Chez nous

Le jour de la Saint Valentin, cela faisait deux mois que nous avions emménagé à Rena Apartments. Nous étions des happy Valentines ! Et nous le sommes toujours.

Papier de coton de la fabrique artisanale de Puducherry

Compte tenu de notre situation que je développerai ci-après, nous essayons de faire de notre appartement un lieu dans lequel on se sent bien, un nid douillet où on peut cocooner. La vie trépidante en Inde et à Chennai impose d’avoir un havre de paix, un lieu de vie confortable pour pouvoir retrouver son énergie ou la mettre en veille afin de mieux se ressourcer … même si cela est souvent relatif (rappelez-vous le billet « Chennai, ou il n’y a pas de sots métiers »).

Laissez-moi donc vous décrire ici l’épine que nous avons sous le pied. Notre visa à entrée unique a expiré le 14 janvier. Depuis cette date, nous sommes dans l’attente d’une régularisation qui tarde à venir. Le stress et l’impatience ont quelque peu pris le dessus. Si nous sommes parfois apaisés, parfois agacés, notre situation a, malgré tout, évolué. La semaine dernière, Éric obtenait sa carte d’identité indienne, prête depuis le 18 janvier (4 jours seulement après l’expiration de notre visa), mais gardée sur une pile de dossiers au Ministère des Affaires Extérieures (MAE) à Chennai. L’intervention de la Consule générale de France a sans doute débloqué la situation. Quant à moi, ces mêmes autorités sont bien disposées à me délivrer ma carte, disent-elles, mais il leur faut l’aval de Delhi. Et de nouveau, c’est une partie de ping-pong qui se joue entre les deux administrations. Pourquoi, me demanderez-vous peut-être ? La raison est simple et maintenant évidente. L’Inde ne reconnaissant pas le mariage de personnes de même sexe, notre présence sur le sol indien relève d’une nouveauté qu’elle ne sait comment gérer d’une part, et est un sujet d’embarras, d’autre part car cela met en cause un agent de l’État français en possession d’un passeport officiel. L’ambassadeur, mis au courant, suit le dossier de près … disent les agents du service de l’ambassade. Hum, hum ! A voir ! Il devrait intervenir cette semaine après la visite du président américain. Et je referme cette parenthèse assez pénible pour justement reprendre la voie de ce qui nous apaise : chez nous.

Vous voyez à quel point Éric est contrarié !!! Hihihi !

Dimanche 23 février, nous avons farniente dans la matinée, puis sommes partis en « self tour operator » visiter deux églises et un temple hindou dans les districts de Mylapore et d’Egmore, au centre de Chennai.

Pour l’heure, je me sens plutôt d’humeur à vous faire entrer chez nous et vous faire découvrir tranquillement, notre déco en attendant notre déménagement.

Les petits fauteuils ont des coussins depuis aujourd’hui. Bien plus confortable !

Nous avions anticipé des aménagements à l’occasion de notre excursion à Kanchipuram, le jour de la fête de Pongal. Lors du passage dans la boutique qui a suivi la visite d’un atelier de confection de saris en soie, nous avons acheté des housses de coussins qui « habillent » les canapés et le fauteuil.

Notre belle sculpture en bois représentant la chasse aux tigres à dos d’éléphant trône en majesté sur un petit buffet. Elle est mise en valeur par une belle orchidée. Un paravent miniature en ébène serti de médaillons peints fait le pendant. Est venue s’ajouter une lampe dont l’abat-jour est à motif végétal. Éric l’avait achetée à Pondichéry lors de son dernier déplacement.

Cette sculpture vient de New Delhi, lorsque nous y étions fin décembre-début janvier.

Les sièges en rotin sont maintenant garnis de châles négligemment posés. Éric en reçoit un dès qu’il se rend pour la première fois à une réunion protocolaire (les établissements scolaires et universitaires en ce qui le concerne). Nous en avons maintenant un jaune, un bleu, un vert, un or et bleu et un rose. Combien en aurons-nous dans quatre ans ?

Il y a même un châle sur le lit … L’Or, J’Adore !

Les nouvelles lampes de chevet dans une chambre d’amis et celle posée au sol dans l’entrée sont nos derniers achats à la foire des artisans de la fondation Kalakshetra (souvenez-vous le billet « Ce soir, on danse »), ainsi qu’une paire de kartals et trois petits pots en laiton. Ceci a terminé de satisfaire nos envies de nouveautés. Et nous en sommes contents.

