La Compagnie française des Indes orientales

Week-end à Pondichéry

C’est quand même Colbert qui nous y a attirés. Bala était au volant de son Etios. Il avait accepté d’être notre chauffeur durant le week-end et il nous conduisit à Pondichéry, un des cinq « Établissements français en Inde ».  

Sans rentrer dans l’Histoire, mais surtout pour faire court, la guerre fait rage entre les Français et les Néerlandais puis entre les Français et les Britanniques pour qui étendra son royaume en un vaste empire colonial. Les enjeux financiers sont prometteurs.

* « Je fleurirai partout où je serai porté »

La Compagnie française des Indes orientales voit le jour en 1664. Le royaume de France assoira sa puissance dans l’océan indien entre 1720 et 1740. Vous me diriez que c’est une bien courte période que vous auriez raison ! La France perdra les guerres successives à l’usure, et laissera la place libre aux Néerlandais puis aux Britanniques. En 1763, la France voit son 1er empire colonial fondre comme glace en Antarctique. Il ne lui reste alors que cinq comptoirs, les fameux « Établissements français en Inde », Pondichéry, restée française jusqu’en 1956, Karikal, Yanaon, Mahé, devenues indiennes en 1954 et Chandernagor rendue à l’Inde en 1949. Vous connaissez la suite.

Nous décidons de franchir les quelque 170 kilomètres et trois heures de route qui nous séparent de Puducherry, samedi dernier. Ce sera ma première sortie de Chennai, hors Delhi. Levés à l’aube et départ à 8 heures. Il ne fait pas encore trop chaud et Éric a prévu un arrêt sur un site classé patrimoine mondial de l’Unesco qu’il avait visité quelques semaines plus tôt et a prévu de me le faire découvrir. J’ai hâte de voir cela !

Quitter Chennai prend du temps et cette portion de route n’offre rien d’intéressant. Moi, smartphone prêt à se déclencher,  j’aime regarder les motocyclistes se déplacer en famille sur ces routes nationales chaotiques. Et je les mitraille ! Ils sont à trois ou quatre sur les motos et défient tous les dangers. Entre les parents, portés dans les bras, de jeunes nourrissons dorment paisiblement, mais aussi, penchés sur le réservoir pour protéger les yeux du vent, des enfants que 4 à 6 ans affrontent inconsciemment tous les dangers de la route. Parfois, de plus petits encore sont debout sur la selle. Je n’arrête pas de penser qu’ils pourraient glisser et chuter. Mais non, tout va bien. L’homme porte son casque, la femme son sari. Et vive les couleurs ! Bala connaît bien la route, il klaxonne raisonnablement mais régulièrement. Il faut savoir s’imposer sur la route. Éric termine sa nuit, enveloppé dans une écharpe en soie à cause de l’air conditionné dans la voiture ; sa gorge est fragile.

Nous arrivons à Mahabalipuram (Mamallapuram de son nom indien). Un site extraordinaire le long de la côte de Coromandel sur le Golfe du Bengale. La ville est en ébullition, les temples en pleine activité. Les pèlerins sont habillés de rouge ou de couleur safran. On a du mal à se frayer un chemin jusqu’au parking. Bala, imperturbable, nous mène à notre 1ère station, le temple du Rivage, érigé au VIIIème siècle sous l’ère Pallava. Il est le plus ancien du Tamil Nadu. Une splendeur architecturale !

Pèlerin connecté … et don de cheveux au temple !

La 2ème station est « Cinq Ratha ». Ratha signifie « char » en sanskrit. Ce sont des chars sans roue mais la forme de ces blocs monolithiques du VIIème siècle rappelle la fonction de véhicule des dieux. Devant chaque ratha, on est impressionnés de voir la sculpture d’un animal qui servait de monture aux divinités. Elles portent le nom des cinq frères Pandava, époux communs de Draupadi et héros de l’épopée du Mahābhārata.

Quatre ‘ratha’
Chaque animal et son ‘ratha’ sont sculptés dans une seule et même roche.

La 3ème station nous amène devant le bas-relief nommé « Ascèse d’Arjuna » ou Descente du Gange. C’est un chef-d’œuvre de l’art antique indien, sculpté dans deux énormes rochers attenants et qui représente des épisodes de la mythologie hindoue et des scènes de la vie quotidienne.

Le Gange est le sillon qui relie les deux blocs de rocher

Nous quittons ce tumulte à l’heure du déjeuner, heureux d’échapper à la foule et à l’idée de nous restaurer. Nous ne dérogeons pas à la règle d’or des ‘3 C’ : Culture, Cuisine et … zut, j’ai oublié le troisième !

Le trajet de Mamallapuram à Puducherry déroule sous nos yeux des kilomètres de rizières, de palmeraies, de marais salants où les travailleurs sont courbés sur leur outil. Les buffles avec leur piquebœuf sur la bosse sont présents dans ce paysage. Les lacs et les activités aquatiques, les huttes aux toits de feuilles de palmiers séchées, les maisons aux couleurs criardes défilent à toute allure. J’en oublie les coups de klaxon et le mauvais état de la route qui nous brinqueballe. J’absorbe cette portion de route et nous voilà déjà à la frontière du territoire, aux portes de Pondichéry.

