Et en avant-première : Information qui n’a rien à voir avec ce billet mais qui a l’impératif d’être communiquée. Après une attente insupportable de 5 mois, les autorités indiennes m’ont enfin accordé le 11 mars une extension de visa à entrées multiples. Les services de l’ambassade de France et l’Ambassadeur lui-même sont intervenus au plus haut niveau pour enfin clore ce dossier. J’attendais ce visa pour rentrer en France. C’était sans compter sur la dissémination du Covid-19 et de ses conséquences qui me clouent au sol. C’est vraiment la faute à « pas-de-chance » ! Nous restons en Inde, jusqu’à nouvel ordre des autorités françaises. Un développement plus détaillé sur la situation réelle en Inde et particulièrement à Chennai, suivra bientôt.
Place maintenant à mon billet « Promenades au parc ».
Il faut être déterminé à y aller, dire adieu à la grasse-matinée ou être prêt à affronter les coups de chaleur du début d’après-midi. Après tout, ça n’est qu’un parc. Pourquoi s’infliger ces contraintes ?
Une fois arrivé, il ne faut pas trop traîner, on ne peut s’asseoir sur les rares bancs placés de loin en loin car ils sont pris d’assaut. Il faut savoir que l’on est surveillé ; intérêt à la bonne conduite. Il ne faut pas faire de bruit, cela effraierait sans doute les oiseaux, réveillerait les chauves-souris endormies, perturberait la quiétude ambiante.
Quelques curiosités nous poussent pourtant à nous y rendre.
Au 1er plan, Bala admirant ce joli petit plan d’eau.
La première curiosité est la vedette du parc. C’est l’un des trois plus vieux banians de l’Inde. Cet arbre a été soigneusement mis en scène et c’est une réussite. Face à un petit plan d’eau circulaire, quatre palmiers ont les racines dans l’eau. Ils forment une petite oasis sous ces tropiques. Ils sont eux-mêmes entourés de lotus rose pâle aux larges feuilles vert tendre, phallus, lorsqu’ils sont encore en gros bouton, dirigés vers le bleu immaculé. L’ensemble est très beau. Le banian, au sud de cette esplanade circulaire, est tentaculaire. On ne sait pas où est le tronc originel tant des branches-racines se sont développées et étendues. Cet ensemble crée un paysage fantastique, rehausse son ancienneté par un portique, sans doute un assemblage, de pierres sculptées (divinités et animaux), référence à la période Chola (env. Xème siècle) devant lequel se trouve un banc de pierre. L’endroit est assez romantique. Le banian est protégé par des clôtures dégradées en raison de « l’avancée » de l’arbre. Il est également étroitement surveillé par des gardes qui se relaient sans relâche.
C’est une partie DU banian et ses ramifications. Où est le tronc originel ?
Toute cette allée en bas à droite n’est qu’en fait un seul et unique banian.
La deuxième curiosité donne son nom au parc. C’est la Société théosophique (Theosophical Society), fondée le 17 novembre 1875 à New York dont l’Inde est membre de la première heure. Le quartier d’Adyar à Chennai a été désigné pour en être le siège. Le théâtre d’Adyar, situé au cœur du parc, révèle les principes de cette société.
« Il n’y a pas de religion supérieure à la vérité »
Fondateurs de la Société théosophique
Former un noyau de la fraternité universelle de l’humanité, sans distinction de race, credo, sexe, caste ou couleur ;
Encourager l’étude comparée des religions, des philosophies et des sciences ;
Étudier les lois inexpliquées de la nature et les pouvoirs latents dans l’homme, sont ses trois buts.
Adhésion de l’Inde en 1891, de la France en 1899 et de la Bulgarie en 1920.
Ses trois vérités :
« Le principe qui donne la vie habite en nous et hors de nous ; il est immortel et éternellement bienfaisant. Il ne peut être vu ni entendu mais celui qui aspire à le percevoir le perçoit. »
« L’âme de l’homme est immortelle, et son avenir est d’une gloire et d’une splendeur sans limites. »
« Une loi divine de justice absolue, le karma, gouverne le monde, en sorte que chacun est en vérité son propre juge. […]
Bon, on arrête là sur cette sec … Oups ! société théosophico-prise-de-tête ! Mais enfin, c’est l’intérêt de cette pensée qui compte et l’initiative est louable, n’est-ce pas ?
