
A travers le smog, emportés par le chauffeur nous conduisant à notre hôtel, nous nous sommes glissés, passifs, dans un confort brumeux, comme enveloppés dans un cocon. Ne pas déjà penser, être pris par la main, se laisser guider, ne rien encore entreprendre, sachant que cela ne durera pas. Il fallait en profiter ! Pendant trois jours, Eric a pris ses fonctions à l’Institut français, épaulé par ses nouveaux collègues. L’exercice est, et sera exigeant pour lui sur cette mission. C’est déjà moins confortable ! Il prend à bras le corps ses nouveaux dossiers, il les embrasse. Moi, je profite et prends mon temps. Je ne serai pas touriste longtemps car la réalité va me rattraper à Chennai. Mais, pour l’heure, j’en suis un et je m’y emploie.

Nous sommes tout de suite frappés par le trafic fluide de la circulation alternée, le ballet des véhicules abordant les ronds-points dans un concert incessant de klaxons. Ce que nous remarquons ensuite, c’est la végétation luxuriante qui borde les larges avenues de New Delhi. Enfin, ce sont les forteresses des temps nouveaux, strictement surveillées, que sont les ambassades, les bâtiments gouvernementaux, les immeubles d’habitation et l’Institut français, cachés par cette végétation et devant lesquels les gardes de la sécurité restent très vigilants. Dit comme cela, c’est beau, esthétique, tranquille. C’est New Delhi, la partie de cette ville de 20 millions d’habitants, vestiges de l’empire britannique. On n’y voit pas de magasins, pas d’échoppes, pas de stands de rue. Pour côtoyer des gens, faire ses emplettes, il y a les grands centres commerciaux, les shopping center, où tout est chic et cher ; nous ne nous y sommes pas rendus.
Notre hôtel, « The Claridges »
Ambassade du Brésil
Notre quotidien commun est ritualisé. Avec son bras immobilisé, j’aide Eric dans les tâches simples, nous descendons pour SON petit déjeuner – le mien sera pris vers 10 heures tous les matins, petit privilège ! Nous nous reverrons vers 18h30. Les deux séances de kinésithérapie pendant notre séjour et nos dîners ponctuent nos soirées. Les spécialités culinaires sont savoureuses, variées, délicieusement épicées et sont un enchantement pour le regard. Le riz et le « pain » – différentes sortes de galettes – sont la base de toute nourriture.
Plateau de « bonbons » à base d’anis et de réglisse pour rafraîchir l’haleine en fin de repas
Vous aurez ainsi compris qu’Eric n’a vu de New Delhi que le trajet de dix minutes à pieds, entre l’hôtel et l’Institut. Le soir, je lui décrivais mes visites par le menu, photos à l’appui.

Khan market est coincé dans un mouchoir de poche. La circulation est chaotique, l’endroit est bruyant et les boutiques, minuscules comme des mouchoirs, vendent à la foule bigarrée, composée pour beaucoup par les touristes, des vêtements ethniques, des bijoux, des smartphones, des airs conditionnés, des purificateurs d’air et d’eau, de la nourriture, et j’en passe … De nombreux restaurants, pas repérables au premier coup d’oeil et des cafés-pâtisseries « à l’européenne » et aux consonances françaises, invitent à l’orgie gastronomique ! Il y a également beaucoup de couleurs. Et surtout, c’est dans une pharmacie, au détour d’une ruelle, que j’ai acheté les fameux masques anti-pollution ! Mon but était atteint !


Un écrin de verdure dans un environnement pollué, Lodi Park n’en est pas moins un très bel endroit. Les jardins sont dessinés et entretenus à l’anglaise, des monuments anciens y sont plantés : une mosquée, des tombes, une forteresse des XVème et XVIème siècles, des écureuils, des vendeurs partout … et des lieux d’aisance, comme le parc, très bien entretenus ! Les amoureux se cachent des nombreux gardes afin de mieux se bécoter, les futurs mariés prennent la pose pour les photos, les femmes dans leurs merveilleux atours. Il y règne un calme que seuls les oiseaux et le chuintement des tuyaux d’arrosage viennent agréablement perturber.

