah. Cette déambulation nous a conduits jusqu’à un débarcadère sur le fleuve Hooghly, un bras du Gange. Nous voulions atteindre l’emblématique pont en acier Howrah long de plus de 655 mètres et large de 30, construit entre 1937 et 1943, sans écrou ni boulon et le 6ème plus grand pont au monde. Il peut se dilater jusqu’à un mètre pendant les chaudes journées d’été. Rebaptisé Rabindra Setu en juin 1965 en hommage au célèbre poète Rabindranath Tagore, il reste cependant connu et appelé sous son nom d’origine. Pauvre Tagore ! Il a un trafic moyen de 80 000 véhicules et de plus d’un million de piétons par jour, et nous avons expérimenté cette traversée. C’est incroyable comme les gens marchent vite sur ce pont. Nous n’avons jamais vu d’Indiens marcher aussi vite, pressés de rentrer chez eux, fuir cette agitation, mais agités eux-aussi. Des mendiants, hagards, lassés de lever la tête pour quémander quelques roupies, ne voient en tout et pour tout que les jambes et les pieds des passants qui défilent à toute allure sous leurs yeux vides. Ils s’étalent le long du pont à intervalles presque réguliers. Personne n’y prête attention et on les enjambe parfois, ces laissés pour compte, cette « sous-population ». On ne les voit plus. Qui sont-ils ? C’est ahurissant.

Des porteurs ont de lourdes charges sur la tête, si hautes qu’elles pourraient tomber à tout instant. Mais non, il n’en est rien. Tout cela, voir cette vie défiler devant moi, ainsi, m’a rendu triste et je peux dire qu’Éric partageait ce sentiment lorsque nous en avons parlé un peu plus tard bien au chaud et en sécurité dans notre chambre d’hôtel.

Il était déjà tard et la nuit commençait à nous envelopper, mettant dans l’ombre les silhouettes mais en valeur le pont avec ses lumières bleutées. Sous le pont, au pied de l’un des deux piliers qui le soutiennent, le marché aux fleurs le long du ghât Jagannath. Les ghâts sont les marches de pierre qui descendent dans le fleuve permettant aux Indiens d’y faire leurs ablutions du matin et du soir. Dans la nuit, au bruit des sirènes des ferries, des cris des vendeurs de rue et des fleuristes non loin, du bruit incessant de la circulation, des cris des enfants qui se disputent ou qui jouent, des femmes qui s’interpellent et de certains hommes imbibés par l’alcool, ce ghât est un havre de paix. Nous avions franchi sans le savoir, la ligne non autorisée, imaginaire, pour les non-hindous. On nous le rappelle. Presque nus, hommes et femmes s’immergent dans l’eau douteuse du fleuve, ils prient. Ils rentrent trois fois la tête sous l’eau, la boivent et avant d’en ressortir, se lavent tandis qu’à quelques pas de là, d’autres lavent leur linge.

A quelques pas de là, dans la pénombre ou la lumière crue du marché aux fleurs, les lotus chatoyaient, blancs, crème et rose, joliment disposés en cercles.

Assis en tailleur, les fleuristes attendent les clients tardifs ; il est presque 20 heures. Jusqu’à quand resteront-ils ainsi ? Les déchets de fleurs jonchent les allées, mêlés à la pluie, il faut faire attention à ne pas glisser ou marcher dans une bouillasse immonde. Les Indiens, eux, n’y prêtent pas attention, ils sont pieds nus ou en tongs.

On retrouve ce pont dans les arts et notamment au cinéma. C’est comme si toute l’agitation de cette ville s’y trouvait concentrée. On peut le voir dans le film La Nuit Bengali, film en anglais de Nicolas Klotz de 1988, dans La Cité de la joie de Rolland Joffré sorti en 1992 et pour le dernier entre autres films, Lion, un film américano-britannico-australien réalisé par Garth Davis, inspiré de l’autobiographie « Je voulais retrouver ma mère » de Saroo Brierley, en 2016 (une vraie splendeur). Il faut également citer l’illustre cinéaste Satyajit Ray dont un studio italien vient de restaurer une fabuleuse trilogie en noir et blanc (pellicules tirées des flammes), avec, dans l’ordre, La Complainte du sentier (1955), L’Invaincu (1957) et Le Monde d’Apu (1959). L’histoire conte l’enfance d’Apu dans un village pauvre, puis son évolution à Varanasi (Bénarès) et Kolkata.

On veut rentrer. Trouver un taxi n’a pas été une mince affaire. Peu sont libres. D’autres annoncent un prix exorbitant. Il faudra d’abord affronter la foule qui nous a happés puis engloutis. Nous avons suivi une marée humaine, il a fallu suivre la vague jusqu’à trouver une brèche pour nous en sortir. Deux taxis jaunes Hindustan Ambassador – véhicules emblématiques de l’industrie automobile indienne de 1957 à 2014 – attendaient sous un pont. Le plus hardi des deux chauffeurs, sentant la bonne affaire, nous propose de nous transporter à prix d’or. Carte en mains, on palabre. Rien n’y fait. Tant pis pour nous qui voulions partir le plus vite possible et pour lui qui aurait pu gagner le prix d’une course de toute façon à son avantage car il n’y a pas de compteur. Un peu plus loin, une voiture dans un triste état, nous conduira « chez nous » où nous arriverons complètement épuisés. Une douche bien chaude défera les nœuds de tensions dues au stress, à la fatigue du jour et à la chaleur.

Rabindranath Tagore, Prix Nobel de littérature (1913). Une énorme demeure rouge où le poète, écrivain et philosophe vécut plus de la moitié de sa vie (1861-1941). Il devient très vite le plus grand écrivain de l’époque coloniale. Il écrivait en bengali et traduisait lui-même ses œuvres en anglais. Il est sacré Chevalier par le roi George V en 1915 mais renonce à ce titre en 1919. Humaniste, il fonde l’école Santiniketan en 1901 puis des universités qui existent encore aujourd’hui.

Sa maison retrace sobrement sa vie et met en lumière les nombreux liens qu’il entretint avec le monde occidental mais aussi avec la Chine et le Japon.

Demandez le programme 1. Les deux matinées suivantes seront consacrées aux visites guidées, Heritage walking Tour. Nous découvrirons à pied le patrimoine colonial dès 8 heures. Imaginez ces gros gâteaux architecturaux version britannique, bâtisses imposantes, lourdingues mais qui en jettent et qui résument bien la grandeur de l’Empire, le Raj.

Pour exemples, la cathédrale est une réplique de Saint Martin in the Field à Londres, le Victoria Memorial, celle de Saint Paul’s Cathedral, tout en marbre blanc.

Les couleurs sont fanées, voire passées, les peintures sont écaillées, les plâtres s’effritent. L’entretien et les restaurations sont minimes. Où la ville pourrait-elle trouver assez d’argent pour maintenir ce patrimoine ? La politique de la ville – et du pays – vise-t-elle au maintien de ce qu’elle a rejeté il y a des décennies et à l’heure où le Premier ministre Narendra Modi débaptise des noms donnés sous le Raj pour des noms de l’Inde libre et indépendante ? Dans combien de temps tout cela aura-t-il disparu à jamais, rayé définitivement de l’histoire de l’Inde, comme si celle-ci pouvait effacer trois siècles de présence de colons.

L‘héritage portugais, néerlandais et français est déjà réduit à peau de chagrin – par volonté ou faute de moyens.

La ville de Chandernagor en est un exemple flagrant : des bribes, des pans de la présence française perdus dans l’Inde contemporaine. Est-ce un juste retour des choses ? Dans le centre historique de la ville, les palmiers qui ornent certaines façades ne peuvent rehausser les splendeurs d’antan. La grisaille du fleuve, la poussière, la crasse, les déchets, l’urbanisme effréné ajoutent à la tristesse du constat.

Un bras du fleuve Hooghly, lui-même un bras du Gange, passe à Chandernagor

Et c’est dans cet environnement moite que nous déambulons pendant plusieurs heures jusqu’à en être trempés de sueur.

Demandez le programme 2. La visite du lendemain nous conduits dans les quartiers historiques et représentatifs du Bengale. Entre quartiers populaires et bourgeois dont les rues sont bordées de maisons cossues colorées, nous écoutons plus ou moins attentivement notre guide.

Nous ne sommes que tous les deux cette fois-là et c’est tant mieux.

Les maisons sont rouges, jaunes, couleurs dominantes. On a quitté les grandes artères de la ville et nous nous promenons dans des rues beaucoup plus calmes. C’est un visage de l’Inde que j’aime le plus ; il y a moins d’indifférence, les gens nous regardent et nous sourient, nous nous arrêtons pour boire un chai.

Les rickshaws-pullers (des « hommes-chevaux » tirent des vélos-rickshaws, pratique officiellement interdite depuis 1997), les vélos en tous genres, les deux roues, encombrent les rues souvent étroites. On a le nez en l’air et moi, les mains cramponnées à mon ventre. Il faut éviter la catastrophe ! Je fais des centaines, des milliers ?, de photos. Combien en garderai-je après le tri ?

On s’arrête devant LA pâtisserie, LA meilleure. Notre guide nous offre une petite boule jaune enrobée de noix de coco, nous disant que c’est un « delicatessen » fait exclusivement au lait de vache. Bon, rien de spécial sous le soleil ! Pas de commentaire, mais l’intention était gentille. Le retour à l’hôtel est maintenant une nécessité absolue et impérative : douche et repos.

New Market. En fin d’après-midi, nous décidons d’aller dans ce bazaar abrité dans un bâtiment de style colonial imposant. Il y a foule. Très vite nous sommes suivis par des hommes qui veulent nous « aider » à nous repérer, à nous « guider »… à aller dans leur boutique. Il a fallu se fâcher pour que ce harcèlement cesse. Et au vu et au su de tous, ils ont fini par rebrousser chemin. Nous avons fui cet endroit, haut lieu de la fast-fashion de pacotille, du consumérisme à outrance.

Des journaux sont affichés quotidiennement afin d’en offrir la lecture à tous

Au sud de Chowringhee. Visite d’un Kolkata « chic » que nous voulons voir. Sortir pour un temps de la « noirceur » de cette ville. Nous voulions marcher sur des trottoirs, passer devant de belles devantures, s’arrêter dans de bons et beaux bars et restaurants et même, comble de notre contradiction, rechercher de beaux centres commerciaux offrant fraîcheur climatisée, confort tranquille et atmosphère aseptisée.

Nouvelle déception, un quartier pseudo-bobo, quelques petites boutiques qui n’ont rien de particulier si ce n’est d’offrir des prix fracassants. Encore une fois, nous fuyons cet endroit, nous trouvons un taxi et tentons de rentrer à notre hôtel au moment où un match de football et une pluie battante s’abat sur une ville engorgée par d’énormes bouchons. 90 minutes pour rentrer sous la conduite d’un chauffeur à bout de nerfs, crispé, agacé, résigné même et presque coléreux. Nous n’échangerons pas un mot.

La Mission de la Charité. Il n’est pas question de quitter Kolkata sans aller à la mission de Mère Teresa, les Sœurs de la Charité nous reçoivent avec un grand sourire et un accueil chaleureux. Elles sont vêtues du même sari blanc à trois bandes bleues en bordure, dans un coton simple et bon marché que Mère Teresa avait choisi via la voix du Seigneur. Elle y vécut, dirigea la mission, y poussa son dernier souffle et y repose aujourd’hui sous une imposante mais simple pierre tombale sans inscription. Juste un petit portrait d’elle en noir et blanc. Un petit musée adjacent retrace sa vie en photos, quelques grands portraits. Un moment suspendu dans ce lieu si calme avant d’affronter une nouvelle fois les turpitudes de la rue.

Non loin, sur Park street, le sens de la circulation change à 13 heures précises tous les jours. Nous regardons, positionnés juste au carrefour, ce ballet de véhicules orchestré par la police. Nous poursuivons un peu plus loin jusqu’au cimetière catholique de South Park. Les pierres tombales et les stèles funéraires sont hallucinantes.

Nous quitterons Kolkata le lendemain, le 15 août. Nous resterons pour ces dernières heures dans notre chambre d’hôtel, n’ayant ni l’envie ni l’énergie d’affronter la ville une dernière fois. Cependant, malgré des sentiments divers et contradictoires, nous sommes contents d’avoir pu nous rendre à Kolkata, dernière grande ville que nous visiterons en Inde avant notre retour définitif en France.

Il y a 40 ans, nous nous étions créés les fantasmes les plus fous, nous faisant craindre le pire et l’insupportable, Calcutta, ville dangereuse. Quarante ans plus tard, l’image qu’il me reste de Kolkata est celle d’une ville incroyablement difficile à vivre, très différente par certains aspects d’autres villes indiennes et je reste frappé par le sentiment de tristesse, de pauvreté qui marque cette ville, sentiments mêlés tout de même par l’incroyable activité culturelle et à l’énergie vivace due à l’afflue des habitants du Bihar, de l’Orissa et du Bengladesh voisins qui constituent les 2/3 de la population. Creuset culturel ou masse de travailleurs acharnés, corvéables à merci ?

Le retour en France n’est pas celui que l’on prévoit

Je vous dois des excuses et surtout, des explications. A plus d’un titre. Tout d’abord, pour avoir laissé ce blog en l’état, à l’abandon, pourrais-je dire, malgré les notes gaies de notre séjour du mois de juillet 2023 dans le Gujarat, au nord-ouest de l’Inde, pays natal du Mahatmat Ghandi, où foisonnent les savoir-faire artisanaux. Ces vacances annonçaient même celles qui suivraient au mois d’août à Calcutta puis dans les îles Andaman. Une suite qui, de fait, aurait clôturé notre aventure indienne. Je regrette également de vous avoir laissé sans nouvelles, alors que je ne pensais qu’à vous, qu’à mon « bébé », qu’à ce que j’avais créé ces quatre dernières années. Et aujourd’hui, je décide de sortir de mon silence.

Nous avons réintégré notre maison dans le fin fond du Pré-Bocage normand le 1er septembre dernier. Cela fait déjà exactement six mois. Et le temps passe vite. Nous avons été beaucoup occupés à retrouver notre famille – le papa d’Éric va avoir 94 ans et il se porte comme un charme -, revoir des amis, et, dans les grandes excitations du début de la retraite d’Éric, nous sommes beaucoup sortis, comme si l’on voulait rattraper le temps -culturel – qui nous avait tant manqué en Inde ; séjours à Paris, expositions, cinéma et théâtre.

Nous attendions également avec impatience notre déménagement. Nous avions hâte de revoir tous les objets dont nous avions fait l’acquisition, trouver une place dans un nouvel environnement, chez nous. Et puis, la tempête du début du mois de novembre a retardé, d’un jour seulement fort heureusement, l’arrivée des cartons tant attendus. Déballage rapide, frénétiquement. Excitation. Nous voilà maintenant entouré d’une longue période de notre vie à l’étranger avec des objets qui ont une histoire qui nous appartient. J’aime ce sentiment. Cela n’a rien de matérialiste. C’est l’histoire de notre vie.

Un revers de médaille cependant. C’est probablement l’une des causes de ce long silence. Un bouleversement dans notre vie a pris le pas sur un quotidien que l’on voulait, pensait pouvoir organiser à notre guise. A partir du mois d’octobre, des résultats sanguins qui demandent plus d’investigations, taux de P.S.A irrégulier, IRM et scanner montrent que finalement, des biopsies de la prostate s’imposent. Le résultat est sans appel, il y a bien des tumeurs cancéreuses dans les premiers stades de la maladie. Toutes les conditions sont bonnes pour des traitements qui promettent de porter leurs fruits. Il n’y a pas de métastases ni sur les organes, ni sur les os. C’est une excellente nouvelle. Il faut maintenant, et encore dans l’attente qui semble interminable, connaître la décision du collège de médecins pour savoir quel traitement est le mieux adapté. Nous sommes déjà au mois de décembre, le 16 plus précisément. Les préparatifs de Noël s’éloignent, l’envie n’y est pas et les festivités de fin d’année ne réjouissent pas.

Une réponse que l’on n’attend pas. Deux traitements s’offrent à moi. Où plutôt, deux traitements sont possibles dans ce cas de figure. La radiothérapie et/ou la chirurgie. Un deuxième avis de spécialiste confirme cela. Le 16 décembre, Éric et moi, nerveux dans le bureau de consultation de mon urologue-chirurgien, nous attendons d’entendre la décision prise collectivement. Elle est unanime de la part du collège ; ce sera la chirurgie, une prostatectomie radicale. Ablation totale de la prostate. Une sentence que je ressens comme un couperet qui me tranche en deux.

