Que vient-il à l’esprit quand on pense à l’Inde ? Exotisme, spiritualité, nombre d’habitants (1,3 milliard, Waouh !), seraient sans doute des réponses apportées. Pour moi, ce sont les odeurs, les couleurs, les sourires … et les vaches sacrées (Gao Mata). Et c’est exactement sur ces dernières que j’ai envie d’écrire. Pas de méprise ; ce n’est pas un exposé. Mais ces vaches urbaines m’intriguent et l’idée de cet article a fait son chemin. Des questions sans réponse se bousculent encore dans ma tête. Appartiennent-elles à quelqu’un ? Donne-t-elle du lait ? Les trait-on et qui ? Où dorment-elles ? Passent-elles toute leur vie à errer dans les rues ? N’ont-elles jamais eu l’occasion ou la chance de brouter de l’herbe ? De quelle qualité est leur lait ? Peut-on le boire ? Est-ce que toutes les vaches sont sacrées ou bien seulement un nombre d’heureuses élues ont droit à ce qualificatif ? Voilà pour quelques une d’entre elles …

Il y a peu de temps, mon ami Charles-Henri m’a fait part de deux articles qui m’ont intéressé. L’Inde était le pays invité d’honneur à Livres Paris 2020 – tiens, tiens, quel heureux hasard ! – au parc des expositions de la porte de Versailles, annulé officiellement pour des « raisons de santé publique ». Dans l’un des deux ouvrages que je me suis empressé de télécharger sur ma liseuse, les vaches sont au cœur d’un roman autobiographique dont l’auteure est indienne1. Un autre heureux hasard ! Je m’en inspire fortement pour me lancer dans ce projet.
Pour répondre à la question posée plus haut, en Inde, les vaches sont un cliché, presque une carte postale mais sans le glamour ! En ville, elles sont sales, efflanquées ou ballonnées ou les deux à la fois, leurs sabots sont dégoutants et elles ont de la merde au cul ! On les voit souvent couchées sur les tas de détritus quand elles ne fourragent pas dans les poubelles, participant ainsi à augmenter la saleté et à répandre les mauvaises odeurs dans les rues. La réalité, c’est qu’elles sont vraiment sacrées. Chez nous, en Occident, nous appelons cela de la zoolâtrie religieuse. Chacun se fera sa propre idée.
La vache, Go Vada, apparaît déjà dans les grands textes canoniques de l’hindouisme connus sous le nom de Veda (vision, connaissance), composés en sanskrit védique écrit entre 1500 et 900 av. J.C. Elle joue de nombreux rôles dans les mythes hindous : elle peut être princesse guerrière, mère du monde, déesse de la fertilité, mère sacrificielle ou messagère de l’immortalité. Voilà pour le côté érudition ! Merci qui ? Merci Wikipédia2 !

La vraie réalité, c’est qu’on les voit partout déambuler dans les rues et les Indiens les vénèrent au moment des prières dans les temples et lors de certaines fêtes religieuses. On ne touche pas les vaches, on ne les bouscule pas. Lorsqu’elles tentent de voler des fruits à l’étalage des commerçants ambulants, ceux-ci les chassent en faisant de grands moulinets des bras et en leur criant dessus. Je ne pense pas qu’ils les insultent ; non, ce serait contraire à la religion ! Un troupeau vient à traverser la chaussée puis s’arrête en son mitan, et bien, soit les véhicules les contournent s’il y a assez de place ou ils s’arrêtent, klaxonnent un petit coup pour les « effrayer » et attendent que ces « déesses » veuillent bien aller voir plus loin. Mais il paraît qu’il y a des accidents de la route dans lesquels les vaches sont les victimes. Et on dit aussi qu’elles ont une mémoire d’éléphant et peuvent en vouloir à quiconque commettrait un délit jusqu’à les poursuivre pendant des années3.

Les « idolâtres » sont convaincus que l’urine de vache est un remède universelle (cette idée a été reprise lors de la pandémie du covid19 quand des Indiens pensaient que boire de l’urine de vache pouvait combattre le virus). La bouse de vache, elle, est utilisée dans les rituels et dans la vie quotidienne et est considérée comme un bon désinfectant. A la fête du Pongal dans le Tamil Nadu, les marmites de terre cuite contenant le pongal sont posées sur des bouses de vache comme dessous de plats.