Je vais essayer d’expliquer simplement l’exception de Pondichéry. Tout d’abord, c’est un territoire au sein de l’état du Tamil Nadu. Arrivés à cette ‘frontière’, tous les véhicules et leurs passagers doivent s’enregistrer moyennant une ‘gabelle’, un droit de passage (500 roupies pour 3 jours), ce dont nous nous acquittons. Ce territoire est grand comme un mouchoir de poche, mais White Town et son quartier français, c’est être en France, sans y être réellement tout en étant en Inde, sans y être non plus. C’est assez déroutant. A ‘Pondy’, les noms de rues sont en français, les enseignes sont écrites en français, les bâtiments, pour ceux qui sont restaurés – et il y en a beaucoup – sont des témoignages de la présence française dans ce que fut ce comptoir maritime. L’architecture rappelle la France dans ce qu’il y avait de plus beau. Seule différence, la végétation luxuriante qui ajoute au cachet de ces belles demeures et qui bénéficient de l’appellation VMF, Vieilles Maisons Françaises. Hôtels, Tribunal d’instance, Chambre de commerce, Lycée français, Alliance française, Institut français, École française d’Extrême-Orient, Consulat général, résidence du Gouverneur, la cathédrale Notre-Dame de l’Immaculée-Conception, l’église Notre-Dame des Anges, le cimetière des Capucins, la cordonnerie, le front de mer sur Goubert Salai, … sont autant de témoignages de la présence française sur ce territoire. Sans oublier la belle demeure qui abrite les ateliers de broderies des hospices de Cluny, datée de 1774.

Noix de coco poncée et vernie.
Quel bel objet sur cette stèle de bois sculpté !
Franchi le portail, on arrive dans la cour d’honneur, lieu de passage des élèves.
Consulat général de France, sur le front de mer
Très beau bâtiment sur le front de mer
Résidence du Gouverneur de Puducherry, face au parc

Depuis ce XVIIIème siècle, les Indiens nés à Pondichéry bénéficiaient de la nationalité française. Après l’indépendance de l’Inde, en 1947, ces Indiens-là ont eu à se prononcer sur leur nationalité en 1962. Un certain nombre (dont de nombreux « intouchables » qui espéraient ainsi accéder à un statut plus digne) a conservé la nationalité française. Aujourd’hui, les nouvelles générations de Français d’origine indienne ne parlent plus le français et le français est en perte de vitesse car, quoi de plus naturel, cette présence française n’est plus qu’une vitrine, un atout touristique donc financier pour la ville. Car les Français d’Inde sont Indiens et vivent selon leur culture qui n’est pas la culture française tout en se raccrochant à ce que représente, pour eux, la culture française. Et tout cela est bien normal ! J’avoue avoir ressenti une grande émotion et une pointe d’excitation dans ce paradoxe. Remonter la rue de Suffren et redescendre la rue Dumas, admirer ces belles maisons transformées en hôtels, guests houses, boutiques, cafés et restaurants, décorées avec goût et raffinement, mélangeant les cultures et les arts pour créer un style franco-indien. Quelle beauté ! Et puis, entrer dans le Lycée français ou l’Alliance française et être au centre d’une végétation merveilleuse ; palmiers, bougainvilliers et autres plantes exotiques, qui ajoutent à l’éclat de l’architecture. Entendre les jeunes entrer et sortir du lycée, ces jeunes indiens parlant français entre eux, quelle délicieux mélange ! J’ai adoré toutes ces situations, tous ces ‘anachronismes’. Ni tout-à-fait la France, ni tout-à-fait l’Inde …

A l’hôtel « Le Château », notre réceptionniste s’appelle Émile. Un grand et beau gaillard, tout en sourire et en gentillesse, mais point de français, preuve de ce que j’écrivais un peu plus haut. Dommage ! Mais en bordure de mer, nous sommes arrêtés par deux jeunes qui veulent nous prendre en photo (comme ça se fait beaucoup ici). Ils nous demandent d’où nous venons et sitôt dit, se mettent à nous parler en français, car ils sont étudiants à l’Alliance française, avec la plus grande joie. C’est émouvant !

Le dîner de samedi à « La Villa » est un enchantement pour les papilles. Le déjeuner du dimanche à la « Villa Shanti », sur la terrasse à colonnades et palmiers, rend une ambiance intemporelle. Notre serveur est exquis !