Les kartals sont des instruments de musique traditionnels. On passe le pouce et l’index dans les anneaux et on les frappe l’un contre l’autre. Les petits disques métalliques s’entre-choquent alors créant le rythme des chants et des danses.

Le ruban fait de lamelles de bambou reliées par des fils est minutieusement gravé de scènes « mytho-sacrées ». Les faces cachées nous amusent beaucoup. Au centre de chaque paire de lames, un médaillon rond amovible se soulève et laisse voir vers le haut, un animal, et vers le bas une position du Kamasutra. Dix poses au total ! Il y a de quoi fantasmer !

On a vraiment envie de retrouver nos effets, pour la plupart acquis en Bulgarie ! Créer un nouvel espace personnel, chercher les meilleurs emplacements, essayer, changer, revenir à ce que nous ne voulions pas deux minutes auparavant, discuter, pinailler, tergiverser, se prendre le nez et se le rendre, pour finalement être d’accord, trouver ce qui conviendra à tous les deux.

Et je n’oublierai pas Kamala en train de faire des chapatis et Bala en train de couper du vellam (sucre naturel brun). Nous avons fait installer un ventilateur dans la cuisine parce que ça va chauffer hot à partir d’avril-mai, à la saison chaude.

Kamala confectionne d’excellents chapatis. Ces galettes de pain non levé sont délicieuses avec les plats en sauce (curry, sambhar) et avec du houmous, par exemple.

Voilà, ce billet tout simple est terminé. Je voulais vous faire entrer dans notre intimité, vous inviter chez nous, partager avec vous notre quotidien, vous donner des envies d’Inde, en espérant vous retrouver dans le prochain billet qui décrira notre district, Mylapore.

Allez, encore un éléphant ! Très beaux effets, visuel dans cette boule ajourée en marbre, lorsqu’on y place une bougie, ou olfactif, lorsqu’on y place un cône d’encens.
C’est bien mieux comme ça et ce sera l’image de la fin !
Éric est d’autant plus content qu’il vient d’apprendre que son passeport avec le visa est en route pour Chennai. Il le trouvera au Bureau de France jeudi matin ! Bou -ou-ou !!! Et moi ?

Pongal à Kanchipuram

Équation à deux inconnues : x + y = 3

Sachant que x = Pongal et y = Kanchipuram, trouvez une des solutions à cette égalité.

La mi-janvier (cette année, c’était le 15) marque la fin des moissons. Dans une ambiance de fête, les familles préparent le pongal, un plat de riz et de lentilles, dahl, cuisiné dans des marmites de terre neuves. Pongal symbolise prospérité et abondance. C’est grâce au labeur des buffles dans les champs que les hommes peuvent se nourrir. En remerciement, ils les nourrissent à leur tour en leur offrant ce fameux pongal, d’où le nom de cette fête. A cette occasion, les vaches sacrées sont lavées et leurs cornes peintes. Une marque sur leur front les protège ; bénies par les dieux !

Vous connaissez la valeur de x.

Central station

Kanchipuram est une grosse bourgade qui se trouve à 80 km au sud-ouest de Chennai, soit 1h30 en auto. Son nom signifie la « ville d’or » ou « ville des temples ». Cette petite ville doit son intense animation à une activité économique et touristique très florissante. En effet, c’est un centre renommé pour la production de la soie et la fabrication artisanale de saris et autres tissus décoratifs pour la maison ou accessoires à porter. Bon nombre de sa population s’est spécialisé dans le tissage et a converti une partie de son habitation en atelier que l’on peut visiter et voir ses tisserands travailler sur leur métier à tisser mécanique.

Fabrication d’un sari en soie. Le métier à tisser, comparable à un orgue, se « joue » avec les pieds …

Orgue de Barbarie aussi, car on détermine le motif des pièces à tisser à partir de cartes perforées, reliées entre elles et constituant un ruban, déterminant ainsi le « jeu » à donner à la pièce de tissu. Véritables cartes mémoire, utilisées au début de l’informatique au XIXème siècle.

Vous connaissez maintenant la valeur de y.

Reste à déterminer l’égalité 3.