Les Indiens vénèrent tous les aspects de la vache et croient que la déesse de la prospérité réside dans leur anus. Le rituel, encore parfois pratiqué lors de l’entrée dans un nouveau lieu de vie (y compris un appartement dans un immeuble), qui consiste à introduire une vache et inviter un prêtre qui béniront le nouveau lieu, n’est pas rare. L’une répandra sa bénédiction de son urine et ses bouses, l’autre par ses prières. S’il le faut, la vache prendra l’ascenseur. Le nec plus ultra est que la vache urine et défèque sur le marbre des sols, splash ! … On lui offrira des friandises (tiges de canne à sucre, bananes, …) qui, dit-on, favorise ces mixions. Aujourd’hui, si l’on demande à un Indien ce que représente la vache sacrée, il répondra qu’elle porte bonheur. Sans aucune référence aux textes sacrés. Cette assertion m’a été confirmée par notre chauffeur Bala.
Mais les vaches sont devenues le symbole de l’intolérance des hindous et de la montée du nationalisme surtout depuis que Modi et son parti, le BJP (Bharatiya Janata Party) est au pouvoir. Tous les abattoirs sont interdits, laissant les musulmans dans la précarité. La vache a bien du mal à s’imposer comme la « Mère universelle ». Qu’à cela ne tienne, on utilisera les forceps.
Et puisqu’en Inde, on n’est pas à une contradiction près, tout en sacralisant les vaches et en les vénérant, on les laisse fourrager dans les détritus et ingurgiter du plastique. Et c’est bien là que réside le problème des vaches urbaines et des coopératives laitières en ville avec le manque d’hygiène. Toutes les vaches ont du plastique dans leurs estomacs. Ce plastique peut être vieux de 10 ans. Il deviendra dur comme du roc et un estomac de vache pourra contenir jusqu’à 53 kg de plastique4.
Les vaches laitières urbaines broutent l’herbe là où il y en a (les quelques aires plantées et gazonnées, les arbustes sur les terre-pleins de séparation de voies) et là où on veut bien les conduire. Mais on sait qu’en fourrageant les ordures à la recherche de végétaux à manger, elles ingurgitent inévitablement du plastique. J’ai personnellement lu (ou entendu dire, je ne m’en souviens plus précisément) qu’il était recommandé de ne pas fermer les sacs d’ordures avant de les jeter dans les bennes afin d’éviter aux vaches de les ingurgiter ; CQFD ! D’où le mouvement, notamment de la Karuna society, demandant l’interdiction totale du plastique (Total ban of plastic). Un moyen d’empêcher les vaches de souffrir … seulement les vaches. Ah ! Oui … C’est la « Mère universelle » …
53 kg de plastique retiré de l’estomac d’une seule vache
Karuna society for animals and nature défend les droits basics des vaches de vivre, de manger et de boire mais le « voyage » réel d’une vache est d’être un charognard, de devenir plastique, de donner du lait et devenir de la viande (journey of a cow : from cow to scavenger, to plastic, to milk and to meat). La vache est-elle donc un animal sacré ?
Il est intéressant de savoir pour qui vit, comme moi, dans une région où les vaches sont reines, ci-nommée la Normandie, qu’il existe des races de vaches indiennes, malheureusement en voie de disparition car elles ne produisent pas suffisamment de lait, contrairement à la FH (Frisonne Holstein). En voici quelques-unes :

- Inde du nord : les Gir du Gujarat, les Rathi du Rajasthan, les Sahiwal du Penjab,
- Inde du sud : les Kangayam, les Bargur, les Pulikulam, les Umblachery,
- Et puis aussi, les Hallikar, les Amrit Mahal, les Malnad Gidda au Karnataka.
Ceci nous mène, il n’y a qu’un pas, à l’ayurveda5 qui est une médecine traditionnelle non conventionnelle indienne vieille de 5000 ans. Elle classe chaque substance selon sa saveur et ses propriétés. Tous les Indiens y font référence et s’appuient sur ses principes au point d’en faire un mode de vie, de pensée et de prières.