Côté shopping, les doigts nous démangent. De beaux magasins, de l’artisanat de bonne facture, à l’instar de ce beau ‘Shiva’ en bronze, quelques antiquaires … chers ! Nous craquons finalement pour une lampe sur pied pour notre salon. Et voilà, une nouvelle et jolie ambiance dans notre appartement ! Mais nous nous arrêterons à cet achat. Il ne faut surtout pas se précipiter …

Le quartier tamoul n’est pas en reste. Ici, on retrouve la palpitation indienne avec sa circulation dense et bruyante, les petites échoppes, les marchés, les petits restaurants de rue. Nous visitons le temple hindou de Sri Manakula Vinayagar dédié à Ganesh. Les pèlerins font tourner une noix de coco sur la tête avant de la fracasser aux pieds du divin éléphant ! Le petit musée offre une collection touchante (et bien décatie) de meubles coloniaux. Les bronzes de la période Chola (IIIème s. BC – XIIIème s. AD) attirent plus notre attention. Mais pas question de photographier ou même de toucher les caissons dans lesquels ces merveilles sont enfermées à jamais, ne les mettant pas en valeur. Enfin, nous ne pouvons pas faire l’impasse sur l’Ashram de Sri Aurobindo (1872-1950). Sa disciple, son bras droit, une française nommée « la Mère » (1878-1973) fondera Auroville en 1968. Cette communauté compte 2000 membres et les visiteurs, tournés vers le « yoga intégral » viennent du monde entier. La visite succincte n’offre que très peu d’intérêt pour nous. Une tombe de marbre recouverte de fleurs et des « fidèles » prostrés, têtes contre la plaque fleurie, mains à plat sur cette sainte pierre, en profonde méditation et en prière. Un arbre se tient juste à côté et l’on a pu voir une Occidentale en connexion avec cet élément végétal ; pieds bien ancrés au sol, mains et tête reliés à l’arbre. Les Occidentaux ont des allures tout droit sorties de l’époque hippy et à mes yeux, il y a un décalage avec le monde dans lequel nous vivons. Mais, peut-être ont-ils raison ?  Un passage par la librairie est obligatoire avant la sortie. Nous nous rechaussons et quittons ce lieu qui ne nous a pas touchés … par la grâce ! Un passage rapide au village des artisans terminera notre après-midi avant de retourner à l’hôtel pour se reposer et se rafraîchir. Quels merveilleux moments !

Les brahmanes sont toujours torse nu dans les temples. Les bénédictions s’enchaînent, et les billets tombent dans l’escarcelle.

Le temps est passé très vite. C’est déjà la fin du week-end et je dois penser à retourner à Chennai. Éric restera au Château jusqu’à mardi matin. Je ne veux pas être rentré trop tard car je veux profiter des lumières du soleil couchant sur les rizières et les marais salants. La route offre toujours des surprises. Mais je crains également de rouler de nuit, expérience jamais vécue en Inde. Tout compte fait, une partie du trajet se fera quand même sous les phares de la voiture et nous arriverons dans des embouteillages monstres que peuvent connaître les grandes métropoles un dimanche soir. Après presque quatre heures de trajet, je suis bien content d’être arrivé !

Couché de soleil sur les rizières

31 décembre 2019 – 5 janvier 2020

Oh ! Old Delhi !

« Where do you want to go ? », me demande-t-on.

Pour vous donner une idée de la taille du pays, un petit calcul s’impose : de Chennai, 45 minutes de trajet en voiture pour se rendre à l’aéroport. Pour un vol intérieur et compte tenu des nombreux contrôles, il vaut mieux arriver 1h30 à l’avance. 45 minutes de retard au départ. Vol Chennai-Delhi : 2h55. Transfert de l’aéroport à l’hôtel (centre de New Delhi), 1 heure. Temps total de voyage : 7h00.

Il y a tant à écrire, décrire, commenter, rendre compte de ses émotions, de ses impressions, de transcrire ce que l’on ressent, aux mots les plus justes, les plus précis, les plus réels, que, d’une part, je ne sais pas si j’en suis capable, et d’autre part, parce que l’article serait beaucoup trop long. Alors, je n’indiquerai que les lieux que nous avons visité, illustrés d’une galerie de photos, juste pour vous mettre dans l’ambiance. Par contre, à la sortie de Jama Masjid, la grande mosquée, assis sur les marches qui y mènent, j’ai pris le temps d’écrire ma vision des choses, à cru, comme on pèle un agrume, à chaud, comme le sang coule dans les veines ; des impressions, des instantanés dans le bouleversement intérieur que procure ce monde, les yeux grands écarquillés par l’étonnement de cette vie et surtout, pour m’en laisser accroire que je n’en perdrai pas une miette. J’espère que vous en re-sentirez les couleurs, les odeurs, les contacts physiques, les frôlements des personnes et des rickshaws, que vous verrez les sourires se poser sur vous, les invitations à entrer dans les échoppes et les restaurants, et qu’ainsi vous serez vous aussi dans ce tourbillon qu’est la vie dans Delhi la Vieille !

31 décembre 2019 : Arrivée tardive au « Claridges Hotel », notre lieu de résidence delhiite !!! Les dernières touches des préparatifs, l’agitation des personnels et des résidents. Les restaurants affichent complets, des musiques qui se télescopent en fond sonore. Nous décidons de nous restaurer au restaurant Pickwick. Un buffet, du vin rouge et nous choisissons la dinde rôtie et ses légumes. Nous passons au bar Aura, musique boum-boum, nous faisons aborder par un groupe déjà bien avancé en alcool. Nous trinquons sur une vodka aux douze coups de minuit. Nous montons nous coucher. Nous sommes en 2020 !

Bientôt minuit … 5, 4, 3, 2, 1 … Bonne et heureuse année 2020 !

1er janvier 2020 : Jour férié, journée de visite. Il faut en profiter car Éric commencera sa formation le lendemain.