Sachant que Kanchipuram est une des sept villes sacrées de l’hindouisme et qu’elle fut la capitale d’une des trois dynasties régnantes, cette ville très animée compte aujourd’hui un grand nombre de temples.

Ces dynasties se rencontrent, se croisent et se superposent parfois. Leurs territoires varient en superficie, leur puissance fluctue en fonction de leur suprématie. Vous savez qu’à la guerre, on gagne et on perd !

La plus ancienne fut le royaume Pallava – rappelez-vous le Rāmāyaṇa – dès la fin du IIIème au IXème siècles. Le premier souverain établit la capitale à Kanchipuram. Les Pallava s’implantèrent dans le sud-est de l’Inde et plus précisément dans le Tamil Nadu d’aujourd’hui. Les souverains successifs de ce royaume bâtirent Mahabalipuram – rappelez-vous le billet « Week-end à Pondichéry ».

Empire Pallava à son apogée

Les souverains de la dynastie Chola – fin IIIème siècle av. J.-C. au XIIIème siècle –  s’établirent sur un territoire variable qui s’étendait jusqu’au nord de Sumatra en Indonésie. Ils développèrent notamment un art dans l’architecture et du bronze à la cire perdue. Les musées indiens débordent de magnifiques sculptures de la période Chola très active du Xème au XIIIème siècles.

Empire Chola et influences extérieures

Ceux de la dynastie Vijayanagar s’installèrent sur le plateau du Deccan de l’Inde du sud. Ce sera le dernier des trois grands royaumes de cette région. Sa capitale est aujourd’hui Hampi, dans l’état du Karnataka voisin, ville patrimoine mondial de l’Unesco, que nous n’avons pas encore visitée. Ce royaume s’imposa du XIVème au XVIème siècles (1336-1565, plus précisément) avant d’être conquis puis pillé par la Confédération islamique du Deccan en 1565. Fin de l’épisode !

Empire Vijayanagar

Vous comprenez maintenant ce qu’est l’égalité = 3. Ce sont les trois royaumes. Mais « 3 » pourrait être l’égalité de l’équation : Pongal + Kanchipuram = trois personnes heureuses de cette magnifique excursion, Claire, Éric et moi, ou autre égalité = émotion, jubilation, bonheur, etc, etc …

Kanchipuram est en tout cas, la somme de ces trois royaumes qui vont de la fin du IIIème siècle av. J.-C. au XVIème siècle. Et je peux vous dire que c’est impressionnant ! Fin de la leçon d’arithmétique fantaisiste !

Pongal, mercredi 15 janvier, était un jour férié et nous avons décidé de partir à Kanchipuram avec Claire, notre voisine depuis peu. Journée très chaude, départ très tôt ! Il s’avèrera que cette sortie avec Claire sera plaisante parce qu’elle est une personne très agréable.

Je vous épargnerai les descriptions érudites et les noms compliqués des temples que nous avons visités. Mais les plus anciens (allez, quelle dynastie ?) sont extraordinairement beaux ! Et plus tranquilles. J’oserais avancer une comparaison surprenante en disant que c’est la différence entre l’art roman et le rococo (en excluant toute correspondance de dates). Outre la beauté architecturale et l’intérêt historique, ces temples sont des lieux de dévotion incroyable. Des brahmanes, derrière chaque colonne, sont prêts à vous bénir en échange d’un petit billet ! Les colonnades, c’est aussi ce qui surprend dans ces temples. Elles sont très nombreuses – une salle des mariages est appelée la salle aux 100 piliers – et sont extrêmement ouvragées.

Salle des mariages
Salle aux 100 piliers

Ensuite, la surprise vient du fait que certains temples sont vastes. On y déambule le long de larges allées fraîches en admirant toute cette belle architecture et parmi les fidèles, mais le sanctuaire n’est accessible qu’aux hindous … grrr ! C’est évidemment dans les sanctuaires que se trouvent les trésors !

Des cinq temples remarquables visités, deux sont dédiés à Shiva (dieu suprême et du yoga, il possède la connaissance universelle, suprême et absolue. Il est le père de Ganesh), deux sont consacrés à Vishnu (deuxième dieu de la trinité – Brahma, Vishnu et Shiva – il protège l’univers que Brahma crée et que Shiva détruit). Vishnu compte 10 avatars (incarnations d’une divinité sur terre dont : N°7, Rama, N°8, Krishna, N°9, Bouddha). Le dernier temple vénère Kamakshi (représentation de Parvati, sœur de Vishnu et épouse de Shiva). Ce dernier est l’un des plus importants du pays. J’espère ne pas vous avoir perdus dans cette généalogie !

