Chennai est un archipel composé de milliers d’îlots flottants au ras des courants et des marées. Chennai est un océan dans lequel on baigne dans la lumière crue du soleil et dans la moiteur de la chaleur. Le pire est à venir. Les courants sont puissants, bruyants et les flots incessants submergent qui s’y aventure. Ces courants suivent de longues et larges artères, ne donnant place qu’à ce qui roule, et encore, faut-il encore la trouver. Ces flots roulants sont féroces pour qui tenterait une embardée.

Chennai est une jungle. Ses milliers d’îlots sont verdoyants. La végétation tropicale à feuillage persistant sec comprend une grande variété d’arbres dont plusieurs types de palmiers, des ficus elastica ou caoutchoucs, des bananiers, des banians, arbres sacrés aux étonnantes branches qui se plantent dans le sol et deviennent racines formant ainsi de nouveaux troncs. On y trouve également des plantes grimpantes et des herbes. Certains îlots ont des noms de jardin à l’exemple de Poes Garden, J Garden ou Vasantham Garden.


Chennai est composée d’une multitude de colonies, vocable anglais, vestige, entres autres, de l’autorité coloniale britannique pendant plus de trois siècles. Ironie du sort suite à l’indépendance en 1947 ! Une colony est un petit quartier d’habitations, plus ou moins calme et tranquille, plus ou moins résidentiel, plus ou moins huppé, composé, pour la plupart, de petits immeubles de 2 à 5 étages. Des derniers étages et des terrasses, on surplombe la canopée. On voyage d’un îlot à un autre pour aller à Seetamal Colony, en passant par Drivers Colony, Anna Colony, Lakshimi Colony, NGO Colony, Tondiarpet Police Colony ou par Vyusar Nagar Colony, pour n’en citer que quelques-unes.
La colony ne propose pas ou peu de commerces de proximité. Des entreprises s’y sont installées, quelques vendeurs de fruits itinérants, des services « sur les trottoirs » (repasseurs, couturiers), le pressing Excello et un primeur de quartier qui font leur beurre. Ces colonies sont un peu des cités dortoirs, mais ne sont pas mortes, et mis à part les aboiements de chiens, le tintement métallique du vendeur de cacahuètes grillées qui s’annoncent plusieurs fois par jour, les voix des agents de sécurité et des chauffeurs attendant leur patron, des ménagères en saris discutant dans la rue tout en balayant devant leur porte avec des balais si typiques faits de tiges séchées de palmiers, ou encore le vrombissement de motos, les pétarades des rickshaws, les coups de klaxon intempestifs, sans oublier les jacassements et autres cris que produisent les nombreux oiseaux et écureuils perchés dans les arbres, sous nos yeux sans qu’on les distingue vraiment, et qui perturbent de leur puissante voix la relative tranquillité de notre « îlot », et bien, mis à part tout cela, ces colonies, disais-je, sont plutôt calmes. La nôtre illustre bien tout cela.
Installations très rudimentaires ! Le fer à repasser chauffé
aux braises de charbon
C.I.T. Colony est bordée par quatre furieuses artères ; PS Siva Swany Road à l’est, Radha Krishnan Salai Road au nord, T.T.K Road à l’ouest et Musiri Subramaniam Road au sud. Nous vivons à Mylapore, et nous y sommes bien. Les immeubles autour du nôtre sont juste corrects, la vue est imprenable ! Les plantes sur nos balcons sont un peu le prolongement de cette végétation extérieure luxuriante. Nous vivons dans un quartier où résident et travaillent des médecins, des avocats, des personnalités politiques protégées par un important quartier général de la police. Ce choix est le fait du hasard, du bon sens et du nez fin !
Les artères grondantes aux courants forts ont des courants contraires qui s’entrecroisent, se surplombent, vont dans un sens et tout-à-coup dans l’autre, butent sur un barrage de police, regorgent d’un nombre impressionnant de petites boutiques, de magasins à enseignes connues, d’échoppes collées les unes aux autres – mais comment survivent-elles ? – de centres commerciaux gigantesques, réfrigérés, ultra modernes et chics. La mondialisation nous ramène toujours un peu chez nous ! Et le monde libéral de la surconsommation bat son plein partout, comme chez nous. Ici, on n’y verra pas de « traîne savates », de va nu-pieds, de loqueteux, de miséreux, de boiteux, d’estropiés, d’éclopés. Les classes moyennes et supérieures vivent dans le monde moderne, protégées pour un temps de la vue de cette « faune » extérieure, tout comme la plupart des étrangers. Non ! A la frange des artères furieuses, dans les petites échoppes débordantes de marchandise et aux allures miteuses, petits patrons et employés ouvrent leur commerce dès 7 heures jusqu’à très tard, 6 jours sur 7 et presque toute l’année. Ce sont eux qui font vibrer cette ville-archipel, qui lui donnent son âme et font battre le cœur de Chennai.
Claire et Éric avant une séance de cinéma
au Palazzo
