De l’or bleu pour les cruches

« Tant va la cruche à l’eau, qu’enfin elle se brise », Molière, Dom Juan ou le festin de pierre, Acte V, scène 2

Les cruches, les bonbonnes, tout est bon pour récolter l’eau. Elles ne sont pas en terre mais en plastique ; des bleues, des jaunes, des rouges, des vertes, des oranges. On ne trouve que ce modèle. Les jarres des temps modernes, un modèle national ! Incassable !

Chennai a subi ces dernières années depuis 2016 d’inquiétantes pénuries d’eau. Les coupures ont été nombreuses, les prix ont flambé ! On se rue sur les camions. Les conducteurs de rickshaws saisissent l’occasion de se laver sous les robinets qui laissent échapper de petits filets d’eau … rien ne se perd, tout profite. Aucun gâchis !

Ici, en Inde, et plus particulièrement à Chennai, il y a de l’eau … et parfois, il n’y en a plus !

Parce que l’eau coule des canalisations à nos robinets … puis se tarit.

Ici, en Inde, l’eau est autant une chance qu’un problème. On est entre deux eaux !

Parce qu’il y a de l’eau et que l’on ne peut pas la boire.

L’eau devient donc une affaire d’argent qui touche la plupart des Indiens et surtout les plus démunis. Mais que vaut l’eau ?

Les gens aisés, eux, nous, ne s’en préoccupent même pas. En ont-ils même conscience ? Car dans les immeubles d’habitations d‘un certain standing, dans les ‘bons quartiers’, il y a de grands réservoirs d’eau sur les toits. En cas de coupure d’eau, un système de pompage prend la relève. On ne se rend même pas compte de la coupure momentanée. Notre petit immeuble de 6 appartements en est doté.

A l’hôtel Savera, quasiment un soir sur deux, un camion citerne venait alimenter les réservoirs de l’hôtel. Au cas où … Mais, Jésus nous apporte l’eau !

J’ai vu, à plusieurs reprises, des camions citernes circuler dans la ville. J’ai naïvement pensé qu’il s’agissait de transport d’eau pour alimenter les châteaux d’eau. Mon résonnement était inversé et archi-faux !

J’ai vu, lors d’embouteillages, justement créés par ces camions citernes, stationnés sur le bas-côté de la route, en pleine ville, non loin du centre-ville, aux abords de ruelles, souvent en terre battue, cabossées et défoncées, ces portions de quartiers défavorisés, des gens accourir par grappes avec leurs cruches de 20 litres, afin de récolter leur ration d’eau.

Puis, servis, ils repartaient, qui portant la cruche sur l’épaule, qui la transportant sur un vélo, qui les entreposant sur des vélos à plateforme, s’engouffrant dans les ruelles afin de les distribuer à chaque foyer.

A quoi revient la ration d’eau quotidienne par personne dans un foyer ? Comment cette population consomme-t-elle son eau ? La fait-elle bouillir avant de la boire ?

Un récent rapport paru dans un journal national, indiquait que pour Chennai, 9 des 13 critères n’étaient pas atteints et que l’eau était donc impropre à la consommation ! Effrayant ! Pour Delhi, c’est encore pire ! De mémoire, c’est 11 sur 13. La seule ville qui sort du lot est Mumbai.

En ce qui nous concerne, il nous a fallu s’adapter à cette nouvelle situation. La cuisine est équipée d’un purificateur d’eau que nous utilisons pour laver les fruits et les légumes. Malgré tout, un trempage dans de l’eau vinaigrée ou du bicarbonate de soude s’impose. Cette eau sert également à la cuisson. Enfin, nous nous brossons les dents avec de l’eau purifiée, que l’on peut mettre en bouche, et nous buvons notre thé avec de l’eau purifiée bouillie électriquement … Quelle histoire !

Nous avons investi dans une fontaine à eau à boire. Oh ! Ce n’est pas de l’eau minérale mais de l’eau purifiée buvable (drinking water contrairement à purified water). Aquafina – groupe appartenant à Pepsi – nous livrera nos premières bonbonnes dès que nous les appellerons. Cette fontaine à eau, grande découverte, nous permet de boire de l’eau fraîche, à température ambiante ou même permet d’avoir de l’eau bouillante. Un petit compartiment réfrigéré permet le stockage de canettes. Gadget !

En plus de cela, nous achetons des bouteilles de 50 cl qu’Éric emmène au travail ou que l’on peut mettre dans sa besace lorsque l’on sort en ville. Nous achetons enfin des bouteilles d’eau minérale de 1 litre, « Himalayan », eau descendue ‘tout direct’ de la chaîne de montagnes de l’Himalaya, que l’on ne trouve pas dans tous les supermarchés. Cette eau est chère, toutes proportions gardées. C’est le prix d’une bouteille de 1,5 litre de Cristalline ! Nous pourrions la boire, pour s’en délecter, avec une paille en papier carton comme on en trouve partout dans les cafés bars ; à la pointe de l’écologie les Indiens ! Tiens donc !