Étonnante visite du temple sikh, Gurudwara Bangla Sahib. Visité par des milliers de fidèles (être végétarien, alcool et cigarettes interdites, être bon envers autrui), ce temple offre, chaque jour, des milliers de repas gratuits. C’est un festival de turbans colorés !

Gurudwara Blangla Sahib, ses dômes dorés et son grand bassin pour les ablutions. Photos et selfies interdits … et tout le monde s’en contre-fiche !!!

Visite guidée dans la cuisine communautaire ouverte à tous sans aucune distinction de croyance et suivons, entre autre, la fabrication des chapatis.

Où l’on sert des repas gratuits. D’autres, aussi nombreux, attendent leur tour à l’extérieur.

Direction Chandni Chowk, la station de métro au coeur de Old Deli. C’est dans cette partie de la ville que je débarquai en 1983 lors de mon voyage de deux mois en Inde, avec la ferme intention de découvrir toute l’Inde, rien que cela ! Quel naïf je faisais-là ! Les voyages de nuit en 3ème classe, à dormir sur des couchettes en bois, se sont succédé, moins onéreux que les guests houses. Et je ne le regrette pas !

Si je peux résumer un état, c’est qu’il ne faut pas être agoraphobe pour déambuler dans ces quartiers. Ici, l’espace vital se résume à être à touche-touche avec des inconnus, à frôler n’importe qui, à être frôlé par les vélos porteurs, les cyclos-pousse, les motos, les scooters, les voitures même à certains endroits. Il peut y avoir des embouteillages de piétons, c’est-à-dire qu’à un moment, plus aucun piéton ne bouge dans la circulation. Il n’y a plus de notions de trottoirs et de chaussées, les piétons ayant largement empiétés, envahis la chaussée, encore plus encombrée par les vendeurs ambulants et leur stand. C’est à proprement parlé invraisemblable et infernal. Pourtant, aucun mouvement d’humeur, pas de trace d’agacement, de nervosité, de précipitation. On essaie bien de passer devant quelqu’un, de doubler, histoire de gagner, c’est risible et ridicule, une place ou deux. Mais pas de violence physique et verbale. C’est le lot de chacun dans cet univers, on vit avec.

Les coolies attendent le travail, ou bien ils font une pause. Le plus souvent, et pour combien d’heures par jour, ils disparaissent sous la charge qu’ils portent sur l’épaule, le dos, la tête. Ils sont à la peine à tirer ou à pousser les vélos à plateforme ou les portants sur roues. Ils sont minces, voire maigres mais ont les muscles fins très fermes. Ils ne sont personne et avancent, pieds nus ou en savates usées, dans les ruelles à pas rapides, sûrs de leur destination. Ils ne voient personne et tous les évitent comme pour leur ouvrir la voie.

Vers 16h30, le soleil décline et il va faire bientôt nuit. Nous montons sur les toits d’un caravansérail. Une autre vie, loin du chaos quelque trois étages plus bas, juste au-dessus du marché aux épices. Ici, des gens vivent dans les clochetons, attisent des braseros préparant le repas du soir, les singes ont également élu domicile tout à proximité des grands arbres survivant à la pollution de la ville, quelques touristes qui, comme nous, se réjouissent de la splendeur inattendue du lieu, bénéficiant d’un magnifique coucher de soleil. De jeunes hommes s’adonnent à un passe-temps favori ; faire voler très haut des cerfs-volant. C’est fascinant !

2 janvier : Éric part à sa formation à l’Alliance française de Delhi. Je descends avec lui pour le petit déjeuner. Pour moi, ça ne sera qu’un café en attendant mon heure. Petit déjeuner vers 10 heures avec le journal ‘Hindusindia‘ que je trouve accroché à notre porte de chambre tous les matins. Ce jour-là, je me dirige vers le fort rouge, Red fort, Lal Quila, classé patrimoine mondial. Et pour cause, c’est aussi impressionnant que le tombeau de l’empereur Humayun (1508-1556) par l’étendue du site que par l’histoire de cette période et les bâtiments qui y sont plantés. Alors que Humayun repose dans cet écrin, l’empereur moghol Shâh Jahân (1592-1666) y vécu entouré de somptueux palais, d’une mosquée personnelle et d’un hammam privé. L’architecture est éblouissante en raffinement, le parc magnifiquement planté et entretenu. Les Britanniques y ont ajouté des bâtiments en périphérie du parc et qui n’enlèvent pas au charme de cet endroit. Sinon que l’on pourrait s’offusquer de l’intrusion. Je déambule pendant deux bonnes heures, profitant du très beau temps.

3 janvier : Je me suis offert le luxe de rester dans la chambre de l’hôtel. Plusieurs raisons à cela. J’avais un article à écrire, celui sur le Rāmāyaṇa. Je voulais le publier dès notre retour, il fallait qu’il soit bien avancé. Ensuite, la veille Éric m’avait demandé de l’aider à la traduction d’un compte-rendu. C’était urgent et il fallait que je le fasse dans la journée. C’était déjà beaucoup moins réjouissant ! Et puis le farniente m’a phagocyté et je me suis laissé emporter par l’histoire de mon livre du moment, « Kim » de Rudyard Kipling, road story d’un jeune ‘sahib’ plus Indien que les Indiens qui entre dans le Grand Jeu de l’espionnage à l’époque coloniale.

