L’échange a été éprouvant mercredi matin pour nous deux. Kamala est arrivée une fois de plus très en retard – la goutte d’eau qui a fait déborder le vase – et je lui ai réservé un accueil glacial à la place de mon habituel bonjour plutôt avenant.
Pendant plus de trente minutes, devant un café refroidi, assise sur le bord du canapé, presque en équilibre, le visage mouillé de larmes qu’elle ne pouvait plus contenir et ses tentatives d’excuses (c’est la faute du bus qui ne vient pas, c’est la faute à la circulation), j’ai joué le mauvais rôle, arguant que ma confiance en elle était trahie. Père fouettard !
Elle faisait peine à voir mais je ne savais pas encore tout. Ignorant. Mon mode de pensée occidentale, formaté, standardisé et ma réaction à fleur de peau m’ont aveuglé, outragés que nous nous sentions par son attitude apparemment désinvolte, détachée, indifférente et distante. Elle ne voulait pas être brisée.
Le lundi, elle avait formulé une demande de prêt de 30 000 roupies (360€) pour payer l’école de son fils. Les écoles publiques sont payantes alors que les écoles gouvernementales, de moins bonne qualité, sont gratuites. Mais, et c’est tout à son honneur, elle souhaite donner une meilleure éducation à ses enfants. Cette somme était-elle bien destinée à cela, s’était-on alors inquiétés ? N’allait-elle pas décider de nous quitter après avoir reçu cet argent ? Quelles garanties pouvait-elle nous fournir ? Nous ne pouvions en avoir aucune, bien évidemment. Suspicion !
Toujours une première posture de non-confiance, de prudence, de réserve, de repli sur soi, alors que je lui demandais comment nous pouvions lui faire confiance dans ces conditions ? Et de me le prouver. Pauvre de moi ! Un raisonnement sens dessus-dessous, sans sens.
Kamala a cependant menti sur un point. Elle a plutôt caché sciemment un fait. C’est Bala qui a finalement eu le fin mot en lui arrachant les vers du nez. Et elle a nié tant qu’elle a pu, la pauvresse.
Kamala ne vit pas avec ses parents à Chennai avec ses deux petits garçons de 2 et 6 ans. Elle ne rentre pas au village dès le vendredi soir jusqu’au lundi matin comme elle me l’avait dit. Elle vit avec son mari au village, à 1h30 en train de Chennai. Il lui faudra ajouter plus d’une heure de transports en commun pour arriver chez nous. Et l’on connaît l’état de la circulation dans cette ville. Elle prend le train tous les matins à 7 heures. Elle commence son service chez nous à 10 heures.
Lorsqu’elle est trop fatiguée après le travail, sans énergie pour faire le trajet inverse, elle s’offre le luxe de passer la nuit chez ses parents à Chennai. Très occasionnellement. Cela fait toute la différence. Cependant, un soir, elle a dû repartir au village car son tout-petit voulait sa maman … Son mari lui avait demandé de rappliquer dare-dare ! A quelle heure était-elle arrivée chez elle la veille ? Dans la nuit ? Il va sans dire qu’elle n’avait pas pu venir travailler le lendemain. Cette jeune femme de 35 ans, toute menue, est déjà fatiguée par son mode de vie, écrasée par toutes ces contraintes.
La vie au village lui plaît. La famille de son mari possède une petite ferme, des arbres fruitiers. Son mari cultive la terre et cela les rend auto-suffisants. Mais ils ont besoin d’argent et c’est elle qui le rapporte au foyer.
Concernant sa demande de prêt, puisque c’est comme cela que Kamala l’envisage, elle m’a montré ce matin le reçu de l’école. Elle a bien un semestre de retard impayé pour un total de 30 495 roupies (365€). C’est bien de cette somme dont elle a besoin. Elle n’a pas menti.
S’investir dans une œuvre humanitaire à caractère éducatif ou contribuer à l’éducation du fils de notre femme de ménage, quelle différence ? Le but n’est-il pas le même ? Peut-on faire l’impasse sur ce qui nous touche directement ?
La différence est que nous connaissons Kamala et cela rend l’action directement plus humaine. Finalement, nous envisageons de ne lui demander qu’un remboursement partiel pour cette 1ère année et de payer la totalité les années suivantes. Mais ça, elle ne le sait pas encore.
Kamala ne veut pas changer ses horaires de travail comme je le lui ai proposé. Elle tient à conserver le même salaire, bien entendu, ce que je comprends.
Je pense, au moment où j’écris ces lignes, que nous devrons adapter nos points de vue et penser en mode indien afin de discerner autrement. L’histoire de Kamala est notre première épreuve.
Les écoles gouvernementales sont-elles si mauvaises que cela ?
Quelques modifications dans l’article te donneront des réponses mais il est vrai que les écoles gouvernementales, faute de moyens, ne peuvent offrir qu’un enseignement relativement médiocre.
C’est touchant; ça me parle. On apprend comme ça, par ces expériences humaines. On finit par mettre nos principes de côté et on apprend à s’assouplir dans des conditions différentes de chez nous ! Bravo et merci. Gros bisous à vous deux.
Merci pour ce commentaire touchant. Gros bisous et excellent week-end.
C’est toute en émotion que je salue votre décision …
Le premier mot qui me soit venu après cette lecture est » Humanité » , alors Bravo!
Je vous embrasse
Merci ma Syl !
Nous t’embrassons.