En fait, l’eau courante ne sert qu’à laver la vaisselle et à se laver. C’est déjà beaucoup ! Côté eau chaude, chaque salle de douche est équipée d’un petit chauffe-eau. Très bien. Confortable et agréable. Par contre, il n’y en a pas dans la cuisine. Nous pataugeons donc à l’eau froide. Cherchez l’erreur ! Les gens s’en moquent un peu puisque, en général, ce sont les maids qui font la vaisselle …  Pas chez nous ! Mais fort heureusement, et contrairement à ce que nous avons pu entendre ici et là, notre lave-linge produit de l’eau chaude et nous pouvons laver à différentes températures. Quel luxe !

J’ouvre une petite parenthèse concernant les coupures. L’un des critères que nous nous étions fixé était le 100% back up. L’immeuble est équipé d’un générateur électrique qui prend le relais à tout moment lorsqu’il y a des coupures d’électricité. Ainsi, ni le réfrigérateur, ni les airs conditionnés, ni les ventilateurs et les lumières ne seront à l’arrêt en cas de panne. Jamais de black out !

A tout bien considérer, nous ne sommes pas à plaindre !

ps : Contact

On demand – negligible but no less important – of some of you, here is our address. How good it is to receive mail !

16/11, Rena Apartments

3rd Floor, Flat No.3A

Bishop Wallers Avenue West

Mylapore

Chennai 600004

INDIA

And now, to your feathers, dear Readers ! I’d love to get some mail from the air ! Long live the aeropost !

And if you’d rather leave a comment after one of my post, just click on the title to get to the « comment » section. You would see those written by the fellow readers, and going down to the bottom of the page, a ‘message box’ would appear to drop yours. That’s it, you know everything now ! To your keyboards !

ps : Contact

A la demande – négligeable mais non moins importante – de certains d’entre vous, voici notre adresse. Comme il est bon de recevoir du courrier !

16/11, Rena Apartments

3rd Floor, Flat N°3A

Bishop Wallers Avenue West

Mylapore

Chennai 600 004

INDIA

Et maintenant, à vos plumes, chers Lecteurs ! J’adorerais lire du courrier venu des airs ! Vive l’aéropostale !

Et si jamais vous préfériez laisser un commentaire à la suite d’un article, il suffirait de cliquer sur le titre de l’article pour être dans la rubrique « commentaire ». Vous y verriez ceux déposés par les lecteurs de l’article en question, et en descendant vers le bas de la page, une ‘boîte à message’ apparaîtrait afin de déposer le vôtre. Voilà, vous savez tout maintenant ! À vos claviers !

Et si on faisait une pause ?

Krishna et Radha ou Radhakrishna

Il semble juste maintenant de vous donner quelques nouvelles très pratiques, toutes simples, toutes bêtes, sur nous, sur notre installation, sur ce que l’on peut observer et en dire, si tant est que cela puisse être intéressant ; vous en ferez ce que vous en voudrez ! Mais enfin, cet article aura le mérite d’exister et ainsi « on » ne me reprochera pas de m’éloigner du sujet en vous en rendant compte. Ce ne sera donc pas par égoïsme mais, au contraire, pour partager avec vous ce qui est, après tout, l’esprit de ce blog !

Éric devant un thalis du sud de l’Inde le 1er soir de notre arrivée à Chennai. Resservi à volonté pour 2,70€. On mange normalement avec les doigts !

Alors donc, un point d’étape s’impose au samedi 14 décembre 2019. Deux tours en voiture ont suffi pour emmener nos bagages et les nombreux sacs des récents achats de l’hôtel à l’appartement tout proche. Les jours précédents, Bala m’avait conduit partout. Chez Home Center, tout prêt à Alwarpet, pour les meubles du salon et de la salle à manger, mais aussi pour la verrerie, la coutellerie, les casseroles et autres popotes. Puis, plus loin à Anna Agar pour la vaisselle « classique ». Enfin à T. Nagar pour la vaisselle traditionnelle, en métal, celle que l’on utilise pour les thalis. Les supermarchés pour les produits de nettoyage et de premières nécessités dans notre quartier ont terminé les tournées … É-pui-sant !