Nous avons dîné à Khan market au Public Affair, un restaurant branché, c’est-à-dire fréquenté par une clientèle de jeunes bobos indiens bruyants, au décor contemporain industriel dont le bar peut offrir tous les alcools vendus à des tarifs prohibitifs en Inde.

4 janvier : Je vais vers la grande mosquée, Jama Masjid, toujours dans Old Delhi et à deux stations de métro du Fort rouge. Outre l’intérêt architectural de ce grand centre religieux très fréquenté, mon esprit s’est mis en mode activité intense, à tel point qu’à la sortie de la mosquée, assis sur les marches qui dominent la ville, un peu comme celles de Montmartre, je me suis mis à observer intensément les gens, leurs vêtements, leurs attitudes, la ville et ses activités et j’ai écrit. Je vais donc tout simplement afficher une galerie de photos du lieu, puis vous rendrai compte de ma réflexion du moment.

La grande mosquée Jama Masjid dans Old Delhi

Je ne sais pas comment écrire sur cette partie de la ville. C’est parce que j’ai beaucoup à d-écrire et que ce qui fait une ville, ses rues, ses monuments, ses habitations, ses commerces, son trafic, ses habitants, sont ici hors du commun, hors de l’imaginable. Quand on connaît la population de l’Inde, dans cette toute petite partie, à Old Delhi, cette toute petite concentration de vie et d’activité humaines, on peut prendre la mesure des choses à grande échelle. Ici, dans ces ruelles étroites – pardonnez-moi le pléonasme volontaire – se côtoient les cyclos-pousse, les rickshaws, les piétons, les motos et les scooters, sans laisser le moindre espace vital, nécessaire sans lequel on pourrait se sentir oppressé, entouré, encerclé par cette marée. Un tsunami qui nous submerge tout à coup. Le bruit ajoute à cette ambiance : interpellations des marchands, cris des enfants, flots de véhicules qui klaxonnent, gyrophares de la police omniprésente, ambulances qui essaient de se frayer un passage illusoire, coincées dans la circulation engorgée. Et puis, au milieu de tout cela, la tranquillité des gens, souvent en famille, des bandes de jeunes, des hommes pour la plupart mais pas que, qui se prennent en photo en tout lieux et en toutes circonstances. Photos souvenirs ! Dans quelques années, l’Inde dépassera la Chine en nombre d’habitants. En 2019, presque un millions de bébés sont nés, pour la plus grande fierté du pays. C’est vous dire ce que l’on peut voir de bouts de chou dans les bras des mères, des pères, des soeurs, ou que l’on pose par-terre sur l’esplanade de la mosquée, comme si cela les protégeait. Ces parents-là sont comme tous les parents, ils sont fiers de leur progéniture et ne soucient pas du problème de surpopulation.

Sur les marches de Jama Masjid, je regarde tout ce monde, un peu comme un autre moi détaché de mon corps physique, de mon esprit, comme si cet autre moi vivait une vie dans un autre temps, un autre lieu. Sauf que je suis dans la réalité. C’est moi qui entends les chalands et les vendeurs de pulls, de chaussures, de couvertures, de sacs, de casseroles, s’interpeller aux pieds de la mosquée, véritable bazar. Je vois les stands de ‘street food‘. Ça sent bon ou pas, quand l’huile de friture est cramée, on attrape un cancer rien qu’à regarder ! C’est appétissant ou pas, quand sous la chaleur du soleil, la nourriture recuit et se dessèche.

Je ne vois en ce moment même que des femmes portant le voile. Le noir prédomine, mais pas seulement, les hommes portant turbans ou calottes. Je suis cette vie grouillante sous mes yeux, calme et serein. J’observe avec acuité et pourtant avec détachement.

Dans peu de temps, je vais entrer dans cette foule, plonger dans ces ruelles, me faire approcher par qui tentera, avec insistance, de me vendre quelque chose, de m’attirer dans son échoppe. Je sais que j’en ressortirai et que je retrouverai les larges avenues de New Delhi, de quoi me raccrocher à mon monde occidental, m’accrocher à une bouée de sauvetage. Ma vie confortable et sécurisante.

Eux, c’est leur univers, leur quotidien. Le bruit et la fureur, la promiscuité, les rudes conditions de vie pour vivre une vie décente. Ces milliers de gens, s’étalant sur les routes comme des petits poissons pris au piège des filets électriques au fond de leur rivière qu’est leur vie, se meuvent lentement, s’agitent sans bouger, cherchent leur espace, se fraient leur chemin. Mais ils reviennent toujours au même point, attirés, aimantés par leur portion de vie.

Soudain, mon regard est attiré par des cerfs-volants au-dessus des toits. C’est leur espace de liberté, c’est un espace vital qui prend de la hauteur. Ces jeunes hommes les manipulent avec dextérité et les font voler très haut.