L’ayurveda voit dans le lait un remède universel. Le lait est comme l’ambroisie, un élixir de jeunesse éternel. Allons donc ! Voici ses bienfaits : il est doux, onctueux et rafraîchissant. Il est désaltérant, nourrissant et également aphrodisiaque (dans la tradition indienne, on offre aux jeunes mariés un verre de lait chaud agrémenté de cardamome et de safran juste avant d’entrer dans la chambre nuptiale pour passer la première nuit ensemble. Le lait chaud est supposé favoriser les galipettes.). Le lait est également utile à l’intelligence, c’est un fortifiant et un énergisant. C’est un remède à la bronchite. Il est enfin utile aux facultés mentales. Dans les épiceries bio, on trouve des petites bouteilles de lait frais et crus tiré à la main. Mais attention, on ne parle ici que du lait tiré de la vache et non du lait en brique, UHT, pasteurisé, homogénéisé. Ce lait-là n’est d’aucune utilité et ne rentre pas dans les principes ayurvédiques.

Selon ces principes, voici la liste des 9 produits à consommer tout au long de la vie : le lait, le riz, les légumineuses, le sel gemme, les fruits, l’orge, l’eau de pluie, le ghee (beurre clarifié), le miel.
Le lait est bon parce qu’une vache ingère toutes les plantes et herbes médicinales et les redonne par son lait. C’est la magie du lait de vache. Et c’est pour cela que les Indiens vénèrent cet animal.
J’ai relevé quelques principes à propos du lait qui m’ont fait sourire. Il n’est pas interdit de prendre cela au sérieux.
- Ne pas boire de lait après avoir mangé de l’ananas ou de fruits acides car cela ferait cailler le lait dans l’estomac, beurk !
- Les jeunes filles doivent s’enduire les seins de beurre aux herbes pour en améliorer la forme et le volume. Mesdames les moins jeunes, vous pouvez quand même essayer !
- Le lait provenant d’une vache noire est excellent parce qu’il équilibre les 3 Doshas (Vâta – air/espace, Pitta – feu/eau, Kâpha – eau/terre) du corps. Ce sont les 3 énergies vitales de la médecine ayurvédique. Le lait d’une vache blanche est le plus mauvais,
- Le lait tiré d’une vache tôt le matin est plus consistant parce que la vache s’est reposée toute la nuit. Les prêtres hindous utilisent le premier lait du jour pour leurs rituels et boivent le lait plus léger le soir. A voir la panse de certains, je ne suis pas sûr qu’ils ne se nourrissent que de lait !
- Envie d’un aphrodisiaque ? Il vous faut alors du lait d’une vache noire. Il faut la traire le soir, y ajouter du miel, du ghee et du sucre. Mélangez et buvez ! Si vous en trouvez une, essayez et faites-moi un retour !

Chez Terra, mon épicerie bio, on trouve du lait de vache cru tiré à la main (Hand milked), comme les fruits ou les légumes récoltés à la main. Comme si cette appellation était un gage de qualité. En tout cas, le côté mécanique de la récolte ou de la traite, renvoie à une image de produit industriel transformé. Je n’en ai pas encore acheté malgré tous les bons principes ayurvédiques !
Voilà, vous savez tout sur les vaches en Inde. J’espère que ce petit voyage vous a intéressé et j’attends, toujours avec impatience et plaisir, vos retours.
Je vous parlerai peut-être un jour du Jugaad qui signifie « faire preuve de créativité ». C’est le système D en Inde et c’est un système universel pour tout Indien ! Et également de l’art et de la tradition du Rangoli (en hindi) ou Kolam (en tamoul), qui sont des dessins de formes géométriques éphémères tracés chaque jour sur le sol devant les habitations et les commerces en laissant s’écouler de la poudre blanche et de couleurs de la main. Et c’est très beau !
Soyez patients et suivez-nous encore et toujours en Inde … Portez-vous bien !