Notre agent immobilier avait arrangé, la veille, un rendez-vous avec ACT Fibernet pour l’installation et la connexion internet ; c’est fait et ça fonctionne très bien. Le jour de notre arrivée dans l’appartement et après avoir une dernière fois tout vérifié avec le propriétaire, l’employé du gaz a apporté et branché notre bombonne (100 roupies de pourboire), l’inscription en ligne à la compagnie d’électricité s’est faite grâce à Senthil et j’ai attendu que l’on nous livre les meubles.

Au même moment, Éric devait assister à un événement dans une école très éloignée du centre de Chennai. Il est parti à 13h30 et est rentré à 21 heures et 3 heures de trajet dans les pattes ! Il a reçu en cadeau son 3ème châle « professoral » ! On ne va plus savoir qu’en faire ! Tout content de rentrer chez nous pour se vautrer dans un canapé ! Moi aussi, j’étais rompu. Chacun ses raisons !

Un mot sur la livraison. A partir de 11 heures du matin, j’ai reçu un grand nombre de textos du magasin m’informant de la livraison imminente que je pouvais suivre en ligne en temps réel (Ah ! les technologies avancées !). 13h30, quatre livreurs déposent les paquets dans l’appartement … trois petits tours et puis s’en vont ! Durée de l’opération : 5 minutes et 4 fois 50 roupies de pourboire. En effet, une deuxième équipe, celle des « menuisiers », a pris le relais à 15h30 pour monter les meubles et 2 fois 100 roupies de pourboire ; on s’arrête là pour aujourd’hui !

Un autre mot sur les menuisiers. Ils arrivent à moto avec leur gros sac, alourdi par les outils, sur le dos. Ils se déchaussent avant d’entrer dans l’appartement, sortent perceuses, tournevis et divers outils, et, assis en tailleur, assemblent les meubles. A la fin, prise de photos à partir du téléphone portable, envoyées aussitôt en « Haut Lieu » , puis me font signer du doigt l’écran du portable. On est constamment en balance entre tradition et modernité.

Ne reste plus que le nettoyage, et il y a à faire ! Heureusement, Kamala, la jeune femme de ménage a commencé dès le lundi qui a suivi. Elle est très jeune et très menue, a un visage expressif et des yeux « parleurs » qui compensent ce qu’elle ne peut pas exprimer en anglais. Il va falloir que nous y mettions tous les deux du nôtre pour communiquer. Mais ça va le faire ! Elle a deux jeunes petits garçons. Il lui faut plus d’une heure pour venir travailler chez nous, mais elle est contente car elle n’a pas retrouvé de travail depuis début septembre. Elle nous attendait avec impatience ! La voilà rassurée et « casée » pour un bon bout de temps. J’espère que nous pourrons la recommander au futur successeur d’Éric dans 4 ans car pour Kamala, travailler chez des étrangers signifie gagner plus d’argent que chez les Indiens mais surtout, être traitée avec dignité, sans violence ! Basse caste ‘oblige’ … On connaît l’adage selon lequel il vaut mieux être né riche et bien portant que pauvre et malade … Terrible!

À vos balais ! C’est une variété d’herbe séchée.

Il ne reste plus qu’à s’accommoder de notre nouvelle vie. Mais déjà, des ondes positives se ressentent lorsque l’on est chez nous, et moi qui y passe plus de temps qu’Éric, je m’y sens bien. Lumière, espace, zénitude. Bien sûr, il y a encore à aménager, décorer, personnaliser, faire en sorte que ce lieu soit le nôtre pendant le temps où nous y serons. Mais on est contents d’être là.

Assis sur un canapé, mon regard s’envole. Le linge flottant au vent sèche pour la première fois sur le balcon et je vois les derniers étages et les grandes lettres, rouge le soir, de l’hôtel SAVERA.

A ce jour, nous n’avons toujours pas notre carte d’identité indienne. J’ai déjà fourni trois fois à la personne qui s’occupe de notre dossier au consulat de France à Pondichéry les copies de mon passeport et de mon visa d’entrée. Notre demande de visa n’est même pas encore faite et nous ne serons donc pas en France pour les fêtes de fin d’année. Éric sera en formation à Delhi le 2 janvier prochain. Nous avons donc décidé de rester à Chennai autour de Noël, sans projet particulier si ce n’est que d’être ensemble, puis nous attraperons un vol pour Delhi le 31, histoire d’être « à la capitale » pour la nouvelle année, avant « d’attaquer » ladite formation pour l’un et le tourisme pour l’autre. Nous passerons ensemble la journée du 4 janvier pour visiter peut-être le fameux temple Sikh ‘Sri Bangla Sahib Gurudwara’ datant de 1783. Nous prendrons un vol pour « redescendre » à Chennai le dimanche 5 janvier.

Voilà, vous savez tout pour le moment, et vous voyez, on n’est pas – trop – malheureux !

