
Je dîne seul ce soir dans ce restaurant qui est devenu notre cantine. Cela me rend plus « sensible » à ce qui m’entoure. Le thé que l’on vient de m’apporter est brûlant, je le laisse refroidir pour aligner ces quelques lignes. Au cours de mon repas frugal, j’ observe à loisir, sans insistance déplacée.
La table à ma gauche est composée d’une famille de 6 personnes, sans doute musulmane. Trois femmes d’âges différents vêtues de noir, un homme et deux enfants. Sur la banquette me faisant face, une femme, son jeune enfant et l’homme au ventre proéminent se tiennent côte à côte. L’enfant a une petite voix nasillarde, l’air malin et mignon. Il mange distraitement et se laisse nourrir docilement. Sa mère avance la nourriture au bout de ses doigts. Rien ne coule, rien ne tombe. Les petites bouchées arrivent juste dans la bouche de l’enfant. Il les prend du bout des lèvres, proprement sans se salir. C’est au tour du père de le nourrit. Il utilise une cuillère.
Sur la banquette qui fait face, les deux autres femmes (une sœur et la mère du père, peut-être) et un adolescent accroché à son smartphone, comme le sont tous les jeunes. Il attend patiemment son repas. Tous sont calmes, tranquilles, attentifs les uns aux autres. Les regards qu’ils se portent en témoignent. Ils communiquent presque par le regard. Ils ont l’air serein.
Les plats arrivent, apportés par un serveur sans âge. Aussitôt, ils se les partagent et mangent avec plaisir Le serveur pose le premier plat devant l’homme. Il le passe aussitôt à sa femme. Tous les deux se partagent ce plat. Les échanges sont feutrés, discrets. Ils se sourient.
A ma droite, l’homme est seul. Comme moi ce soir. Lui, avec son portable collé à son oreille depuis qu’il est arrivé, il mange. Il parle. Il n’est plus seul. Il ne se sent pas seul . Moi, je ne mange plus. J’écris dans mon petit carnet vert.
Mon serveur à grosses moustaches est aux petits soins avec moi. Il s’interroge. Pourquoi suis-je seul ce soir ? Où est mon ami ? Je lui parle d’un dîner entre collègues. Au moment de passer ma commande, je lui avoue avoir mal au ventre. Il me conseille le riz frit aux petits légumes, sans épices … à l’indienne ! Puis me propose de boire un thé. L’intention est là et elle me touche.

Ce soir-là, le restaurant est assez calme. Je me laisse porter par le va-et-vient des serveurs alertes, maîtres de leur service, ainsi que par le ballet des busboys en uniforme bleu nuit, s’appliquant à débarrasser et remettre en place les tables avec une rapidité surprenante. Cette valse m’étourdit presque. Je pourrais rester là longtemps, sur ma banquette, l’esprit engourdi.
Tout en surveillant leur section, des serveurs attendent quelques instants avant d’apporter la suite des plats à leurs clients. Ils s’adossent alors contre un pilier ou un mur et discutent à voix basses. Puis ils rient, épaule contre épaule, aiguisant ma curiosité . Que se racontent-ils ? Il arrive qu’ils se prennent par la main, la caresse ou que leurs doigts s’entre-croisent. Autre culture !
J’aime tous ces moments !
J’aime aussi ces regards qui me sont adressés. Ils sont chaleureux. Une façon de me dire que je ne suis pas seul. Certains m’approchent et me glissent quelques mots aimables. Nous échangeons des sourires.
Je me sens bien. Il est 20h50. Je peux boire mon thé maintenant.