Et à l’heure où j’écris ce message, mon hospitalisation est aujourd’hui avec une intervention demain matin, vendredi 1er mars à la première heure. La colère est passée, la peur et l’angoisse restent encore comme un résidu qui disparaîtra avec le temps.

Éric est là, n’est-ce pas le plus important ?

La beauté se cache ailleurs

Riverfront Park. Amdavad est l’autre nom d’Ahmedabad

A l’heure où j’écris cet article, un peu de moi, un peu d’Éric a quitté Chennai. Nous avons remis les clés de Rena Apartments à notre propriétaire (qui a été exemplaire à la clôture du bail) le 30 juillet. Nous avons rendu nos cartes d’identité indienne et consulaire au consulat, nous ne sommes donc officiellement plus résidents. Un peu de nous a déjà quitté l’Inde. Après un bref et dernier séjour à Delhi pour le travail qui a donné l’occasion de fêter le départ d’Éric et d’une de ses collègues, nous voici hébergés chez un adorable jeune couple, Lakshmi et Raghav, dans le district de Tiruvanmiyur, à environ 45 minutes au sud de Mylapore. Leur appartement est spacieux et agréable, mais ce n’est pas chez nous. Leur quartier, populaire et un rien bobo, est vivant et très animé, mais ce n’est pas chez nous. L’accueil des commerçants est sympathique, mais on ne se sent pas chez nous. Cependant, j’aime l’ambiance bruyante, si fatigante de ce quartier ; boire un jus de fruit frais au coin de la rue, découvrir ce nouvel environnement sous le regard interrogateur des commerçants et des habitants, nouer le contact avec les gardiens de l’immeuble et la femme de ménage, pour les nouveaux venus que nous sommes. Nous ne profiterons de cet accueil que très peu de temps : six jours au début et trois à la fin du mois d’août. Le 31, le visa d’Éric expire et nous devrons quitter définitivement le sol indien. C’est fou comme on peut s’approprier une nouvelle « terre » en quatre années pour en faire un chez-soi, pour qu’elle nous appartienne, pour que notre vie se fonde et s’amalgame à celles des locaux. En quatre années, on s’est construit une nouvelle vie, le chez-soi temporaire se charge très vite d’affect, assez pour donner l’illusion de la permanence. Et on y croit pendant tout ce temps. De fait, quitter ce qui est temporaire mais qui a revêtu, malgré nous, le manteau douillet de la durée, fait mal et rend triste. Qu’on ne s’y méprenne, ce n’est pas le retour en France dans notre belle Normandie qui nous chagrine. C’est quitter l’Inde où on laisse un peu de nous, ne ramenant que des souvenirs. Beaux et merveilleux. L’Inde, tu l’aimes ou tu la détestes? Non, c’est faux, c’est bien plus complexe que cela.

16-26 juillet 2023

Nous voulions nous rendre dans cet État depuis longtemps. Éric y avait alors un collègue fort sympathique qui nous avait invités. Et puis le temps est passé, nous avons remis à toujours plus tard ce projet de voyage, donnant la priorité à d’autres lieux pour finalement nous dire qu’il n’était plus temps d’attendre à deux mois de notre retour en France. La saison estivale ne s’y prête pas, c’est la mousson maintenant dans le nord. Il ne faudra pas oublier d’emporter notre imperméable, voilà tout. Le Gujarat est un « dry State ». La vente libre d’alcool est interdite. Pour pouvoir boire, il faut en faire la demande en ligne auprès des autorités locales qui délivrent un permis d’en consommer une ou plusieurs fois, dans des établissements (restaurants, bars d’hôtels) sur présentation dudit permis. Nous ne l’avons pas fait, nous avons voulu être raisonnables, ressassant le mantra « ça nous fera du bien, ça nous fera du bien, ça nous fera du bien ». En France, on appelle ça la méthode Couet. Et ça marche ! Le Gujarat n’est pas un État très touristique. Les voyageurs passent de Mumbai, Maharashtra à Udaipur, Rajasthan sans s’y arrêter. C’est, après y être restés dix jours, une erreur. Ahmedabad cache de très beaux monuments d’architecture indo-sarracénique, style préislamique empreint d’éléments hindous et jaïns magnifiques bien que souvent défraîchis. Elle héberge aussi le musée Calico qui possède une collection hallucinante et vertigineuse de textiles essentiellement de facture locale. Enfin, on y trouve des édifices contemporains d’architectes de renom tel Le Corbusier qui a notamment dessiné les plans de la manufacture de textiles de la ville. L’ambiance de la délirante vieille ville, la cuisine de rue, les sourires et les contacts que l’on a eus, méritent que l’on s’y arrête. La beauté se trouve sur les visages.

Le Gujarat est aussi la terre natale du Mahatmat Gandhi, né à Porbandar sur la côte sud. Il vécut de 1917 à 1930 dans l’ashram de Sabarmati – nom du fleuve qui sépare la vieille ville de la ville nouvelle. Il en fit son quartier général et c’est de là qu’il lança son mouvement « satyagraha » de désobéissance civile et la « marche du sel » qui conduisirent dans un premier temps à son emprisonnement puis à la destruction de l’ashram – que Le Corbusier a reconstruit – enfin, à l’inéluctable indépendance de l’Inde. La beauté se trouve dans la conviction, la détermination et le courage.

Mosquée Maqbara, XVIème siècle, dans les environs d’Ahmedabad.

Comme pour tous les États de l’Inde, les guerres de pouvoirs, les annexions, les gouvernances se sont succédées au gré des massacres. Pour faire court, la dynastie hindoue Solanki régna sur ce territoire du Xème au XIIIème siècles . Ce sera l’âge d’or culturel du Gujarat. Le sultan Ala-ud-Din Khalji l’annexa à Delhi au XIVème siècle jusqu’à ce que le sultanat musulman du Gujarat se libère de Delhi au XVème siècle et fonde la capitale Ahmedabad. Puis l’Empire moghol s’y installera au XVIème siècle (vers 1570) jusqu’à ce que les Marathes hindous du centre et de l’est de l’Inde s’en emparent au XVIIIème siècle. Enfin, les Britanniques auront raison de tout et s’imposeront dès la première décennie du XIXème siècle. Au début du XXème, Gandhi prendra de l’importance avec sa campagne de résistance, ses manifestations pacifiques, ses jeûnes qui attireront de plus en plus d’Indiens et qui auront un retentissement au niveau mondial pour qu’en 1947, l’Inde déclare son indépendance, laissant impuissant le dernier vice-roi Lord Mountbatten face à la partition douloureuse avec le Pakistan. L’histoire, quant à elle, n’est pas terminée. La beauté est vraiment ailleurs.

Durant ce séjour, nous pensions rester trois jours à Ahmedabad, le temps de visiter la ville à pied et d’y prendre nos repères, puis nous rendre dans la région du Kutch (prononcer Keutch) au nord-ouest de l’État en direction du Pakistan voisin et enfin, passer trois jours à Champaner et Pavagah, site classé au patrimoine mondial de l’Unesco, situé à l’est d’Ahmedabad. Il s’est avéré qu’une excursion d’une journée était suffisante et nous avons donc terminé notre séjour en restant deux jours supplémentaires à Ahmedabad, ce qui nous a ravis.

Notre haveli. Cour intérieure vue du toit-terrasse

Autour de la vieille ville, quelques ruines de remparts et une quinzaine de portes monumentales rappellent combien elle était belle. A l’intérieur, c’est du délire ! Des ruelles étroites, encombrées (il faudrait « désinventer » les deux roues et les rickshaws), des véhicules qui font du bruit, qui polluent, font que de prime abord, on a envie de fuir. Mais c’est aussi la partie de la ville la plus intéressante sur le plan historique.

Porte monumentale d’entrée au temple

Dès le lendemain de notre arrivée, nous suivons une visite guidée au départ du temple Swaminarayan, bel édifice en bois sculpté, très coloré d’où résonnent ce matin-là les chants des fidèles et la musique. Sacrée ambiance, ambiance sacrée !

La promenade se terminera à la mosquée Jami Masjid près de trois heures plus tard. Je ne pourrai pas y entrer car ma tenue n’est pas convenable aux yeux d’Allah. Qu’importe, nous y retournerons à un autre moment, notre hébergement n’étant qu’à quelques pas de ce lieu de culte. La beauté se trouve dans les pierres. Notre hôtel est une belle maison de riche négociant très bien restaurée. Ces havelis se cachent parmi les constructions affreuses qui les entourent.

Au cœur de Diwanji-ni-haveli, trois charmants jeunes hommes gèrent ce lieu magique et Mukesh, le manager, est particulièrement attentionné. Il sera de bons conseils et se chargera de nous réserver nos taxis pour nos déplacements et l’excursion. La beauté est dans le partage.

La particularité de la vieille ville est qu’elle est constituée de micro-quartiers, des pol, sorte d’enclaves à forte densité qui fonctionnent comme de petits villages ; une placette carrée, une fontaine à eau collective et des habitations autour. Un « chabutara » joliment sculpté, mangeoire pour les oiseaux, prend sa place également. Ces pol sont de véritables labyrinthes. Ils regorgent de cul-de-sacs et de passages secrets qui permettaient de fuir face à l’envahisseur. Ailleurs, çà et là, une plaque sur une façade de maison restaurée indique que l’ambassade de France a participé au financement de l’ouvrage.

Manek chowk en fin d’après-midi sous un ciel menaçant.

A deux pas de notre haveli, à Manek chowk, c’est bazaar le jour, activité commerciale intense et restauration de rue le soir à partir de 20 heures. C’est ici que nous dînerons presque tous les soirs de délicieux bhaji, hachis de légumes merveilleusement épicés et de pulav (prononcer ‘poulao’), riz sauté aux légumes frais. Nous nous rendrons toujours au même endroit, nous assiérons à la même table et serons servis par « nos » serveurs attitrés qui attendaient notre arrivée, trop contents de nous revoir et de notre fidélité. La beauté se trouve dans les sourires. Mais sous les bâches tendues au-dessus de nos têtes en prévision de la pluie, quelle chaleur étouffante ! A cela s’ajoutaient les effets des épices qui nous faisaient littéralement ruisseler. Cela ne nous a pas empêchés d’y revenir.

Nous avons aussi traversé le fleuve pour la visite du musée Calico. Celui-ci exposerait la collection de textiles la plus importante au monde. Deux bâtiments principaux dans un écrin de verdure enferment jalousement ces trésors anciens pour la plupart. Reconstitutions de riches demeures, portes monumentales, temples, intérieurs de palais mettent en valeur les textiles richement ornés pour les porter au niveau de l’art. Tout n’était que splendeur. Seul point noir, la visite guidée obligatoire nous a laissés un goût de camp militaire où, sans sac et sans téléphone portable, nous devions suivre notre guide au pas. Vous devrez donc me croire sur parole et voir par vous-même sur un moteur de recherche.

Le train de nuit en compartiment à deux couchettes en 1ère classe avec air conditionné vers 23h50 nous a conduits à Bhuj, capitale de région. A l’extérieur de la gare déjà bruissante, nous avons pris un auto-rickshaw pour nous rendre chez Kuldip et Andika.

Nous posons devant le mur peint dans leur petit jardin. Fresque aux motifs tribaux dont Kuldip est fier.

Kuldip avait organisé notre séjour selon nos souhaits, découvrir l’artisanat local sous toutes ses formes et essentiellement la broderie. Celle-ci est réputée par ses couleurs vives, l’incrustation de miroirs, la qualité d’un travail minutieux, utilisant tantôt des fils, tantôt du métal doré et argenté et des perles.

Peinture murale au palais pour partie en reconstruction. Port traditionnel du turban.

Après la visite de Bhuj le jour de notre arrivée dans la région, nous avons pris la route, conduits par Baji, en direction du nord. Nous sommes arrivés par sauts de puce de village en village jusqu’à Khavda à près de 80 kilomètres de la frontière du Pakistan. A première vue, tout est moche et les paysages sont sans grand intérêt. Il faudrait aller jusqu’au Grand Rann, immense désert de sel mais, à cette saison, cette étendue ne ressemble plus qu’à un lac et perd de son intérêt. Il faut savoir également qu’un violent séisme en 2001 a détruit la plupart des infrastructures routières et des villages entiers faisant plus de 18000 morts.

Mais la région a retrouvé un second souffle grâce à la promotion du savoir-faire des communautés, l’artisanat et plus précisément le textile. La beauté se trouve dans la résilience. Ici, on file la laine et le coton, on tisse sur des métiers à tisser (handloom) rudimentaires mais ancestraux des saris en soie et en coton, des écharpes, des châles et des étoles, des tapis, dont la qualité est extraordinaire. Et c’est dans ce contexte-là que Kuldip entre en scène puisqu’il est le promoteur de ces talents. Une association à but non-lucratif ni boutique, met en avant les meilleurs artisans qui, grâce aux tourismes, vivent de leurs ventes.

C’est tout un art que l’on admirera dans un extraordinaire musée perdu dans la campagne que l’on ne sait qui peut le trouver. Le LLDC (Learning and Living Design Centre) où l’on est chaleureusement accueillis, met en lumière cet artisanat local. La muséographie met en scène des textiles de douze communautés tribales. Les textes sont très pédagogiques et les photos qui illustrent sont dignes de grands reporters. Trois grandes galeries composent ce musée d’architecture moderniste. Une première galerie propose une exposition temporaire de plusieurs mois, une deuxième dans laquelle la présentation est permanente et la troisième galerie expose sur une courte durée un pays en lien avec les textiles. Au moment où nous y étions, l’Afghanistan était à l’honneur. La beauté, c’est de l’émotion. Nous avons vu dans une autre communauté l’application de la laque sur des ustensiles de cuisine en bois, ailleurs, la fabrication de cloches en cuivre pour les buffles et les vaches. Partout, un accueil amical et chaleureux. La beauté se trouve dans les cœurs. Nous avons regardé ces gens travailler avec curiosité et intérêt. Leur lieu de travail est leur lieu de vie. La communication était simple, très peu parlent anglais. La beauté se trouve dans les yeux et les expressions du visage.

Splendide panneau brodé. Une œuvre d’art.

Pour nous, ce fut une véritable découverte : les hommes et les femmes et l’or qu’ils ont dans leurs mains. Plus tard, de retour à Ahmedabad, dans la boutique chic d’un hôtel où nous avons séjourné, nous trouverons, mais n’achèterons pas, de magnifiques produits locaux, vendant des châles à plus de 1000€. La renommée de cet artisanat n’est plus à faire et ces pièces de tissus se vendent au-delà des frontières de l’Inde.

Nous l’avons baptisé « Arche de Noé ».

Notre parcours nous a conduits à Mandvi, petite ville au sud du Kutch. Kuldip avait mentionné un chantier naval hors du commun. Ici, des ouvriers construisent des navires en bois de teck de Malaisie, faits tout à la main, dans des conditions plus que précaires, sans protection. Pas de casques de chantier, pieds nus ou en tong à monter et descendre de hautes échelles en bois posées à flan de navire, debout sur de frêles échafaudages, assemblant à grands coups de masse les lattes du bateau, véritable arche de Noé. Les pays du Golfe commandent ces constructions destinées au transport de céréales. La beauté se trouve dans les muscles. Nous sommes entrés sur le chantier, aux pieds de ces navires imposants. Personne ne nous en a interdit l’accès. Au contraire, des regards, des sourires et des bonjours nous ont accueillis. A l’heure du déjeuner, la pluie nous a rattrapés. Il a fallu attendre plus d’une heure à l’abri pour finalement, se jeter à l’eau. Arrivés à la voiture, nous étions trempés comme des soupes. Nous avons quitté Kuldip et Andika avec qui nous avions partagé les repas du soir et les jeux de société avec leur fils.

Quelques baoli ont résisté au temps. Ils sont d’une architecture impressionnante.

Retour à Ahmedabad par le même train de nuit. Nous visiterons le lendemain le  site classé à Champaner et Pavagah. La pluie menace et nous essuierons quelques averses. Champaner est constitué de plusieurs mosquées monumentales du XVIème siècle disséminées dans la nature, cachées dans les bois ou entourées d’habitations et de fermes. Peu entretenu, les herbes poussent follement. Et l’on envoie les jeunes la couper à la serpette pour nourrir les bêtes. Au-dessus, la colline volcanique de Pavagah a été fortifiée au VIIIème siècle. En haut des 3000 marches, le temple dédié à la déesse Kali attire de nombreux fidèles qui bravent la pluie. Un téléphérique y monte mais ne redescend pas. Face à ce double obstacle, nous reculerons.