Piet Mondrian, Vassily Kandinsky, W.B. Yeats, G.W. Russel, Thomas Edison ou Camille Flammarion en ont été d’illustres membres.
Théâtre d’Adyar au coeur du parc.Vue d’ensemble du théâtre et réfection du jardin et de la fontaine
Le foyer suranné du théâtre enferme toujours les vestiges de l’époque coloniale avec ses sièges en rotin et ses lustres en bronze de style indo-européen.
La troisième curiosité est la bibliothèque. Au rez-de-chaussée de ce bâtiment, une toute petite salle contient, lorsqu’on a la chance de la visiter, des manuscrits sur feuilles de palmiers, bambous, laques, de textes sacrés très anciens, fondateurs de l’hindouisme. Certains ouvrages sont si petits qu’il faut une loupe pour distinguer la minutie de ses écritures. Ces ouvrages sont écrits en javanais, sanskrit, tibétain, lepcha (dérivé du tibétain) et en birman.
Enfin, la dernière curiosité est le parc lui-même. Que l’on fasse le choix de la visite au pas de course ou préférer n’en voir qu’une partie (8h30-10h00 et 14h00-16h00 sauf week-ends et jours fériés), cet écrin de verdure, cette goulée d’oxygène est un espace de calme et un havre de paix dans la ville. Malheureusement, la tempête de 2016 a fait beaucoup de mal à la végétation, couchant et brisant de nombreuses essences. On y trouve de nombreux banians, des palmeraies, des tecks, des cotonniers sauvages d’Inde, des margousiers (neem trees), des arbres à pluie (rain trees), pour les essences les plus remarquables. Les noix de coco broyées servent d’engrais. Les massifs fleuris sont entretenus. Il y règne une atmosphère de quiétude, on se sent hors de tout, un sentiment de bien-être nous enveloppe. Lors de ma seconde visite, j’étais seul (à la première, j’étais avec Bala). J’ai pris mon temps, je n’étais pas pressé, juste heureux d’être là. Une véritable sensation de lâcher prise m’a envahi, bien-être du moment présent, entouré de tous ces arbres, à l’écoute des oiseaux, admirant stupéfait le repos agité des chauves-souris pendues aux arbres, tête en bas, ou croisant le pas du personnel travaillant ici. Quelques bâtiments jalonnent le parcours, quelques temples semblent délaissés.
Neem tree – Margousier
Cotonnier côtier d’Inde
Tronc du teck
Mais il faut regarder l’heure sans cesse et il est temps de partir. Sur le chemin du retour, je propose à Bala de boire une eau de coco mais il aura opté pour une variété que je ne connaissais pas. Les petites noix qui ont l’air sec contiennent une pulpe solide, assez grasse – on en fait de l’huile – blanche, spongieuse, de faible densité et bien évidemment, avec des vertus ayurvédiques incontestables (pour les reins et la prostate …). Nouvelle expérience gustative !
Après quoi, un bon café en terrasse a conclu ce délicieux après-midi.
Cher.e.s ami.e.s et familles, l’actualité m’a obligé à modifier le rythme des publications ; la dernière datant du 6 mars, comme me l’a justement rappelé notre amie Cécile. Cela me fait plaisir, car, malgré tout cela, certain.e.s attendent encore mes posts ! Je ne vous ai pas oubliés. Je n’ai pas été négligeant. Juste indisponible. Préoccupé par la situation et des effets – ravageurs – à venir de la pandémie en Inde. 1 300 000 000 d’habitants… Ça laisse rêveur, si je puis me permettre ce trait léger !