Les gargotes sont légion. Certaines affichent une enseigne de restaurant, la plupart sont des snacks. Dans la fureur infernale de la ville-araignée, dans la poussière et la chaleur, les commerçants vendent des litres de chai parfumé (thé au lait sucré épicé à la cardamome), de délicieux cafés sucrés au vellam et servent des plats cuisinés à faire saliver, préparent sous les yeux des clients, chapatis et parotas (galettes non levées), pétris sur des étals en inox, où les habitués s’arrêtent volontiers. Ça sent bon, ça fait envie, mais on se l’interdit … pour l’instant !
A la suite, les quincailleries, grandes comme des mouchoirs de poche, proposent à peu près de tout. Imaginez un peu Leroy Merlin ou Castorama, ces magasins de DIY, en riquiqui. Les trottoirs servent également de vitrine et l’on y entasse tout ce qui ne peut prendre place à l’intérieur : escabeaux, échelles, tubes droits et coudés, gaines, cordages, tuyaux, … Demandez, vous aurez ! D’autres boutiques vendent tout pour la maison : services de tables en inox, en plastique, en porcelaine, des boîtes de rangement pour la nourriture, indispensables dans les cuisines, de merveilleux plats en bronze, en cuivre, typiques de l’Inde, du petit électroménager, des ventilateurs, des airs conditionnés, bon marché.
Les primeurs ont également leur place, une toute petite place. Et l’on se demande comment ils peuvent encore exister avec la concurrence des supermarchés. Là encore, ce sont les habitués du quartier, les personnes âgées qui trouvent tout près de chez elles. Et tant d’autres commerces encore ! Électricité, informatique, téléphonie, reproductions et photocopies, coiffeurs, vêtements, artisanat, fleuristes, meubles, pharmacies, laveries, réparateurs de pneus, coffee shops, … Çà et là, un sanctuaire bouddhiste ramène à la spiritualité marquée dans ce pays .
Petits sanctuaires visibles partout dans la ville
Sur les trottoirs, on trouvera des repasseurs, des repriseurs, des vendeurs de noix de cocos, mais aussi, assis par terre, des réparateurs et cireurs de chaussures, dans un monde où – presque – tout le monde vit en sandale, en tong ou marche pieds nus.
Ces noix de cocos ont une eau excellente … … et une chair tendre, un peu gélatineuse, très agréable en bouche !
Au sud de Chennai, à la recherche de petits meubles de balcon en rotin, arrêt « eau de coco » .
Elle aurait des vertus bénéfiques chez les hommes d’un « âge certain » et préviendrait de certaines maladies … à raison d’une par jour !
C’est ce que nous nous obligeons à faire !
Et enfin, dans le flot même, effrayant à certaines heures, la tête maintenue hors de l’eau et le cou sous le lourd joug de bois, de malheureux mais non moins beaux buffles, habitués à ce tohu-bohu, tirent paisiblement une charrette conduite par un vendeur de fruits (bananes, goyaves, ananas, grenades, noix de cocos), ou des transporteurs et des livreurs qui tirent et poussent à la force de bras maigres leur lourde bicyclette !
On extrait le sucre de cane pour en faire une boisson très prisée Vous voulez du régime ? Vous êtes servi.e.s !
Livraison de gaz … d’eau … de bois. On trouve des « stands » de fruits à tous les coins de rues.
Le long d’autres saignées, on ne peut manquer les magasins qui sont la signature vestimentaire de l’Inde, qui fait son identité (exacerbée, ai-je dit ?) et l’identité des Indiens, les très chics vêtements ethniques et traditionnels. Les femmes y achètent des saris, des salwar kameez (pantalons larges et longues tuniques), des lengha choli (longues jupes et blouses enserrant la poitrine) et des dupatta (voiles de modestie). Les hommes y trouvent des dhoti (bandes de tissu blanc longues de 4 à 5 mètres en coton ou en soie), des sherwani (longues chemises jusqu’aux genoux), des kurta (longues tuniques), des cheridar (large pantalon), des pyjama (pantalons étroits plissés aux chevilles et retombant sur les sandales) et enfin des ghatchola (châle en voile). Ces magasins ont pour voisins des bijoutiers-joailliers spécialisés pour la plupart dans les bijoux du Rajasthan dont la capitale est Jaïpur. Quand on voit le nombre et le luxe de ces boutiques, on se demande bien comment elles flottent dans ce raz-de-marée. T. Nagar en est le centre névralgique, mais on en compte beaucoup sur Cathedral Road, près de chez nous … et partout ailleurs !
Les petites rues sur-animées et surpeuplées de Royapettha ou de Adyar, juste passé le fleuve du même nom, écument le trop-plein d’énergie et la confusion des grosses artères encombrées. Là, on pourrait dessiner un tableau à plusieurs plans. Au centre, le serpent de mer infini. De chaque côté, les activités commerciales « de trottoir » et sur la chaussée, les vendeurs de fruits à bicyclette ou à plateau tiré par un buffle. Ensuite, à même le trottoir, les cordonniers, cireurs de chaussures, vendeurs à la sauvette de faux cuir, de montres, de ceintures, de sacs. On y trouve aussi des activités artisanales telles que la fabrication de canisses en rotin. Enfin, les échoppes et les boutiques qui s’étalent dans ce sillon, pêle-mêle. Au milieu de tout cela, des gens, allongés sur le trottoir ou assis par terre, dorment ou discutent tranquillement les pieds dans le caniveau.
Fabrication … Teinture … et vente de canisses Réparateur et cireur de chaussures