Nous aurons assez de temps avant notre retour à Chennai pour visiter les environs de la capitale : les puits-citernes à degrés (baoli) d’Adalaj Vav et Dada Hari, fin XVème, véritables cathédrales aux nombreux piliers sculptés, Sarkhej Roza, un ensemble de mosquées, de mausolées et de palais de style hindou autour d’un immense réservoir. L’accès à la mosquée est interdit aux femmes (aberration) et les hommes doivent se couvrir la tête. Sur la grande esplanade, au pied d’un arbre offrant une belle ombre, une femme joue avec son enfant empêtré dans une petite voiture. Assise par terre, elle paraît heureuse et dévore son fils des yeux. Il règne une ambiance paisible. Notre chauffeur de rickshaw nous attend, nous sommes moites mais les 20 km qui nous séparent d’Ahmedabad vont nous reposer et l’air chaud nous assécher. La beauté se trouve partout.

L’ensemble de mosquée, mausolées et palais entourent un immense bassin

Ceylon

Galle Face Green, Colombo

Nous avons parcouru une partie de la côte ouest, de Colombo à Galle (prononcer [‘gᴐ:l]), puis une partie du sud ; ensuite, la région montagneuse du parc national jusqu’à Nuwara Eliya et enfin, Kandy, l’un des hauts lieux culturels et spirituels. Ce petit circuit de 10 jours s’est effectué en voiture et nous avons pris quatre fois le train pour vivre une extraordinaire aventure ferroviaire, tantôt longeant la côte au raz des flots, tantôt traversant des paysages inoubliables à travers la montagne plantée de théiers, de caféiers et de tant d’autres épices sur cette île qui, à notre niveau de découverte, semble paradisiaque. Nombre de locaux et de touristes ont voyagé debout devant les portières ouvertes ou assis les jambes ballantes à l’extérieur d’un train qui roulait à une vitesse maximale de 40km/h, nous laissant tout le loisir de voir défiler les paysages presque au ralenti.

Colombo est à un jet de pierre de Chennai. La compagnie IndiGo qui n’effectue normalement que des vols intérieurs propose une ligne régulière entre ces deux villes. En 1 heure et 20 minutes nous étions arrivés dans un pays qui de prime abord ne dépayse pas. Nous constaterons à chaque instant qu’au contraire, presque tout est différent.

Le nord de l’île est tamoul et donc de confession hindoue

Colombo est un peu désarmante avant que l’on n’y arrive. Où loger ? La ville comprend plusieurs colony qui sont autant de centres plus ou moins intéressants : Port, Fort, Pettah, Maradana, Wellawata, Slave Island, Kollupitiya entre autres. J’avais choisi la colony 7, Cinnamon Gardens pour son joli nom (le jardin de cannelle). Elle se trouve dans un quartier résidentiel comportant plusieurs centres d’intérêt comme le musée national, le musée d’art contemporain et le très beau parc.

Notre petit hôtel, perdu dans une impasse improbable, le Srilax, abrite un café branché, le Kumbuk où nous prenions nos petits déjeuners servis avec de charmants sourires et des tapes amicales sur l’épaule par des serveurs tout aussi charmants. Le café de Colombo ou le thé de Ceylan, quelques épices dont la cannelle et les délicieux avocats sur des tartines constituaient la base de nos petits déjeuners. Ici, les déplacements en tùk-tùk (même nom qu’en Thaïlande mais rickshaw en Inde) sont simples ; le prix des courses est fixé par un compteur.

Colombo est un mélange surprenant d’histoire et de modernité. Le douloureux passé colonial, d’un point de vue architectural, est justement mis en valeur. C’est d’ailleurs l’un des attraits touristiques majeur. Comme les grandes capitales, le skyline au sud de Fort montre des gratte-ciel toujours plus hauts, toujours plus beaux ! Ils côtoient les édifices coloniaux, empreintes des Portugais, des Hollandais et surtout des Britanniques.

De nombreux food trucks jalonnent Galle Face Green.
Beaucoup de vendeurs de glaces dont les gens, tout comme nous, raffolent.

Face à l’océan agité, le Galle Face Green, longue bande de verdure, invite les habitants au pique-nique, à la promenade et au romantisme des couchers de soleil. On a pris un peu de hauteur depuis la terrasse d’un restaurant du très chic centre commercial Galle One où nous sommes allés chercher un peu de fraîcheur. A ce propos, ce séjour a été marqué par les fortes chaleurs chargées d’un taux d’humidité assez élevé. Ceci nous a valu d’affronter la pluie par intermittence et surtout, le froid dans les montagnes  auquel on n’était pas préparés. Une promenade à pied nous a fait découvrir la ville coloniale de Fort à Cinnamon Gardens. La pièce maîtresse de Fort est l’ancien hôpital hollandais (Old Dutch Hospital) datant du XVIIème siècle qui abrite aujourd’hui des restaurants, des bars et des magasins éco-branchés. Étonnamment, il fait face aux deux tours du World Trade Centre et de la tour ronde de la Bank of Ceylon, ultra modernes.

Toujours visible depuis ce secteur, la Lotus Tower donne le vertige. Haute de 244 mètres, elle offre une vue à 360°. Les cheveux au vent, on découvre ce paysage urbain fascinant.

Le soir, le haut de la tour, qui représente la fleur de lotus, s’illumine et change de couleur, elle scintille. On la préférait à la nuit tombée.

Retournés sur le plancher des vaches à la vitesse de 55 secondes et un petit crochet vers la boutique, on s’est amusés devant les tours du lotus aux dimensions réduites. Me voyant prendre Éric en photo une petite tour dans la main, le jeune vendeur, excité ou amusé, a voulu le photographier également afin de poster cette photo « géniale » sur Instagram@Lotustower.

Nous avons beaucoup aimé cette ville : chic, populaire, agitée et toujours propre. Nous avons été surpris d’emprunter des trottoirs dignes de ce nom, de voir des caniveaux et des rues nettoyées, d’apprécier une circulation fluide parce que les conducteurs sont respectueux du code de la route, qu’ils s’arrêtent aux passages pour piétons pour les laisser traverser en toute sécurité. Et il en va de même dans le reste du pays que nous avons visité. Qu’il était bon enfin de retrouver le café Kumbuk pour déguster un bon expresso ou un capuccino dans une ambiance décontractée et confortable ! Nous avons pris notre temps à Colombo. Cette partie du pays est à majorité cinghalaise. Le bouddhisme est donc la religion dominante (les Tamouls sont plus au nord du côté de Jaffna où nous ne sommes pas allés, faute de temps).

Temple de Gangaramaya géré par un des moines les plus puissants du pays.

Les temples sont nombreux et les fidèles qui les fréquentent sont en dévotion et font des offrandes. Le richissime et très vénéré temple Gangaramaya est un mélange de structures anciennes, de décorations kitchs et de caverne d’Ali Baba. Les donations sont inimaginables : des milliers de Bouddhas, des vitrines de bijoux, du cristal, des pierres précieuses et semi-précieuses, des plus petits objets de culte aux statues géantes de bronze, de la vaisselle, poteries, porcelaine, des vasques, des jarres, du mobiliers avec incrustations de nacre, des tapis, des lustres pampilles, et j’en passe sans oublier les deux Rolls-Royce ! La présence d’un éléphant naturalisé, mort de sa belle mort, est surprenante. Des défenses encadrent les portes revêtues d’or. La musique est forte et les musiciens sont étonnants dans leur accoutrement. On ne sait pas trop ni ne comprend ce qu’il se passe. Les fidèles prient et regardent comme s’il allait se passer quelque chose. Rien ne vient !

Le Bouddha aurait fondé ce temple lors de sa 3ème visite au Sri Lanka.
Calculette en main, cela devrait faire environ 2500 ans !

A Cinnamon Gardens, le National Museum, construit en 1877, propose une visite thématique : chaque salle représente un royaume historique du Sri Lanka.

Entre le musée national et notre hôtel, le théâtre de la ville que l’on appelle « le Panier »

Au-delà, le parc Viharamahadevi est le poumon de la ville. C’était autrefois le parc Victoria, il a été rebaptisé en 1950.

C’est un parc remarquable avec de beaux arbres majestueux et à une de ses extrémités, un bassin reflète l’image d’un Bouddha doré qui fait face à l’ancien Hôtel de Ville.

C’est un peu la « Maison Blanche » de Colombo ! Après ces trois jours, nous étions si bien au Srilax que nous y avons réservé notre dernière nuit avant notre retour en Inde. Nous y avons été les bienvenus et accueillis très chaleureusement.

Le directeur de cet établissement mâchait le bétel et la noix d’arec qui rendent les dents et la bouche rouges. Pas très sexy ! Nous avons sympathisé, il a été de bons conseils et s’est proposé de nous servir de chauffeur dans certains de nos déplacements. Ainsi, nous nous sommes transportés en voiture avec lui dans sa toute petite Suzuki hybride et nous avons voyagé en train. Tout cela était parfait !

Sur les remparts, vue sur le phare et la mosquée

Galle est décrite comme un véritable joyau. Cette petite ville historique est inscrite sur la liste au patrimoine mondial. Et de fait, c’est un véritable petit bijou enfermé dans des remparts qui remontent à la présence portugaise puis fortifiés par les Hollandais.

Ancien hôpital

Le circuit à pied nous fait passer d’un bastion à un autre, portant des noms évocateurs comme les bastions du soleil, de la lune, des étoiles, de l’aurore, de Neptune ou encore d’Éole. La vieille ville est bordée sur ses trois côtés par l’océan. Le vent du large nous fouette le visage et assèche notre transpiration.

La vue depuis notre guesthouse, le Fort Dew, donne sur les remparts et l’océan. Sur une large esplanade de verdure, les écoliers s’entraînent avec leur professeur au cricket ou à l’athlétisme. Les petits de maternelle, disciplinés, viennent faire une petite prière qu’ils ne comprennent pas au temple bouddhiste tout proche, et puis, il y a les promeneurs, les amoureux, les cerfs-volants, les nuages menaçants et un peu de pluie qui ne rafraîchit pas.

L’accueil par nos hôtes, hipsters tatoués aux dreadlocks, est chaleureux. Malgré les différences évidentes, nous nous sommes sentis les bienvenus. Nos petits déjeuners sur le toit-terrasse composés de string hoppers (galettes de vermicelle) et de curry sont un délice au palais. Le dîner, copieux, est préparé avec soin et en quantité. Il faut dire que nous n’y étions pas pendant la haute saison touristique. Le peu de visiteurs, logés pour la plupart dans les grands palaces qu’offre cette destination, fait que le taux d’occupation était très bas et que l’on était aux petits oignons !

Du petit glacier proposant des parfums incroyables au restaurant italien où Éric m’a invité le soir de mon anniversaire, d’un romantisme chic et fou, des boutiques élégantes où tous les articles sont bien mis en valeur, toutes ces bâtissent, anciennes demeures de riches marchands, rendent ce lieu magique. Pas une maison ne dépeint, mal ou peu entretenue, tout est beau, d’un blanc éclatant, merveilleusement illuminé à la nuit tombée. Seuls les remparts sont plongés dans la nuit avec le bruit des vagues que l’on entend rouler et composent une musique propice à la relaxation et la méditation. Mais ce seront les orages et les éclairs qui nous auront surpris !

Dernière soirée à Galle sous un beau ciel dramatique et flamboyant au-dessus de l’océan Indien. Magique !

De là, Bouddhika – et oui, ça ne s’invente pas ! – notre chauffeur, nous a conduits au parc national d’Uda Walawe. C’est l’un des meilleurs endroits au monde pour voir des éléphants sauvages.

Nous avions réservé un safari et un lodge une étoile (ici encore, nous étions les seuls occupants) très confortable et au rapport qualité/prix exceptionnel, en pension complète puisque nous étions au milieu de pas grand-chose si ce n’était le parc.

Anxieux comme nous l’avons été dans le Madiya Pradesh de manquer les tigres, nous avons posé la question de savoir si, de fait, nous avions de grandes chances de voir des éléphants. Notre logeur et le chauffeur de la jeep de location nous ont répondu par l’affirmative. Ne sachant s’il valait mieux faire un safari le matin ou le soir, on nous répondit que cela n’avait aucune importance, que nous en verrions dans tous les cas.

Et bien, nous avons été comblés. Ce sont plusieurs troupeaux d’éléphants que nous avons côtoyés, d’assez près même. Plusieurs mères avaient des nouveau-nés dans les pattes, les frères et sœurs tout près d’elles. Les impressionnants mâles qui se disputent. L’un d’eux nous a chargés, considérant sans doute que l’on empiétait sur son territoire. Et vu aussi les buffles sauvages, les énormes crocodiles, les chacals, les antilopes. De nombreux oiseaux barraient le ciel sous nos yeux : les perroquets, les toucans, les petits guêpiers verts et les innombrables paons, majestueux et colorés. Aussi, les langurs, beaux singes graciles à la face noire et à la longue queue. De 14 heures à 18 heures, nous avons vécu un enchantement, poils hérissés par des émotions intenses dans un paysage où nous étions presque seuls (le parc était de fait extrêmement peu fréquenté). Notre chauffeur-guide a été extraordinaire, respectueux des animaux, ayant une connaissance incroyable de ce milieu. Ses yeux perçants et affutés pouvaient voir, tout en roulant à petite vitesse, un minuscule caméléon caché sur une branche. Nous avons été en joie pendant toutes ces heures. Mon cœur battait la chamade, j’aurais explosé en sanglots de trop de charge émotionnelle. Attention, tant de bonheur m’avait déclenché une crise de tachycardie à la fête de mes 40 ans !

Puis nous avons pris la direction d’Ella, toujours plus en avant dans les montagnes. Là, le paysage change de tons. Il se teinte d’un magnifique camaïeu de verts et de bruns. Du lumineux et tendre des plantations de thé au sombre des forêts de pins. Il fait déjà moins chaud puisque nous sommes à tout juste 1000 mètres d’altitude. Cette région a la faveur des promenades, les vues sont fabuleuses.

On y séjourne pour apprécier son charme et sa tranquillité. Quant à nous, nous n’y sommes allés que pour prendre le train qui longe les crêtes et les flancs des montagnes, faisant apparaître des paysages incroyables. D’Ella à Haputale, il y a 23 km. Une heure de train dans une ambiance de colonie de vacances.

Touristes étrangers et indiens s’excitent à se prendre en photo à l’extérieur du cadre des portières ouvertes du train en marche, ne se tenant qu’aux barres d’appui. Toujours de l’adrénaline ! D’Ella à Nuraya Eliya, il y a 43 km et il faut quatre heures de train, toujours dans les mêmes conditions. Par un temps radieux, nous montons jusqu’à 1889 mètres d’altitude. Le plus haut somment du pays est tout proche et culmine à plus de 2500 mètres. Cependant, qu’elle ne fut pas notre surprise en arrivant ! Les nuages ont recouvert le paysage : ciel bas, gris, vent, pluie et froid s’installent. En fait, cette « petite Angleterre » qui a perdu son charme par des constructions intenses, connaît rarement un meilleur climat. Étonnant pour le thé ! Mais au XIXème siècle, la gentry britannique venait échapper aux rudesses de la chaleur et en fit un lieu de villégiature ; d’où les bâtisses de style Tudor, le parc, nommé Victoria lui aussi, organisé à l’anglaise. Il faut dire qu’il est magnifique avec ses essences exotiques.

Sous la brume persistante, le lac Gregory prend des allures de station balnéaire ; jet-skis, bateaux à moteur, pédalos en forme de cygne, sentier de 5 km autour du lac ne perturbent pas les touristes indiens venus pour en profiter coûte que coûte. Dans une atmosphère chargée d’eau, les tables de pique-nique ne désemplissent pas et le snack-bar fait recette. Ce soir-là, nous dormirons sous une couette bien chaude ; le propriétaire de la charmante guesthouse nous ayant installé dans la chambre un chauffage d’appoint et comprenant notre état, il s’est même proposé de nous commander des pizzas que nous avons dévorées dans la salle-à-manger glaciale. Le domaine Pedro est le plus réputé. Ses plantations de thé sont tout proches. Nous n’en avons pas fait la visite ayant connaissance déjà du processus de récolte, de transformation et de conditionnement. Mais ce qu’il y a d’étonnant, ce sont les noms des autres domaines : Glasgow, Edimburgh, Stirling, … Bien évidemment, Sir Lipton, Écossais pour sa part, avait ouvert la voie.