On vous embrasse. NAMASTÉ !

Boucle Blanche et Neige d’Or

Résumé de l’épisode précédent … Après deux semaines de recherche active, début novembre, Blanche Neige et Boucle d’Or s’impatientaient, l’un toujours à la recherche de la perle rare, l’autre toujours sur les routes de cette ‘Terra Incognita’. Le château n’était pas en encore vue.

Non, pas celui-ci !

Or donc, sans le savoir encore à ce moment-là, Boucle Blanche et Neige d’Or allaient finalement loger en un palais qu’ils avaient déjà visité et qui répondait à leurs nombreuses exigences. Mais à ce jour, on en était toujours au même point à cause de Celui-qui-fait-le-difficile, Celui-qui-rechigne, Celui-qui-fait-des-chichi-tralala, parce que pas assez ceci, ou pas assez cela, ou encore trop comme ci ou trop comme ça, toujours au fond, avec un quelque chose qui ne va pas ! Brise Blanche et Nuage d’Or, disais-je, avaient visité ce même appartement deux semaines plus tôt, mais le Gros Gourmand avait décliné leur offre. Souvenez vous de ces propriétaires aux ventres larges et rebondis, pas seulement à cause de la riche nourriture et des sucreries, non, rebondis parce qu’ils y enfouissent des Gros Sous en espèces trébuchantes.

Alors … Heureux ?

Cependant, entre temps, n’ayant pas trouvé de pigeon, il réfléchit et revint vers Brise Glace et Trouble Merle acceptant l’offre de départ de 1 Lakh, 100 000 ₹, l’air de rien, comme s’il leur faisait une faveur. Je vous laisse faire le calcul, chers Lecteurs , c’est hallucinant !

Et comme rien ne vient sans mal, Glace Brisée et Merle Troublé durent affronter les méandres des systèmes bancaires. Madame leur Conseillère eut bien du mal à faire voyager une somme rondelette (n’oubliez pas dans vos calculs, les cinq mois de caution ainsi que la commission du Parukar, l’installation et la connexion Internet, l’abonnement au gaz, le compteur électrique ; toutes les facilités des temps modernes) depuis leur petite agence rurale jusques en Inde. Son pigeon voyageur ne tint pas la distance, pauvre bête ! Sortie des formulaires battus, la Madame ne sut plus comment procéder ! Et vas-y que je t’en réfère au Service International du Haut Siège et vas-y que je te prends au passage une coquette commission, et vas-y qu’il faut augmenter le plafond. Mais arrêtez, c’était leur plafond qui avait bien failli exploser !

La date de la signature approchait. Brise Glaçon était reparti à Pondichéry- chéri, tu parles ! Cendrill’Or, pauvre Staff member ne pouvait pas faire grand-chose à part en arriver aux mains (une façon de parler) avec le Supérieur du Dépôt de Billets. Il lui hurla dans les tympans à travers le combiné que ces communications téléphoniques allaient coûter une blinde et qu’il ne voyait toujours rien venir sur les rives du golfe du Bengale …Toujours pas d’espèces clinquantes dans l’escarcelle de Boucl’Orage.

Et puis enfin, Ô miracle !  Madame la Conseillère trouva le moyen d’envoyer les 10 000 (qu’avait-elle compris ?) que Boucle Rage avait demandés. Sauf que Madame, enfermée dans Les Petites Procédures, transféra 10 000 ₹, soit … 128€. Il en fallait 70 fois plus pour pouvoir apposer le sceau royal sur le bail du Prince. Cendrinage était fou de rage !

La bourse arriva la veille au soir de l’heure convenue et, de retour de Pondi-chéri, Belle Boucle d’Or put verser toutes ses roupies dans la besace de Monsieur-le-ventre-rebondi le samedi matin. Ouf ! Il était temps ! L’appartement était à lui … et un peu à l’autre aussi !

Bail officiel signé entre M. Renganathan, bailleur (Lessor) et Éric, locataire (Lessee)

Ces élans du cœur passés, soyons plus sérieux et revenons sur ce qui Vous intéresse, chers Lecteurs. Vous vous impatientez, vous avez bien raison et vous allez me demander que je vous décrive notre palais, n’est-ce pas ? Et bien voilà …

Trajets entre Savera Hotel et notre appartement « Bishop Wallers Av. West.
Le point rouge est le Bureau de France.

