Aujourd’hui, il fait gris …

Vue de Chennai de notre chambre au 8ème étage

Comme c’est drôle ! J’ai commencé à écrire ces articles de façon intuitive, spontanée, sans trop réfléchir au fond ni à la forme, les mots s’alignant et formant des phrases, des strophes, des paragraphes, des articles. C’était réjouissant ! Comme une évidence, c’était comme écrire le récit d’un long voyage, de vacances, de notre aventure qui serait de courte durée. Un peu comme si j’étais de passage, un bref passage.

L’arrivée à Chennai a tout bouleversé et m’a fait changer d’état d’esprit. Je le pressentais déjà à Delhi. Le défi me semble maintenant de taille, les obstacles assez hauts pour que je sois, ces derniers jours, désorienté. Aujourd’hui, il fait gris … Je suis en rupture de stock. Manque de repères, manque d’adaptabilité, manque de compréhension de mon nouvel environnement, manque d’accès à une autre culture. J’espère que les livraisons ne vont pas tarder mais je sais qu’elles arriveront !

Les idées me traversent l’esprit, les images photographiques et mentales s’accumulent, défilent devant mes yeux et dans ma tête, puis s’enfuient. Mon esprit s’enflamme. Rien ne s’arrête, je ne sais où ni comment me poser. Réfléchir, raisonner, résoudre lucidement le problème. Pourquoi cette parenthèse ? Rien ne m’est évident, tout est difficile et se délaye dans un océan … indien !

Qu’est-ce qui a donc changé ? Qu’est-ce qui fait que je sois en manque de mots, d’idées ? Qu’est-ce qui fait obstacle à ce point ? Pourquoi ne suis-je plus dans les mêmes dispositions qu’il y a 10 jours ? A l’évidence, je ne suis pas un touriste, on ne me tient plus par la main, on ne me guide plus, je ne suis pas de passage en Inde. Eric et moi y sommes pour vivre et nous installer à Chennai, pour un bon bout de temps. Cette notion change tout et me bouleverse. J’essaie pourtant d’appliquer la théorie du verre à moitié plein. Eric, ne voit que cette partie du verre alors que je ne vois, bien souvent, que la partie vide. Je suis précisément dans ce vide, en suspension, attendant de plonger dans le plein. Cette nouvelle situation est autant enthousiasmante et effrayante.

Pour la première, parce que c’était notre choix, que nous y avions beaucoup réfléchi depuis la Bulgarie, il y a plus d’une année. Nous en avions beaucoup parlé. Nous avions envie d’Asie comme on aurait une envie de riz basmati, blanc, long, parfumé. On ne reviendra pas là-dessus, pas de regret. Les gens partout sont accueillants, souriants, ouverts. Il y a de la couleur, même sur la peau, sur les fronts des hommes et des femmes. Cela les rend toutes belles dans leurs vêtements, parées de leurs bijoux. La nourriture, les spécialités de l’Inde du sud, variée et succulente, prend aussi toutes ces couleurs. « Namasté » a tout son sens.

Pour la seconde, parce que Chennai n’est pas une belle ville. Oh ! Il n’y a pas que de belles villes en France, me diriez-vous ! Mais ici, la laideur a une autre couleur ; sale, poussiéreuse, puante, triste. Elle touche les architectures disparates, désordonnées et informes , bouleverse notre orientation, nous pollue, nous agresse par le vacarme incessant. Parce que la misère, celle qui nous renvoie à notre humanité, celle des basses castes, s’affiche au grand jour, sur tous les trottoirs, sous les autos-ponts, à tous les coins de rues. A priori, personne ne la voit. Tous sont indifférents. Et moi, je ne sais pas comment gérer cela. Tout est assez choquant.

Mon esprit préoccupé et confus ne laisse pas de place à la « zénitude ». Je m’étais portant promis de fréquenter un ashram dès notre arrivée ! Il est encore trop tôt. L’installation dure mais se fera. La recherche d’un appartement prend du temps, le choix n’est pas simple ; standards différents, prix élevés pour les expatriés, choix du quartier dans une ville que nous ne connaissons pas encore, manque de disponibilité – Eric part tôt et rentre tard, très (pré)occupé par le travail -, manque d’initiative, Eric est seul, le locataire et il a, seul, affaire avec les propriétaires et les agents. L’agent immobilier du moment nous conduit le soir à travers les embouteillages, les distances me semblent longues et interminables dans le trafic aux heures de pointe. La fatigue et le stress s’ajoutent à tout cela. J’ai hâte d’être installé, d’avoir nos papiers régularisés, d’avoir reçu notre déménagement, d’avoir trouvé nos nouveaux repères, de ne plus avoir mal au ventre. Car également, sur ce front-là, nous sommes sur nos gardes. Nous « observons » notre organisme. Attention à l’eau, à la nourriture. Ne pas forcer sur les épices présents dans beaucoup de plats est le maître-mot. Le changement de régime alimentaire a quand même un impact, l’équilibre est bouleversé. Je ne suis pas un bon équilibriste. De petits et légers dysfonctionnements apparaissent, sans grave conséquence pour le moment. On nous dit que c’est inévitable. Une fois franchie cette étape, nous serons « immunisés ».