Le premier des temples en grès rouge (VIIIème siècle) que nous avons visité est le plus ancien et le plus paisible. Il est remarquable par son importance historique et par la délicatesse du travail de la pierre. Son enceinte est plantée de lauriers roses qui rehaussent la beauté du lieu.

Un autre temple occupe un domaine de 12 ha. On y accède par un gopura – porte d’entrée en forme de tour – haut de 59 mètres. Ses sculptures datant de 1509 ne sont pas peintes, contrairement aux temples hindous.

La plupart des temples ont un bassin aux ablutions. De quoi purifier le corps avant de se présenter devant les dieux !

Le lotus, quelle fleur merveilleuse !
C’est avant tout la fleur sacrée !

Un déjeuner dans un restaurant végétarien en compagnie de Bala a rassasié nos ardeurs … Et nous sommes prêts à continuer les visites !

Vous l’aurez ainsi compris, nous avons été impressionnés, intéressés et heureux de nos visites. Autre égalité de mon équation …

Et le meilleur est pour la fin/faim, avant de repartir au soleil couchant. Achat d’une tige de canne à sucre que nous mastiquerons de retour à Chennai.

Chennai ou, il n’y a pas de sots métiers

Chennai est un archipel composé de milliers d’îlots flottants au ras des courants et des marées. Chennai est un océan dans lequel on baigne dans la lumière crue du soleil et dans la moiteur de la chaleur. Le pire est à venir. Les courants sont puissants, bruyants et les flots incessants submergent qui s’y aventure. Ces courants suivent de longues et larges artères, ne donnant place qu’à ce qui roule, et encore, faut-il encore la trouver. Ces flots roulants sont féroces pour qui tenterait une embardée.

Chennai est une jungle. Ses milliers d’îlots sont verdoyants. La végétation tropicale à feuillage persistant sec comprend une grande variété d’arbres dont plusieurs types de palmiers, des ficus elastica ou caoutchoucs, des bananiers, des banians, arbres sacrés aux étonnantes branches qui se plantent dans le sol et deviennent racines formant ainsi de nouveaux troncs. On y trouve également des plantes grimpantes et des herbes. Certains îlots ont des noms de jardin à l’exemple de Poes Garden, J Garden ou Vasantham Garden.

Autour de notre « colony »

Chennai est composée d’une multitude de colonies, vocable anglais, vestige, entres autres, de l’autorité coloniale britannique pendant plus de trois siècles. Ironie du sort suite à l’indépendance en 1947 ! Une colony est un petit quartier d’habitations, plus ou moins calme et tranquille, plus ou moins résidentiel, plus ou moins huppé, composé, pour la plupart, de petits immeubles de 2 à 5 étages. Des derniers étages et des terrasses, on surplombe la canopée. On voyage d’un îlot à un autre pour aller à Seetamal Colony, en passant par Drivers Colony, Anna Colony, Lakshimi Colony, NGO Colony, Tondiarpet Police Colony ou par Vyusar Nagar Colony, pour n’en citer que quelques-unes.

La colony ne propose pas ou peu de commerces de proximité. Des entreprises s’y sont installées, quelques vendeurs de fruits itinérants, des services « sur les trottoirs » (repasseurs, couturiers), le pressing Excello et un primeur de quartier qui font leur beurre. Ces colonies sont un peu des cités dortoirs, mais ne sont pas mortes, et mis à part les aboiements de chiens, le tintement métallique du vendeur de cacahuètes grillées qui s’annoncent plusieurs fois par jour, les voix des agents de sécurité et des chauffeurs attendant leur patron, des ménagères en saris discutant dans la rue tout en balayant devant leur porte avec des balais si typiques faits de tiges séchées de palmiers, ou encore le vrombissement de motos, les pétarades des rickshaws, les coups de klaxon intempestifs, sans oublier les jacassements et autres cris que produisent les nombreux oiseaux et écureuils perchés dans les arbres, sous nos yeux sans qu’on les distingue vraiment, et qui perturbent de leur puissante voix la relative tranquillité de notre « îlot », et bien, mis à part tout cela, ces colonies, disais-je, sont plutôt calmes. La nôtre illustre bien tout cela.