1 La laitière de Bangalore, Shoba Narayan, Mercure de France, 2018 (2020 version française)
2 Les vaches sacrées : https://fr.wikipedia.org/wiki/Vache_sacr%C3%A9e
3 Les vaches ont de la mémoire : https://www.youtube.com/watch?v=JaNvgZAlXnc
4« The plastic cow project », Karuna Society for animals and nature : https://www.karunasociety.org/the-plastic-cow-project
5Ayurveda : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ayurveda
Enfin une analyse qui nous sort de nos connaissances très basiques sur le sujet… sur lequel on ne prend pas le temps de se pencher. Merci.
Merci à toi mon cher Philippe. De bonnes lectures, un peu de recherches, quelques prises de notes, beaucoup de brouillons … et toujours l’envie de partager. Alors, tant mieux si tu y trouves de l’intérêt ! Bises.
Bonjour,
Qu’elles sont belles ces vaches ! Au naturel ou maquilllées, Merci pour ce beau « Reportage » qui m’en a appris plus que mes 15 jours au Rajasthan, et m’extirpe des problèmes de deconfinement, d’ailleurs comment se passe le respect des mesures pour vous ? Grosses bises, JM
Hey Jean-Marc,
Ravi de te retrouver sur mon blog et content que mes billets te permettent de t’échapper ! J’imagine que le déconfinement n’est pas évident à vivre. Ici, nous sommes confinés depuis le 25 mars. Éric travaille toujours et moi, à la maison. Je ne sors que 2 à 3 fois par semaine pour l’intendance. Plus de chauffeur ni de femme de ménage ! Les mesures mises en place en Inde sont drastiques et les effets, a priori, sont moins pires que ce que le « monde occidental » avait prévu. Mais l’état du Tamil Nadu où nous vivons est le 4ème plus touché. Discours de Modi ce weekend, déconfinement prévu dès lundi 18, mais ce n’est pas gagné et on a plutôt l’impression qu’il y aura une extension de 2 semaines. L’avantage, si je puis dire, c’est que les rues sont calmes parce qu’il n’y a pratiquement pas de circulation. Mais chassez les défauts, ils reviennent au galop ; les rares véhicules sur la route ne peuvent pas s’empêcher de klaxonner alors qu’il n’y a aucun obstacle.
Voilà mon cher Jean-Marc. Continue à nous suivre et à bientôt pour d’autres lectures et commentaires.
Portez-vos bien et je t’embrasse.
Christian
ps : des conseils sur le Rajasthan ?
Hello ! Merci pour ce beau documentaire très instructif !
Sais-tu ce que deviennent ces vaches sacrées quand elles meurent ? Tu parles du lait, est-ce qu’il y a du fromage ? je crois me rappeler qu’il y a du petit lait pour le lassi ou une espèce de fromage blanc avec le concombre !
Pour ma part, je pense qu’en cas de bronchite, il n’est pas recommandé de prendre du lait ! Chacun ses croyances donc.
Des bises et un bon déconfinement.
Coucou ma jolie, il existe plusieurs refuges pour les vaches. « Orphelinat », centres vétérinaires, « maisons de retraite ». On ne laisse pas crever une vache sur le bord de la route quand elles ne vont pas à l’abattoir. En ce qui concerne le lait, il est transformé en curd (yaourt), utilisé dans la cuisine indienne et pour faire du « panner », THE fromage indien que l’on trouve souvent dans les plats. Les brochettes grillées et épicées panner-poivrons sont excellentes ! Ça ressemble un peu à la mozzarella pour la consistance et l’aspect. Et dans des épiceries fines, on peut acheter du fromage « occidental » (tomme, gouda, cheddar, feta essentiellement). Quant aux bénéfices du lait dans la vie de tous les jours et en toutes circonstances, les adeptes ayurvédiques diront que c’est ce qu’il y a de meilleur !
Sinon, confinement prolongé jusqu’à la fin du mois de mai et après, ce n’est pas gagné. On s’attend à être confinés plus longtemps car le pic est prévu fin juin ! Les magasins commencent à rouvrir et c’est tant mieux, ça donne un semblant de normalité. Mais toujours pas de restaurant, d’hôtel, d’alcool !
Bon déconfinement à vous mais restez prudents.
Des bises de nous deux à vous deux.