Je vais continuer à écrire, à publier sur le blog. Mais les sorties étant impossibles maintenant, je n’aurai plus grand chose à vous montrer de cette ville, de cette région. Ah ! le bon temps de mes déambulations, de mes découvertes de lieux extra-ordinaires, des contacts avec les gens si souriants ! C’est fini pour un temps ! Il me reste toutefois sous le coude quelques articles à écrire. Je les publierai donc. Rêver, s’évader, voyager en ces temps de confinement, pourquoi vous en priverais-je ? Et pour ne pas abandonner notre projet d’écriture qui fait le lien entre vous et nous, je « rendrai compte » de notre situation et de notre vie à Chennai. Rien d’excitant, rien d’exceptionnel ni d’intéressant. Juste vous donner de nos nouvelles et continuer à faire travailler mes neurones. Et peut-être, qu’à travers vos commentaires, nous pourrions nous rapprocher, échanger des idées de recettes, d’activités, d’informations et de visites culturelles virtuelles, se former (MOOC), s’informer … Un « Où sortir en restant chez soi ? »
Nous sommes en guerre, a martelé notre président. L’Inde a mis le temps. Après l’annulation des vols à destination de l’Inde, face à l’avancée de la pandémie, le gouvernement de Modi a pris, enfin, le taureau par les cornes. Mercredi 25 mars, nous sommes confinés, c’est le lockdown. Les mesures sont celles que tout le monde connaît.
Couvre-feu national dimanche 22 mars de 7h à 21h. Vues de Chennai. C’est méconnaissable !
Éric travaille toujours au Bureau de France. Il fait partie de la cellule de crise du consulat de Pondichéry. Il doit être disponible, joignable 24/24. Son téléphone est toujours à portée de main. Nos échanges, nos soirées sont toujours interrompues par des messages, des appels, des directives et mises en place d’actions par la consule générale. Éric est concerné par le recensement des étudiants, assistants, jeunes en échange scolaire dans le sud de l’Inde au moment où le président Macron parle de rapatriement. Une partie de ces jeunes est rentrée en France. Et il a fallu, il faut maintenant s’inquiéter des ressortissants français, voyageurs, touristes, artistes du festival des Francophonies de Pondichéry sur lequel il travaillait depuis plusieurs mois, annulé. L’annulation également des vols a contribué à faire monter d’un cran la panique, l’agacement, voire l’agressivité de certains. Mais que fait la France ??? C’est ce que l’on peut lire sur les réseaux sociaux. Ah ! la critique est facile. On ne voit pas ce que font les « petites mains » derrière tout cela pour faire en sorte que cela s’arrange pour ces gens ! Etre disponible jours et nuits, week-ends compris pour négocier avec les hôteliers, l’administration aéroportuaire, s’assurer que les vols sont maintenus, en trouver d’autres si ce n’est pas le cas. Conduire, accompagner physiquement tous ces groupes, chacun ayant une histoire particulière (enfants en bas âges, maladies, séparation …), une bonne raison de rentrer, n’ayant pas assez d’argent pour régler son billet. Pour tout ce monde-là, le consulat répond présent, l’état français avance les frais. Rien ne se voit, tout finit par se régler. Les « petites mains » retournent travailler après quelques heures de sommeil, toujours disponibles. Et je suis inquiet, bien entendu, de savoir Éric, même en portant un masque, être en contact (distant, soit) avec « les autres ».
Moi j’ai eu mon lot de contacts également. J’ai profité d’avoir encore notre chauffeur pour aller faire des courses. Rassurez-vous, je n’ai pas dévalisé les magasins en papier toilette. Un paquet d’avance, de l’eau, un peu de riz et de pâtes, quelques boîtes de poissons et de sauce tomates (oui, je sais, c’est mon côté Rital, là !). Sans voiture, ça ne va pas être évident ! Heureusement, le primeur est à 10 minutes de marche de l’appartement. Les magasins d’alimentation restent ouverts. Mais le monde et la promiscuité pendant les achats m’ont rendu assez nerveux. Je porte mon masque, contrairement à la grande majorité des Indiens. Imaginez un attroupement aux caisses. J’en ai fait des réflexions, remis des gens à leur place, leur demandant de ne pas me toucher, d’aller tousser ailleurs, de me laisser de l’espace, de ne pas me passer devant effrontément ! Je suis bien content d’être confiné, je me sens en sécurité. Maintenant, je suis en charge de garder l’appartement propre, puisque nous n’avons plus notre « house maid« . 180m2, c’est grand ! Et il fait chaud ! Et puis, sans vouloir alimenter mon côté anxieux (ou concerné) du moment, je n’en désinfecte pas moins les plans de travail dans la cuisine, les poignées de portes, les sols, la salle de douche. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais je suis et c’est ainsi !