C.I.T. Colony est bordée par quatre furieuses artères ; PS Siva Swany Road à l’est, Radha Krishnan Salai Road au nord, T.T.K Road à l’ouest et Musiri Subramaniam Road au sud. Nous vivons à Mylapore, et nous y sommes bien. Les immeubles autour du nôtre sont juste corrects, la vue est imprenable ! Les plantes sur nos balcons sont un peu le prolongement de cette végétation extérieure luxuriante. Nous vivons dans un quartier où résident et travaillent des médecins, des avocats, des personnalités politiques protégées par un important quartier général de la police. Ce choix est le fait du hasard, du bon sens et du nez fin !

Les artères grondantes aux courants forts ont des courants contraires qui s’entrecroisent, se surplombent, vont dans un sens et tout-à-coup dans l’autre, butent sur un barrage de police, regorgent d’un nombre impressionnant de petites boutiques, de magasins à enseignes connues, d’échoppes collées les unes aux autres – mais comment survivent-elles ? – de centres commerciaux gigantesques, réfrigérés, ultra modernes et chics. La mondialisation nous ramène toujours un peu chez nous ! Et le monde libéral de la surconsommation bat son plein partout, comme chez nous. Ici, on n’y verra pas de « traîne savates », de va nu-pieds, de loqueteux, de miséreux, de boiteux, d’estropiés, d’éclopés. Les classes moyennes et supérieures vivent dans le monde moderne, protégées pour un temps de la vue de cette « faune » extérieure, tout comme la plupart des étrangers. Non ! A la frange des artères furieuses, dans les petites échoppes débordantes de marchandise et aux allures miteuses, petits patrons et employés ouvrent leur commerce dès 7 heures jusqu’à très tard, 6 jours sur 7 et presque toute l’année. Ce sont eux qui font vibrer cette ville-archipel, qui lui donnent son âme et font battre le cœur de Chennai.

Les gargotes sont légion. Certaines affichent une enseigne de restaurant, la plupart sont des snacks.  Dans la fureur infernale de la ville-araignée, dans la poussière et la chaleur, les commerçants vendent des litres de chai parfumé (thé au lait sucré épicé à la cardamome), de délicieux cafés sucrés au vellam et servent des plats cuisinés à faire saliver, préparent sous les yeux des clients, chapatis et parotas (galettes non levées), pétris sur des étals en inox, où les habitués s’arrêtent volontiers. Ça sent bon, ça fait envie, mais on se l’interdit … pour l’instant !

A la suite, les quincailleries, grandes comme des mouchoirs de poche, proposent à peu près de tout. Imaginez un peu Leroy Merlin ou Castorama, ces magasins de DIY, en riquiqui. Les trottoirs servent également de vitrine et l’on y entasse tout ce qui ne peut prendre place à l’intérieur : escabeaux, échelles, tubes droits et coudés, gaines, cordages, tuyaux, … Demandez, vous aurez ! D’autres boutiques vendent tout pour la maison : services de tables en inox, en plastique, en porcelaine, des boîtes de rangement pour la nourriture, indispensables dans les cuisines, de merveilleux plats en bronze, en cuivre, typiques de l’Inde, du petit électroménager, des ventilateurs, des airs conditionnés, bon marché.

Les primeurs ont également leur place, une toute petite place. Et l’on se demande comment ils peuvent encore exister avec la concurrence des supermarchés. Là encore, ce sont les habitués du quartier, les personnes âgées qui trouvent tout près de chez elles. Et tant d’autres commerces encore ! Électricité, informatique, téléphonie, reproductions et photocopies, coiffeurs, vêtements, artisanat, fleuristes, meubles, pharmacies, laveries, réparateurs de pneus, coffee shops, … Çà et là, un sanctuaire bouddhiste ramène à la spiritualité marquée dans ce pays .

Sur les trottoirs, on trouvera des repasseurs, des repriseurs, des vendeurs de noix de cocos, mais aussi, assis par terre, des réparateurs et cireurs de chaussures, dans un monde où – presque – tout le monde vit en sandale, en tong ou marche pieds nus.

Au sud de Chennai, à la recherche de petits meubles de balcon en rotin, arrêt « eau de coco » .

