Pothys Boutique

T. Nagar est un quartier animé, populaire et mélangé dans lequel je me suis rendu pour y chercher des meubles. Un marché-aux-puces-bazar-souk, constitué de petites échoppes, de vendeurs de fruits, de fleurs, d’objets en tout genre, des « foires à tout », a pris place sous l’auto-pont. On y trouve également des restaurants, les joailliers avec « valet parking », et d’innombrables magasins de vêtements. Le jardin Panagal, un pauvre poumon cancéreux au cœur de ce quartier, était fermé au public ce jour-là pour  travaux. Des ouvriers pataugeaient pieds nus dans l’eau des canalisations en réfection. A l’opposé des commerces, un établissement scolaire secondaire grouillait d’élèves qui se pressaient à la sortie des cours. Ils portaient l’uniforme et certains étaient pieds nus. Un quartier comme tant d’autres à Chennai.

Ce pour quoi j’avais fait le déplacement …
… là où je me suis rendu !

Pothys, était-ce bien cela ?, m’était recommandé par l’un des managers de l’hôtel. A l’évidence, rien à voir avec ce que j’étais venu chercher puisque qu’il s’agissait d’un magasin de vêtements – il faut traduire par « un magasin qui vend des saris ». Mais moi, enfin, je cherchais des meubles ! Pourquoi m’avait-il envoyé dans cette boutique ? Allais-je acheter des saris ? Pour en faire quoi ? Malgré tout, je décidai d’y rentrer et voir de mes propres yeux.

Pothys. L’antre, la caverne d’Ali Baba, la tanière aux lionnes, le sanctuaire aux mille déesses, le temple de la soie et du vêtement « ethnix », traditionnel. Alors là, mes aïeux, j’en ai eu pour mon argent ! La course en rickshaw en valait la peine ! J’y suis entré et en suis ressorti deux heures plus tard ! On m’y a vu écrire dans mon petit carnet vert, prendre des photos, observer les clientes, les yeux écarquillés, pendant de longues minutes, comme ensorcelé. Ces rayonnages hauts en couleurs étaient si beaux ! Imaginez le Printemps et les Galeries Lafayette à Paris, boulevard de la Chaussée d’Antin ! Entre les femmes qui ne regardent pas à la dépense et celles qui cherchent les bonnes petites affaires, désireuses et même déterminées à trouver la perle rare, la nouveauté, l’unique occasion à ne pas manquer, la tenue de rêve qui fera mourir de jalousie la meilleure amie ou la rivale et fondre de désir le mari, l’amant secret ou le « régulier », nous étions dans le même monde ! Chez Pothys, les femmes se pressent sur 5 étages à la recherche DU sari. Rangés dans différentes sections, ils sont de toutes les occasions : Collections nuptiale (bridal), de mariage (wedding), de fiançailles (engagement), party sarees pour les fêtes, reception sarees pour les réceptions, gift saris à offrir. Ils sont de toutes les matières et textures : soie, coton, soie et coton, soie et satin, soie et lin, soie d’été, georgette (crêpe transparent), brocart ou brocart tissé. Il y a les Silver Jari, les Pure Jari, les Vastrakala Pattu, les Jute silk … Arrêtez ! Ça me fait tourner la tête ! Ne me demandez pas ! Je ne sais pas. Mais les noms, ces mots inconnus, leurs sonorités me fascinaient ! Je les ai lus à haute voix, m’écoutant les prononcer ! A me voir, on a dû me prendre pour un doux-dingue !

Derrière les longs comptoirs en bois recouverts de tissus blancs, les hommes vendaient.  Au service des femmes de tous les âges, ils montraient, expliquaient, conseillaient, déployaient, repliaient et remettaient dans les rayonnages, en experts. Ils présentaient les saris, les entassaient les uns sur les autres, pour beaucoup rejetés négligemment, dans l’indifférence, par des femmes qui voulaient en voir d’autres et de plus beaux. Elles exigeaient des couleurs lumineuses, des teintes harmonieuses, des motifs parfaits. Je m’extasiais ! Assis sur une des chaises à disposition de ces dames, j’observais. Je demandais de temps à autre l’autorisation de prendre des photos mais n’osais lors des essayages. Chez Pothys, pas de cabine mais de grands miroirs en pied qui reflètent à l’infini ce jaillissement de couleurs et de douceur sur les peaux sombres. De jeunes « essayeuses », comme je les nommais, entraient alors en scène dont l’unique fonction était d’habiller les dames. Et avec quelle technique ! Sans être véritablement porté, le sari était ajusté sur la cliente afin de lui donner une vision réaliste. Après avoir déployé les 5,30 mètres de tissu, l’employée formait d’une main experte les quelques plis sur une épaule, puis abaissait le bras de la cliente afin de maintenir le sari. Ensuite, ramenant de derrière le tissu au motif différent vers l’avant, elle couvrait l’autre épaule et marquait l’encolure en V sur la poitrine. Ce faisant, elle effleurait inévitablement le sein de la docile cliente. Elle plaçait enfin l’autre bras contre son corps afin de maintenir le vêtement, la manipulant comme on habillerait une poupée. Face au miroir, la « poupée » jugeait sa nouvelle tenue, heureuse ou dédaigneuse. C’était extraordinaire ! Hypnotisé devant un miroir, j’assistais ainsi aux essayages sous le regard de ces femmes qui ne s’occupaient pas de moi mais se savaient observées. Je me régalais. Moi, voyeur ? Non, pensez-vous !

Le rayon hommes était plus sobre ; des costumes traditionnels de mariage sur des portants, sur des mannequins. Les vendeurs me suivaient mais ne se ressemblaient pas. Ils m’auraient vendu n’importe quel costume ! On en trouvait également de coupes occidentales à la touche indienne. Un jeune homme en essayait un bleu ciel. Et il portait des sandales !

A quelques pas de chez Pothys, une enseigne concurrente m’a attrapé. Mais j’ai tenu bon ! Cela aurait pu être interprété comme un fantasme fétichiste. Je suis donc rentré à Savera.

« Aux soies de Chennai », Tout compte fait, les trois mannequins en vitrine ne portaient pas de sari …

4 réponses sur “Pothys Boutique”

  1. Si bien détaillé que je m’y sentais chez  » Pothys » !!! Bravo pour l’immersion sans décollage de mon sofa!
    baisers

  2. Tout ton récit sur la boutique Pothys…un vrai régal, comme si j’étais là avec toi mais mieux grâce à ton sens unique d’observation.
    Je t’imaginais la plume en main en prenant des notes sur ton petit carnet vert, sous le regard éberlué des clientes. A ce rythme, il te faudra beaucoup de petits carnets verts.

    1. C’est vrai que j’ai été fasciné par cette ambiance qui, du reste, n’a rien de particulier pour les Indien.ne.s ! Comme je le disais, c’était ce que l’on peut voir aux Galeries Lafayette, par exemple. Il y a tant à découvrir … Je t’embrasse Liliane

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