Les journaux français ont beaucoup écrit sur la situation en Inde. On a pu lire notamment que ce pays était une bombe à retardement. A voir ce que j’ai indiqué plus haut. Je ne parle pas de sa population mais de sa surpopulation … Et l’on ajoute des facteurs aggravants ; la misère et la pauvreté, le manque d’hygiène, l’inconscience des Indiens, l’impossibilité des structures hospitalières à recevoir le tsunami qui va déferler. On sait que la priorité des soins sera donnée aux Indiens. Un sentiment anti-blanc a vu le jour dans le Kérala voisin, frappé de plein fouet par l’épidémie. L’état est en alerte rouge et est bouclé. Tout est fermé. On s’est « débarrassé » des touristes étrangers. Tout se monde a afflué à Chennai puisque c’est ici qu’est l’aéroport international. Et c’est le consulat qui s’est occupé et a géré tout ce monde-là ! La boucle est bouclée !
J’entends les oiseaux. Ou plutôt, je n’entends plus que les oiseaux. La ville résonne bien encore un peu du bruit d’une circulation en sourdine – on ne klaxonne même pas aujourd’hui ! Demain, le lockdown prend effet. Nous serons tous confinés sauf exceptions avec justificatif. Éric en a un officiel, moi, pas. Les gens ont une dernière journée pour s’organiser et je suis bien content de ne pas avoir à me rendre dans les petits supermarchés pour des courses de dernières minutes. Acheter quoi, du papier toilette ? La circulation n’est réservée qu’aux véhicules indispensables ; police, ambulances, pompiers, ainsi qu’aux véhicules officiels. Le consulat a mis à disposition une voiture diplomatique pour faire le taxi des agents du Bureau de France. Moi, je n’ai que mes pieds pour marcher …
Il est 14 heures et je vais déjeuner. Prenez bien soin de vous et de ce.ux.lles que vous aimez. A bientôt de vous lire. Nous pensons bien à vous. Nous vous embrassons.
L’échange a été éprouvant mercredi matin pour nous deux. Kamala est arrivée une fois de plus très en retard – la goutte d’eau qui a fait déborder le vase – et je lui ai réservé un accueil glacial à la place de mon habituel bonjour plutôt avenant.
Pendant plus de trente minutes, devant un café refroidi, assise sur le bord du canapé, presque en équilibre, le visage mouillé de larmes qu’elle ne pouvait plus contenir et ses tentatives d’excuses (c’est la faute du bus qui ne vient pas, c’est la faute à la circulation), j’ai joué le mauvais rôle, arguant que ma confiance en elle était trahie. Père fouettard !
Elle faisait peine à voir mais je ne savais pas encore tout. Ignorant. Mon mode de pensée occidentale, formaté, standardisé et ma réaction à fleur de peau m’ont aveuglé, outragés que nous nous sentions par son attitude apparemment désinvolte, détachée, indifférente et distante. Elle ne voulait pas être brisée.
Le lundi, elle avait formulé une demande de prêt de 30 000 roupies (360€) pour payer l’école de son fils. Les écoles publiques sont payantes alors que les écoles gouvernementales, de moins bonne qualité, sont gratuites. Mais, et c’est tout à son honneur, elle souhaite donner une meilleure éducation à ses enfants. Cette somme était-elle bien destinée à cela, s’était-on alors inquiétés ? N’allait-elle pas décider de nous quitter après avoir reçu cet argent ? Quelles garanties pouvait-elle nous fournir ? Nous ne pouvions en avoir aucune, bien évidemment. Suspicion !
Toujours une première posture de non-confiance, de prudence, de réserve, de repli sur soi, alors que je lui demandais comment nous pouvions lui faire confiance dans ces conditions ? Et de me le prouver. Pauvre de moi ! Un raisonnement sens dessus-dessous, sans sens.
Kamala a cependant menti sur un point. Elle a plutôt caché sciemment un fait. C’est Bala qui a finalement eu le fin mot en lui arrachant les vers du nez. Et elle a nié tant qu’elle a pu, la pauvresse.