Il était une fois, un château nommé Rena. Rena se trouvait à C.I.T. Colony dans le quartier de Mylapore (prononcer Maïlapor), C’était central et non loin de Marina, la très longue et belle plage bien polluée ! Les environs étaient calmes ainsi que les rues alentours. Peu de chiens errants et peu de carrosses encombraient la chaussée. Le palais de marbre beige, lumineux et aéré, était en haut d’une tour de trois étages et dans laquelle résidaient d’autres pigeons (deux coréens, un japonais et un indien). L’immense terrasse de toit offrait une vue merveilleuse sur ‘notre’ hôtel Savera et se prêterait à des fêtes dignes de leur rang. Et ainsi, ils restaient dans le quartier de leurs amours du premier jour vraiment non loin du Bureau de France ! C’était inscrit sur les Tables !

Pour être plus précis, c’était un petit palais de 180m2. L’espace de vie en L était très spacieux. Le living ouvrait sur un petit balcon agrémenté de plantes ; la vue sur les communs en face n’était pas terrible. Les larges French windows du dining ouvraient sur un plus grand balcon orienté vers la rue. La vue était dégagée au-dessus d’une végétation luxuriante. Mais cette pièce avait l’incongruité d’avoir un réfrigérateur installé là, comme c’est souvent le cas en Inde (Celui-qui-critique-a-encore-médit). Autre particularité, l’on trouvait un lave-mains dans cette pièce. Parce que l’on mangeait traditionnellement avec les doigts dans cette contrée, il fallait pouvoir se les laver dès la fin du repas. Ce faisant, les invités n’utilisaient jamais, oh non jamais, les parties privatives de leurs hôtes.

Les trois chambres avaient chacune leur salle de douche, à la mode italienne et entièrement carrelée. La plus grande, la master bedroom, était destinée aux Maîtres. On aurait pu ranger un tigre dans les placards. Une chance pour Brigitte Monroe qui avait des vêtements pour toutes les  occasions, Poum, Poum, Pi-dou … Cendrian trouverait-il une petite place pour son maigre ballot ?

Autres commodités, les fenêtres étaient équipées de moustiquaires, les plafonds de ventilateurs à quatre pales et aux murs, des machines qui servaient à rafraîchir l’air. N’était-ce pas merveilleux ? Dans la cuisine, un purificateur d’eau permettrait de laver les fruits et les légumes avant la cuisson et leur consommation. Mais il leur faudrait encore investir dans une fontaine à eau à boire et un purificateur d’air pour les pièces principales. Tant de nouveautés ! Mais rien ne serait de trop pour le bien-être et la santé de nos deux Princes !

Oh ! Gosh ! Encore un détail ! Une petite niche creusait le mur de l’entrée. Ils y installeraient un miroir qui accueillerait, selon la tradition, les visiteurs en signe de bienvenue et de prospérité ! Ce serait chose faite dès que possible !

Narrateur : Vous aurez compris, bien chers Lecteurs, que nos deux stars, Brigitte Monroe et Marilyn Bardot attendent de plonger dans cette nouvelle étape de leur vie avec Impatience, ajoutée d’une bonne dose d’Excitation et d’un soupçon de Nervosité. Nos trois Furies sont de retour !

FIN

En voiture avec Bala

Bala est le 2ème adulte en partant de la gauche.

Bala est notre chauffeur depuis une semaine. Il a créé son entreprise, « Divya Cab » pour laquelle il a investi ses économies dans l’achat d’une Toyota Etios, berline assez banale mais confortable, fabriquée en Inde. Il travaille pour nous à plein temps. Mais Bala a des idées, des projets en tête, des objectifs ambitieux à long terme. Lorsqu’il pourra faire prospérer son entreprise, il achètera d’abord un, puis plusieurs véhicules. Il embauchera des chauffeurs et lui, administrera et gérera son entreprise en chef. Il est fatigué de conduire, de conduire à Chennai, d’attendre dans le véhicule pendant des heures et travailler pour un patron. Pour l’heure, il se dit satisfait d’être à notre service. A l’acquisition de son véhicule, il nous a envoyé une photo de la bénédiction. Touchant.

Il est difficile de donner un âge à Bala. Il a entre 32 et 40 ans, peut-être. Il est marié et père de deux enfants. Il n’est pas végétarien et consomme de l’alcool pendant son temps libre. C’est un bon vivant. Et comme beaucoup d’hommes mariés, Bala a déjà un peu d’embonpoint mais il le porte encore très bien. Sa jeune femme ne travaille pas ; elle s’occupe de la maison, des enfants et des parents de son mari, comme le font la plupart des femmes indiennes mariées. Son visage et son maintien sont aussi doux que ceux de son mari. Ils forment un beau couple. C’est une belle famille. Je le sais parce qu’elle est en photo sur l’écran d’accueil de son portable. Il est extrêmement bien soigné ; chemise fraîchement repassée tous les jours, pantalon propre et il est rasé de frais. Son allure est impeccable. Son sourire montre de belles dents blanches.