Il aura fallu que je me perde parmi ces avenues toutes identiques ! Circulation à gauche, nombreux ronds-points, flots incessants, indications déroutantes des noms de voies. Par où aller ? Et tout-à-coup, le cimetière chrétien ! Le calme au coeur de la ville, dérangé par les battements d’ailes des corneilles et des mainates et les sauts agiles des écureuils qui m’accompagnent. Dans leur immobilité éternelle, dans ce silence permanent hors du bruit de la cité, les tombes aiguisent ma curiosité. J’étais venu voir ce qui faisait la différence entre occident et Asie ! C’était sans comprendre a priori. Les tombes sont toutes décorées et recouvertes de fleurs et de pétales. C’est coloré, chatoyant. C’est beau, surprenant ! A posteriori, j’associe ce rituel à Diwali, la fête des Lumières durant le mois lunaire ! L’une des plus importantes en Inde. Cette année, c’était le 27 octobre. Cinq jours de célébrations. C’est un festival de blanc, de jaune, de orange, de rose, de violet et ça sent le jasmin !

J’ai quitté le cimetière pour me rendre à India Gate. Cette porte monumentale au centre d’un gigantesque rond-point ceinturé d’une clôture massive, est un peu notre Arc de Triomphe. Elle abrite la flamme du soldat éternel, notre soldat inconnu. Elle a été édifiée en souvenir de la Première guerre mondiale et de la troisième guerre anglo-afghane en 1919. Architecte britannique, architecture britannique ! Voilà pour le côté « guide ». On doit montrer patte blanche avant de pénétrer cet espace ; portiques pour femmes, portiques pour hommes, un militaire contrôle mon sac à dos. Deux choses liées l’une à l’autre attirent mon regard et suscitent mon intérêt. D’abord, la foule colorée, composée de jeunes en vadrouille, de familles, de classes avec leurs professeurs, beaucoup de jeunes en groupes. Des groupes de jeunes garçons, des groupes de jeunes filles. et des amoureux qui se prennent en photo. Les poses, ils aiment ! Et j’aime les regarder. Les femmes portent des saris, des salwar-kameez, des lenghas. C’est magnifique ! Certains hommes portent les lunghis et des dothis, arrangés selon la classe sociale à laquelle ils appartiennent, jusqu’aux chevilles pour les uns, remontés entre les cuisses et attachés à la taille pour les autres. La seconde chose qui me frappe, ce sont les vendeurs ambulants. Il y en a partout. C’est absolument extraordinaire ! On peut y acheter des ballons, des fruits que je ne connais pas, de la nourriture que je ne pourrais pas nommer. Il y a aussi des « cureurs » d’oreilles ! L’un d’entre eux m’a fait cette proposition … que j’ai déclinée en dodelinant de la tête à l’instar des Indiens. Enfin, j’ai essayé de mon mieux !

En sortant de l’hôtel, un taxi tente avec succès de me servir de chauffeur. Il me conduira au musée archéologique, m’y attendra 2 heures, puis j’irai à Khan market pour une course et enfin, il me ramènera à l’hôtel. Il m’en coûtera 600 roupies indiennes, soit 7,60 euros. Hélas, j’ai oublié mon smartphone. Il n’y aura donc pas de photos pour illustrer ce passage ! Je tenterai de restituer l’ambiance de cette visite. Le musée contient environ 20 000 pièces. C’est un trésor ! Malheureusement, beaucoup de galeries sont fermées au public, dont la galerie des bijoux. Il est très fréquenté par les Indiens ; élèves en sortie pédagogique, familles. Certains y viennent dans un but récréatif (le tarif est incitatif, 25 roupies pour les Indiens, 300 roupies pour les étrangers, normal). Beaucoup s’assoient sur les banquettes et bacouettent comme s’ils étaient au jardin, dans la rue ou à la maison. Le ton monte comme lors d’une altercation. Mais non, tout est normal ! Les élèves, eux, courent dans tous les sens, ne regardent rien. Les enseignants sont impuissants, dépassés … ou indifférents. Très peu de visiteurs étrangers. L’audioguide est compris dans le prix et propose une visite en 90 minutes autour des plus belles pièces. Les oeuvres sélectionnées sont les plus représentatives et je bénéficie d’un éclairage pertinent. Je m’arrête également sur ce qui attire mon regard ; des bronzes, des peintures miniatures de la période moghol, mais également des plus anciennes. Cependant, je ne fais pas la différence entre un bronze du XIVème et un autre du XIXème représentant Shiva, par exemple. Je ne comprends pas. J’apprécie l’esthétisme de l’objet par la finesse, l’élégance et le raffinement, mais j’ai du mal à le mettre dans un contexte historique et artistique et du coup, quelque chose m’échappe me laissant insensible à ce que je vois. C’est un peu frustrant. Un Ganesh, un Vishnu, en pierre ou en bronze des Xème, XIVème ou XVIIIème siècles, reste pour moi le même objet d’art. Bon, là, il y a du travail à faire …