Kamala ne vit pas avec ses parents à Chennai avec ses deux petits garçons de 2 et 6 ans. Elle ne rentre pas au village dès le vendredi soir jusqu’au lundi matin comme elle me l’avait dit. Elle vit avec son mari au village, à 1h30 en train de Chennai. Il lui faudra ajouter plus d’une heure de transports en commun pour arriver chez nous. Et l’on connaît l’état de la circulation dans cette ville. Elle prend le train tous les matins à 7 heures. Elle commence son service chez nous à 10 heures.
Lorsqu’elle est trop fatiguée après le travail, sans énergie pour faire le trajet inverse, elle s’offre le luxe de passer la nuit chez ses parents à Chennai. Très occasionnellement. Cela fait toute la différence. Cependant, un soir, elle a dû repartir au village car son tout-petit voulait sa maman … Son mari lui avait demandé de rappliquer dare-dare ! A quelle heure était-elle arrivée chez elle la veille ? Dans la nuit ? Il va sans dire qu’elle n’avait pas pu venir travailler le lendemain. Cette jeune femme de 35 ans, toute menue, est déjà fatiguée par son mode de vie, écrasée par toutes ces contraintes.
La vie au village lui plaît. La famille de son mari possède une petite ferme, des arbres fruitiers. Son mari cultive la terre et cela les rend auto-suffisants. Mais ils ont besoin d’argent et c’est elle qui le rapporte au foyer.
Concernant sa demande de prêt, puisque c’est comme cela que Kamala l’envisage, elle m’a montré ce matin le reçu de l’école. Elle a bien un semestre de retard impayé pour un total de 30 495 roupies (365€). C’est bien de cette somme dont elle a besoin. Elle n’a pas menti.
S’investir dans une œuvre humanitaire à caractère éducatif ou contribuer à l’éducation du fils de notre femme de ménage, quelle différence ? Le but n’est-il pas le même ? Peut-on faire l’impasse sur ce qui nous touche directement ?
La différence est que nous connaissons Kamala et cela rend l’action directement plus humaine. Finalement, nous envisageons de ne lui demander qu’un remboursement partiel pour cette 1ère année et de payer la totalité les années suivantes. Mais ça, elle ne le sait pas encore.
Kamala ne veut pas changer ses horaires de travail comme je le lui ai proposé. Elle tient à conserver le même salaire, bien entendu, ce que je comprends.
Je pense, au moment où j’écris ces lignes, que nous devrons adapter nos points de vue et penser en mode indien afin de discerner autrement. L’histoire de Kamala est notre première épreuve.
Comme pour les autres articles décrivant des lieux qui m’ont touché, surpris, bouleversé, chamboulé, ou ému, ceux pour lesquels je ne reste pas insensible, je vais tenter de rendre celui-ci aussi vivant que l’est le district de Mylapore. Pour rappel, notre quartier, C.I.T Colony, se situe dans ce district. Il y a une foulitude de districts de Chennai à l’exemple de Egmore, Nungambakkam, Triplicane, Adyar, Besant Nagar, T. Nagar, Anna Nagar, George Town, Rapuram, Velachery, etc … Voici donc mes impressions comme je les ai vécues, pas seulement de mémoire (la mienne pourrait être altérée, diraient certains !), mais en étant au milieu de la foule toujours mouvante comme les courants et les marées, dans la bousculade et la promiscuité, au milieu des sourires ou des mines renfrognées, des poses photos, des invitations à boire le thé, à répondre aux mêmes questions, à essayer de les comprendre, pour in fine vous en rendre compte le plus fidèlement possible. Et puis, l’exactitude des faits, même si je ne sors jamais sans mon petit carnet vert dans lequel je prends des notes ou rédige à chaud, toujours sous les regards curieux des passants, dépend des images qui me restent dans la tête. Tout est question d’interprétation, ce sera ma vérité !