Bala posant devant sa voiture sur le parking de Savera.

Bala est une personne posée, réservée, réfléchie. Il sait quelle est sa place dans sa voiture. Lui au volant, il conduit les « Sirs » selon l’itinéraire imposé par les besoins du service. L’un s’installe à l’arrière. Il travaille, se repose quand il le peut. Il a besoin de place pour étaler les rapports de service à lire, écrire les messages à envoyer, noter les mémos dans son agenda, ses dossiers éparpillés sur la banquette. L’autre, dilettante, sans statut hiérarchique, s’installe toujours à côté du chauffeur. Ils peuvent ainsi parler plus aisément pendant les trajets. Appelons cela un contact de proximité.

Bala s’exprime posément. Son anglais n’est pas toujours facile à comprendre. D’abord parce que l’accent, l’intonation et le rythme de la langue anglaise sont marqués par ceux du tamoul. Le débit est rapide, les « r » roulés, les expressions vieillies, datant peut-être de l’époque coloniale. Ensuite, et cela se comprend, son niveau d’anglais est assez élémentaire. Mais il parle avec fluidité et nous communiquons bien. Ce que j’aime chez Bala, c’est sa discrétion. Il ne parle pas pour ne rien dire, pour remplir un espace vide que beaucoup trouvent gênant. Il répond à mes questions et à ma curiosité à propos de telles ou telles choses sur la ville, des quartiers, des habitudes, des comportements. En général, il m’informe lorsque nous changeons de quartier, comme pour m’amener à prendre mes nouveaux repères. Il m’indique également les directions que nous prenons, comme pour m’amener à me situer dans l’espace de cette mégalopole. Mais jamais rien de personnel. Cela serait jugé déplacé, je suppose. J’aime ses petits sourires francs lorsque je lui fais remarquer des comportements de mauvaise conduite et sur le fait qu’il faut avoir les yeux grands ouverts et les réflexes rapides. Je crois qu’il apprécie l’intérêt que j’ai à comprendre les choses, le plaisir que j’exprime à ce que je vois. Et oui, c’est vrai, je suis sincère lorsque je suis avec lui. Je crois que nous nous apprécions.

Nous parlons calmement. Il me semble que nous nous ressemblons un peu. Nous ne sommes pas expansifs. Il nous arrive fréquemment de rester silencieux au cours d’un long trajet sans en être gênés. Bala a une conduite souple et fluide, n’actionne que de temps à autre mais inévitablement, le klaxon. Il sait prendre sa place dans le flux de la circulation. Moi, j’observe, j’absorbe tout sur notre passage, parfois prenant des photos. Je me sens bien avec lui. Je suis toujours détendu à ses côtés.

Bala répond à toutes mes demandes bien que je ne sois pas exigeant ! Un jour, je souhaite découvrir la ville, Bala me propose un tour. Un autre jour, je veux faire des courses mais ne sais où aller, Bala me conduit dans de bons magasins. Il connaît la ville comme sa poche, et comme tous les conducteurs, y compris de rickshaw, il est connecté ! C’est bon de se laisser guider !

Vue sur Chennai depuis le Mont St Thomas. Au premier plan, la ligne de métro reliant l’aéroport au centre ville

Dans mon fauteuil

Ce matin, après mon petit déjeuner, installé dans un grand fauteuil, je me sens bien. Je lis le New Delhi Times distraitement. Je me laisser aller, entre méditation, contemplation et détachement, je lâche prise. Peu à peu, mes idées suivent leurs propres cours, ma vision n’a plus de focus. Tout devient fugitif, je ne retiens rien, tout s’en-fuit. J’ai tout de même assez de conscience pour actionner mon portable qui capturera les quelques images, témoins de ce long moment.

Dans un fauteuil du grand salon, je sombre petit à petit, englouti par le moelleux des coussins. Je me sens enveloppé dans un cocon confortable qui m’enferme. D’abord, rien ne se passe. Je suis comme en état végétatif dans lequel je n’ai ni énergie, ni volonté. Mon esprit flotte dans mon corps en guimauve. Je suis mou et je me plais ainsi. Je n’entends plus les bruits, les conversations et la musique d’ascenseur que de très loin.  Ma vue se dédouble, comme si je louchais. Mon regard est fixe comme celui d’un illuminé.