Enfin, le trajet le plus long sera de Nuwara Eliya à Kandy. Nous roulerons un peu plus vite : Oh ! Jamais à plus de 50km/h. Nous parcourrons les 68 km en 6 heures. Les paysages sont toujours aussi beaux à la différence que, nous approchant de la deuxième plus grande ville du pays, nous traverserons de nombreuses agglomérations. Kandy est la ville culturelle de l’île et fut la capitale du dernier royaume cinghalais qui ne tomba aux mains des Britanniques qu’en 1815. Elle aura résisté près de trois siècles aux Portugais et aux Hollandais qui s’y seront cassé les dents. Kandy, haut lieu spirituel puisque que le temple de la Dent abrite … une dent de Bouddha.

Nous avons passé près de 30 minutes à attendre devant cette porte que quelque chose se passe. Beaucoup d’affairement, des allées et venues. Mais la porte, aussitôt entrouverte, se refermait précipitamment. La Dent de Bouddha est à l’intérieur de ce sanctuaire et de toute façon, personne ne peut la voir.

On peut aussi y entendre pendant des heures les fameux tambours kandyens. C’est l’un des sanctuaires les plus sacrés du bouddhisme. Le temple bouddhique de la Dent restera une énigme pour nous. Il a été édifié par les rois kandyens de 1687 à 1707 et de 1747 à 1782. Il faisait alors partie du palais royal. Une foule dense se serre autour des portes sacrées recouvertes d’argent et entourées de défenses d’éléphants. Il en va de même à l’étage et chaque marche de l’escalier qui y mène est occupée par un fidèle. C’est dire qu’on se serre ! L’ensemble est beau, d’une architecture composée de plusieurs bâtisses dont le temple principal au toit doré. Les piliers sont sculptés et de belles peintures ornent les murs. L’ensemble comprend le temple avec son sanctuaire principal où repose la Dent que l’on ne voit jamais, de la salle d’audience à l’étage, du World Buddhism Museum, que nous n’avons pas visité et du Alut Maligawa, édifice conçu à la manière d’un temple mais qui est le réceptacle de tous les cadeaux de Bouddhas offerts au temple de la Dent par les plus hauts dignitaires bouddhiques du monde entier. Cet édifice a été l’objet d’un attentat au camion piégé en 1998 par les Tigres Tamouls qui a fait de gros dégâts et de nombreuses victimes.

C’est aussi à Kandy que l’on assistera à un spectacle de danse traditionnelle où danseurs-acrobates, cracheurs de feu, danseuses et musiciens racontent les traditions locales dans des costumes de tout le pays. Les masques sont typiques du Sri Lanka et sont en vente partout comme étant la marque significative du pays. J’ai été tenté mais quelqu’un m’a retenu !

Enfin, nous sortirons de la ville pour nous rendre en tùk-tùk au jardin botanique royal de Peradeniya. Les 60 ha font de ce parc le plus vaste et certainement le plus impressionnant du Sri Lanka. On y voit des essences locales évidemment, canneliers de Ceylan et caféiers, palmiers royaux disposés sur une avenue à double rangs. On y rencontre également les bambous hauts de 40 mètres et, sur la pelouse centrale, le figuier géant de Java. En tout, ce sont plus de 4000 espèces qui sont plantées dans un but scientifique, économique, ornemental, médicinal, de sauvegarde et protection des espèces locales. Nous avons vraiment apprécié cette visite.

Faute de temps, il nous restait au moins une dernière chose à voir à Colombo. Nous visiterons le petit centre de méditation Seema Malakaya conçu en 1985, un bijou posé sur l’eau du lac South Beira. Ce centre est géré par le temple Gangaramaya. Le plus renommé des architectes sri lankais, Geoffrey Bawa (1919-2003) a créé un style associant tradition et modernité, s’inspirant des influences orientales et occidentales, laissant communiquer ses créations architecturales dans les paysages par des passages et des ouvertures, amenant l’intérieur vers l’extérieur, des structures qui « disparaissent » dans la nature. Hélas, nous ne pourrons pas nous faire une idée plus étendue sur cet architecte et ses conceptions, mais il resterait à voir le Parlement du Sri Lanka qui est son œuvre la plus ambitieuse, située à 11 km de la capitale, la Geoffrey Bawa House qui fut son domicile ainsi que le Paradise Road Cafe, villa coloniale réaménagée qui était son bureau.

Centre de méditation posé sur l’eau

Comment finir au mieux un séjour que l’on a adoré. Le retour au restaurant Ceylon Curry Club au Old Dutch Hospital s’est imposé à nous. La pluie ne nous a pas retenus. Et nous dégustions de délicieuses spécialités locales accompagnées d’un verre de vin. Derniers regards sur cette ville, la nuit où les lumières se reflètent sur la chaussée mouillée. Tout est calme et nous nous sentons si bien.

Graffiti dans la ruelle bordée de bars et restaurants chics dans la Colony 7 où nous buvions une bière fraîche.
Ces endroits gay friendly arborent le drapeau arc-en-ciel.

Des divinités dans des grottes

Le chemin qui mène aux Dieux passe par le Maharashtra, État dont Mumbai (Bombay) est la capitale.

Parcours au départ d’Aurangabad et retour Ajanta-Aurangabad

Les congés se suivent, s’enchaînent devrais-je plutôt écrire, et ne se ressemblent pas. Dix jours après notre retour du Madhya Pradesh (voir dernier article), nous sommes repartis. Direction Aurangabad, base de nos visites des grottes d’Ellorâ et d’Ajantâ. Nous avions réservé une voiture avec chauffeur pour ces déplacements. Ahmed, en plus d’être un chauffeur prudent, a été une mine de conseils et de connaissances de sa région, ce qui lui conférait également un rôle de guide.

Vue d’ensemble des grottes d’Ajantâ

Nous avons atterri à Aurangabad. A peine arrivés à notre hôtel qu’une tempête s’abattait sur la ville, nous obligeant à garder la chambre, privés d’électricité et de connexion internet pour un temps. Puisque nous étions levés depuis 4 heures du matin, la sieste et le repos ont été les bienvenus. La ruelle a très vite été inondée, des jeunes s’amusaient sous la pluie rafraîchissante. Enfin, nous avons pu sortir alors que la faim nous tenaillait. Direction Bhoj, un restaurant à deux pas de l’hôtel, dont les spécialités sont les thalis végétariens, repas complets servis sur un plateau en inox, composés de galettes, de riz et de tout un tas de petites coupelles contenant des légumes avec et sans sauces, du chutney, du dahl et des desserts ; le clou étant une sorte de velouté froid de mangues de la variété Alphonso, l’une des plus goûteuses parmi les mangues. Le tout à volonté pour quelques centaines de roupies. Les serveurs étaient magnifiques, ceints de longues écharpes colorées autour de la taille et portant un turban.

Le turban est le signe distinctif de l’établissement.

Aurangabad était la ville aux plus de cinquante portes, autant de passages  vers le Deccan. Il n’en reste plus que quelques-unes. Nous avons visité le mausolée Bibi-Ka-Maqbara, fin XVIIème siècle, tombeau de la première épouse du fils de l’affreux empereur moghol Aurangzed, fils du célèbre Shah Jahan (celui qui fit construire, plus tôt ce siècle-là, le mausolée Taj Mahal en l’honneur de sa bien-aimée épouse Mumtaz Mahal). D’une parfaite architecture moghole, il en est la réplique presque exacte.

Maqbara signifie mausolée

L’auto-rickshaw nous a ensuite conduit au Panchakki qui signifie moulin à eau. Il est composé d’un bassin et d’une cascade artificielle (1174), système ingénieux qui ramène l’eau des montagnes et la fait remonter par aspiration juste au-dessus d’un bassin à débordement.

A l’arrière, une mosquée (1117) abrite le tombeau d’un célèbre soufi. Non loin de là, on entend les prières du vendredi d’une mosquée voisine. Elle est remplie de fidèles. Plus tard, les rues encombrées nous donneront l’impression d’être au Pakistan. De toute évidence, ce n’est plus l’Inde multiconfessionnelle tant la concentration de Musulmans est importante.

Nous terminerons l’après-midi dans le chowk, le bazar très animé de la ville où Éric achètera une tenue kurta-pyjama dans un beau coton d’un blanc pur. Nous en profiterons pour faire l’acquisition de vêtements de pluie.

Le lendemain de bonne heure, nous prendrons la route d’Ellorâ située à 30 kilomètres d’Aurangabad. Nous ferons une halte à Daulatabad où s’élève une forteresse du XIVème siècle perchée sur une hauteur.

Début de l’ascension, tout va bien. Mais si on lève le nez, il faudra aller tout là-haut !
Vue sur les remparts et de plateau du Deccan depuis la citadelle en haut de la colline

Nous serons récompensés de la peine de l’ascension par une belle vue sur le plateau du Deccan. Pour la petite histoire qui coûta très cher aux sujets du sultan Muhammad bin-Tughlûq, celui-ci transféra sa capitale de Delhi à Daulatabad, on pourrait croire sur un coup de tête, obligeant la population à parcourir à pied les plus de 1000 km qui séparaient les deux villes. Plus de la moitié périrent au cours de ce pénible périple. Deux ans plus tard, ce même sultan réintégrait Delhi, entraînant dans son sillage ce qui restait de la population. Caprice des dieux ! La pluie s’est alors invitée mais nous l’avons vite chassée.

Plus tard dans la matinée, nous arrivons à Ellorâ. Il est 10h30 et il fait assez chaud sans que cette chaleur soit accablante. Pour la saison, nous avons donc la chance de pouvoir visiter sans trop souffrir. Il y a déjà du monde. Les Indiens savent qu’il faut se lever tôt. Nous optons pour une visite guidée. Ce site classé au patrimoine mondial de l’Unesco en 1983 comprend 34 grottes.

Vue générale du site d’Ellorâ

Cette succession serrée de temples et de monastères est taillée à flanc d’une haute falaise basaltique, une roche mi-dure. Les grottes datent de 600 à 1000 ap. J.-C.. La construction de ces sanctuaires traduit la tolérance dans la coexistence des trois principales religions de l’Inde ancienne. Les grottes 1 à 12 dédiées au bouddhisme ont été creusées du Vème au VIIIème siècles.

Grottes bouddhiques
Détail de la façade, la roue de la connaissance en forme de fer à cheval

Celles numérotées de 13 à 29, sont dédiées à l’hindouisme. Elles ont été creusées entre les VIIème et Xème siècles. Enfin, du IXème au XIème siècles, les grottes 30 à 34 sont dédiées au jaïnisme. Parmi les plus remarquables, la grotte 12 sur trois niveaux est merveilleusement imposante. Le Bouddha dégage un air de pureté dans une attitude de méditation. Au-dessus, le stupa le protège. La voûte ressemble à celle de nos églises. D’ailleurs, dans la description du sanctuaire, il est toujours question de nef et de déambulatoires, les bas-côtés séparés par des piliers. Notre guide nous fait entendre la pureté des sons. Il émet quelques notes qui se répercutent sur les parois en sons cristallins qui nous reviennent en échos. Il demandera d’abord aux Indiens, surpris par l’injonction, de se taire. Après la surprise, ils seront enchantés d’avoir assisté à l’expérience.

Le temple Kailasha depuis une terrasse

La grotte 16 dite de Kailasha est sûrement la plus impressionnante de par la taille et l’exploit. La construction du temple aura duré 200 ans. Le mont Kailasha est la demeure de Shiva, d’où son nom. La falaise a été excavée sur près de 250 mètres de profondeur avec les outils de l’époque, d’où l’exploit. Il en surgit une œuvre architecturale de toute beauté ; style et sculptures n’ont pas d’égal.

La 32ème grotte est dédiée à Mahavira, le 24ème et dernier Tîrthankara. Ces maîtres sont considérés comme des lumières de la foi du jaïnisme. A ce titre, ils peuvent enseigner à leurs disciples la voie pour atteindre l’illumination, le moksha. Ces représentations les montrent nus face à un disciple qui, lui, est vêtu et paré de bijoux. Les sculptures sont raffinées et délicates. Tout ceci est un enchantement et nous nous délectons de tant de prouesses et de magnificences.

Grottes jaïnes

Nous terminerons cette visite en gravissant la falaise pour avoir une vue plongeante sur la grotte 16. Nous sommes étonnés que l’accès soit possible compte-tenu de l’absence de protection. Nous sommes bien en Inde après tout où tout est possible ! Si nous voulons voir, nous devrons nous pencher directement au-dessus du vide. Éric flippe à cause de son vertige. Moi, je m’engage sur l’étroit passage et me penche, autant pour émoustiller mes sensations que pour me rendre compte de la profondeur (vue d’en haut) de l’excavation. Et l’ouvrage qui paraîtrait impossible à réaliser est bien sous nos yeux dans toute sa splendeur. Redescente au niveau du plancher des vaches.

Avant de prendre la route pour Ajantâ, nous déjeunons dans un restaurant proche des caves où Éric oubliera son vêtement de pluie qui n’aura pas encore servi mais qui aurait pu, vu l’état du ciel le lendemain sur le second site que nous visiterons.

Nous arrivons en début de soirée à Ajantâ. Nous avons réservé une chambre dans un hôtel géré par le MTDC (Maharashtra Tourism Department Corporation). Nous pensions que ces hôtels seraient aussi bien gérés que ceux du MPT (Madhya Pradesh Tourism). Que nenni ! C’est plutôt une grosse déception. L’accueil est glacial et les chambres à peine propres bien que literie et serviettes soient convenables. Pas de connexion wifi et pas de petit-déjeuner. Bien, nous ferons avec mais heureusement que nous n’y séjournerons qu’une nuit.

L’avantage est que le village où nous nous trouvons est à 5 km du site. Un ravin boisé au centre des monts Indhyagiri découvert par des soldats britanniques lors d’une partie de chasse en 1819 abrite les grottes. Le site est splendide. Au fond du ravin, la rivière Vaghorâ charrie les eaux boueuses dévalant les parois de la falaise d’une hauteur d’une quarantaine de mètres où se trouvent les 26 grottes.

Nous verrons ces cascades de boue à la fin de notre visite alors que la pluie s’abattait sur nous. La « construction » de ces grottes est répartie en deux phases. Une première du IIème au Ier siècle av. J.-C. et une seconde du Vème au VIème siècle ap. J.-C.. Des grottes sont ornées de merveilleuses peintures murales.

Une attention particulière est apportée aux fresques rupestres afin d’éviter les dégradations dues au temps, à la lumière et à la présence humaine en grand nombre. Ainsi, de nouveaux éclairages à la fibre optique ont fait leur apparition donnant une ambiance mystique à ces lieux de dévotion.

Certaines grottes sont des sanctuaires, des chaityagriha, d’autres des monastères, des sangharama. Ces derniers sont constitués d’un hall de réunion au fond duquel le Bouddha trône en majesté. Au-delà des piliers qui soutiennent le grand hall, des cellules sur les côtés sont destinées aux moines bouddhistes.

Les sanctuaires présentent une façade extérieure à colonnades plus ou moins travaillée et percée d’une ouverture en fer à cheval, une chaitya. A l’intérieur, le plafond est voûté sous lequel, au fond de la nef, repose le Bouddha en différentes expressions. Au-dessus de lui, un stupa surmonté d’un grand parapluie le protège. A l’arrière, une abside permet les circumambulations rituelles. Des colonnades séparent la nef des bas-côtés. La description de ces sanctuaires n’est pas sans évoquer les églises catholiques.

Des escaliers taillés dans la roche relient certaines grottes entre elles et permettent également d’accéder à la rivière en contrebas. Ce travail d’excavation s’est étalé sur quatre siècles et lorsque l’on met cela en perspective, on ne peut que penser que seule la foi a motivé ce travail titanesque. Certaines grottes sont vastes et richement ornées. On a là sous les yeux des chefs-d’œuvres de l’art religieux bouddhique qui, à cette époque, exerçait un rayonnement considérable en Inde et sur le monde asiatique. Quelques grottes dont la 24 montrent parfaitement les techniques d’excavation rocheuse. C’est toujours impressionnant et impensable techniquement.

Dès 9 heures du matin, juste à l’ouverture du site, nous étions sur place. Passé le centre d’accueil avec sa billetterie, il a fallu traverser un bazar dont les commerçants commençaient à présenter leurs marchandises : souvenirs, pacotilles, pierres, bijoux, tissus et stands de nourriture. Déjà, on nous hélait. Déjà, nous fuyions. Le premier bus était cessé partir à 8h45. Dans leur guérite, les chauffeurs de ces véhicules déglingués discutaient, buvaient le chai, mangeaient mais ne s’occupaient certainement pas de transporter les touristes sur le site à 4 km de là ni de l’horaire affiché. Nous attendions, une petite poignée de visiteurs. Enfin, nous nous rendîmes aux pieds des grottes. Des nuances de gris teintaient le ciel lourd de la pluie à venir. L’air chargé d’humidité menaçait de nous mouiller à un moment ou à un autre. Après nous avoir accordé 26 grottes de répit, le ciel nous est tombé sur la tête.