https://whc.unesco.org/fr/list/232/

Humayun’s Tomb sera ma dernière visite à Delhi. Nous sommes donc la veille de notre départ pour Chennai. La tension monte, je me suis éloigné de l’hôtel. Pas facile de négocier avec le conducteur du rickshaw. Le compteur est présent mais il n’est pas branché … ou ne l’a jamais été (mauvaise langue ) ! Je quitte le cadre-confort du centre de New Delhi pour découvrir un autre aspect de la ville, plus réel ; bidonville en bordure de route, Indiens, hommes, femmes et enfants, couchés à même le trottoir défoncé, sales, poussiéreux, déguenillés, nus. Cette vision défile sous mes yeux très vite. Le conducteur ne connaît pas le l’endroit, il demande. Je suis assez surpris. Il n’ose s’aventurer au milieu d’un chantier. Une petite route caillouteuse s’ouvre et j’insiste pour qu’il me dépose juste à l’entrée. Il est rassuré de voir des congénères et beaucoup de visiteurs. Droit d’entrée : 35 roupies pour les autochtones, 600 roupies pour les étrangers, normal ! Nous entrons au coeur du XVIème siècle. Le mausolée sera précurseur du Taj Mahal de huit décennies. Plusieurs édifices ponctuent le trajet. Le tombeau de Humayun trône en majesté dans le parc. On accède au cénotaphe par un escalier en pierre, très raide qui donne accès sur une large terrasse entourant l’édifice. Des panneaux de marbre blanc en moucharabieh laissent passer la fraîcheur et la lumière. Le style moghol dans toute sa splendeur ! Je me promène, prends mon temps, regarde aussi bien les autres visiteurs que les bâtiments. Je prends beaucoup de photos. Tout est splendide ! Soudain, je suis abordé par un jeune agent de la sécurité. Je pense tout de suite à une faute commise. Aurai-je piétiné la pelouse ? Ecrasé ou cueilli une fleur ? Marché sur le tuyau d’arrosage ? Affolé les oiseaux ? Regardé avec insistance les belles personnes ? Non, rien de tout cela. Ce jeune garde, avec sa petite idée derrière la tête, a vu s’approcher le badaud, moi en l’occurrence, m’a fait des avances, se prenant pour un guide, et avant que je n’ai eu le temps d’éternuer, il me récite la leçon d’histoire. Il est charmant, ne me demande rien et m’entraîne à sa suite, délaissant son poste. Nous passons rapidement d’un bâtiment à un autre. Il veut faire vite. Cela m’amuse car il est assez mal à l’aise. Tout-à-coup, à l’intérieur d’un petit bâtiment isolé, dont les inscriptions aux murs ne laissent aucun doute (les amoureux s’y retrouvent), il me dit « bakchich » et me serre dans ses bras. Les miens m’en tombent. Il prend ma main et ne la lâche plus. J’en ai quand même besoin pour le lui donner. 100 roupies feront l’affaire. Il est content. En sortant de la petite pièce sombre, il voit deux autres de ses collègues. Pris à défaut d’abandon de poste, il y retourne prestissimo, et moi, me voilà comme pris pour une faute que je n’ai pas commise !


Quelle belle écriture Christian !! Et que de belles photos !! Continue à nous faire rêver et à emplir de couleurs chatoyantes notre quotidien bien gris en ces jours de novembre….
Belle installation à Chennai, bon courage à Eric pour sa prise de fonction
Des bises à vous deux
Anne