Lentement, mon regard s’accroche ça et là à des situations proches de moi. Je les vois de l’intérieur, de derrière mes yeux, comme dans un rêve éveillé. Elles sont fugaces. Mon fauteuil m’enveloppe toujours plus entièrement, il m’absorbe. Je fonds, au fur et à mesure que le temps passe, sur le tissu de velours à motif à fleurs stylisées. Je ne vois que ce qui traverse mon champs de vision. Les clients quittent la salle du petit déjeuner, les enfants sautillent autour de leurs parents. Beaucoup ont un portable collé à leur oreille. Certains s’assoient sur les fauteuils et les canapés tous proches. Un va-et-vient incessant passe devant mes yeux. Cependant, tous ces bruits sont silencieux à mes oreilles, je n’entends ni ne suis plus dans cette réalité-là. Je pénètre une autre sphère, je suis dans une bulle.

Mon fauteuil devient mon centre de gravité. Je distingue des employés, grimpés sur des escabeaux ou assis par terre en tailleur. Ils préparent le grand hall pour Noël. Ils accrochent les guirlandes lumineuses le long des colonnes, installent les voiles et les rosaces illuminées de fausses branches de sapin au plafond, décorent le grand sapin de plastique vert. Ces jeunes sont discrets au milieu du flot de clients qui ne les remarquent même pas. Ils installent, nettoient derrière eux et disparaissent. Tout est beau, tout est propre, tout est lisse. Le hall se pare pour les fêtes. Y aurait-il un anachronisme dans tout cela ? Les mariages hindous se succèdent dans cet hôtel. Les mariés et les invités arrivent et sont accueillis selon la tradition, en musique et en danses, où trône un sapin, une crèche et des guirlandes vertes aux lumières blanches. Ça ne gêne personne, ça ne choque pas. Ce qui compte, c’est que ces décorations marquent la fête, leur fête !

Depuis mon fauteuil, je fais un rêve éveillé. Je rêve que nous sommes installés dans notre appartement, que nous avons reçu nos papiers d’identité et nos visas, que notre déménagement est arrivé chez nous. Tout simplement.

Depuis mon fauteuil mon esprit divague, mon esprit voyage à l’intérieur de moi, à l’extérieur de tout, un peu évaporé, ma voie lactée. Je laisse donc aller toutes mes idées fugaces, mes pensées filantes, mes envies dans cette nouvelle vie, guidé par ma douce rêverie.

Depuis mon fauteuil, je voyage de Chennai en Normandie. Je voudrais me poser, enfin reposé pour vraiment voyager.
Ça ne sera pas en cette fin d’année car Chennai veut nous garder.

Ambiance d’un dimanche

Depuis la fenêtre, je regarde tomber la pluie. Cette saison est terminée. Ce ne sont pas des pluies de mousson comme il y paraît. La tempête, elle ne durera pas très longtemps ; une nuit, quelques jours tout au plus. Elle ne sera pas violente. Mais l’eau s’accumule le temps d’une trombe et de tout inonder. C’est à peine pour perturber la circulation, les allées et venues dans les rues. Peu de parapluies, de vêtements de pluie. Ici, on se rafraîchit et on sèche vite !

Il est 18 heures. Au bord de la piscine, je laisse la pluie éclabousser mes pieds. L’air est chaud et humide. Tout est en suspens. Je n’ose l’affronter. Mais l’on sait ici que cette eau est indispensable, vitale même. Et tous s’en réjouissent.

Il ne reste que quelques flaques à certains endroits. Suffisamment pour que les chiens viennent y boire et pour laver les trottoirs.

Pothys Boutique

T. Nagar est un quartier animé, populaire et mélangé dans lequel je me suis rendu pour y chercher des meubles. Un marché-aux-puces-bazar-souk, constitué de petites échoppes, de vendeurs de fruits, de fleurs, d’objets en tout genre, des « foires à tout », a pris place sous l’auto-pont. On y trouve également des restaurants, les joailliers avec « valet parking », et d’innombrables magasins de vêtements. Le jardin Panagal, un pauvre poumon cancéreux au cœur de ce quartier, était fermé au public ce jour-là pour  travaux. Des ouvriers pataugeaient pieds nus dans l’eau des canalisations en réfection. A l’opposé des commerces, un établissement scolaire secondaire grouillait d’élèves qui se pressaient à la sortie des cours. Ils portaient l’uniforme et certains étaient pieds nus. Un quartier comme tant d’autres à Chennai.

Ce pour quoi j’avais fait le déplacement …
… là où je me suis rendu !

Pothys, était-ce bien cela ?, m’était recommandé par l’un des managers de l’hôtel. A l’évidence, rien à voir avec ce que j’étais venu chercher puisque qu’il s’agissait d’un magasin de vêtements – il faut traduire par « un magasin qui vend des saris ». Mais moi, enfin, je cherchais des meubles ! Pourquoi m’avait-il envoyé dans cette boutique ? Allais-je acheter des saris ? Pour en faire quoi ? Malgré tout, je décidai d’y rentrer et voir de mes propres yeux.