Cela fait maintenant une heure que je suis assis sur ces marches. Mes genoux commencent à me faire mal, mes jambes pliées commencent à s’ankyloser. J’ai pris beaucoup de photos afin que vous me croyiez, pour que vous aussi, vous soyez dans cet univers insensé. Un jeune garçon m’aborde timidement. Il s’assoit discrètement à côté de moi et je ne le remarque pas tout de suite. Je pense que quelqu’un s’est simplement introduit dans mon espace vital. Mais non, ce jeune adolescent me parle dans un très bon anglais, en s’excusant de me déranger et de m’interrompre dans ce que je fais. Il m’avoue m’observer depuis au moins 45 minutes, prendre des photos et écrire. Il me demande pourquoi je fais cela. Je ne perçois pas de ton de reproche, mais c’est bien la curiosité qui l’a mené à me parler. Je lui explique que je prends des notes pour un article sur la mosquée, sur ce que je vois et que les photos aideront à mieux se représenter ce sur quoi j’écris. « Ah ! » dit-il, « Vous êtes un écrivain ? ». Oh, que non ! Vous savez bien que j’écris pour moi, pour vous. Cela ne fait pas de moi un écrivain. Il est touchant. Il est beau. Il me remercie, me salue et s’en va. Je le regarde s’éloigner et quelques marches plus bas, il rend compte à ses parents de notre échange. J’adore !

Il est au rapport …

Maintenant, j’y vais ! Je prends des repères. La mosquée, bien évidemment, car je ne veux surtout pas me perdre dans ces ruelles. Je ne suis pas encore prêt à me défaire de mes tensions nerveuses. Je longe la mosquée, enfile une ruelle sur la gauche et hop ! je suis dans le grand bain. Dans la première portion de rue, les petits restaurants sont les uns à côté des autres. Les fours à pain sont à découverts sur la rue. Ici, on ne vend que du poulet tandoori, biryani, là, que de la viande de mouton. Tout est cuit au charbon de bois. Quelles bonnes odeurs ! Les galettes sont appétissantes. Je finis par en acheter une (10 roupies, 0,13€), tout droit sortie du four. Elle est chaude, fondante, moelleuse, succulente. J’ai presque envie de me laisser tenter par un vrai déjeuner. L’on m’invite avec force sourires à entrer, mais non, il est déjà 16 heures ! Mon estomac le regrette encore. Cela sera pour la prochaine fois ! Je remarque tout à coup des hommes assis, recroquevillés presque, devant des restaurants. Ils ont une sale mine, ils sont pauvres, habillés de grosses toiles élimées. Je pense d’abord à quelques coolies attendant l’embauche. Mais non, ils attendent qu’on leur donne à manger. Et en effet, certains reçoivent une galette et une petite écuelle de ‘ragoût’ qu’ils dévorent alors que d’autres les regardent manger. C’est triste ! A mon passage, leurs yeux se lèvent, les mains jointes comme pour une supplique, implorants pour de la nourriture.

Je me dirige maintenant vers le métro. Tout en savourant ma galette de pain, je me faufile comme je peux au milieu de toute cette agitation. Il est presque 17h30 et je suis resté dans ce quartier plus de 4 heures.

5 janvier : C’est dimanche, jour de notre retour à Chennai. Le vol est à 17h30. Levés assez tôt, nous nous préparons pour profiter au maximum de cette journée. Nous irons à Humayun’s Tomb, belle découverte pour Éric, puis, plus proche de l’hôtel, au Lodhi Park. Je n’en fais pas de commentaire cette fois car vous pouvez vous reporter à l’article du mois de novembre. Mais, comme c’était bien !

Agréable promenade dans Lodhi parc.

J’espère sincèrement que ce long article, le plus long jusque-là écrit, vous aura intéressé. Qu’il n’est pas trop long tout de même. Vous m’en ferez un commentaire ! On vous embrasse.

Ce soir, on danse !

Décembre est à Chennai, le mois des festivals culturels classiques ; danse, théâtre, musique. Ces arts sont placés sous le signe de la culture traditionnelle indienne. Les performances sont de haut niveau, les troupes, célèbres. Samedi 28 décembre, nous avons eu la joie et le plaisir de découvrir, au sein de la Fondation Kalakshetra, un spectacle retraçant l’épopée du Rāmāyaṇa.

Tout d’abord, un mot sur cette fondation de renommée nationale. Elle se situe dans une banlieue au sud de Chennai, assez loin même du centre-ville. La vocation de son académie est l’enseignement et la préservation des arts traditionnels et de l’artisanat indiens.

Rukmini Devi Arundale (Madurai, 1904 – Chennai, 1986) en a été la fondatrice aux prix d’une grande force de caractère et d’une volonté tenace. Tout d’abord, à titre personnel. Issue de la haute caste brahmane (grande bourgeoisie indienne), elle s’est mariée à un occidental contre la volonté de sa famille et en brisant les codes de sa caste. Elle s’est de plus, consacrée à la danse traditionnelle en étudiant des ouvrages anciens afin de la porter à sa juste valeur. Les danseuses des différentes troupes étaient considérées comme des prostituées et des courtisanes et étaient ‘rattachées’ à un temple. La danse était donc un art mineur, si tant est qu’il fût considéré comme tel et les danseuses, de viles créatures. Rukmini Devi Arundale étudia la danse et, contre toute attente, devint une danseuse mondialement célèbre. Son combat la mena également à la politique.

