Sur la route des grands temples

Comme c’est bon de pouvoir s’évader en cette période de pandémie, sortir de chez soi, admirer les paysages, plonger dans la vie rurale et parler à d’autres personnes. Et par-dessus tout, de se retrouver comme au début du mois d’octobre, dans la campagne indienne, voir défiler rizières, bananeraies, cocoteraies, fleuves et rivières, vaches, buffles, chèvres, chiens, poules et coqs, canards, cailles et paons, villages et bourgs, Indiens lascifs ou affairés. Nos yeux ne peuvent tout photographier, tout absorber, tout mémoriser. Une petite parcelle de cette vie campagnarde restera en mémoire, pour notre plus grande joie.
Repos du pêcheur.
Ses collègues, à côté, réparent les filets.Il fait très chaud, même pour les chiens !
De Chidambaram à Thanjavur

Nous avons quitté Chennai en prenant la route qui longe l’océan Indien jusqu’à Pondichéry. Nous la connaissons bien maintenant. Après avoir quitté le Grand Chennai, elle promet de beaux paysages. Puis, nous nous sommes dirigés vers l’ouest plus à l’intérieur du pays, en terre inconnue pour nous, et c’était grisant ! Nous avions décidé de visiter les grands temples hindous de l’ère Chola, période qui débute au IXème siècle. Ils ont une architecture typique du sud du sous-continent et du Sri Lanka que l’on nomme dravidienne. Cette architecture atteindra son apogée au XVIème siècle pour prendre la forme que nous voyons aujourd’hui. Peut-on faire une comparaison, aussi hasardeuse soit-elle, avec nos églises romanes jusqu’au gothique flamboyant ? Quatre des cinq temples que nous avons visités sont classés au patrimoine mondial de l’Unesco et se situent dans l’état du Tamil Nadu.
Shiva mendiant Shiva danseur
Chidambaram et le temple de Nataraja (Shiva danseur), Kumbakonam et les temples de Nageshwara (Shiva le roi-serpent) et Darasuram, Gangaikondacholapuram et le temple de Brihadishwara, Thanjavur et le temple du même nom que précédemment. Autant de villes et de temples aux noms parfois compliqués à prononcer mais si chantant lorsqu’on en a pris le rythme. Un challenge.

Thanjavur est le berceau du royaume Chola qui s’est étendu jusqu’aux rives du Mékong et les temples de la région sont antérieurs de deux siècles à celui d’Angkor.
Mandapa Nandi Ratha

Ce qui fascine, c’est que plus nous visitons ces temples, perdus et ignorants des rites hindous, confus dans la reconnaissance des dieux et déesses qui changent de noms selon leur état (tantôt mendiant, danseur, berger ou méditatif), plus nous nous accrochons à leur splendeur architecturale. Le privilège de cette période, c’est qu’il y a relativement peu de visiteurs et que les espaces sont grands. Certains temples sont posés sur de belles pelouses où quelques familles indiennes s’installent comme pour un pique-nique.

Ce qui impressionne, c’est l’état de conservation de ces temples, la richesse des ornements, la profusion de sculptures. Construits autour des Xème et XIIème siècles, la pierre et le granit ont résisté au Temps. Les dynasties qui se sont succédé n’ont apporté que modifications, embellissements et agrandissements. Peu de temples sont de taille humaine. Certains sont une ville dans la ville avec jusqu’à sept enceintes et gopuras avant d’accéder au sanctuaire dédié à Shiva.
Nandi, la vache sacrée Détail d’une vinama Shiva et son épouse Parvati
Cette fois-ci, nous nous attachons aux constantes dans l’organisation des temples. Les guides nous y ont bien aidés. Dire qu’ils se ressemblent tous, c’est un peu vrai … tout comme nos cathédrales, non ?

Mais d’abord, on se déchausse aux abords du temple. Marcher les pieds nus après la pluie est peu ragoûtant, on prend sur soi. Nous avons eu une petite pensée pour Gilles à se demander comment il appréhenderait la situation !

A bonne distance, la vision des portes-tours, les gopuras, est en soi impressionnante. Elles sont hautes (plus de 50 mètres et pouvant aller jusqu’à 75 mètres). Elles offrent une entrée par les quatre points cardinaux et sont reliées par une enceinte sur laquelle des Nandis, les vaches sacrées, veillent. Ces gopuras permettaient aux pèlerins de se diriger vers le temple. Certaines sont blanches, couleur brique, ocres ou blondes. Beaucoup sont très colorées et les centaines de personnages des différents niveaux sont de couleurs vives, voire criardes. Le passage sous une gopura tient en haleine, on se demande ce qui va surgir à nos yeux sous l’éclat vif de la lumière. Et ce que nous découvrons nous laisse sans voix, si ce n’est : « Waouh ! Que c’est beau ! ». Parfois, nous sommes accueillis par le cul du Nandi qui fait face au sanctuaire de Shiva. Elle-même repose couchée, énorme, sur une mandapa dont les caissons du plafond sont richement peints ! C’est juste merveilleux !

Tous ces temples dédiés à Shiva sont une succession de galeries, de sanctuaires, de bassins sacrés, souvent au lotus, destinés aux ablutions des brahmanes, de vimanas (tours en coupole) posées sur les sanctuaires, de lieux de rassemblement pour les fidèles. Les grandes salles ouvertes peuvent être soutenues par 10, 100 ou 1000 piliers, tous sculptés, tous différents et dont les chapiteaux représentent la fleur de lotus. Ces sabhas sont des espaces de prière mais également de repos. Il n’est donc pas étonnant de voir des familles, assises, discuter en toute sérénité. Les halls surélevés étaient aussi des salles de mariage que l’on nomme choultris ou mandapas surmontés d’une chatra, grande ombrelle colorée aux franges dorées de toute beauté. La volée de marches qui nous y amène évoque un chariot (ratha) tiré par un cheval ou par un éléphant. Les colonnes sculptées dans un seul bloc de pierre, plantées comme des forêts, représentent des créatures mythiques, des yalis, dont les parties du corps appartiennent à différents animaux : tête d’éléphant, crinière de lion, oreilles de cochon, cornes de chèvre, corps de cheval, queue de vache et pattes de crocodile.
Le Nandi fait face au sanctuaire de Shiva. yali
En quittant le temple de Darasuram à Kumbakonam, nous avons déambulé dans une petite rue calme où quelques familles teintent et tissent la soie. Des écheveaux séchaient sur les fils tendus devant les maisons, bravant les risques de pluie de la saison. Nous avons croisé quelques habitants qui nous ont lancé de francs sourires.

De Madurai à Tiruchirapally (Trichy)
Madurai est la deuxième ville en taille du Tamil Nadu. L’activité frôle le chaos : des commerçants partout, des travaux partout, des voies étroites non goudronnées et boueuses partout dans lesquelles les véhicules ont beaucoup de mal à se croiser – je ne vous parle même pas des bus et des camions ! – des deux roues qui s’imposent partout étouffant la circulation des voitures. Et des piétons qui cherchent leur passage partout. Un cauchemar !

Nous avons réservé un hôtel à l’abri de ce tumulte sur une colline qui domine la ville. De la terrasse du restaurant, à la veille de Diwali, la fête des lumières, nous avons pu jouir de la vue, amusés par les paons autour de nous, au calme malgré les pétards et les feux d’artifice avant l’heure.
Vue générale de Madurai depuis la terrasse du restaurant de l’hôtel. Les paons sont avec nous !
La visite du temple Sri Meenakshi, lieu très saint, s’est effectuée en un temps record, contrairement à la demi-journée préconisée dans nos guides. Après avoir déposé chaussures, sacs à dos, smartphones et parapluie aux consignes, passé le portique de sécurité et subis la fouille au corps, nous avons pénétré ce haut lieu où Shiva aurait fait couler du miel de ses cheveux (pouah !) sur la ville. Pour cause de covid, le parcours était balisé, nous interdisant les déambulations. Arrivés au bassin au lotus, arrêt ! Une petite file de fidèles attend. Il est 16h15. Nous apprenons que nous ne pourrons poursuivre qu’à 17h15. Que faire ? Abandonner ou rester ? Nous restons. A l’heure dite, un brahmane tire une corde actionnant la cloche et quatre musiciens se mettent à jouer du tambour et des instruments à vent (cor). Ce sera le signal. A l’approche du sanctuaire, nous sommes stoppés. Parce que non-hindous, on nous en interdira l’accès ainsi que dans un deuxième sanctuaire. Nous ne verrons finalement que des allées soutenues de piliers richement décorés de sculptures représentant des divinités sous toutes leurs formes, le mariage de Shiva et Parvati, un Nandi .. et c’est à peu près tout ! Grosse déception !
Juste en face, une « annexe », mandapa du XVIème siècle aux nombreux piliers, a attiré notre attention. L’un des piliers représente la jeune Meenakshi, déesse guerrière aux 3 seins à qui l’on prédit que son 3ème sein fondrait lorsqu’elle se marierait. Dont acte. Elle devint l’épouse de Shiva et son 3ème sein fondit. Dans ce temple non consacré, au pied des colonnes, à la lumière crue des ampoules et dans une moiteur étouffante, de nombreux tailleurs, les uns à côté des autres, étaient occupés sur leur machine à coudre à pédale. Ils nous proposaient de nous confectionner un vêtement. Des étals exhibaient tout le matériel de la couturière parfaite : passementerie, rubans, galons, volants, perles, boutons, bijoux fantaisie, colifichets en fausse soie. D’autres proposaient de l’artisanat local, sans doute usiné de fraîche date. Et beaucoup de regards tournés vers nous, les seuls étrangers à la ronde.

Vendeur à l’entrée de l’annexe Shiva danseur Meenakshi aux 3 seins
Diwali
Nous reprenons la route du retour le jour de la fête nationale des lumières. Les pétards et les feux d’artifice ont claqué pendant deux jours et nous ne savons pas ce qui nous attend sur la route. Étonnamment, après un départ matinal – nous avons près de cinq heures de route – nous glisserons sur un ruban lisse, libre et calme jusqu’à Chennai.
Depuis la terrasse de l’immeuble, nous assistons aux feux d’artifice et lancés de pétards à l’occasion de Diwali.