Difficile de résister à acheter les lotus …
Commençons par zoomer large. Voici une vue satellite de l’Inde du sud et de l’état du Tamil Nadu. Éric a pour secteur de travail tout ce sud et ses cinq états que sont le Kerala, le Karnataka, l’Andhra Pradesh, le Télangana et le Tamil Nadu. Chennai est la capitale de ce dernier et se situe géographiquement tout au nord de l’état sur la côte est du golfe du Bengale. Pour qui serait intéressé par un séjour en Inde, Chennai n’offrirait pas plus de 2-3 jours de visite. Elle a un caractère plus caché, à découvrir lentement. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’elle est sensuelle mais elle a besoin que l’on prenne du temps. Nous sommes loin des villes comme Delhi, avec ses vestiges de l’Empire moghol et sa vieille ville grouillante et bouillonnante, Mumbai, centre du cinéma Bollywood ou Kolkata, ville culturelle de l’Inde. Non, je le redis, Chennai n’est pas une ville attirante malgré le Fort Georges construit à la période de la Compagnie britannique des Indes orientales (XVIIème siècle) malheureusement dénaturé, les quelques églises catholiques, anglicane, arménienne, écossaise, ou les quelques temples hindous qui n’égalent pas ceux de Kanchipuram ou Mamallapuram. A noter cependant, et c’est amusant, que l’église anglicane, au sein du fort Georges, St Mary (புனித மேரி தேவாலயம்) est le plus ancien bâtiment britannique de l’Inde et est communément appelée « l’Abbaye de Westminster de l’est » et l’église St Andrew (the Kirk) dédiée à la communauté écossaise (புனித அந்திரேயா கோவில்) a pris, quant à elle, pour modèle St-Martin-in-the-Field à Londres. Voilà pour les références !
Mylapore est un district aisé selon les quartiers, et traditionnel qui abrite plusieurs sites sacrés et lieux culturels, notamment le temple de Kapaleeshwarar, avec sa porte tour (gopura), tout en sculptures et en couleurs ; Luz church, datant de l’époque coloniale portugaise ainsi que la basilique Saint-Thomas de Chennai, au style gothique, bâtie sur le lieu de sépulture de saint Thomas. La Madras Music Academy, à l’angle de notre carrefour, accueille des concerts et des spectacles de danse populaires. Mylapore est un centre historique, religieux et commerçant. On y trouve tous les articles en lien avec les temples mais aussi bon nombre de restaurants, vaissellerie et articles de cuisine en métal, paniers en osier ainsi que les incontournables magasins de vêtements et de joaillerie.
Voilà le district de Mylapore
Cantine Shri Larpagambal où l’on mange sur des feuilles de bananiers
Avec Claire et Lydia
A déambuler dans les temples, je remarque que les Indiens ont les pieds larges et trapus et aux doigts courts et écartés. Bien plantés dans le sol. Des pieds de gens de la terre. Ce sont des terriens. Les femmes portent des bagues à certains orteils. Ils ont le corps souple et flexible, quel que soit leur âge ou leur corpulence. Ils peuvent s’asseoir en tailleur les deux genoux touchant le sol, le dos bien droit. Ou bien être assis les deux jambes tendues dans une position qui semble si naturelle comme j’ai pu le remarquer chez ces femmes qui enfilaient des fleurs de jasmin en guirlandes pour le temple. Elles faisaient également des bouquets de feuillage à offrir à Shiva. Auraient-ils une constitution différente de la nôtre avec des articulations plus souples ou pratiquent-ils le yoga depuis le plus jeune âge ? Moi, je ne tiendrai pas 10 minutes sans commencer à gesticuler !
Je suis devant le temple de Kapaleeshwarar au cœur de Mylapore. Le centre historique et spirituel. Il y règne une ambiance de ferveur, le temple est bondé de 9h30 à midi et de 16h00 à 21h00. Les brahmanes bénissent à la chaîne. Les files s’allongent, les offrandes de fleurs et d’argent sont généreuses. Des dizaines de coupelles à huile sont allumées devant les sanctuaires. Cependant, interdiction absolue de prendre les divinités en photos et l’on est surveillé !
Kapaleeshwarar temple
Vache sacrée à l’entrée du temple. Personne ne la bouscule. On ne peut que la vénérer et on n’est pas vénère …
Il est 16h00 et le temple vient juste d’ouvrir. Deux militaires se déchaussent à l’entrée. Sont-ils de service ? On est accueillis par une demande de dons. Un grand drap est tendu dans lequel il y a déjà beaucoup de billets de 10, 20 et 50 roupies. Je suis pieds nus moi aussi. Le sol, fait de larges pavés de grès gris, est chaud. C’est agréable mais je ressortirai avec la plante des pieds sale.
En prière avant d’atteindre le sanctuaire
Des files de fidèles attendent avant de pouvoir approcher les sanctuaires. Ça ne fait rien, on ne perd pas son temps et on prie à bonne distance, ce qui me permet de photographier. Ils passent autour de moi qui me tiens debout en train d’écrire au milieu de cette foule. Ils font comme si je n’étais pas là, m’évitant à peine. Ils parlent tout près de mon oreille. Beaucoup fréquentent les temples ; beaucoup de vieux et de jeunes, on y vient en famille, en groupes, des jeunes filles en uniforme. Tous portent les marques sur le front : blanc, jaune, rouge.
Ils sont patients !
Dans un coin, il y a une fontaine en inox d’eau purifiée avec un gobelet en métal. On y vient boire, les lèvres ne touchent pas le gobelet. On s’asperge les pieds, on se purifie. Juste à côté de la fontaine, une femme, au visage jaune enduit de poudre de turméric, vend des coupelles en terra cotta, des mèches et de l’huile. J’ai demandé à Bala la signification du visage « jaune ». Les femmes qui ont marié un enfant souhaitent ainsi force, puissance et persévérance au mari afin de féconder son épouse. Mais Bala n’est pas fortiche en croyance. Il croit simplement … Il est assez approximatif !
Beaucoup achètent la coupelle, l’huile et les mèches et assemblent eux-mêmes tout cela.
Ici aussi, je n’aurai pas accès au saint du saint, je ne verrai pas Shiva car je suis un non-hindou. Ça sent la nourriture. Les gens s’installent par terre et commencent à manger la nourriture sacrée ; elle aussi est couleur safran.
Une femme distribue de l’eau d’une petite bouteille en plastique. Cette eau est blanche et odorante, qu’y a-t-il dedans ? Un attroupement se forme autour d’elle. La femme, qui ne se distingue en rien des autres femmes, verse un peu de ce liquide dans le creux de la main de qui la lui tend. Ceux qui la reçoivent, en boivent une partie et versent le reste sur leur tête ; j’appelle cela de l’auto-bénédiction !
Dans la grande galerie, les gens sont assis par petits groupes, très peu sont seuls. Une vieille femme dort à mes pieds, enveloppée dans un joli sari. Elle a l’air paisible, le bruit, les mouvements ne la gênent pas. Quelle capacité ont-ils à dormir à même le sol, n’importe quand, n’importe où !
La grande galerie
Je ne comprends pas tous les rituels que j’observe. Les brahmanes sont très occupés. Ils reçoivent des offrandes et offrent en retour. Fleurs pour fleurs, nourriture pour nourriture, mais l’argent ne va que dans un sens. Après tout, les temples, donc les brahmanes, ne vivent que de dons. Et l’on sait à quel point les temples sont puissants … et influents ! Celui devant moi, un trentenaire, a les bras tatoués, un bon visage grassouillet qui ne manque pas de charme, de magnifiques cheveux longs et brillants retenus en un petit chignon et il a de gros tétons (Oups ! Blasphémé-je ?). Il accumule les billets sous son ventre. Devant lui, la foule est de plus en plus dense. L’attire-t-il ?
N’est-ce pas qu’il a un gros ventre rempli de billets cachés ?
Je quitte maintenant le temple pour voir l’activité autour. Le quartier vivant est composé de nombreux restaurants, de vendeurs de rues, de magasins de toutes sortes. Et la circulation est toujours aussi folle, infernale ! Et jour-là, le quartier est d’autant plus bruyant et animé que c’est le jour de Shiva. On est vendredi, ce n’est pas un bon jour pour Bala qui voit d’un mauvais oeil mon envie de découverte au milieu de cette circulation, mais, de mon point de vue, égoïstement, c’est génial et très inspirant ! Les rickshaws sont partout. Ils sont en grande partie responsables de ce chaos parce qu’ils s’arrêtent absolument n’importe où. Les stands de fruits embaument le fruit du jacquier dont c’est la saison, mais ils encombrent la circulation également. J’en vois se faire méchamment déplacer par la police qui ordonne de dégager plus loin. Ainsi, on cache juste la poussière sous le tapis ! Les motos et les scooters vous rouleraient presque sur les pieds pour passer. C’est juste fou !
