
Goa, l’Indo-portugaise
Panjim : Nous avions choisi et réservé une chambre au Panjim Inn WelcomHeritage, l’une des plus belles demeures indo-portugaises de la capitale. Nous avons rencontré le propriétaire, descendant direct de Portugais qui a su mettre en valeur son hôtel, participant ainsi au charme de la ville. Si le trajet de deux heures de Mandrem à Panjim a été éprouvant et fatigant, l’arrivée fut un soulagement. La construction d’un pont autoroutier reliant Goa à Mumbai coupait les abords de la ville en une profonde cicatrice, créant de forts ralentissements et des chaos dus à la chaussée déformée. Mais à l’accueil, le charme d’Abdullah nous a conquis ; la beauté de sa jeunesse, son sourire au-dessous de sa moustache, sa douceur teintée de nonchalance, sa disponibilité et son efficacité personnelles et attentionnées, tout en lui nous a enchantés.

Nous n’avons pas non plus regretté de séjourner au cœur de la vieille ville, dans le quartier de Fontainhas, là où se concentrent toutes les maisons de style et que nous étions impatients de visiter. À nous la découverte du patrimoine local ! L’agence Soul nous a plongés dans le bain que nous attendions. Le « Guide du routard » indique qu’une halte d’une journée dans ce qui évoque Lisbonne suffit. L’enchère augmente avec « Lonely Planet » qui recommande d’y passer deux jours. C’est exagéré dans tous les cas : nous y sommes restés six nuits et nous ne le regrettons pas.

Panaji, à l’embouchure du fleuve Mandovi, est composée de trois quartiers principaux : Fontainhas, Sao Tomé et Altinho. Dans ces quartiers, les églises et les demeures portugaises se côtoient en un chatoiement de couleurs ocre, jaune, vert, rouge, pourpre, aux toits de tuiles rouges surmontés du coq emblématique du Portugal et aux balcons en fer forgé. Les unes sont merveilleusement restaurées, beaucoup d’autres sont décaties. Mais le charme opère.
Il faut savoir que dès le XVIème siècle, il était obligatoire de repeindre les façades des maisons à Noël. Cette tradition perdure et l’on peut voir ainsi des maisons fraîchement repeintes de ces belles couleurs, pour certaines avec des pigments naturels. Çà et là, les églises baroques s’élèvent dans une blancheur éblouissante. Comme à Pondichéry, les bougainvillées égaient les façades ensoleillées.
Nossa Senhora da Imaculada Conceição São Sebastião

Au départ de la poste centrale, cœur historique de la ville, là où ne reste plus que l’unique petit buste en bronze d’un gouverneur portugais, alors que toutes les effigies de l’époque de la colonisation ont été déboulonnées, détruites et remplacées par les symboles montrant la puissance et la suprématie de l’Inde – le lion à trois têtes posé sur une fleur de lotus – nous avons suivi notre guide dans le dédale des ruelles pendant plus de deux heures. Une restauration rapide à la pâtisserie portugaise dans la Rua 31 de Janeiro nous a ragaillardis.

