Navaratri

Entre septembre et octobre, selon le calendrier lunaire hindou, la fête de Navaratri ou Navratri (littéralement : neuf nuits) célèbre l’énergie féminine divine. 

Dans le sud de l’Inde on expose des statuettes et toutes sortes d’objets colorés. Selon la légende, la Déesse Durga avait besoin de grands pouvoirs pour vaincre le démon Mahisha. Les Dieux les lui donnèrent – comme ils furent bons ! – et, ainsi dépossédés, se tinrent cois comme des statues.

Ces célébrations se divisent en trois groupes. Les trois premiers jours, on invoque la Déesse pour détruire les impuretés, les vices et les défauts. Là, il y a déjà du travail à faire et on n’en verra sans doute jamais le bout !

Les trois jours suivants, la Déesse est adorée car elle a le pouvoir de donner la richesse infinie. Il ne faut surtout pas prendre ce terme au sens strict car il risquerait d’y avoir beaucoup de déçus … dont moi-même !

La Déesse Durga tuant le démon Mahisha

Les trois derniers jours sont dédiés à l’adoration de la Déesse dans son incarnation de la sagesse afin de connaître tous les succès dans la vie. C’est, à mon avis, beaucoup plus sage et raisonnable que le but des six jours précédents ! Car, après tout, ne les souhaite-t-on pas nous-mêmes à toutes occasions ?

On retrouve cette épopée dans le Mahabharata dont je vous ai parlé il y a déjà fort longtemps (relire le billet « Ce soir, on danse ! »).

L’Ayudha pooja célèbre justement la victoire de Durga sur le Démon. On vénère donc ses armes. Par extension, au cours des festivités, on célèbrera tous les instruments de la vie quotidienne (outils de l’artisanat, ustensiles de la maison, de la cuisine, objets pour les études – ordinateurs, livres, …).

Une pratique plus récente permet de célébrer tous les véhicules (VL, PL, motos, scooters, bicyclettes) afin de chasser toutes sortes de démons, encore eux !

INVITATION

Jeudi 22 octobre, Saghana, jeune indienne brahmane du Bureau de France, nous invite chez ses parents pour célébrer Ayudha Pooja et Durga Ashtami. Nous partons en voiture sous la pluie et, arrêtés à un feu tricolore, nous achetons, sous le regard plutôt perplexe de Bala, un gigantesque parapluie arc-en-ciel qu’un vendeur à la sauvette enfourne dans la voiture pour la somme « astronomique » de 350 roupies (4€) ! On se ferait presque tirer par les oreilles par Bala qui pense que c’est une dépense inconsidérée ! Tant pis, il nous le fallait et vous l’avez vu à la fin du billet précédent.

Nous allons dans un quartier que nous ne connaissons pas, les rues sont animées, étroites, encombrées par des travaux de la chaussée. Dans la ruelle où habitent les parents de Saghana, une voiture et un rickshaw ont du mal à se croiser. Il faut klaxonner, se serrer à gauche et à droite, forcer le passage, klaxonner à nouveau, coups intempestifs, un peu nerveux. Nous, nous serrons les fesses ! Bala manque le numéro de l’immeuble. Il faut faire demi-tour. Mission impossible … semble-t-il. Contre toute attente, il force le passage, arrête la circulation dans les deux sens en mettant la voiture en travers de la voie. Arrêt obligatoire pour les autres véhicules que l’on verrait presque trépigner d’impatience.