Pour toutes ces raisons, mes idées s’éparpillent et je peine à les regrouper. Quel est donc le sens à donner à ce blog ? Doit-il être le reflet de la vérité, crue, brute et intime ou n’exister que pour vous faire rêver ? Que recherchez-vous ? Que voulez-vous lire ? Que voulez-vous voir ? Un – faux – paradis exotique, carte postale d’un merveilleux séjour, ou notre/ma vraie vie ici, en prenant le risque de me mettre à nu et vous dévoiler une partie de moi compliquée et complexe ? Je vous le demande !

Aujourd’hui, il fait gris, vraiment gris. Soyez patients, indulgents, le temps de faire mes preuves, que cette sale période soit passée. Prenez mes articles tels qu’ils sont, en attendant mieux. Ce que j’essaie de vous dire, c’est qu’au moment même où j’écris les lignes de cet article, je ne sais pas où je vais, où je vous conduis. Je ne sais pas ce que je vais écrire après, quelles formes et quels tons donner à mes prochains écrits. Alors, c’est maintenant que je plonge dans mon verre d’eau. Je vais juste écrire, comme ici, des lignes très personnelles, intimes. D’autres fois, elles seront légères ou profondes, sincères ou loufoques, drôles ou tristes, ce sera selon le temps, l’humeur. C’est peut-être ce que vous souhaitez lire. Une réalité, la mienne en tout cas, sous toutes ses facettes. Et s’il y a aussi des facettes à l’Inconnu, c’est justement cela qui m’inquiète et qui m’excite.

Maintenant que j’y suis, je dois me trouver. Je dois me prouver que tout est possible. Ma tâche n’est pas simple. Les exigences que je me suis fixées sont fortes et je ne voudrais, en aucun cas, ni vous décevoir, ni me décevoir. Vous l’aurez peut-être compris à travers les lignes de cet article, je suis déjà complètement et obsessionnellement envahi par ce blog. Reste à prendre un peu de distance pour rester lucide, observer le monde qui m’entoure, respirer et me laisser flotter sur les eaux du verre à moitié plein.

5 réponses sur “Aujourd’hui, il fait gris …”

  1. L’une de mes tantes, agent de voyages, nous racontait souvent ses visites, où tout était toujours « meeeerveilleux ». Franchement, c’était agaçant ! Ton vague à l’âme, voire tes angoisses, font aussi partie de ton séjour, et si ton blog t’aide à les formuler, peut-être qu’il les exorcisera également un peu. De plus, rassure-toi : ta mélancolie ne nous ennuiera pas.

  2. Quelle écriture fluide cher Christian, un plaisir de te lire avec cette élégance qui te va si bien, jusque dans ta prose! Continue et ponctue tes impressions de photos si chatoyantes ou réalistes.
    Amitiés.
    Thierry

  3. Oups … le ton change mon petit cricri . Mais nous te faisons confiance et savons que tu vas rebondir et trouver de merveilleuses choses là bas … de l’autre côté. Continue en tout cas à écrire tel que tu le fais … C’est un réel plaisir de te lire. Gros bisous à vous 2 … nous pensons bien à vous ☺

  4. Christian,
    on est avec toi, dans le verre, dans l’eau de l’océan, dans la pollution de la ville, sur les trottoirs de Chenay; réaliste, coloré, mélancolique, révoltant… tout ça c’est toi, c’est l’Inde. Merci de le partager avec nous. J’ai connu ça, il y a quelques années… ça me rappelle des souvenirs. A très vite… mais prends ton temps. Je t’embrasse, je vous embrasse.
    Patricia

  5. Hey, mon frère !

    J’ai ressenti de l’émotion à la lecture de certains passages…
    Je pense qu’il n’y a pas « d’évidence » à être propulsé dans un monde qui possède d’autres codes que ceux que l’on connaît mais qui, j’en suis sûre, avec le temps vous donneront les clés…
    J’aime ton « parler-vrai » (qui ne veut pas dire forcément « intime ») mais qui me rapproche de toi, car si c’est trop « académique » cela y met de la distance (sans jeu de mot…)et reste froid;
    Je pense beaucoup à toi (à vous), plusieurs fois par jour , ma tête et mon coeur vous accompagnent…
    Des milliers de baisers fraternels
    Syl

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *