Second confinement

Il était à prévoir que l’on subirait un second confinement. La deuxième quinzaine de juin ouvrait les vannes de l’espoir de retrouver une activité normale. J’ai espéré moi aussi. Finir de ne s’occuper que de l’intendance, de tourner en rond dans l’appartement comme un lion en cage, de s’obliger à faire du yoga sans énergie, de se sentir intellectuellement diminué, d’avoir le sentiment que l’on sert à pas grand-chose, d’avoir les yeux rivés sur le smartphone comme s’il était le seul lien aux autres, se sentir seul, épuisé à faire si peu, désemparé, en colère, en un mot, déprimé. Pas de sonnerie de téléphone, ne parler à personne dans la journée, quelques mots à Bala, à Kamala et à Prasat. Trois fois rien. Le silence réduit au silence.

Sans titre I

J’admire les gens qui ont une telle force en eux pour y puiser leur énergie, s’en nourrir et se régénérer. Cette force qui leur permet de remplir leur vie avec des petits riens qui les rendent heureux, même dans l’enfermement. Je n’y arrive pas, je dois le reconnaître mais surtout l’accepter. Cela fait partie de moi. Je serais porté à croire que la prison me tuerait ou me rendrait fou. Littéralement.  Confectionner un gâteau au chocolat ou mes délicieux beignets de chou-fleur pour le bureau de France me pèse. Cuisiner est devenu une tâche pénible, je n’y prends plus de plaisir. Cela me désole, me submerge d’un sentiment de culpabilité et me confronte à mes faiblesses.

Et soudain, l’orage, des pluies de mousson. Il fait très humide. C’est vraiment bizarre !

Dès le 6 juillet, la circulation est devenue plus dense engrangeant son flot de nuisances sonores, de comportements incompréhensibles et d’incivilités sous le regard impassible de la police. Les magasins rouvraient – excepté ceux accueillant beaucoup de monde ainsi que les lieux de culte, de loisirs, de sport et de culture. On accueillait plus de monde dans les supermarchés et cela se traduisait par des gestes barrières effondrés, distances entre les personnes réduites et masques portés sous le nez et la bouche. On était de nouveau presque à touche-touche aux caisses. Les bonnes intentions restent sauves puisqu’on n’entre toujours pas dans les magasins sans la prise frontale de température et les giclées de solution hydro-alcoolique. Les rues devenaient à nouveau animées. Nous retournions chez le coiffeur, au café à côté, on me servait mon chai dans un gobelet en carton jetable, les gens mangeaient dans la rue devant les devantures des street food, comme avant. Je donnais systématiquement un billet de 50 roupies à celles et ceux qui me tendaient la main dans la rue. Et je le fais encore aujourd’hui.

Les abris des arrêts de bus sont des lieux de repos, les bancs en métal sont des lits où dormir. Il semble que la chaleur, le bruit et la poussière n’atteignent pas ces paisibles dormeurs.

Les vendeurs ambulants sont devenus plus nombreux. On entend désormais les harangues des vendeurs dans les rues toute la journée. Ils ont une clientèle qui souhaite ne pas être mêlée à la foule dans des lieux fermés. Les stands de rues sont légions, principalement pour les fruits et les légumes.

Les quartiers, eux, sont plus calmes et la ville est totalement silencieuse lors du couvre-feu imposé tous les dimanches de juillet. Il y a peu de temps encore, la circulation et les déplacements étaient très fluides. On a pu voir des chèvres sur le pavé. C’est la saison du jacquier, cet énorme fruit à peau épaisse, ressemblant au fameux durian du sud-est asiatique, l’odeur en moins, dont la chair jaune, soyeuse et croquante est très caractéristique. Éric déteste ce fruit. Je l’adore ! Faute de pouvoir sortir, les activités physiques de mes voisins consistent à marcher en rond sur leur terrasse, comme des prisonniers en isolation. Désolant !

Pendant l’absence de Bala, nous nous sommes déplacés grâce au chauffeur du consulat de France. Suresh est un homme aimable et serviable. Pour quelques roupies supplémentaires et un gâteau au chocolat, de bon cœur acheté à la boulangerie « Pumpkin Tale », il m’a parfois conduit partout pour les courses. Cela m’a rendu grandement service.

Depuis ma fenêtre ouverte sur mon monde extérieur, un homme étend son linge sur la terrasse d’en face. J’aime bien ces gestes, j’aime bien l’idée de propreté et les bonnes odeurs de lessive fraîche, j’aime voir le linge étendu flotter et claquer au vent, mélangeant les vêtements, les formes et les couleurs. Regarder le linge de mes voisins, c’est me découvrir un peu voyeur : sous-vêtements, tricots de corps, draps. Étendre du linge est pour moi un geste apaisant, comme un rituel de sérénité. Ce doit être un jour de lessive autour de chez moi. Kamala a justement étendu notre linge, et sur les terrasses en contre-bas, d’autres lessives sèchent. En fin d’après-midi, tout le monde décrochera le linge sec.

Kamala n’est là que pour l’après-midi. Elle partage son service chez Claire, notre voisine de l’appartement 2A. Les mardis et les jeudis matins elle travaille chez elle. Cela me laisse un peu de liberté et d’intimité … si je peux l’exprimer ainsi. Elle n’est tout simplement pas là et c’est un peu ma bulle d’oxygène. Quand elle travaille chez nous, je la regarde faire – l’espionné-je ? – du coin de l’œil, je ne peux pas m’en empêcher. Cela révèle-t-il chez moi des idées un peu tordues ? Mais Kamala n’est pas très indépendante, elle a besoin qu’on lui dise quoi faire.

En fait de confinement, nous en sommes aujourd’hui à la situation de départ, au même point. Les autorités indiennes ont annoncé un confinement reconduit jusqu’au 31 juillet mais à partir du 6, nous étions dans une phase de déconfinement progressif. C’est-à-dire que tout est comme avant ! Et c’est, pour moi, toujours le même enfermement. Je sors 2 à 3 fois par semaine pour l’intendance, de préférence assez tôt le matin car il fait encore très chaud. Nous n’avons plus Bala. Il est en quatorzaine dans son village après que des agents et chauffeurs du consulat de Corée, au 5ème étage des Bannari Amman Towers (le Bureau de France est au 6ème étage) aient été testés positifs. Il a donc fallu que Bala subisse un test à l’hôpital. Il est négatif mais la quatorzaine est imposée. Me voilà donc à nouveau à me déplacer à pieds puisque Suresh, le chauffeur du consulat, est lui aussi en quatorzaine . Je ne fais rien d’autre.

La pandémie a éclaté en Inde au début de la saison chaude. J’ai beaucoup souffert de la chaleur. Dans l’appartement, les températures étaient proches de 40°C. Les ventilateurs tournent toujours toute la journée et nous déclenchons l’air conditionné le soir dans la pièce principale et la nuit dans notre chambre. C’est une source de divergences entre Éric et moi. J’aime être sous la couette dans la fraîcheur/froideur de la pièce. Cela me rappelle la Normandie en hiver. Éric peut dormir paisiblement, profondément enveloppé dans les draps, sans air conditionné ni ventilateur, l’air saturé de chaleur et d’humidité, un peu comme ce pauvre diable endormi sur le banc de l’abribus. Je ne sais pas comment c’est possible ! Moi, ça m’empêche de respirer et je me suis déjà réveillé dans mes flaques de transpiration certaines nuits. Je sais qu’il faut être prudent avec l’air conditionné. Il est vecteur de circulation du virus, mais la chaleur aussi. Où est le juste milieu ?

Les choses ont changé depuis ce week-end. Notre ciel devient plus lumineux, plus bleu. Nous avons notre billet d’avion pour la France. Ce ne sont encore que des vols de rapatriements ; il n’y a toujours pas de vols commerciaux. Cet espoir tant attendu est devenu réalité. Les démarches sont compliquées. Il faut un laisser passer pour se rendre à Bangalore, à 7 heures de route de Chennai. Il faut se déclarer aux autorités indiennes à Paris. Nous subirons le test PCR nasopharyngé dès notre arrivée à l’aéroport et nous devrons présenter un test de moins de 4 jours au retour avant de monter dans l’avion. Mais nous serons en France comme nous l’espérions. Nous fêterons enfin le 90ème anniversaire du père d’Éric. Et nous en sommes ravis !

Si je reprends à mon compte l’image du verre, voilà les associations d’idées et de sentiments qui émergent.

Damned ! Le verre est à moitié vide : gâchis, temps perdu, enfermement, idées noires et toxiques, déprime passagère, peurs, volonté en berne, faiblesse de caractère, humeurs changeantes, bougon, grognon, boudeur, problèmes relationnels, mais qu’est-ce que je fais là ? Dans quel état j’erre ?

Hope ! Le verre est à moitié plein : je m’ouvre au monde, je m’enrichis, j’aime être ici, je me réjouis de ce que je fais et vois, j’ai de la chance, je vis/nous vivons une merveilleuse aventure, je suis impatient d’en découvrir plus, j’ai une belle vie, je suis soutenu dans cette période sombre, je devrais dire « nous » à tout ceci, je suis aimé.

Marc Aurèle nous a laissé un message. [Il faut de] la force pour changer les choses que je peux. De la sérénité pour accepter les choses que je ne peux pas changer. De la sagesse pour distinguer l’une de l’autre. Je m’escrime à suivre cette pensée philosophique – presque – quotidiennement.

Sans titre II

J’ai encore un long chemin à parcourir, mais je terminerai sur le constat que, oui, c’est vrai, il vaut mieux voir le verre à moitié plein. Pour le reste, je m’y emploie. Ça devient évident en l’écrivant.

Pour mémoire, Mylapore est
le district dans lequel nous vivons.

3 réponses sur “Second confinement”

  1. Christian,
    Merci pour ta sincérité…
    Au delà de ça, un article toujours aussi riche en actualités ; Bon reportage.
    A bientôt de se voir !
    Je vous kissssssssssssss
    Syl

  2. Je me remets enfin à la lecture de ton blog après avoir partagé quelques moments avec toi, en vrai. Merci pour ces émotions vraies que tu oses nous livrer ! On avance, c’est une évidence, et on n’a pas de temps à perdre pour regarder en arrière, donc on profite de chaque instant…
    Profite… des moments sympas et les autres, regarde -les passer.
    je t’embrasse, je vous embrasse,
    Patricia

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