Aux abords du temple, on vend dans des coupes, une noix de coco, quelques bananes et des fleurs. C’est une jolie composition. C’est une offrande. Toutes les fleurs à offrir sont magnifiques et très fraîches. Cela sent le jasmin, longs serpents dociles enroulés sur eux-mêmes, endormis.
J’arrive au bassin aux ablutions, à l’arrière du temple, entouré de clôture. Dans la ruelle qui y accède, tout passe et là aussi, des petits stands de tout … Du côté temple, des vendeurs de fleurs, du côté bassin, une armada de deux roues en stationnement. Une cloche sonne. Quelle en est la signification ? Elle n’indique pas l’heure. De ce côté du temple, les plus précautionneux laissent leurs sandales au garde-chaussures moyennant quelques roupies. Dans cette ruelle, des mendiants, des unijambistes, des estropiés, tous assis par terre mendient sans parler, sans tendre la main, mais en portant une main à la bouche, « j’ai faim », ou « donnez-moi à manger ».
Pas un regard pour ce garçonnet qui achète des fleurs …
Au royaume des dévots, le kitsch est roi !
Un groupe de jeunes lycéennes achète des tresses de fleurs qu’elles mettent à leurs cheveux. C’est beau et ça sent bon.
Beaucoup d’hommes portent le dothi blanc. Ils font partie de la caste supérieure des brahmanes.
Les stands de fleurs sont tenus par de jeunes hommes. Ils confectionnent les guirlandes. Ces choses si fragiles sont manipulées avec dextérité, adresse mais également avec vigueur sans jamais endommager les fleurs qui se laissent enserrer autour du rafia et les maintiendra ainsi plusieurs heures.
Ce jour-là, le retour sera chaotique, la circulation effrénée. On roule au pas, les motos sont dans tous les sens. Il n’y a plus de règles de conduite. En cette fin de journée, les vendeurs de rues se sont étalés sur les trottoirs, le long des caniveaux. Les fruits et les légumes ont l’air frais et ça sent le fruit du jacquier que les vendeurs épluchent, mettant la chair jaune à nue, filandreuse, soyeuse mais non juteuse.
Non loin de Kapaleeshwarar, le temple universel de Sri Ramakrishna Math (le Math est un ordre monastique qui prêche l’unité fondamentale de toutes les religions) est un bel édifice rose entouré d’un très beau jardin fleuri. Et l’endroit est juste paisible, reposant en dehors du tumulte de la ville.
Un peu plus au sud, on trouve la cathédrale basilique San Thome. C’est un bel édifice impressionnant par sa taille et la blancheur exarcerbée par le soleil. Bâtie par les Portugais en 1523, elle fût « dénaturée » par les Britanniques en 1896 en un style néogothique, où « néo » a toute sa signification.
Enfin, plus près de chez nous, Luz Church, Notre-Dame-de-la-Lumière, est une jolie petite église bâtie elle aussi par les Portugais en 1516 et qui a gardé son architecture d’origine. C’est le plus ancien bâtiment européen de Chennai.
L’arrivée des bénédictins. Ils reçoivent la lumière. Ils construisent cette église dédiée à Notre-Dame
Autour de ces deux édifices religieux de confession catholique et entourés de palmiers, il y a peu de mouvement. Les endroits sont très calmes et tranquilles, je dirai même désertés. A l’intérieur de ces lieux de culte, on peut voir quelques fidèles en prière fervente. L’adoration des images pieuses n’est pas sans me rappeler les pratiques de l’église orthodoxe où les fidèles baisent les pieds des images pieuses et des statues de saints. Cependant, la gestuelle est un peu celle des hindouistes.
Sortis de ces lieux vivants, bruyants ou calmes et reposants, nous rejoignons les grandes avenues, c’est déjà plus respirable et la circulation y est un peu plus fluide. Ça pétarade, ça klaxonne, ça débouche de partout. Tout cela est Mylapore, et tout ça pour moi, c’est l’Inde.