La stelle et la statue de ‘Dame’ Arundale devant l’entrée de l’auditorium.

Je ne rentrerai pas dans les détails et n’ai nullement la prétention de chausser les lunettes d’un Maître, mais voici quelques éléments de compréhension … just for you ! La danse traditionnelle indienne retrace deux épopées. Celle du Rāmāyaṇa, poème de 48 000 vers en 24 000 couplets et celle du Mahābhārata, poème comportant 81 936 strophes, ce qui en fait le plus long poème jamais écrit. Ces poèmes sont écrits en sanskrit et sont fondateurs de l’hindouisme.

Le Rāmāyaṇa est « La Geste de Râma ». Ce poème, composé entre le IIIè s. BC et le IIIè s. AD, raconte la naissance, l’éducation du prince Râma (7è avatar – incarnation d’une divinité sur terre – du dieu Vishnu), la conquête et son union avec Sîtâ. Il raconte également son exil, l’enlèvement de Sîtâ, la délivrance et le retour de Râma sur le trône. Voilà, vous savez tout sur le Rāmāyaṇa  !

Le Mahābhārata, « La Grande Histoire des Bhārata » est une saga mythico-historique (hic) indienne. Il date des derniers siècles avant Jésus Christ, à vous de chercher lesquels ! Il relate des hauts faits guerriers entre les deux branches d’une famille royale, les Pandava et les Kaurava. C’est un peu l’histoire des Capulet et des Montaigu … en plus sanglant !

Le spectacle commence à 18 heures dans le grand auditorium de la fondation. Il durera 2h30, mais nous ne le savons pas encore. Voici quelques particularités que l’on a pu observer :

On se déchausse à l’extérieur de l’enceinte dans un espace « Foot wear ». Certains souliers sont éparpillés. Comment va-t-on retrouver les nôtres ? Va-t-on seulement les retrouver ?

Une grande majorité du public s’est vêtu pour l’occasion. C’est un festival de couleurs tant les sarees sont magnifiques. Les hommes portent des dothis blancs à bordure dorée et chemise blanche ; tenue des brahmanes.

On entre « religieusement » dans la salle et l’on attend, presque avec ferveur, de voir de quelle qualité sera le spectacle. On dit que des mélomanes battent la mesure lorsque le poème est déclamé/chanté au son des instruments. On dit qu’ils connaissent parfaitement les vers et sont attentifs au jeu des danseurs ; la moindre entorse est choquante à leurs yeux. Un peu nos « extrémistes opératiques », chez nous ! Et que l’on ne doit entendre, et encore, à peine, que le souffle des respirations !

Le parterre est rempli de sièges en rotin (un peu ambiance coloniale … je ne devrais pas l’écrire !) et le balcon de vulgaires bancs durs et inconfortables (sur lesquels nous sommes assis, billets à 100 roupies/1,30€ !).

Nous trouvons enfin de la place, notre sésame en main. Je suis très curieux de voir ce spectacle. Je suis aussi assez perplexe car je me dis que je n’y comprendrai rien ! Mais je me dis, « Christian, fais confiance ». L’attente est excitante. On sent bien, comme tout ceux autour de nous, l’attente fébrile nous traverser. Le frou-frou des sarees des femmes qui se déplacent est délicieux ! Nous sommes assis les uns contre les autres de façon à laisser de la place au plus grand monde, les bancs n’étant pas numérotés. Nous ne voyons pas d’étrangers dans la salle. Ca aussi c’est excitant, c’est comme si nous avions, nous seuls, le privilège d’assister à ce spectacle.

Le parterre est en place. Le balcon s’agite. Des spectateurs arrivent en retard et peinent à trouver une place avec une vue acceptable ; il faut toujours se serrer un peu plus. Qu’importe ! On change souvent de place car la visibilité est partielle du balcon. De notre place, un tiers de la scène est tronqué. Je sens déjà la frustration me chatouiller !

La photo est floue parce qu’il faisait sombre dans la salle, mais ça vous donne une idée de notre « joyeuseté » ! Avec nous ce soir-là, Claire du consulat de France et la très jeune Morgane, volontaire internationale, nouvellement arrivée, également affectée au consulat au Bureau de France.

Par bonheur, le petit groupe de musiciens est à l’opposé et à l’avant de la scène, de telle manière qu’on les voit bien. Ils sont assis par terre, jambes repliées croisées et garderont cette posture pendant la durée du spectacle. Le ballet est accompagné par trois voix (récitants/chantants). Elles conduiront toute la performance. A l’origine, c’est la voix d’un guru. L’ensemble instrumental comprend la flûte traversière indienne (bansurî), le luth indien (sarasvati vînâ) le hautbois (nagaswaram), le violon et les tambours (mridangam). Il y a aussi des petites percussions métalliques.