Par cette journée harassante, écrasés par la chaleur, nous regrettions presque la plage. Mais nous en voulions plus, déambuler dans les ruelles, découvrir des petits cafés où boire de la bière locale et du feni, eau de vie de noix de cajou, fruit de l’anacardier et qui est un must à Goa. Il peut être aromatisé d’herbes ou d’épices : cannelle, citronnelle, massala, clou de girofle, anis étoilé… Nous voulions aussi manger de bonnes choses dans de petits restaurants cachés dans les venelles ou au contraire découvrir la gastronomie locale aux accents portugais dans des endroits réputés : du « Viva Panjim » sur une petite table en terrasse au « Fisherman’s Wharf» le 25 décembre avec musique live invitant à danser. Nous avons tout expérimenté, y compris le five o’clock tea au « Café Bodega », très belle maison coffee-shop-musée à Altinho, près de l’archevêché.
Café Bodega Archevêché
Velha Goa : La ville-musée à ciel ouvert, classée au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco, se situe à 10 km de Panjim. Ce qui fut la « nouvelle Lisbonne » ou la « Rome de l’Orient », capitale du commerce entre l’Europe et l’Orient, conquise par les Portugais en 1510, sera abandonnée, sa population en grande partie décimée par le choléra et la malaria au XVIIème siècle, ne laissant la place qu’à des églises, une basilique et des couvents vides. Les maisons seront démontées et les matériaux récupérés pour reconstruire ailleurs. Ailleurs étant la nouvelle capitale, Panaji. Par une forte chaleur de début d’après-midi, nous avons affronté la foule de visiteurs indiens faisant la queue pour entrer dans ces lieux saints.
Cathédrale de Santa Catarina, à droite et Igreja de São Francisco de Assis, à gauche. Le musée à l’arrière-plan. Basilica do Bom Jesus
La cathédrale de Santa Catarina (Se Cathedral) est la plus vaste de toute l’Asie. La Basilica do Bom Jesus renferme le tombeau de saint François Xavier, « l’apôtre des Indes » que nous avons entr’aperçu dans son cercueil de verre. Sa dépouille non momifiée est en parfait état de conservation, ce qui ajoute au mystère. L’église San Cajetan est inspirée de la basilique de Rome. Et il y a aussi Santa Monica (non, pas à Los Angeles !), l’église de Notre-Dame-du-Rosaire, Notre-Dame-du-Mont et le couvent des Sœurs pour ne citer que ceux-là.
San Cajetan
En une journée et toujours à pieds, nous avons visité une dizaine de ces lieux chrétiens. Seul regret, le musée archéologique était fermé ce jour-là. Comme à Lourdes, les vendeurs de rues le long des grilles de la basilique proposent aux passants glaces, idoles en plastique, bougies, écharpes et chapeaux pour se protéger du soleil dans la longue file avant le contrôle sanitaire. Les consignes sont strictes ; pas de couvre-chef ni de lunettes de soleil dans l’enceinte de la basilique. Assise par terre avec ses trois enfants autour d’elle, une jeune femme demandait l’aumône la main tendue. Chez le glacier le plus proche, nous lui avons acheté quatre esquimaux au chocolat. Les enfants seraient-ils heureux de ce plaisir rafraîchissant et éphémère ? Nous ne l’avons pas su. La femme a pris les glaces, peut-être surprise et les a gardées sur ses genoux. Les aura-t-elle laissées fondre ? Plus tard, épuisés par l’ascension de la petite colline, la chemise collée au dos mouillé de transpiration, fatigués par la chaleur, notre estomac indiquant avec force grondements que nous avions largement dépassé l’heure du déjeuner, nous avons trouvé la grâce dans le jardin de Notre-Dame-du-Rosaire. Assis sur un banc à l’ombre d’un bouquet d’arbres, face à la magnifique église désaffectée, la vue plongeante sur le fleuve Mandovi qui allait se jeter quelques kilomètres plus à l’ouest dans l’océan, nous avons dégusté religieusement notre sandwich préparé par notre hôtel sans que rien ni personne ne nous dérange. Ce lieu nous appartenait à ce moment-là.

Nos excursions
Nous avions fixé des dates avec l’agence Soul pour visiter deux îles au large du fleuve et avions convenu d’une journée de découverte avec un chauffeur qui nous avait été recommandé. Notre semaine à Panjim s’organisait à merveille. L’île de Diwar, visible depuis le port au départ de Panjim, est une longue bande de terre sur le fleuve.