L’IMMEUBLE

A la nuit tombée, nous entrons dans une résidence de deux immeubles. Un gardien fait signe à Bala de se garer. Celui-ci nous attendra le temps de notre visite mais nous partirons vers 19 heures pour ne pas qu’il fasse d’heures supplémentaires. Saghana nous accueille au pied de l’immeuble. Elle discute avec le nouveau chef du Bureau de France, sa femme taïwanaise et Apinayaa, la jeune VIA. Nous décidons de monter les trois étages à pieds. La structure de l’immeuble est en béton, les sols et les escaliers en carrelage. Les paliers distribuent plusieurs appartements le long des couloirs. Cela résonne. Les portes d’entrée des appartements sont doublées de grilles de fer forgé cadenassées la nuit. Des portes ouvertes sur les intérieurs ne cachent rien de l’intimité des gens. Sur les pas de portes, des kolams sont tracés à la poudre blanche, en signe d’accueil, de bienvenue et de prospérité. La rampe d’escalier est usée, marquée par de vieilles traces des milliers de mains qui l’ont caressée, les murs sont éraflés par les vélos et les poussettes que l’on monte aux étages. La lumière blafarde rend le hall d’entrée assez sinistre et aussi parce que trop vide et trop grand. Les boîtes aux lettres en bois indiquent le nom de chaque habitant. Ici, ce sont les Indiens des classes sociales moyenne et moyenne-supérieure qui y vivent.

Kolam

L’APPARTEMENT

La porte d’entrée est ouverte. Nous nous déchaussons comme le veut la tradition lorsque l’on pénètre chez quelqu’un. Nous sommes accueillis par la maman de Saghana qui a revêtu un élégant sari. Son papa porte le traditionnel dothi blanc propre aux brahmanes, tantôt couvrant ses jambes, tantôt remonté à mi-cuisses. Une fois les présentations et les salutations terminées, la mère s’éclipse dans la cuisine. Sombre. Petite, toute petite. Le réfrigérateur et le four à micro-ondes sont dans la pièce à vivre, comme c’est souvent le cas. Elle est assez  petite. Chaises de jardin en plastique ou en rotin, une vitrine chargée de bibelots dont une miniature du Taj Mahal, une petite Tour Eiffel et la tour Khalifa à Dubaï enfermée dans une boule à neige. Quelques posters de divinités aux murs et un lave-mains terminent de meubler cette pièce. Face à la cuisine, sur notre gauche, une porte fermée doit donner accès à la chambre parentale. A côté, une porte ouverte donne sur la chambre de Saghana dans laquelle il y a un accès à la salle de bains. Un petit balcon. C’est tout.

Saghana et ses parents

LA POOJA

La pooja est installée dans la salle-à-manger. C’est un petit escalier en bois de sept étagères recouvert de tissu synthétique. Au-dessus de celui-ci, trois portraits de divinités ornent le mur. Sur la première étagère du haut, le couple divin Shiva-Parvati, trône en majesté. Ils sont noirs. Pourquoi ? A côté d’eux, d’autres statuettes, comme sur les deux étagères suivantes ; des Shivas, des Ganeshs, des Anumams, et les autres … D’autres encore ornent les trois étagères inférieures. Des danseuses colorées mobiles oscillent de la tête et de la taille, mues par l’air que brasse le ventilateur plafonnier. C’est amusant ! Les trois étagères du bas sont décorées d’un tas d’objets miniatures qui représente le quotidien. Meubles en perles de plastique, objets de la cuisine en métal et en bois traditionnels comme le coupe légumes ou la râpe à poissons. Enfin, posées au sol sur des plateaux en métal blanc, les offrandes : encens, fruits, riz, … Cette pooja, adossée au mur du fond de la pièce, coincée contre la fenêtre, l’envahit et la réduit le temps des festivités. Elle restera installée les dix jours de cette célébration.

ON MANGE !

Très active dans la cuisine, la maman de Saghana ne fait que de rares apparitions, toujours souriantes et prenant soin de chacun d’entre nous. Elle explique ce qu’il y a sur la pooja, nous demande de nous installer confortablement, alors qu’elle-même, son mari et Saghana restent debout. Puis, les assiettes en bois arrivent. Nous n’avions pas prévu de manger … mais il le faut bien et nous en sommes reconnaissants. Sa maman s’est donnée beaucoup de mal : pakoras (boulettes de pois chiches), sauce épicée à la noix de coco, pin mulai (pousses de haricots) à la noix de coco râpée et en dessert, des gulab jamun (boulettes de farine, sucre, cardamome et sirop de rose). Dès que notre assiette se vide, la voilà remplie de nouveau. Il n’est pas question de refuser. Cela me rappelle ma famille, ma grand-mère disait : « Mange, mais mange, je te dis ! Encore un peu ! Tu dois manger ! ». Sauf que là, pas d’injonction mais une insistance très polie à laquelle on se plie volontiers. Nous avons donc mangé tant et plus, et j’ai quand même réussi à refuser timidement un troisième service. De l’eau, du café et nous sommes partis !

LES PRÉPARATIFS

Samedi  24, Bala arrive accompagné de son garçon de 10 ans et de sa fille de 6. La veille, il a lavé la voiture et nos vélos. Les enfants nous attendrons au pied de l’immeuble le temps de faire nos achats à Mylapore pour les offrandes aux véhicules : la voiture de Bala, sa moto et son scooter qui est maintenant chez nous car les chats de son quartier griffent la selle, le scooter de Claire et nos deux vélos bulgares. Dans la rue très animée, de nombreux éventaires encombrent les trottoirs, débordent sur la chaussée. C’est habituel mais là, ça l’est un peu plus ! Nous suivons Bala qui sait exactement quoi et où acheter. Oranges sweet lime, pommes, citrons verts, grenades, bananes, noix de coco, citrouille, riz soufflé, poudres blanche et rouge, encens, bougies, beaucoup de fleurs en guirlandes et des douceurs (gâteaux indiens). Les poudres serviront aux tilaks (un mélange ayurvédique de poudre de bois de santal, de turméric, de kumkum et de jus de lime) étalés à certains endroits des véhicules, selon la croyance de chacun, pour les protéger (phares, roues, cadres de vélos). Nous aimons cette ambiance de fête et découvrons un nouveau rituel.

Peinture des idoles sur les citrouilles lors de cette fête

LA BÉNÉDICTION DES VÉHICULES

La mise en scène est parfaitement orchestrée. Les deux roues encadrent la voiture. Chaque véhicule est marqué de plusieurs tilaks, orné d’une guirlande d’œillets jaune et de roses rouge. Un citron vert repose sous chaque roue. Devant la voiture, les offrandes sont disposées sur un papier journal. L’encens brûle et envahit l’espace. Les fleurs dégagent une odeur un peu acre. Bala casse alors une noix de coco, en verse l’eau sur le sol  et écrase un citron. Une bougie brûle en équilibre sur la deuxième noix. Incliné, par des gestes circulaires, récitant sans doute des prières, Bala bénit les véhicules. Répétition avec la citrouille. Puis, sur le trottoir devant l’immeuble, il fracassera la noix de coco et la citrouille, sans se soucier des véhicules en stationnement qui auraient pu être éclaboussés par des fragments. Qu’importe ! Pour finir, Bala démarrera la voiture et roulera lentement sur les citrons, les écrasant.

Bala place les véhicules avant la bénédiction Il a lavé la voiture, nos deux vélos et ses deux scooters

La bénédiction avec un citron, puis avec la noix de coco et enfin, avec la citrouille.

Après la bénédiction, la citrouille et la noix de coco seront fracassées devant notre immeuble.

Rouler après la bénédiction pour faire en sorte que les incantations fassent de l’effet.

Protection absolue !

La cérémonie terminée, les offrandes seront distribuées à chacun d’entre nous, y compris Prasat le gardien afféré et quelque peu indifférent, à nettoyer les bris devant l’immeuble : fruits, riz et gâteaux.

Notre porte d’entrée est ornée de guirlandes de feuilles séchées

14 réponses sur “Navaratri”

  1. merci pour ce compte-rendu des festivités et de ce début de mousson. très impressionnant! Prudence à vélo, même béni!
    avec toute mon amitié. Je vous embrasse;
    Thierry

    1. Merci à toi d’être un fidèle lecteur ! C’est promis, nous serons prudents à vélo. D’ailleurs, notre première sortie en direction de l’océan a eu lieu dimanche, jour où la circulation est peu dense.
      Portez vous bien.
      Amitiés et bises indiennes !
      Christian

  2. Les lettrines et intertitres bleus sont plus pimpants que les noirs. Ils conviennent mieux à l’Inde, je trouve.
    L’immeuble qui « raisonne » est un joli lapsus.

    1. Merci pour l’approbation du changement. C’est vrai que c’est plus pimpant ! Et oui, tu as tout-à-fait raison, c’est moi qui raisonne – ou déraisonne, c’est selon – puisqu’en écrivant, c’est ma « raison » qui me guide … Le joli lapsus est maintenant corrigé !
      Bises à vous deux en vous espérant bien.

  3. Très sympathiques ces festivités, ces traditions, ces couleurs !
    même les voitures et les vélos y participent.
    Ce fut un plaisir de vous revoir par écran interposé. Ici toujours
    ambiance un rien tristounet because confinement…
    Bises normandes masquées,
    Charles-Henri,Eric & Max

    1. Quel plaisir de lire ton commentaire directement sur le blog ! Comme quoi, mes explications étaient nécessaires car l’opération n’est pas évidente. Merci de ta présence et ravis qu’on ait pu se voir !
      Bises indiennes virtuelles,
      Xtian&Éric

  4. Quelle tradition chouette et originale ! Bonne balade à vélo, ici c’est tout ce qu’il nous reste à faire en confinement !
    Gros bisous

    1. Salut Manon, c’était surtout sympa d’avoir été invités chez des Indiens qui nous ont super bien reçus. Et pour les vélos, on en fait le dimanche car il y a moins de circulation. Dommage que la longue promenade le long de la mer est interdite depuis mars.
      Gros bisous

  5. Hello les garçons,
    J’adooore cet article apportant joie, couleurs émanant de ces festivités dans notre monotonie ambiante… Comme cela fait du bien , Merci!
    Chris, félicitations pour le travail d’informations, de documentation, de recherches personnelles, le blog est une « mine d’or »;
    Pas de dérapage intempestif d’Eric en bicyclette…
    Portez-vous bien, je vous kissss

    Syl

    1. Hey Sis, je suis si content de te retrouver encore une fois sur le blog et merci pour tes commentaires. Quant aux articles, j’essaie d’y mettre mes sentiments qui sont souvent/parfois exacerbés par ce que je vois et ce que je vis. Oui, on peut dire que nous avons, malgré tout, de la chance de vivre tout cela, et ce, malgré la situation anxiogène de cette satanée pandémie. Car ici aussi, ça n’est pas simple ! Là, tout de suite, il se met à pleuvoir. Il pleut tous les jours en ce moment et avant-hier, il a plu toute la journée non-stop. La température a baissé, il fait autour de 26-28°C mais c’est aussi humide.
      Je garde un oeil sur Éric quand il fait du vélo, soies-en sûre !
      Kiss-kiss
      Xtian

  6. Ca y est ! Je suis de retour ! J’ai trouvé enfin le temps de lire vos dernières aventures ! J’adorrrre toujours autant : les puujas, les couleurs de la déco de la maison de votre hôte et surtout les goulab jamun ! Et la citrouille peinte ! Et la moto décorée ! Et … et …
    Merci de nous inviter à cette fête et de nous faire partager sons et couleurs.
    Pour nous, tout va bien. Rien à redire. Travail et télétravail !
    Je vous embrasse, prenez-soin de vous.

    1. Comme on devient « accros » … tes commentaires nous ont manqué ! Et je suis toujours content de te savoir avec nous.
      Nous vous embrassons et continuez d’aller bien.

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