Afin de comprendre l’intrigue, à l’intar de nos salles de concert quand les opéras sont  chantés en VO, un écran projette un résumé du poème et des actions que nous verrons danser sous nos yeux. Et toute inquiétude disparaît face à notre ignorance puisqu’on ne perdra pas le fil de l’histoire. En voilà une bonne idée !

Dès les origines, il s’agit d’un ballet classique. Le Bharatanatyam est considéré comme la mère de toutes les formes de danses indiennes et a pour berceau le Tamil Nadu (dont la capitale est Chennai). Il s’est étendu rapidement à tout le sud de l’Inde. La base théorique de cette forme de danse remonte aux textes anciens du sanskrit hindu relatifs aux arts. Le nom de la danse est composé de « Bharata » et de « Natyam » qui signifie danse en sanskrit. « Bharata » est composé de « Bhava » (émotion, sentiment), de « Raga » (mélodie) et de « Tala » (rythme). Le Bharatanatyam est donc une danse qui exprime les émotions et les sentiments sur des mélodies rythmées.

Parlons danse maintenant. Dansé à l’origine par les femmes dans les temples hindus, le ballet suit une chorégraphie rigoureuse et très codée. La particularité de ces danses se traduit par l’expression impressionnante de la gestique des pieds. Les danseu.r.se.s (devadasis), nos « étoiles », ont des chevillères à grelots rythmant ainsi tous les déplacements et la gestuelle. Ils/Elles ont les yeux et la bouche très maquillés afin de bien marquer les expressions. Les devadasis (femmes) ont les mains et les pieds teintés au henné rouge de façon à voir tous les gestes jusqu’au bout des ongles. Le corps de ballet est magnifique. Les danseurs portent également des parures en or aux bras, autour du cou, les ceintures affinent les tailles, les costumes sont élaborés et chatoyants. Comme les danseuses font beaucoup de pliés, les saris pré-cousus forment à l’avant une quantité incroyable de petits plis qui se déploient en éventail au cours des évolutions laissant apparaître d’autres couleurs. Des fleurs de jasmin enserrent leurs cheveux et l’on imagine parfaitement les effluves de parfum se répandre autour d’elles et envelopper les danseurs. Leurs longs cheveux, attachés en queue de cheval, sont projetés dans l’espace à chaque pirouette. Tout est en mouvement ; les cheveux, les saris, les colliers, sans compter les corps maîtrisés ; jeu des bras et des mains dont les doigts, flexibles, sont tendus à se rompre, les jambes et les pieds qui rythment chaque mouvement. Tout bouge en une harmonie parfaite. Les tailles se cambrent, les dos se creusent, les bustes se déplacent de gauche à droite ; on a l’impression de voir des apsaras, nymphes célestes d’une grande beauté et aux mouvements graciles, surgir de la pierre et prendre vie. Les danseurs ne sont pas en reste. Leurs yeux écarquillés expriment joie, colère, gentillesse, méchanceté, jalousie, amour, lubricité, … et nous vivons leurs histoires à leur rythme.

L’entracte de 20 minutes nous a fait reprendre notre souffle, comme si nous avions été nous-mêmes sur scène ! Nous partageons tous les quatre les mêmes impressions, nous vivons les mêmes émotions et éprouvons le même enthousiasme. Nous attendons la reprise avec impatience !

Cette fois, les moustiques auront quelque peu perturbé mon attention. Heureusement, je ne me déplace jamais sans mes produits nocifs (pour moi aussi !). Je me recentre et suis, toujours avec la même concentration, la suite du ballet.

Le clou du spectacle arrivera à la toute fin. Les danseurs, présents sur scène pour le salut final, sont acclamés, surtout les « étoiles ». Metteur en scène, chorégraphe sont salués. Les musiciens se présentent au public et sont également acclamés. Petit à petit, le public se lève et se disperse. Beaucoup quitte l’auditorium et d’autres se dirigent sur la scène, les danseuses et danseurs toujours présents … Ils attendent leur public. Au départ, ne pouvant nous résoudre à partir, nous observons. Nous pensons que les danseurs « reçoivent » les compliments de leurs amis, de la famille, des habitués, comme chez nous les artistes reçoivent dans leur loge. Que nenni, nous finissons par comprendre que tous peuvent aller les féliciter, échanger avec eux. Et nous osons nous aussi. Toujours pieds nus, nous franchissons la petite marche qui mène sur la scène, sanctuaire sacré. Les « étoiles » sont prises d’assaut. Nous attendons notre tour. Et comme le font très aimablement les Indiens, nous voyant attendre en retrait, ils s’écartent pour nous permettre d’approcher les artistes. Nous échangeons des mots sincères de félicitations et avouons avoir adoré le ballet. Ils sont aimables. Ils sont tout sourire, toute gentillesse. Nulle évidence de fatigue, d’agacement face à ce public exigeant demandant son dû, celui d’être en contact physique avec les danseurs. Nous prenons des photos. Ils se laissent photographier avec grâce. Bref, du pur bonheur !

Peu après, nous retournerons, tout chamboulés, récupérer nos souliers, triste réalité ! Nous ne les avons finalement pas perdus ! Et combien nous avons été heureux pendant ces deux heures trente de spectacle. Et quelle belle introduction à la culture classique de l’Inde du sud !

Le salut final.