On ne s’énerve pas, mais pas très cool au volant, les Indiens !

Tout cela nous raconte l’histoire de cet État du Tamil Nadu, de cette ville et de ses habitants ; leur mode de vie, leur culture, leur(s) croyance(s), leur identité tamoule. Émerge souvent de ma mémoire, des images de l’Inde visitée en 1983, à la différence qu’aujourd’hui, la technologie a envahi l’espace public. Les rickshaws s’orientent grâce à Google maps, les taxis Uber et Ola se commandent à partir d’une application et il n’y pas plus à donner la destination au chauffeur, elle est déjà enregistrée au moment de la commande. Les plateformes de commande de nourriture en ligne Zomato et Swiggi livrent à moto des centaines de milliers de déjeuners aux employés des entreprises, y compris au Bureau de France. Tous ont au moins un téléphone portable, sinon un smartphone. Et même les plus démunis, ceux qui dorment la nuit dans la rue, sous les autoponts, en pleine lumière et à même le sol, ont un téléphone collé à l’oreille. Ils sont reliés à une réalité et à leur monde. Comme nous.

Nous attendons toujours que les autorités chennaites et delhiites se décident ! J’essaie de prendre de la hauteur, mais je ne sais pas très bien voler !!!
Que c’est bon de lire les articles de Christian le soir après le travail. Nous aurons ces merveilleux souvenirs par écrit que nous pourrons relire une fois de retour en France. Cette expérience est extraordinaire. Vos commentaires nous vont toujours droit au cœur.
Merci
Ah ! Je me réjouis du commentaire d’Eric ! Enfin, il existe et n’est pas que virtuel, mais lecteur (Approbateur ?)! Moi aussi, je me régale de tous ces détails, de toutes ces images, je visualise bien, j’ai même le goût du chaï dans la bouche, le jasmin dans le nez, les klaxons dans les oreilles, le dodelinement des indiens dans les yeux… la foule autour de moi … et je m’arrête là ! Ca vous fera de beaux souvenirs à relire oui ! Profitez bien , en attendant, de tous ces goûts et de toutes ces couleurs.
Ici, nous sommes en vacances, après la tempête Ciara.
Gros bisous à vous deux
Ça fait plaisir de te retrouver dans le blog ! Et oui, je confirme, Éric n’y est pas que virtuellement ! Et non seulement il est lecteur, mais aucun article n’a été publié sans qu’il ait eu une mise en commun (relecture, correction, modification et, enfin, approbation de concert) ! Et je suis très heureux que tu t’imbibes, tout comme nous, de tout ce qui se passe ici et autour de nous.
Nous t’embrassons fort tous les deux.