Elle aurait des vertus bénéfiques chez les hommes d’un « âge certain » et préviendrait de certaines maladies … à raison d’une par jour !

C’est ce que nous nous obligeons à faire !

Et enfin, dans le flot même, effrayant à certaines heures, la tête maintenue hors de l’eau et le cou sous le lourd joug de bois, de malheureux mais non moins beaux buffles, habitués à ce tohu-bohu, tirent paisiblement une charrette conduite par un vendeur de fruits (bananes, goyaves, ananas, grenades, noix de cocos), ou des transporteurs et des livreurs qui tirent et poussent à la force de bras maigres leur lourde bicyclette !

Le long d’autres saignées, on ne peut manquer les magasins qui sont la signature vestimentaire de l’Inde, qui fait son identité (exacerbée, ai-je dit ?) et l’identité des Indiens,  les très chics vêtements ethniques et traditionnels. Les femmes y achètent des saris, des salwar kameez (pantalons larges et longues tuniques), des lengha choli (longues jupes et blouses enserrant la poitrine) et des dupatta (voiles de modestie). Les hommes y trouvent des dhoti (bandes de tissu blanc longues de 4 à 5 mètres en coton ou en soie), des sherwani (longues chemises jusqu’aux genoux), des kurta (longues tuniques), des cheridar (large pantalon), des pyjama (pantalons étroits plissés aux chevilles et retombant sur les sandales) et enfin des ghatchola (châle en voile). Ces magasins ont pour voisins des bijoutiers-joailliers spécialisés pour la plupart dans les bijoux du Rajasthan dont la capitale est Jaïpur. Quand on voit le nombre et le luxe de ces boutiques, on se demande bien comment elles flottent dans ce raz-de-marée. T. Nagar en est le centre névralgique, mais on en compte beaucoup sur Cathedral Road, près de chez nous … et partout ailleurs !

Les petites rues sur-animées et surpeuplées de Royapettha ou de Adyar, juste passé le fleuve du même nom, écument le trop-plein d’énergie et la confusion des grosses artères encombrées. Là, on pourrait dessiner un tableau à plusieurs plans.  Au centre, le serpent de mer infini. De chaque côté, les activités commerciales « de trottoir » et sur la chaussée, les vendeurs de fruits à bicyclette ou à plateau tiré par un buffle. Ensuite, à même le trottoir, les cordonniers, cireurs de chaussures, vendeurs à la sauvette de faux cuir, de montres, de ceintures, de sacs. On y trouve aussi des activités artisanales telles que la fabrication de canisses en rotin. Enfin, les échoppes et les boutiques qui s’étalent dans ce sillon, pêle-mêle. Au milieu de tout cela, des gens, allongés sur le trottoir ou assis par terre, dorment ou discutent tranquillement les pieds dans le caniveau.

Le passage pour piétons a disparu sous les roues des véhicules impatients de repartir …
On ne s’énerve pas, mais pas très cool au volant, les Indiens !
On n’est pas bien là ?

Tout cela nous raconte l’histoire de cet État du Tamil Nadu, de cette ville et de ses habitants ; leur mode de vie, leur culture, leur(s) croyance(s), leur identité tamoule.  Émerge souvent de ma mémoire, des images de l’Inde visitée en 1983, à la différence qu’aujourd’hui, la technologie a envahi l’espace public. Les rickshaws s’orientent grâce à Google maps, les taxis Uber et Ola se commandent à partir d’une application et il n’y pas plus à donner la destination au chauffeur, elle est déjà enregistrée au moment de la commande. Les plateformes de commande de nourriture en ligne Zomato et Swiggi livrent à moto des centaines de milliers de déjeuners aux employés des entreprises, y compris au Bureau de France. Tous ont au moins un téléphone portable, sinon un smartphone. Et même les plus démunis, ceux qui dorment la nuit dans la rue, sous les autoponts, en pleine lumière et à même le sol, ont un téléphone collé à l’oreille. Ils sont reliés à une réalité et à leur monde. Comme nous.

Allez mes amis ! Fin de ce billet qui m’a demandé beaucoup de temps ! Esprit un peu, beaucoup, à la folie, passionnément confus en ce moment du fait de notre non-encore-régularisation de notre situation…
Nous attendons toujours que les autorités chennaites et delhiites se décident ! J’essaie de prendre de la hauteur, mais je ne sais pas très bien voler !!!