Éric, privé de son vêtement de pluie, nous a contraints à nous abriter dans une grotte où « logeait » déjà une famille avec trois enfants. Impatients de sortir, ils gesticulaient en tous sens à l’indifférence évidente de leurs parents. Il a fallu l’intervention d’un gardien pour leur interdire de monter sur les rambardes de protection. Nous regardions un peu hébétés tomber la pluie. Très vite, des cascades de boue ont dévalé la falaise se jetant dans la rivière, vision hypnotisante. Les éclairs ont secoué le ciel et le tonnerre a résonné. L’apocalypse quoi ! Mais une apocalypse qui ne dure pas longtemps. Au bout d’une petite heure, nous avons pu quitter notre grotte et le site. Le soleil était revenu avec son flot de touristes indiens ; nous étions bien contents d’être arrivés si tôt.

Bouddha a atteint le nirvana. Seule représentation du Bouddha couché

Nous avons repris un bus moins déglingué, traversé le bazar tête baissé sans se laisser happer par les commerçants nerveux de vendre à tout prix et avons trouvé, soulagé, notre chauffeur Ahmed. Il nous fera la surprise de nous conduire à quelques kilomètres d’Ajantâ, sur un autre versant de ces collines afin d’avoir une vue d’ensemble des grottes. Une autre émotion et toujours de l’étonnement. Nous lui en avons été reconnaissants.

Après cela, enfin confortablement installés dans la voiture, nous nous sommes laissés glisser dans la somnolence jusqu’à notre retour à Aurangabad où nous avons passé notre dernière nuit avant de nous envoler pour Chennai, enchantés de ce long week-end.

Nature et architecture au Madhya Pradesh

Khajuraho, dérivé du sanskrit Kharjur signifie « palmier datier ». Ici, à l’entrée du site archéologique.

État frontière entre le nord et le sud de l’Inde, le Madhya Pradesh se trouve juste au centre du pays. Il est cerné par le Bihar à l’est, lieu de l’Éveil du Bouddha à Bodhgaya, l’Uttar Pradesh au nord où resplendit le Taj Mahal, le Rajasthan à l’ouest avec ses palais de maharajas et son désert de sable, le Gujarat au sud-ouest où le Mahatmat Gandhi naquit à Porbandar.

Le MP permet de découvrir ses splendeurs sans l’affluence des touristes à cette période. Il faut savoir que nous sommes entrés dans la saison chaude qui va durer trois mois avant la saison des pluies. Dans cette région rurale et agricole, il faisait déjà 38°C dès 10 heures le matin. Il était donc difficile de poursuivre des visites de sites à ciel ouvert dans l’après-midi. Nous étions soit dans les musées, les palais … ou au fond du lit à faire la sieste comme le font les Indiens. Toutes activités tournent alors au ralenti jusqu’à 16-17 heures avant le rush de la soirée.

Cet État ne comporte pas moins de trois sites classés au patrimoine mondial de l’Unesco : Khajuraho, Sanchi et Bhimbekta et cinq autres sur la liste indicative des sites du patrimoine mondial. Nous en avons visité deux : les temples de Khajuraho et le Mahastupa (Grand Stupa) de Sanchi.

Notre séjour du 1er au 15 avril a été très varié, rendant le voyage inoubliable. Nous avons parcouru plus de 1400 kilomètres sur des routes pas toujours bonnes dans une voiture de location avec chauffeurs (Heera puis Mohan) au départ de Bhopal, puis Sanchi, Jabalpur, Bandhavgarh, Panna, Orchhâ et enfin Gwalior. Sur le long trajet qui nous ramenait à Delhi en fin de voyage, nous avons adoré revoir le Taj Mahal à Agra en fin de journée et le mausolée d’Utimad-ud-Daulab appelé « Baby Taj », précurseur du Taj Mahal, le lendemain avant le départ.

A 18h30, le ciel est légèrement voilé et le soleil déjà trop bas pour apprécier les teintes rose du Taj Mahal. Néanmoins, le revoir, sans doute une dernière fois, est un moment d’intense émotion.

Nous avons vu des merveilles d’architecture entre forteresses, palais, temples, mosquées et stupas, des superbes sculptures dont de nombreuses érotiques (toujours fascinant !). Nous nous sommes régalés dans de beaux parcs nationaux de forêts essentiellement constituées de tecks. Au cours de nos safaris, nous avons recherché des tigres du Bengale mais également des sambars (l’un des plus grands cervidés du monde), des blue bulls (taureau bleu ou nilgaut), des chacals, de nombreux paons et singes, des vautours, des biches et en un autre lieu, des crocodiles.

L’histoire complexe et violente du MP a donné naissance à une richesse incontestable, à tant de beauté qui en fait un joyau aujourd’hui. Il a été traversé par d’innombrables empires, de royaumes, de sultanats et de dynasties locales (à l’instar de celle des Scindia, toujours présente à Gwalior) qui ont combattu, qui ont vaincu ou ont été vaincus, chacun laissant sa « marque de fabrique » ; l’art et la culture se placent au-dessus de tout carnage. On retiendra la dynastie des Gupta, celle des Maurya, celles, rajputes, des Paramara et des Chandela. Les luttes internes entre Hindous et Musulmans dès le XIème siècle secouèrent le Madhya entre les dynasties musulmanes des Ghurides et des Khalji et celles hindous des Bundela et des Tomar, laissant une architecture remarquable. Nous en avons vu beaucoup et avons toujours été frappés par ces splendeurs, nous voulions en voir encore.

D’abord les paysages. Vastes plaines aux sols fertiles où les cultures du blé et de l’orge dominent. Nous arrivons au milieu des moissons laissant dans les champs fauchés le chaume sec et dru. En d’autres endroits, les épis se balançaient au gré des vents en une ondulation sensuelle. Les paysans travaillaient dans les petites parcelles de façon ancestrale, utilisant la faucille pour couper les céréales, constituant de petites bottes transportées à bras le corps, ficelées à la main et entassées en de plus grosses meules. Plus loin, sur une grande parcelle, les moissonneuses s’activaient, recrachant le blé ou l’orge de leur bouche mécanique en tas et dont les particules s’envolaient au vent. Les hommes sur les machines, les femmes courbées en deux, leurs bras comme seul outil. La chaleur partout écrasante. A la nuit tombée, des silhouettes fantomatiques, sans doute éreintées, finissaient le travail de la journée sous une température plus clémente. Sur les routes, les tracteurs étaient surchargés des récoltes transportées dans les coopératives. A l’arrière des camions de ramassage, les ouvriers agricoles étaient entassés comme du bétail, trop nombreux pour pouvoir s’assoir ; à chacun son karma. Nombre d’enfants n’étaient sans doute pas scolarisés, bras supplémentaires pour soulager la tâche. Dans le MP la nature est blonde, dorée, verte et brune. Il n’y a pas de rizières et les oignons succéderont aux céréales.

Ensuite les parcs nationaux. Le MP n’en compte pas moins de six plus une réserve ornithologique. Nous avons fait un safari à Bandhavgarh ou nous n’avons pas vu de tigres, et un second à Panna. Ce parc est une réserve de biosphère reconnue par l’Unesco depuis 2020.

Dans le village paisible de la fin du jour, les enfants jouent au cricket sous le regard d’un père.

Et là, bingo ! Une tigresse dans les hautes herbes près d’une rivière et ses quatre petits qui s’ébattent. Vus à l’œil nu. Notre guide nous a prêté ses jumelles. Les photos ne sont pas nettes quand on n’a pas un appareil photo reflex numérique muni d’un objectif d’un demi-mètre de long, mais nous les avons vus. Quelle joie ! Quelle excitation ! Nous sommes restés un long moment à attendre, à les entre-apercevoir, à les voir, à sentir leur présence dans l’insouciance des petits qui chahutaient gaiement, la mère se faisant plus discrète.

Et enfin, il a fallu partir à la recherche d’autres lieux, tentant notre chance et priant les Dieux pour que nos vœux soient exaucés ! Re-bingo ! Nous « tombons » cette fois, fait rare d’après notre guide-ranger, sur une maman ours lippu et son petit, puis plus loin, deux autres.

Ces ours ont été longtemps la proie au braconnage, mutilés, torturés et domptés violemment et cruellement, forcés à faire des performances de danses dans les rues pour le plaisir des touristes. Voir des animaux sauvages dans leur milieu naturel paraît être aujourd’hui une chose extraordinaire tant cela procure de vives émotions. Et pourtant, pauvres d’eux, ce sont des espèces en danger et/ou en voie de disparition et c’est bien de les observer dans leur habitat naturel protégé.

Nous avons aimé ces heures passées ballotés dans des jeeps raides et inconfortables dès l’aube, à peine réveillés, pas douchés, sans café, enveloppés dans une couverture que l’on a bien voulu nous prêter parce qu’il faisait froid avant le lever du soleil à Bandhavgarh mais pas à Panna. Huit heures, pause petit-déjeuner. Rassemblement de quelques jeeps sur une aire où les provisions s’entassent sur des tables de fortune : œufs durs, sandwiches, galettes, une brique de jus de fruits et de l’eau. Mais cela fait du bien ! Vers 11 heures du matin, retour au campement pour une douche et un peu de repos tant attendu avant de reprendre la route.

Les édifices. Dans le MP ils sont blancs, rouges, rose ou ocre. L’architecture est moghole, hindoue, bouddhique ou de style britannique à l’instar de la vieille ville moghole à Bhopal, du Grand Stupa bouddhique à Sanchi, des temples hindous à Khajuraho, des temples hindous et des palais moghols à Orchhâ, de la forteresse moghole et du palais british du maharaja à Gwalior. Des sites classés entretenus aux bâtiments décatis gardant fière allure, c’est l’histoire qui nous tombe dessus et dans laquelle on se perd.  Car les guerres de pouvoir successives, les empires qui se font et se défont donnant forme aux États d’aujourd’hui, la religion hindoue omniprésente nous étourdissant par la vie des dieux et des déesses sous leur forme humaine ou cachés sous leurs nombreux avatars, revient, en quelque sorte, à chercher des petites pièces d’un gigantesque puzzle que l’on ne saurait trouver et encore moins placer. Mais ce que nous retiendrons, ce sont les traces indélébiles présentes aujourd’hui ainsi que les explications captivantes de notre guide.

Ensuite les villes. Les villes indiennes sont ce qu’elles sont. Toujours bruyantes, sales, poussiéreuses et embouteillées. Certaines plus miséreuses que d’autres mais, globalement, nous avons trouvé plus de pauvreté ici qu’ailleurs : travailleurs et ouvriers précaires, nomades gardiens de troupeaux de chèvres, de moutons ou de dromadaires. Des mendiants un peu partout mais aussi des jeunes déscolarisés travaillant dans les boutiques ou prêtant mains fortes dans les champs. Et toujours la rencontre de jeunes enfants crasseux dans les rues, ne portant parfois qu’un short. Les guides touristiques indiquent que le Madhya Pradesh est une région peu touristique, hormis le tourisme indien et pourtant intéressant pour les touristes occidentaux que nous sommes. Alors que la terre est fertile, que les sites classés rapportent de l’argent – on voit bien à Khajuraho, ville modèle de propreté avec cinq hôtels 5 étoiles – et que le tourisme est actif, les retombées économiques ne profitent pas à la population.

Le jardin du Jehan Numa Palace à Bhopal où se trouve le restaurant « Under the mango tree ».

Le ruissellement par le haut ne fonctionne pas. N’est-il pas surprenant que le maharaja de Gwalior qui s’est amputé une partie de son somptueux palais, transformé en musée, fort intéressant soit dit en passant, fasse payer le billet d’entrée 300 INR pour les Indiens et 850 INR pour les étrangers alors que tous les musées coûtent entre 25 et 50 INR pour les Indiens et 400 et 600 INR pour les étrangers ? A qui cela profite-t-il ? Certainement pas au pauvre hère.

Vue sur Bhopal depuis le lac supérieur

Bhopal, capitale du MP, a fière allure avec ses lacs qui coupent la ville en deux. La vieille ville à majorité musulmane recèle des mosquées et le chowk. Comme partout, ces ruelles sont bondées et très animées. Il fait très chaud et pourtant tout le monde fait des achats. Cette ville fut jadis gouvernée par quatre générations de bégums, ces souveraines musulmanes qui n’étaient certainement pas reléguées derrière des moucharabiehs, invisibles. Des trois mosquées que nous avons visitées (Tal-Ul-Masjid, réplique de la Grande Mosquée à Delhi et la 3ème plus grande au monde, Jama Masjid la populaire et Moti Masjid, « la Perle »), c’est assurément cette dernière que nous avons préférée au point de nous y être posés un long moment, à l’ombre et dans la relative fraîcheur de ses coursives à colonnades, à regarder femmes, hommes et enfants parler, jouer et prier dans une ambiance sereine.

Le parcours dans la vieille ville nous a aussi conduits au Gohar Mahal, le premier palais d’une bégum qui régna de 1819 à 1837 qui surplombe le lac supérieur. Un gardien nous a conduits de par les cours intérieures ornementées de manguiers et de belles fontaines et terrasses successives, en échange de quelques roupies. Le musée archéologique révèle des sculptures du MP des XIème-XIIème siècles, en pierre, en bronze de toute beauté et la surprise revient au musée tribal construit en spirale. Il abrite des œuvres crées par 1500 membres des ethnies locales à partir de matériaux provenant de leurs villages.

Musée tribal à Bhopal. Jeux d’enfants
Vue de Gwalior depuis la citadelle

La forteresse millénaire de Gwalior surplombe la ville. En gravissant – en voiture – la colline, des statues monumentales ont été taillées dans la roche au milieu du XVème siècle.

Avant d’accéder à la forteresse par la porte de Gwalior à l’ouest,
ces statues taillées dans la roche impressionnent.

Ces représentations des 24Tirthankaras, maîtres jaïns divinisés, sont nues, debout ou assises. L’histoire passant par-là, les moghols les défigurèrent au XVIème siècle, vengeance et preuve de la suprématie du pouvoir.

Vue du palais Man Singh après avoir traversé la porte de Gwalior
1ère cour intérieure du palais

Le palais Jai Vilas, construit par les prisonniers de la citadelle en 1874, abrite le musée Scindia. Cela n’a pas du coûter très cher au magnanime maharaja Jayajirao !

Pour la petite histoire, dans le Durbar Hall, salle de réception, le plafond supporte deux gros lustres qui sont supposés être les plus grands avec leur 12,5 mètres de haut, les plus gros et les plus lourds au monde avec 3,5 tonnes chacun. Et pour s’assurer de la solidité dudit plafond, on aurait introduit dix éléphants à l’étage juste au-dessus ! Sous les lustres, le plus grand tapis d’Asie a été tissé avec 560 kg de fil d’or, grâce aux prisonniers de la citadelle qui y travaillèrent pendant 12 ans. On en est où dans le droit du travail ?

Façade principale de ce palais mégalomaniaque
35 pièces du palais sont consacrées au musée
Avant de quitter Gwalior, passage obligé à l’Indian Coffee House,
établissement auto-géré en coopérative par les employés.
Grand Stupa de Ashoka, IIè. siècle av. J.-C., Sanchi

Enfin les sites. Sanchi n’est pas loin de Bhopal et voit s’élever sur une colline les plus anciens  monuments bouddhiques du pays. Ce site classé comporte un grand ensemble composé de stupas, monastères, temples et colonnes. Le Grand Stupa est évidemment « la pièce maîtresse » de ce site. Nous choisirons une visite guidée qui nous montrera l’essentiel de l’histoire dans les détails de l’architecture.

Torana – Portique. Chaque torana comporte deux piliers sculptés sur trois faces.

Fait saisissant, les quatre toranas, les portiques, ont été érigés deux siècles après le stupa, en 35 av. J.-C.

Les scènes sculptées sur les trois faces des piliers retracent les récits des vies antérieures du Bouddha. A cette époque, l’art ne représentait pas le Bouddha, mais sa présence était évoquée par des symboles. Passionnant !

Le site compte aujourd’hui 25 temples sur les 85 construits entre le Xè. et le XIè. siècle
sous la dynastie des Chandela.
A gauche, temple dédié à Shiva, à droite, à son épouse Parvati, Khajuraho
Sur l’ensemble, seul un temple est dédié à Vishnou et un autre est multiconfessionnel.