Pothys. L’antre, la caverne d’Ali Baba, la tanière aux lionnes, le sanctuaire aux mille déesses, le temple de la soie et du vêtement « ethnix », traditionnel. Alors là, mes aïeux, j’en ai eu pour mon argent ! La course en rickshaw en valait la peine ! J’y suis entré et en suis ressorti deux heures plus tard ! On m’y a vu écrire dans mon petit carnet vert, prendre des photos, observer les clientes, les yeux écarquillés, pendant de longues minutes, comme ensorcelé. Ces rayonnages hauts en couleurs étaient si beaux ! Imaginez le Printemps et les Galeries Lafayette à Paris, boulevard de la Chaussée d’Antin ! Entre les femmes qui ne regardent pas à la dépense et celles qui cherchent les bonnes petites affaires, désireuses et même déterminées à trouver la perle rare, la nouveauté, l’unique occasion à ne pas manquer, la tenue de rêve qui fera mourir de jalousie la meilleure amie ou la rivale et fondre de désir le mari, l’amant secret ou le « régulier », nous étions dans le même monde ! Chez Pothys, les femmes se pressent sur 5 étages à la recherche DU sari. Rangés dans différentes sections, ils sont de toutes les occasions : Collections nuptiale (bridal), de mariage (wedding), de fiançailles (engagement), party sarees pour les fêtes, reception sarees pour les réceptions, gift saris à offrir. Ils sont de toutes les matières et textures : soie, coton, soie et coton, soie et satin, soie et lin, soie d’été, georgette (crêpe transparent), brocart ou brocart tissé. Il y a les Silver Jari, les Pure Jari, les Vastrakala Pattu, les Jute silk … Arrêtez ! Ça me fait tourner la tête ! Ne me demandez pas ! Je ne sais pas. Mais les noms, ces mots inconnus, leurs sonorités me fascinaient ! Je les ai lus à haute voix, m’écoutant les prononcer ! A me voir, on a dû me prendre pour un doux-dingue !

Derrière les longs comptoirs en bois recouverts de tissus blancs, les hommes vendaient.  Au service des femmes de tous les âges, ils montraient, expliquaient, conseillaient, déployaient, repliaient et remettaient dans les rayonnages, en experts. Ils présentaient les saris, les entassaient les uns sur les autres, pour beaucoup rejetés négligemment, dans l’indifférence, par des femmes qui voulaient en voir d’autres et de plus beaux. Elles exigeaient des couleurs lumineuses, des teintes harmonieuses, des motifs parfaits. Je m’extasiais ! Assis sur une des chaises à disposition de ces dames, j’observais. Je demandais de temps à autre l’autorisation de prendre des photos mais n’osais lors des essayages. Chez Pothys, pas de cabine mais de grands miroirs en pied qui reflètent à l’infini ce jaillissement de couleurs et de douceur sur les peaux sombres. De jeunes « essayeuses », comme je les nommais, entraient alors en scène dont l’unique fonction était d’habiller les dames. Et avec quelle technique ! Sans être véritablement porté, le sari était ajusté sur la cliente afin de lui donner une vision réaliste. Après avoir déployé les 5,30 mètres de tissu, l’employée formait d’une main experte les quelques plis sur une épaule, puis abaissait le bras de la cliente afin de maintenir le sari. Ensuite, ramenant de derrière le tissu au motif différent vers l’avant, elle couvrait l’autre épaule et marquait l’encolure en V sur la poitrine. Ce faisant, elle effleurait inévitablement le sein de la docile cliente. Elle plaçait enfin l’autre bras contre son corps afin de maintenir le vêtement, la manipulant comme on habillerait une poupée. Face au miroir, la « poupée » jugeait sa nouvelle tenue, heureuse ou dédaigneuse. C’était extraordinaire ! Hypnotisé devant un miroir, j’assistais ainsi aux essayages sous le regard de ces femmes qui ne s’occupaient pas de moi mais se savaient observées. Je me régalais. Moi, voyeur ? Non, pensez-vous !

Le rayon hommes était plus sobre ; des costumes traditionnels de mariage sur des portants, sur des mannequins. Les vendeurs me suivaient mais ne se ressemblaient pas. Ils m’auraient vendu n’importe quel costume ! On en trouvait également de coupes occidentales à la touche indienne. Un jeune homme en essayait un bleu ciel. Et il portait des sandales !

A quelques pas de chez Pothys, une enseigne concurrente m’a attrapé. Mais j’ai tenu bon ! Cela aurait pu être interprété comme un fantasme fétichiste. Je suis donc rentré à Savera.

« Aux soies de Chennai », Tout compte fait, les trois mannequins en vitrine ne portaient pas de sari …