« Comme ils disent »

D’après la chanson « Comme ils disent », Charles Aznavour

Référence d’archive : https://www.youtube.com/watch?v=-4-zC8WtwBw

J’habite seul avec Éric dans un grand appartement chic, à Mylapore.

J’ai pour me tenir compagnie, liseuse, tablette et un ordi, je les adore.  

Pour ne pas Éric surmener, très souvent, je fais le marché et la cuisine.

Je range, il lave, j’essuie, la lessive je fais aussi, tu t’imagines !

Le ménage ne me fait pas peur et en bon organisateur, j’ai ma logique.

Je récure la cuisine, oui ! Je dépoussière les meubles, aussi.  Faut que j’astique.

Puis je balaie toute la maison, je lave les sols. Désinfectons ! L’eau d’Javel pique.

Et dans le marbre je vois que ça brille, me reflète parce que, on est confinés, comme ils disent.

Vers les 13 heures, j’ai un peu faim. Je déjeune de trois fois rien. Je garde la ligne.

Le petit fauteuil en rotin sur le balcon, comme je suis bien ! Je le souligne.

En ville, l’air n’est plus pollué, la circulation, terminée ! Plus de galère !

Mais soudain un rickshaw accourt, pétaradant comme aux vieux jours d’avant cette ère !

Dans la rue des gens très pressés reviennent les paniers chargés de nourriture.

J’y vais aussi car c’est mon jour. Non loin de là, au fond d’une cour. Quelle sinécure !

Grâce à Claire avec son scooter, les magasins, ça me fait peur. Quelle sottise !

L’après-midi, je fais ma vie ; Yoga, je lis et puis j’écris, même confinés, comme ils disent.

A l’heure où j’écris ces mots, c’est calme, non, il y a les oiseaux qui crient et piaillent.

Je pense à nous, à vous aussi, si loin de nous et nous ici. Quelle pagaille !

Je regarde tout autour de moi. Oh ! Que c’est beau mais je vois ma maison charmante.

Car elle me manque du feu de dieu. Le grand jardin est radieux. Elle m’enchante !

Dans notre quartier nous sommes bien. Pas d’inquiétude, de tourment, rien. Pas d’anxiété.

Le ciel est bleu, le vent est chaud. Toute la journée, les ventilos tournent sans s’arrêter.

Nul n’a le droit en vérité de sortir, bandes organisées, et je précise

Que c’est bien la nature qui, dit-on, est responsable, si on est confinés, comme ils disent.

Nous oserons, peut-être, une version enregistrée … aux risques et périls de vos oreilles ! Est-ce que le ridicule tue ?

La musique et la danse adoucissent …

Un dimanche d’avant. Déambulations au marché de l’artisanat d’Inde du sud à la fondation Kalakshetra, cette même fondation qui promeut la danse traditionnelle par de merveilleux spectacles lors du festival en décembre-janvier (relire article « Ce soir, on danse ! » du 6 janvier 2020).

Nous sommes avec Claire. Elle commande un taxi Uber depuis son smartphone et comme d’habitude, nous l’attendons car le GPS ne l’amène pas directement devant Rena Apartments. Il faut trouver une bonne âme – indienne – pour le coup de fil nécessaire afin de télé-guider le chauffeur jusque chez nous. Il arrive enfin un peu confus. Je monte à l’avant. Il est plutôt beau garçon, son visage est doux et le petit plus qui le rend attachant, est qu’il n’exagère pas sur le klaxon ! Le trajet durera une trentaine de minutes jusqu’aux environ de la fondation. Mais, à nouveau, le GPS ne répond plus et le pauvre jeune homme est obligé de s’arrêter plusieurs fois pour interroger (?) son GPS, puis il demandera à voir celui de Claire, enfin, il s’arrêtera pour demander aux passants. Nous tournons en rond, nous sommes aux alentours de la fondation mais pas devant l’entrée principale.