Khajuraho est sans doute l’endroit qui nous aura le plus marqué. L’ensemble est dans un état de conservation extraordinaire. Son magnifique parc clos de murs d’enceinte abrite le groupe ouest, un ensemble de temples qui nous a émerveillés et subjugués. D’une architecture audacieuse, les hautes flèches sont des montagnes qui rapprochent des Dieux.

Les hauts et bas-reliefs finement gravés et sculptés montrent une série de scènes d’amour et l’on se plaît à observer attentivement les acrobaties que cela entraîne et la charge érotique que cela renvoie. 

Contrairement à son voisin, l’éléphant de droite est plus intéressé et amusé par les ébats près de lui.

Il est bien sûr question des 69 positions du Kâma-Sûtra. On y emmenait les jeunes filles en âge d’être mariées afin qu’elles s’accoutument au plaisir amoureux à prodiguer à leur futur époux. Je pense que les hommes en apprenaient aussi beaucoup ! Plus loin, les groupes sud et est avec d’autres petits temples de moindre envergure.

La déambulation dans le vieux village nous a ravis et bien sûr, l’arrêt dans un atelier Indian Handicraft s’est imposé. Nous y avons trouvé un petit bronze de style tribal de belle facture. Hop ! C’est emballé !

Coucher de soleil sur les cénotaphes, le ghât et le fleuve Betwa, Orchhâ
Palais Jehangir Mahal, Orchhâ
Le palais, vue du temple de Chaturbhuj
Palais Raj Mahal, face au Jehangir Mahal, Orchhâ

Le village d’Orchhâ. Ce village indien correspondrait plutôt à un gros bourg en France. Les rues sont animées et il y a du bruit. Moins qu’ailleurs, mais quand même. Ce qui nous surprend, c’est la tranquillité qui s’y dégage. On s’y sent bien de suite. Le petit bazar est charmant, les monuments historiques moghols donnent du cachet à ce lieu. On est partagés entre les incantations assourdissantes deux fois par jour en l’honneur de Rama dans le temple au cœur du village et la quiétude d’un petit ghât qui plonge dans le fleuve Betwa, animé matin et soir par les rituels immersion-prière-lavage, non loin duquel se dressent les royaux chhatri, cénotaphes des sultans et de leurs clans, des siècles passés.

Temple-palais de Ram Raja, XVIè. siècle. Construit pour l’épouse d’un Shah, il devient « temple » après qu’on y a déposé une effigie du dieu Rama en attendant la construction du temple de Chaturbhuj voisin. Mais une effigie de Rama ne peut être déplacée une seconde fois !
Cénotaphes vus du ghât

Sur une petite hauteur et traversé le pont rikiki qui enjambe un petit bras du fleuve, les deux palais surplombent le village ; le Raj Mahal (XVIème siècle) et le Jehangir Mahal (achevé au XVIIème siècle), magnifique ensemble fortifié édifié par la dynastie des Bundela, vidés de toute vie, ne laissant que quelques traces de peinture du faste et de leur histoire. Entre les deux palais, un bâtiment servait à recevoir les invités, aujourd’hui transformé en hôtel géré par le Madhya Pradesh Tourism où nous résidions. L’accueil y était chaleureux et les vastes chambres luxueuses.

Dans le temple de Chaturbhuj, un auto-proclamé guide nous a ouvert les portes d’accès aux niveaux supérieurs.

A monter les hautes marches inégales en colimaçon le long de conduits sombres, il nous a entraînés jusque sur les toits-terrasses, au niveau des flèches, et nous avons été enthousiasmés par les perspectives, par la présence des nombreux singes et vautours qui ont élu domicile sur les toitures de pierre ainsi que par la vue sur les environs.

La dernière soirée à Delhi a été délicieuse en compagnie de la collègue amie d’Éric. Un bon restaurant, du bon vin et une fin de soirée autour d’une coupe de champagne. Quoi de mieux avant le retour ?

Gingee

Sur la route entre Tiruvannamalai et Pondichéry, et à 147 km et 3 heures de voiture au sud-ouest de Chennai, Gingee n’a d’autre richesse que sa forteresse perchée sur cinq collines. Deux d’entre elles gardent des vestiges remarquables. Certaines dominent cette grosse bourgade de 50 000 habitants qui n’a aucun intérêt si ce n’est son activité commerciale effervescente. Les Français qui l’écrivaient Senji la conquirent en 1750 pour se la faire prendre par les Anglais en 1761. Fin de partie pour la France.

Cette forteresse qui date du XVIème siècle, comme on la voit aujourd’hui, serait bien plus ancienne et remonterait au XIIème siècle, à l’époque de la dynastie Chola installée sur un large territoire du sud de l’Inde. Le fort de Gingee comprend palais, salle d’audience, écuries royales, temples et mosquée, étables et étang aux éléphants, sanctuaires et magasins, mandapas, gymnase, greniers et réservoirs ainsi qu’une tour d’horloge apportée par les Français de Pondichéry. Il est entouré de remparts qui s’étendent sur 6 kilomètres. Il est environné d’un côté par la ville, de l’autre par la végétation et les rizières qui brillent au soleil. Le tourisme est local, fréquenté principalement par des Pondichériens. Il faudrait être bien curieux et avoir beaucoup de temps pour que les touristes occidentaux s’aventurent dans cette région. A  la mi-journée, la chaleur nous obligera à nous charger en bouteilles d’eau et il faudra être prêt mentalement pour gravir les 400 marches qui mènent au fort Krishnagiri (une heure de visite avec l’ascension) puis les 1350 marches pour la citadelle Rajagiri (deux heures de visite dont l’ascension). Aux sommets, la vue à 360° est époustouflante, la campagne bien ordonnée, aux divers tons de vert, de brun et de jaune ; un pur ravissement. Oui, nous l’avons fait, il nous en a coûté mais cette excursion en valait la peine.

Vue sur la ville depuis la colline aux 400 marches, Krishnagiri.

Les Maharajas Vijayanagar, qui régnèrent à Hampi, construisirent pour l’essentiel ce gigantesque fort perché majestueusement sur ces collines aux rochers fracturés, entassés les uns sur les autres comme s’il ne fallait qu’un souffle d’air pour les faire bouger, pour qu’ils roulent et s’écrasent sur les routes, la ville. Mais rien ne bouge depuis des millénaires. Ces paysages nous rappellent ceux de Hampi, chamboulés et hirsutes, laissant penser qu’au moment de la Création on aurait oublié de les ordonner en y ajoutant toutefois des touches de vert afin d’harmoniser une belle composition.

La forteresse, occupée plus tard par les Marathes, qui la décrivirent comme la forteresse la plus imprenable de l’Inde, fut reprise par les Moghols en 1698, puis par les Français pour un court temps pour ensuite tomber aux mains des Britanniques qui la surnommèrent la Troie de l’Orient. Définitivement abandonnée au XIXème siècle, elle sombrera, après les ravages de la guerre, dans la décrépitude. Depuis, elle n’est plus qu’un vestige, de belles ruines où les vents se font entendre entre les piliers de granit, sur les esplanades sans vie et les salles du trône et d’audience fantomatiques, oubliée le plus souvent, invisible même par les habitants de la ville qui ne lèvent plus les yeux pour en admirer l’ouvrage, comprendre son histoire, être fiers de sa grandeur et sa puissance passées, déplorer les guerres qui l’ont traversée avant de l’anéantir.

Vue sur la citadelle de Rajagiri depuis la colline de Krishnagiri.
En contrebas, une des portes d’accès à la forteresse.

Ce site servit en de nombreuses occasions de décor pour des films. On n’aurait pas trop de mal à imaginer des scènes d’Indiana Jones. Un peu comme le grand désert de Wadi Rum en Jordanie qui servit de cadre pour la publicité des cigarettes M.

Bala nous y a conduits tôt un samedi matin. Nous étions contents de pouvoir enfin visiter cet ensemble que nous n’avions pu voir en 2020 au début de la pandémie. Plein d’enthousiasme, nous avons pris d’assaut la colline, nommée the English Mountain par les Britanniques et sur laquelle trône le fort Krishnagiri. Nous y accédons par la porte d’Arcot ou de Vellore. A 11 heures, il fait déjà chaud.

Une réponse à la chaleur pour beaucoup d’Indiens … le repos, la sieste !

Nous avons entraîné Bala qui, pour une fois, a accepté de nous suivre. Mais lui, plus vite que nous malgré son plus jeune âge, a été essoufflé.

Au cours de l’ascension, plusieurs portes défensives nous ont permis de nous reposer à l’ombre et au souffle d’un vent frais.

Au repos !

Sur ce piton rocheux, l’ensemble architectural est impressionnant. Un beau mandapa (salle de danse et de musique) aux piliers sculptés, une salle du trône coiffée d’un bulbe et un temple s’enchevêtrent parmi d’autres édifices.

Il est ensuite temps de déjeuner. Nous aurons besoin de calories pour aborder la colline Rajagiri appelée St. George’s Mountain par les Britanniques. A l’extérieur de Gingee, nous choisirons un dhaba, sorte de relais routiers servant une nourriture simple, bonne et bon marché. Nous commandons chacun un riz biryani, l’un au poulet, les autres aux cailles. En sortant, la chaleur nous terrasse et nous faisons appel à toute notre énergie et notre volonté pour nous motiver. Bala, lui, déclare forfait en voyant les 250 mètres de haut de la colline.

A l’entrée du dhaba
L’Hindustan Ambassador, surnommée « Amby » est la voiture emblématique nationale en Inde.
Sa construction dure 57 ans, de 1957 à 2014.
En 2017, PSA achète la marque pour 11 millions d’euros.
La citadelle, un mamelon dont la salle du trône pointe comme un téton !

Nous n’imaginions pas un tel site pensant qu’il n’y avait que la forteresse tout là-haut. Mais, passée la porte de Pondichéry, c’est tout un ensemble qui se découvre à nos yeux.

La porte de Pondichéry nous donne accès au fort intérieur. Plus loin, tout là-haut, la citadelle.
Sortie pédagogique pour ces élèves de Gingee.
Les excroissances des banyans servent de lianes aux Tarzan et Jane.

Sur un parc de plusieurs hectares planté de gigantesques banyans, les ruines du palais excavé au milieu des années 70 avec son esplanade du trône, détruit lors de l’invasion moghole, s’étalent encore avec fierté. Le Kalyana mahal, tour pyramidale de sept étages réservée aux reines et concubines, les écuries royales, le gymnase, les greniers et d’autres bâtiments sont toujours debout.

Le palais excavé en 1974. Au fond, les écuries royales. Plus à droite, la Kalyana Mahal.
La salle d’audience avec son gros boudin qui servait de dossier au trône.
Grenier d’une contenance de 150 000 Kalam, ancienne mesure du Tamil Nadu. C’est énorme !
Gymnase

Il faut monter maintenant. Le plus dur reste à venir et, sans trop y réfléchir, nous gravissons les volées de marches de granit inégales qui nous mèneront à grand peine au sommet. Au cours de la montée, les sept portes défensives seront autant de stations de repos pour reprendre notre souffle et soulager nos muscles des jambes. Plus haut, il faudra même que je m’allonge, mon cœur au bord de l’implosion !

Presqu’arrivés … Je pose sur le rebord du toit d’un grenier.

Mais il faut y arriver ! Des enfants bruyants et infatigables nous dépassent, sautent d’une marche à l’autre, tels des cabris. De jeunes couples se tenant par la main discutent tout en montant énergiquement alors que pour Éric et moi, il nous est impossible d’échanger pendant notre ascension. Certains montent nus pieds mais la plupart portent des sandales, des savates ou des tongs.

Vue aérienne du grenier, du gymnase, des magasins.
Plus loin, un temple à droite et la mosquée à gauche ainsi que l’étang aux éléphants.
Le temple

Quelques fois un chemin plat nous rapproche des remparts crénelés et de ce qui reste des tours de guet d’où nous pouvons admirer la ville et les cultures en contrebas, les collines et la campagne environnante et au loin, les paysages où se cache le mont sacré Arunachala qui surplombe l’ashram de Tiruvannamalai. Épuisés mais contents, nous regardons un groupe de jeunes filles. Elles apparaissent et disparaissent des ruines, entrant ici et ressortant là. Elles semblent vouloir aller toujours plus haut, laissant leur robe flotter au vent, leur bannière, leur étendard, agitée par cet Eole voyeur qui aimerait sûrement les leur arracher. C’est sur ces impressions et avec cette imagination débordante que nous reprenons le chemin de la descente. Elle ne sera pas aisée ; la fatigue, l’intensité de la journée nous motivent à nous reposer et nous laisser reconduire chez nous.

Le sommet. A gauche, la salle du trône, à droite la tour du fort.

Installés à l’arrière de la voiture, bercé par la conduite de Bala, je laisserai les paysages défiler sous mes yeux au point de brouiller ma vue et m’assoupir. Éric sera dans le même état que moi.

Le Matrimandir, le temple de la Mère

On a tous plus ou moins entendu parler d’Auroville en Inde. Mais Auroville, où est-ce,  qu’est-ce donc et qu’y fait-on ?

White town, quartier français – Pondichéry – Puducherry

De l’origine aux faits

Auroville, « la ville de Sri Aurobindo » ou « la ville de l’Aurore » est une ville expérimentale située à cheval sur l’État du Tamil Nadu et le territoire de l’Union de Pondichéry (statut officiel encore aujourd’hui pour avoir été un comptoir français). C’est une entité à part entière. Sa reconnaissance par les autorités indiennes et internationales lui vaut d’être considérée, en quelque sorte, comme un territoire bénéficiant de certaines prérogatives. Par conséquent, les visiteurs étrangers désireux d’y séjourner doivent d’abord obtenir un visa provisoire pour Auroville avant d’obtenir ensuite un visa et statut d’Aurovilien. L’ashram – à l’origine maison où vécurent Aurobindo et Alfassa – qui y est rattaché se trouve à Pondichéry, à une dizaine de kilomètres de là. Sa structure est ouverte sur la petite ville comme en témoignent ses nombreux édifices gris et blancs. Les hébergements sont disséminés dans la Ville Blanche (White Town) ou quartier français, la partie coloniale de Pondichéry.

Édifice appartenant à l’ashram Sri Aurobindo – Source : Par Ilasun – Travail personnel, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=18072815

Aurobindo Ghose (1872-1950) est un poète indien, professeur, homme politique, fonctionnaire, révolutionnaire, critique littéraire, essayiste, écrivain, traducteur, philosophe et yogi. Il fonde l’ashram qui porte son nom le 24 novembre 1926. Il décide alors de se retirer de la vie publique.

Sri Aurobindo

Mirra Alfassa (1878-1973) est une mystique française, yogi, occultiste (speudo-scientifique), écrivaine et enseignante. Elle est la compagne spirituelle de Sri Aurobindo jusqu’à la mort de celui-ci. Elle dirige l’ashram Sri Aurobindo et est à la tête du projet fou d’Auroville.

La Mère

Auroville est inaugurée le 28 février 1968 sous l’égide de l’Unesco en présence du Président de la république de l’Inde, de représentants de 124 pays et de Mirra Alfassa, celle que l’on nomme désormais La Mère. Elle décrit alors Auroville comme étant « le lieu d’une vie communautaire universelle, où hommes et femmes apprendraient à vivre en paix, dans une parfaite harmonie, au-delà de toutes croyances, opinions politiques et nationalités ».

Guesthouse Sri Aurobindo, Pondichéry

Lors de cet événement, elle lit la charte qui exprime sa vision de la ville : « Auroville n’appartient à personne en particulier mais à toute l’Humanité. Pour y séjourner, il faut être le serviteur volontaire de la Conscience Divine ; Auroville sera le lieu de l’éducation perpétuelle, du progrès constant, et d’une jeunesse qui ne vieillit point ; Auroville veut être le pont entre le passé et l’avenir. Profitant de toutes les découvertes extérieures et intérieures, elle veut hardiment s’élancer vers les réalisations futures ; Auroville sera le lieu des recherches matérielles et spirituelles pour donner un corps vivant à une unité humaine concrète ».

Tombe de la Mère et de Sri Aurobindo, ashram – Pondichéry

Matrimandir signifie « temple de la Mère » en sanskrit. Avec le banyan et ses jardins, il se trouve dans la zone de la Paix et constitue le centre de la ville, visible en tous points. Plus loin, dans l’amphithéâtre en grès rouge, l’Urne de l’Humanité contient de la terre des 124 pays présents lors de l’inauguration.

Quatre zones s’ordonnent autour de cette zone centrale : La zone industrielle s’étend sur 109 hectares au nord de la zone de la Paix ; elle sert à abriter les industries vertes, les centres de formation, l’artisanat, et les services administratifs de la ville ; La zone résidentielle couvre 189 hectares au sud de la zone de la Paix ; elle est réservée à l’habitat sur 45 % de sa superficie et à la verdure sur 55 % ; La zone internationale de 74 hectares est située à l’ouest de la zone de la Paix ; elle est destinée à accueillir des pavillons nationaux et culturels, regroupés par continents ; La zone culturelle couvre 93 hectares à l’est de la zone centrale ; elle est vouée aux activités éducatives, artistiques, culturelles et sportives.

Autour de ces  zones, une ceinture verte de 1,25 km de rayon regroupe les fermes biologiques, les laiteries, les vergers, la forêt, l’habitat protégé pour la faune. Elle est censée fournir bois de construction, nourriture, remèdes, et servir de lieu de détente et de poumon vert.

Pour devenir membre d’Auroville, il faut faire ses preuves pendant un an et pouvoir vivre sur ses propres deniers sans être rémunéré pour son travail.

A Auroville, la propriété privée est interdite. Pour devenir l’occupant d’une maison existante, il faut faire don à la fondation du montant équivalent à la valeur de la maison. Pour bâtir une maison et en devenir l’occupant, il faut également faire un don à la fondation.

Éducation, soins médicaux de base, culture et activités sportives sont gratuits. Pour le reste, ceux qui n’ont pas de revenus touchent une allocation de 5 000 roupies (environ 64 euros) par mois en argent virtuel. Les achats effectués à Auroville, les factures d’électricité ou de restauration sont débités comme avec une banque conventionnelle. Mais il est impossible de vivre correctement avec une telle somme. Le nouvel arrivant doit pourvoir aux frais de location, puis de construction de son logement mais également s’il souhaite voyager ou payer des études supérieures à ses enfants. Pour contourner ce problème, certains se sont lancés dans une activité commerciale à Auroville même : hébergements (guesthouses), fabrication d’encens, de produits biologiques, de vêtements ou d’objets artisanaux. Une partie des bénéfices est alors reversée à la communauté.

A l’origine, seul le jeune banyan s’élevait fièrement dans une zone désertique. C’est aujourd’hui un immense arbre aux nombreuses ramifications vénéré par les fidèles et les visiteurs en quête de spiritualité. On y a planté plus de 3000 arbres, dessiné et agrémenté plusieurs jardins autour du Matrimandir, offrant un magnifique parc à la vue. 800 élèves fréquentent les 7 écoles d’Auroville « intra-muros » et la communauté emploie quelque 2000 personnes, créant ainsi de l’emploi local sur ce territoire. L’économie locale rapporterait près de 700 000 dollars par an. L’agriculture, l’informatique, l’éducation, la santé et l’artisanat constituent les principales activités de la communauté. En décembre 2021,  on recensait 3305 Auroviliens de cinquante nationalités différentes qui y vivent et y travaillent alors que l’on prédisait à l’époque d’atteindre une population de 50 000 âmes. On est très loin du compte 

Les impressions, les émotions et les attentes

Nul ne peut se présenter spontanément à Auroville pour voir ou visiter le Matrimandir. Il faut en faire la demande plusieurs jours à l’avance. Ainsi, le flux des visiteurs est géré au mieux car il y a de la demande. Les visiteurs sont équitablement répartis entre Indiens et étrangers. J’ai eu la chance deux fois déjà en janvier et février 2023 de l’avoir visité et je compte bien renouveler l’expérience avec Éric dans quelques mois, pour laquelle, à tous égards, on ne reste pas insensible.

Dès l’inscription en ligne, on nous informe qu’il faut suivre scrupuleusement les consignes lors de la visite qui est à chaque instant strictement encadrée : arriver à l’heure tôt le matin, se présenter au centre d’accueil, montrer la preuve de la confirmation de sa demande, suivre les guides, garder le silence tout le temps, déposer toutes ses affaires avant de pénétrer dans la zone de Paix, sortir de la chambre intérieure si on a envie de tousser ou d’éternuer, ne pas prier, n’invoquer aucun dieu, … Les guides, (autant d’Indiens que d’Occidentaux), résidents à Auroville et bénévoles pour l’occasion nous conduisent pas à pas. Nous passerons, au cours des deux heures que dure l’expérience, d’un bénévole à un autre. Dans le Parc de l’Unité, nous traverserons les merveilleux jardins autour du Matrimandir avant d’y pénétrer. Il y en a six : les jardins de la Conscience et du Progrès, les jardins de la Vie et du Pouvoir, le jardin du Banyan, le jardin de l’Inattendu, le jardin de la Jeunesse et le jardin de l’Éternel Enfant. D’énormes carillons suspendus ici et là aux branches des arbres retentissent de leurs sons métalliques au gré du vent. La grosse sphère dorée se trouve tout-à-coup devant nous et une forte pulsion émotionnelle, provenant de l’inconnu, donne la chair de poule. Les groupes d’une trentaine de personnes se suivent en file indienne. Notre première halte sera autour du banyan. Le signe « silence » ne peut être évité.

Sous le banyan, lieu de méditation dans un silence absolu, proche du Matrimandir

D’ailleurs, nulle envie de parler, le moment est à la contemplation et à l’introspection. L’arbre est magnifique avec son tronc originel et ses branches devenues troncs tout autour. Certains l’enlacent, d’autres collent leur front et leurs mains, d’autres encore s’assoient en tailleur à leurs pieds. Cela ne dure que quelques minutes, on pourrait y rester des heures. Au signal de notre volontaire, nous le quittons pour nous diriger vers le Matrimandir.

Le temple de la Mère, le Matrimandir

La sphère dorée de 36 mètres de diamètre luit comme le soleil levant surgit de terre. Une prouesse architecturale. L’effet est saisissant et assurément magique. Avant de pénétrer le sanctuaire, nous nous déchaussons. Nous accédons par l’un des quatre piliers invisibles de l’extérieur et l’on nous conduit exactement jusqu’au-dessous de la sphère qui paraît suspendue. Sentiment d’écrasement qui bouleverse les sens, excitation d’aller vers … quoi ? Le silence nous entoure.

Au ras d’un sol au plan incliné, l’Étang de lotus présente une forme en creux de telle sorte que l’eau ruisselle sur les pétales de marbre blanc jusqu’à son centre où se trouve une petite boule de cristal. Nous sommes alors invités à nous assoir autour de cette fontaine pour un moment de méditation. A cette heure-ci, la lumière est belle et il ne fait pas encore trop chaud. Pas un bruit, comme si toutes les respirations étaient retenues. Pas une sonnerie de téléphone, comme si l’on était hors du temps. On s’y sent immédiatement bien.

Justement, la notion du temps nous échappe tant que lorsque, d’un geste ample, une autre bénévole nous fait signe de nous lever, j’ai l’impression de n’être resté là que quelques minutes ou au contraire, plusieurs heures. Excitation, anticipation, curiosité et impatience nous mènent par le bout du nez. Il est temps de pénétrer à l’intérieur de la sphère. Nous passerons rapidement devant de petites salles de méditation pouvant accueillir cinq à six personnes. Elles sont fermées par des portes en verre et j’imagine que l’on s’y sent complètement coupé du monde extérieur. Lumière tamisée bleutée, coussins carrés blancs posés au sol, espacés les uns des autres. Chacun dans sa bulle spirituelle, chacun en appelant à sa Conscience Divine puisque c’est ce qui est recherché. On nous dirige alors vers un grand escalier, procession disciplinée qui sera une révélation, qui sera la réponse à ce que nous ne connaissons pas, passant de l’ignorance au vécu. Oui, je sais, j’y étais, pourrais-je dire.

Et c’est à ce moment précis que nous entrons dans la troisième dimension. Le lieu, l’espace nous projettent dans un film … de science-fiction.

Coupe transversale du Mantrimandir : Les marches d’accès sous les piliers, les deux rampes d’accès à la chambre haute de méditation contenant la sphère de cristal.

La structure est en béton. Tout d’abord, les regards se posent partout, curieux et intéressés par la construction. Un chef-d’œuvre ? Mais nous n’avons pas de vue d’ensemble. Nos déplacements nous feront découvrir de nouvelles facettes de la structure. Les quatre piliers porteurs sont maintenant visibles, sur lesquels ruisselle de l’eau. Le blanc du marbre prédomine. Le sol, les marches, les murs, les rampes, les piliers. Blanche, l’épaisse moquette des deux rampes courbes, l’une montante, l’autre descendante. Blanches, les chaussettes que l’on doit porter pour éviter de salir, de polluer ou d’introduire de la poussière de l’extérieur et dans lesquelles il faut glisser le bas des pantalons. Blancs, les coussins sur lesquels on s’assoit dans la chambre haute. Le silence est profond. A chaque endroit stratégique du parcours, des bénévoles nous guident. Ils « parlent » par le regard et par les gestes*. On ne peut ni sortir du rang ni s’échapper. L’encadrement est quasi militaire, une discipline de fer dans un gant de velours. Avec bienveillance, on nous dirige vers la rampe montante en haut de laquelle on nous arrête. Il faudra attendre quelques instants que les visiteurs qui nous précédent sortent par la rampe descendante. On ne se frôle ni se touche. Mais on a le temps de voir que la chambre haute est suspendue à l’intérieur de la sphère. Ce chassé-croisé a des allures de ballet bien orchestré, toujours silencieux, fluide et incessant. La petite musique se joue dans notre tête. Ou bien, sommes-nous des individus à qui l’on va faire un lavage de cerveau, ou conduire à l’abattoir ? Croyances, certitudes, fantasmes, idées reçues. Chacun fait son choix.

Le Matrimandir vu d’un jardin de la zone de la Paix

C’est maintenant à nous. Nous pénétrons dans la chambre haute, circulaire, tout en marbre. Elle est soutenue par douze piliers entre lesquels se trouvent des carrés de coussins blancs, sur deux rangées. Certains pourront s’assoir et s’adosser contre le mur. Je ne m’y mets pas. On remarque dès l’entrée le gros œuf de cristal, le plus gros au monde, dit-on. 70 centimètres de diamètre. Il est posé au ras du sol sur un petit trépied en or. Un rai de lumière tombe exactement sur lui. Il provient de l’héliostat, au sommet à l’extérieur de la sphère. Ce dispositif permet d’orienter les rayons du soleil toute la journée sur la surface lisse de la boule de cristal. Nous voyons le rayon de soleil, seule lumière dans cet immense espace. Chacun s’approprie un coussin, s’assoit et médite, peut-être. Je suis fasciné par ce moment. Les yeux tantôt ouverts, tantôt fermés. Je n’arrive pas à me déconnecter, à méditer. Je suis à la fois calme et agité. J’essaie de me recentrer mais je veux voir, regarder cet espace : sa  circonférence, sa hauteur, la distance entre le cristal et les piliers, la distance régulière entre chaque pilier. Je compte le nombre de coussins, je n’obtiendrai pas de chiffre exact car je m’égare. Je fixe ce rayon de soleil tomber sur le cristal qui renvoie un reflet inversé d’où nous sommes. Pas un ne tousse. Pas un n’éternue. Le silence nous habite, nous remplit, nous nourrit. On est là. Est-ce cela atteindre la Conscience Divine ? Le temps passe mais ne bouge pas, en suspension. Et sans comprendre comment, un geste, un mouvement du corps, nous nous levons et rejoignons la sortie. Rampe descendante alors qu’un groupe est sur la rampe montante, un manège qui n’en finit pas et durera toute la matinée. Nous ressortons par l’une des quatre portes monumentales dorées, retrouvons nos sandales. Il fait déjà plus chaud. Le temps qui reste est le nôtre. Promenades libres dans les jardins. Nous avons maintenant le temps de flâner, d’admirer, de se poser à l’ombre d’une végétation entretenue. Pendant un temps, on reste sans voix. Puis, la parole prend forme. On s’exprime, on échange, on commente, on s’interroge, on donne son sentiment avec les mots qui nous viennent. On est d’accord sur un point, c’est une expérience incroyable, quoi qu’il en soit. C’est unique, c’est extra-ordinaire.

On finit notre grand tour puis nous nous dirigeons vers les casiers pour récupérer nos affaires. Une grande frustration, nous n’avons pas pu faire de photos. Mais, dès le départ, la petite vidéo de présentation prévient que cet endroit n’a pas vocation touristique. Et c’est bien ce glissement qui s’est opéré depuis notre arrivée de bon matin à la fin de la visite.

*Les  Silent Presence Keepers, résidents ayant une fonction pour le moins étonnante : rester plusieurs heures dans un silence complet, « porteur de vibrations », dans le but d’amener dans la salle une autre qualité d’échange et « d’énergie. »

In « Manifesting the Invisible » ; Auroville, de Silence à Présence. Une ethnographie du croire aurovilien. Maël Shanti Vidal, Mémoire de master, 2018

Pour en savoir plus : https://auroville-france.org/

La cité perdue des rois Vijayanagar

Hampi a une histoire qui durera deux siècles, de 1336 à 1565. La fin de cet âge d’or est causée brutalement par l’armée composée des cinq sultanats du Deccan. Bien que rivaux, ils se rallièrent pour faire tomber Hampi. La cité, pillée et détruite, ne se relèvera jamais.

Le complexe royal

Située sur les contreforts des Ghâts occidentaux sur 30 km2, les ruines de palais, de mandapas, de ponts, de bazaars, de citernes, de réservoirs et de quelque 400 temples gisent pour la plupart, ou restent fièrement debout quoique meurtris, dans une beauté éblouissante qui leurs valent d’être reconnus du monde moderne et classés au patrimoine mondial de l’Unesco. Les paysages embellissent ces sites d’une manière extraordinaire. Ils sont composés de terrains vallonnés, de collines et de rochers dont les énormes blocs sont posés les uns sur les autres, certains en un équilibre immobile qui semble dangereusement précaire mais que le temps n’a pas fait bouger défiant les lois de la gravité. Ces rochers et affleurements de grès (des boulders) se teintent d’ocre à la tombée du jour, au moment où le soleil décline à grande vitesse. Pendant la journée, les pierres chauffent et éblouissent mais le vert des palmeraies, des bananeraies, des champs de canne à sucre et des rizières adoucit cette rudesse tout comme la tortueuse et tumultueuse rivière Tungabhadra – affluent principal du fleuve Krishnâ, l’un des plus long en Inde (1290 km) qui délimite le nord et le sud – qui, elle, rafraîchit.

Imposant frangipanier en contrebas de Hemakutam

Hampi est un passage obligé dans le Karnataka – dont la capitale est Bangalore, Bangaluru (Silicon Valley de l’Inde) où les ingénieurs, informaticiens et autres spécialistes des nouvelles technologies sont accueillis du monde entier – pour les pèlerins hindous venus faire leurs dévotions, leurs rituels de purification et vénérer l’éléphante Lakshmi, au temple Virupaksha, incarnation de Shiva, au cœur du village.

Krishna temple

Des hippies et des « babas cool » ont quitté Goa pour venir s’y installer ; dreadlocks, piercings, tatouages et tenues indiennes de rigueur sont leurs signes du rejet du monde occidental et d’une reconnexion à l’humanité. Ainsi, à Hampi Bazaar et à Virupapur Gaddi, juste en face de l’autre côté de la rivière, les hébergements sont à touche-touche. Ici, pas de grands hôtels ni de restaurants gourmets. On vit, on dort et on mange dans les guesthouses, salles sur les toits-terrasses où les températures du matin et du soir sont idéales. A Gopi où nous résidions, nous partagions chaque jour une table avec d’autres étrangers (Japonais, Malaisiens, Néerlandais) ce qui nous donnait l’occasion de faire connaissance et d’échanger, le temps d’un repas, sur qui et ce que nous sommes. Nous entendions également parler allemand et français. L’ambiance est décontractée, sans fioritures, simple et naturelle. Les plats sont sans ambition, végétariens, savoureux pour le touriste qui vient d’arriver en Inde, juste corrects et nous nous en contentons. Nous commandons sous couvert des bières pour nos quatre soirées et nous nous partagerons une grande canette que l’on boit en cachette et dans l’obscurité de la terrasse au-dessus du restaurant. Quelle hypocrisie ! Les chambres sont simples, confort et propreté sommaires mais eau chaude et air conditionné assurés. L’accueil est chaleureux et grâce à notre hôte charmant, nous pouvons organiser nos visites et nos déplacements. Nous aurons un guide anglophone pour les visites des sites le premier jour et le même chauffeur de rickshaw pendant 3 jours, Pampa aux dents déjà rougies par le bétel malgré ses 19 ans. Les hôtels de luxe se situent à Hosapete (Hospet) à une douzaine de kilomètres du site archéologique et à Anegundi sur l’autre rive de la rivière plus à l’est.