Pas d’énervement. La course se prolonge malgré le fait que l’ordinateur de bord n’en ait décidé autrement ! Enfin devant l’entrée principale, le chauffeur nous débarque avec soulagement, un grand sourire pour appuyer sa gentillesse et sa bonne volonté et nous lui glissons une rallonge à sa course, non comptée dans le prix initial. Il apprécie.

Sur le portail de la fondation, un panneau annonce la manifestation de ce dimanche. Il faut suivre attentivement le calendrier des événements culturels de la ville. Et ne pas en manquer sous peine de vite faire le tour de la question chennaïte …

Passé le portail, un bel aménagement nous surprend. L’accueil donne envie d’en voir plus. Et sur une immense esplanade en carré, les stands des artisans se déroulent dans une ambiance calme, sereine, feutrée et colorée. Je pense immédiatement à un cloître dans lequel nous nous promènerions. L’éclat de la lumière est tamisé par les étoffes disposées en dais au-dessus de nos têtes pour protéger du soleil. Les arbres forment un tunnel qui nous abrite. Le lieu invite à la déambulation paresseuse, à la flânerie curieuse, à la découverte d’un coup de cœur, à l’achat intempestif.

Nous pensons néanmoins que nous serons « harcelés » par les artisans. Vieux réflexes de la défensive. Non point. Ils nous accueillent avec le sourire, cherchent des yeux le contact et d’un large geste du bras, nous montent les articles.

L’un vend des paniers en osier, l’autre, savetier, fabrique des sandales en cuir, le troisième, de beaux tampons encreur aux motifs indiens, le dernier, des abat-jours en peau de chèvre peints à la main. On y retrouve Shiva, Krishna et leurs merveilleuses épouses … Les vendeurs de tissus traditionnels sont plus nombreux.  Les tissus sont-ils réellement traditionnels ou sont-ils la marque de fabrique pour les touristes que nous sommes ? Ces fameux tissus indiens, madras aux motifs récurrents, retraçant les scènes mythologico-religieuses, toujours les mêmes, sur tous les supports, nappes, serviettes, torchons, linge de maison, vêtements, font-ils réellement partis de l’univers indien ?  Il est vrai, cependant, que les salwar kameez (pantalons larges et tuniques longues) que portent les femmes indiennes ne diffèrent pas de ce que nous voyons. C’est bien de l’artisanat local !

Finalement, nous nous lâchons et craquons pour des abat-jours, une carafe à eau en terra cotta – à l’usage, il s’avérera qu’elle fuit … – une paires de kartals en bois et des petites cruches en cuivre – utilisées dans les temples –chez l’unique brocanteur. Claire achètera une belle plante exotique chez le pépiniériste fort sympathique.

Cette troupe s’élance avec entrain, comme dans une improvisation, pour créer une ambiance dans la chaleur de la mi-journée, au milieu des quelques badauds.

Soudain, la musique interrompt toutes transactions. Au centre de l’esplanade, une troupe de musiciens et deux danseuses s’accordent. La musique brise la tranquillité en notes et rythmes joyeux et entraînants. Les danseuses sont parées de nombreux bijoux et de robes amples colorées. Elles tournent, virevoltent au rythme endiablé de la musique. Quatre musiciens mènent, tambours battants, la danse de ces deux femmes. On jurerait qu’elles finiront par chuter d’épuisement. Mais non, elles tournent, tels les derviches, à faire tourner nos têtes. Nous sommes épuisés pour elles. Cette folle perturbation crève le ciel serein, l’orage et le tonnerre roulent aux sons des tambours. Il fait très chaud, les danseuses transpirent, les cheveux collés au visage, comme à la peine. On étouffe pour elles. Combien de temps cela durera-t-il ? Soudain, la musique s’arrête, les danseuses, comme abattues par cet ouragan, sont immobiles, agenouillées – prostrées – au sol, les roulements de tambours s’éloignent, puis se taisent. L’orage est passé, la quiétude du lieu reprend sa place. On peut reprendre notre souffle.

Nous avons fait le tour du marché, nous avons tout vu. Nous pouvons partir.

Street food juste à la sortie de la fondation.