Vestiges du bazaar et gopura du temple Virupaksha, Hampi bazaar

Le village s’appelle Hampi bazaar parce qu’on y trouve les vestiges du bazar du XIVè siècle. Au départ du gopura du temple, les piliers et les toits de granit des échoppes de l’époque s’étirent sur un bon kilomètre de chaque côté d’une large voie qui mène au temple Achyuta-Raya au sommet de la colline Mathanga. Aujourd’hui, les habitants et les voyageurs cohabitent dans ce qui ressemble à un authentique village. Les ruelles sont cabossées et étroites, les vaches croisent les deux-roues et les rickshaws, les autochtones côtoient en bonne entente les étrangers qui font marcher l’économie locale. La vie y est animée. Le long des ruelles, les petites échoppes offrent aux chalands bijoux bon marché, objets des arts décoratifs, vêtements et tissus indiens, fausses pierres semi-précieuses, fausses statuettes en bronze ou en cuivre. On y trouve plusieurs salons de tatouages – un bon filon – mais pas de salon de massage – dommage et tant pis pour nous qui adorons nous faire malaxer, gentiment pour Éric, durement pour moi. Nous avons gravi la colline au moment du coucher du soleil. Quelle ascension et quel exploit ! Les marches de granit inégales et de hauteurs différentes ont mis nos jambes, notre cœur et notre respiration à rude épreuve. Mais le plus éprouvant pour Éric qui souffre du vertige fut de marcher à flanc de colline, au-dessus du vide sans rampe de sécurité. Se surpassant, il y est parvenu. Arrivés au sommet, s’assoir au bord du précipice ne lui a pas été facile. Mais une fois installés, nous avons pu admirer le merveilleux paysage avec une vue à 360° et l’époustouflant coucher de soleil. Notre récompense ! Hélas, nous n’étions pas les seuls, point de rendez-vous de toute la sphère touristique. Là, beaucoup de Russes, de Français et j’en passe !

Aller à Hampi se mérite. Le vol de Chennai à Bangalore d’une heure n’est que le début du voyage. Ensuite, il faut six bonnes heures de route en voiture pour l’atteindre. Passée la circulation dense en traversant la ville, une autoroute, une vraie, déroule ses kilomètres de revêtement uniforme et lisse jusqu’à Hampi. Nous ferons une pause thé le matin puis une pause déjeuner en chemin vers 13 heures, de quoi casser la monotonie du voyage et nous faire tenir jusqu’au soir.

En approchant de la chaîne de montagnes qu’on longe jusqu’à notre destination, les éoliennes en rotation ou à l’arrêt s’imposent dans ce paysage défiguré, envahisseurs immobiles inquiétantes, figées sur les crêtes, brassant mollement l’air, que c’est à se demander comment ces pylônes ailés peuvent  produire de l’énergie. Plus loin, des carrières à ciel ouvert dont les pelles chargeuses hydrauliques, les tombereaux, les draglines et les bouteurs miniers scarifient la montagne pour en extraire l’acier. Enfin, et cette dernière vision fugace soulage et rassure, nous longeons des exploitations de canne à sucre pour la transformer en jaggery (ou gur). Ce sucre non raffiné est préparé en chauffant le vesou, moût de la canne à sucre ou jus extrait directement des tiges – boisson exquise soit dit en passant – qui réduit pour finir solidifié. Ce bloc de sucre est beaucoup utilisé en cuisine.

« Hampi est le royaume des singes », pourrait-on traduire. C’est tout-à-fait juste, il y en a partout ! Et sur la plaque minéralogique, les deux premières lettres du nom de l’État. Ici, KA pour Karnataka

Le taxi nous laissera à l’entrée du village et nous atteindrons enfin notre guesthouse. Il est 16 heures. Le temps de s’approprier la chambre, de défaire notre bagage, il est temps, d’après les conseils de notre hôte, d’aller voir notre premier coucher de soleil depuis le vaste affleurement rocheux surmonté des temples d’Hemakutam, les plus anciens remontent à « l’avant Hampi » (IXè siècle), nous offrant une très belle vue sur le temple Virupaksha.

L’espace se remplit petit-à-petit et contrairement à ce dit le guide du Routard, toujours au top des expressions clichées, l’atmosphère n’est pas sereine. Il faut juste s’extraire de ce monde, s’enfermer dans sa bulle, se connecter à la nature, regarder et sentir la chaleur douce de ce soleil nous envahir, nous éblouir, se laisser submerger par tant de beauté au point d’en avoir la chair de poule et d’avoir envie de pleurer, comme si nous étions seuls au monde. C’est seulement beau ; l’attente, la vue du soleil déclinant inéluctablement, irrémédiablement en un mouvement et une trajectoire quasi immuables, les couleurs, le déclin du jour, les ombres, la nuit qui tombe et nous enveloppe.

Vue depuis l’affleurement d’Hemakutam surmonté de ruines de temples.
Les singes, au loin, profitent eux aussi, de ce moment paisible.

Des coups de sifflet nous arrachent à ce romantisme exacerbé, il faut quitter le site. Et c’est à moment-là que les gens se taisent, commotionnés émotionnellement de tant de majesté.

Je ne ferai pas le détail des visites. J’essaierai de transposer des impressions, une vision d’ensemble, laissant le soin aux guides de raconter et de décrire l’histoire et à vous, curieux, de faire vos propres recherches.

Le site principal se compose de deux parties. La ville sacrée et la ville royale. Elles sont de natures différentes.

La ville sacrée

Vitthala temple, vestiges merveilleusement bien conservés

Le temple Vitthala, un avatar de Vishnou, est le monument le mieux conservé du site. C’est un joyau. Cet endroit est sublime. Le char de Vishnou, la pièce maîtresse, semble pouvoir encore rouler. Les éléphants qui le tirent ont remplacé les chevaux dont on voit encore l’arrière-train.

Les murs du temple principal sont sculptés et les frises sont magnifiques, racontant l’histoire de ces rois puissants, richissimes, quand l’or coulait à flots et qu’on le jetait au peuple par poignées à leurs passages à dos d’éléphants royaux. Plus loin, une salle de danse aux piliers finement sculptés résonnent de différents sons lorsqu’on les frappe. Et puis, les salles du conseil et des prières. La pierre est joliment travaillée. Elle raconte des histoires, celle de la mythologie-poésie au travers du Mahabarata, et celle de la puissance des princes. Notre guide Pampa – le hasard fait qu’il porte le même nom que notre conducteur de rickshaw – nous montrera ce que notre œil ne verrait pas s’il n’était averti. Ces histoires intelligemment évoquées s’enchaînent en un rythme plaisant et dans une ambiance détendue et amicale. C’est un pro et notre trio fonctionne bien. Pampa a une excellente connaissance de l’histoire et de la religion. Mais, perdus entre ce qui relève de la religion, de la mythologie et de la poésie, nous croulons sous les noms des divinités, de leurs avatars, des rois et reines … Stop, c’en est trop ! Pampa le remarque et allège son propos. Nous préférons l’histoire et l’architecture. Qu’on nous explique les symboles, la finesse et la beauté des sculptures, qu’on nous montre leurs détails, que l’on pointe ici ou là les fresques érotiques, les déhanchés sensuels des danseuses, les musiciens, la marche des armées, des éléphants, des chevaux et des dromadaires, les scènes de chasse, qu’on nous fasse entendre le son métallique de la pierre, que l’on nous demande de tourner autour du temple afin de dénicher le surprenant ou l’incongru, qu’on nous fasse remarquer les textures, la douceur et les couleurs des pierres qui changent selon la course du soleil. Nous ne serons pas déçus. Mais épuisés, oui.

Virupaksha, temple en activité

Le temple Virupaksha, un avatar de Shiva, est le monument central de Hampi bazaar. Il en est le cœur et l’âme, donc, il vit. Son activité est intense et les fidèles s’y pressent…un peu comme dans tous les temples hindous ! Il est de belles proportions et son enceinte est étendue. On le voit de loin, parfois apparaissant au-dessus des collines ou au détour d’une boucle de la rivière. Il faut dire que son gopura datant du XVè siècle (porte d’entrée surmontée d’une tour pyramidale) impressionne par sa hauteur (près de 60 mètres sur 9 niveaux), par ses teintes jaune-beurre, par ses sculptures encore très bien conservées.

A l’opposé du temple Virupaksha, la longue et large voie « royale ».

Mais, lorsqu’on lui tourne le dos et que l’on se dirige vers la colline Mathanga éloignée d’un bon kilomètre, la voie « royale », large et majestueuse retient l’attention par la présence des vestiges du bazaar (d’où son nom). Cette enfilade continue de piliers et de toits montre à quel point la ville était active et commerçante. Aujourd’hui, le bazaar se tasse dans les ruelles du village.

Le bazar à Hampi village

La ville royale

La première impression est plutôt surprenante pour ne pas dire décevante. Quoi ? Un champ de ruines classé ? Non mais … Du complexe royal, on a fait table rase mais on mesure l’étendue des quartiers royaux depuis une esplanade pyramidale de 12 mètres de haut, tribune royale lors des festivités et célébrations religieuses ainsi que salle d’audience où l’on se plaît à croire que les ambassadeurs portugais y ont été reçus.

Des éléphants figés dans la pierre encadrent l’escalier qui y donne accès et les bas-reliefs sont magnifiques ; là encore, chevaux, éléphants, dromadaires, scènes de chasse et de bataille, toute l’histoire de ces puissants et de leur époque disparue.

Les hauts murs d’enceinte sont des empilements de gros blocs de granit de deux rangées qui se rejoignent au sommet, chargés à l’intérieur d’un remblai de terre et de cailloux. Cette épaisseur de mur d’un bon mètre n’aura pas suffi à protéger des envahisseurs. Les temples, salles de conseils, les palais, tout cela a disparu. Il n’en reste que les tracés. Par contre, on est impressionnés par le réservoir à degrés alimenté en eau par un aqueduc encore debout.

Ailleurs, le Zenana, le quartier des reines, une enclave close dans l’enclave royale, abrite un merveilleux jardin et un pavillon, le Lotus Mahal, de style hindo-sarracénique, jonction raffinée des arts indien et musulman. Aux quatre coins de cette petite enclave, ces dames étaient « protégées » par des eunuques depuis des tours de guet.

Jouxtant ce paradis, les ‘étables’ des éléphants royaux et la salle des gardes. Loin de leurs rois, ces reines avaient pour voisins des rustres et des animaux !

Étables des éléphants royaux, au fond et salle des gardes à gauche

Plus loin encore, le bain des reines. De l’extérieur, l’édifice est plutôt austère mais il cache à l’intérieur toute sa beauté, son raffinement et sa magnificence, un peu comme celle que l’on imagine chez ces reines !

Queens bath

Enfin, le temple de Hazara Rama (les milliers de Rama), temple fréquenté par la famille royale, comporte une impressionnante salle aux quatre piliers de basalte (noir) sculptés des 24 avatars de Vishnou.

A l’extérieur, il faut de suivre, telle une bande dessinée sur trois niveaux, l’aventure de l’épopée du Ramayana, obligeant les fidèles de l’époque à faire le tour religieusement  de l’édifice plusieurs fois et d’en comprendre le sens sans avoir à la lire. Nous avons été comblés de tout cela.

Le Ramayana à « lire » autour du temple

Comblés, amusés et choqués lorsque, descendus par les ghâts vers la rivière de beau matin, nous avons assisté aux rituels des ablutions. D’un côté, les hommes, de l’autre les femmes. D’un côté, ils sont presque nus, en caleçon. De l’autre, elles sont en sari. Le rite, pour les hommes, veut qu’une fois ‘purifiés’, on est neuf.

Ablutions du soir. Petites barques rondes en osier. Les vêtements sèchent sur l’affleurement

On change donc de vêtements et l’on s’habille de vêtements sortis de leurs emballages. Ceux-ci jetés par terre, emportés par le vent, par les flots. Pas un regard, pas une attention. Je me suis levé et ai descendu quelques marches pour aller dire à un homme, non mais pardon, ramassez vos déchets, un peu de respect ! A quoi bon, on m’aurait regardé d’un mauvais œil, ignoré. Il faudrait répéter la remarque pour l’un, un milliard de fois. Je me suis rassis, impuissant et dégouté. Autre fait marquant, les ‘vieux’ vêtements que l’on portait sont jetés dans la rivière, caleçons et  dhotis, emportés eux aussi par les flots.

Heureusement, Lakshmi est arrivée, pesante, docile mais déterminée. Conduite par son cornac, elle a descendu les marches du ghât pour son bain quotidien. Elle est entrée dans l’eau fraîche du matin, s’est couchée sur le côté et s’est laissé langoureusement laver. Les yeux fermés, elle a enduré le savon, la pierre ponce et la brosse. Sa trompe sortait de l‘eau afin de reprendre sa respiration. Et le cornac frottait, rinçait. Quel travail ! Il a bien fallu deux heures pour en venir à bout.

Après avoir donné plusieurs bananes à Lakshmi et un billet de 100 roupies au cornac,
ce fidèle reçoit une bénédiction sous forme d’un jet d’eau.

Puis, elle s’est lentement relevée, les pattes encore dans l’eau s’assurant qu’elle ne glisserait pas sur l’affleurement, a trempé sa trompe et s’est aspergée le dos plusieurs fois, se délectant de cette fraîcheur, heureuse. Elle a ensuite levé la patte avant afin que le cornac puisse se hisser sur son dos, et tranquillement, elle a remonté le ghât et suivi son chemin jusqu’au temple voisin.

Détails des soubassements sculptés des temples : ici, scènes de chasse mais aussi, danseuses, musiciens, …

Nous avions décidé de traverser la rivière jusqu’à Anegundi. Pampa nous a conduits jusqu’au pont qui l’enjambe. Quelle vue sur la plaine dégagée !

Partout du vert, de l’activité dans les champs de canne à sucre, dans les rizières, hommes, femmes et buffles à la tâche. En chemin, une halte obligée sur la colline du temple de Hanuman, le Dieu-singe. 575 marches à grimper en fin de matinée et il fait déjà chaud. Le temple n’a que peu d’intérêt mais, une fois encore, depuis la hauteur, la vue est à couper le souffle. Baigné dans l’hyper luminosité solaire de la mi-journée, le paysage composé d’éléments assemblés en font sa richesse et sa beauté – ruines, temples, végétation, Ghats, la rivière elle-même – enveloppés dans une brume empêchant toute netteté à l’œil nu et à travers la focale du mobile.

Qu’importe cet écrasement ! Le charme opère. On se déchausse. Les singes attendent impatiemment. Un homme me tend une banane. Un jeune singe monte le long de ma jambe, s’installe dans mes mains, réclamant sa friandise. Il saute sur mon épaule, redescend sur mon bras et s’emploie à éplucher sa banane qu’il mange en se délectant, un long moment contre moi.

C’est trop mignon !!!

Nous visiterons ensuite deux temples et une fabrique coopérative de création d’objets à partir de fibres de bananiers. Des femmes gèrent cet atelier dans lequel elles travaillent dans la bonne humeur.

Dans ce même temple, séchage et stockage des combustibles

Dans un temple, fabrication de combustible à partir de bouses de vaches. Matière sacrée, chaque pièce est marquée d’un symbole divin. Ces pavés sont utilisés en cuisine mais aussi offerts aux divinités lors de pooja.

Enfin, en longeant la rivière avec Pampa et son ami Virupa (respectivement 19 et 18 ans), nous cherchons les tourbillons de ce cours agité et tumultueux. Occasion de faire du « bouldering », escalade sur les affleurements rocheux, pour lequel nous aurons besoin de l’aide de nos jeunes amis, si agiles. Ils sont attentifs, ils assurent notre sécurité. C’est touchant. Nous avons plaisir à mettre les pieds dans cette eau puissante. Elle est fraîche, il fait bon et l’on aurait eu envie de s’y plonger entièrement.

« Bouldering » au son assourdissant de la rivière

Au retour, nous nous arrêtons dans le village où vit Pampa, sa maison sous un bloc rocheux. Son cousin arrive, c’est l’hôte de notre guesthouse. Il nous présente ses enfants, nous nous attendrissons, puis, le soleil déclinant, il est temps de rentrer à Hampi bazaar pour notre dernière soirée. Demain, notre chauffeur nous attendra dès 7h30.