La végétation et quelques tours d’églises émergent. Pour le détail, Éric a son permis de conduire mais il ne veut pas enfourcher de scooter. Moi, je le veux bien, mais mon permis de conduire est resté à Chennai. Nous n’avons donc pas pu en louer mais nos guides nous en ont prêté un. Détail réglé ! Le ferry peut transporter six véhicules, une dizaine de motos et une poignée de passagers piétons. Nous voici embarqués vers 15 heures le 24 décembre pour ce qui promettait d’être une découverte à défaut d’une aventure. Nous roulons sur de petites routes à une voie ou sur des chemins improbables à la recherche d’une église baroque, de ruines d’un temple détruit une première fois par les Moghols puis par les Portugais. L’air est bon, on se sent ailleurs. En fin d’après-midi, j’irai me jeter dans un petit lac pour un bain d’argile ; j’en ressortirai la peau toute lisse. Pour finir, nous aurons droit à une dégustation de feni accompagné de galettes de pommes de terre épicées savoureuses.
Bain d’argile, avant … … après !
Le départ pour l’île de Chorao est prévu à 7h30 le 25 décembre. C’est tôt ! Dans la brume matinale, le lever du soleil depuis le ferry est splendide.

Chorao est proche de Diwar, tout aussi longue, comme posée sur l’eau, ébouriffée par le feuillage de la végétation luxuriante. Depuis une barque silencieuse, nous assisterons à un magnifique spectacle d’oiseaux migrateurs sur le fleuve et ses backwaters. Nous visiterons une église et un temple hindou qui n’a d’autre intérêt que d’être le seul de la région à être dédié à la mère biologique de Shiva (?).

Ibis au cou noir de Sibérie
Nous passerions la journée du 26 décembre dans l’arrière-pays dont le parcours irait de Loutulim à Quepem en passant par Chandor. Là, se tiennent les plus belles grandes maisons indo-portugaises dont celle de la célèbre famille Bragança (Bragance) du Portugal. Le point commun entre toutes, à l’instar des palais du Chettinadu, est l’usage de matériaux nobles pour les aménagements. Le bois de rose pour les meubles, les lampadaires de Belgique, les marbres de Carrare, les lustres de Venise, les porcelaines de Chine. Les portraits des ascendants portugais ornent les murs tapissés de papiers peints à la main, comme un sceau officiel d’authenticité. Les meilleurs artisans goanais du XVIIème siècle ont construit tout cela dans le style portugais. Les explications données lors de nos visites témoignaient à chaque fois de l’amour et la passion pour ces demeures et leur histoire, cachant souvent les réelles difficultés liées à l’entretien. Une passion d’une vie, mais à quel prix ? Les uns s’en sortent bien comme à Loutulim et à Quepem, d’autres moins bien comme à Chandor.

Dans la campagne de Loutulim, la Casa Museu de Figueiredo fait face aux rizières, aux palmiers, aux manguiers et aux anacardiers dans un dégradé extraordinaire de verts. Nous avons été accueillis par les propriétaires, Figueiredo de Albuquerque, dont le jeune fils parfaitement francophone gère aujourd’hui l’entreprise. Cette maison, bien qu’habitée par la famille, est un musée en soi et un hôtel de luxe dans lequel nous serions bien restés quelques temps.

Sur la grande place de Chandor, jouxtant l’imposante église Nossa Senhora de Belem, on ne peut manquer l’impressionnante Casa Bragança qui étale majestueusement ses 28 balcons alignés sur la façade (photos des intérieurs hélas interdites). Les deux héritières, descendantes directes de la famille Bragance du Portugal, se partagent les deux ailes de cette demeure : l’aile Peirera-Bragança, assez endommagée, meubles en mauvais état, vestiges d’une époque éblouissante mais dont la propriétaire était charmante. Nous l’avons visitée en marchant sur la pointe des pieds et en chuchotant car au même moment une équipe de tournage réalisait une séquence d’un film dont nous entendions le vacarme d’une lutte entre plusieurs hommes. L’aile Menezes-Bragança, en meilleur état de conservation, nous a plus impressionnés – salle de bal, salle à manger, fenêtres composées de calepas, petits carreaux de nacre d’huîtres, en relativement bon état de conservation, matériau largement utilisé localement à cette époque, irremplaçables.

Plus loin, la Casa Fernandes est une très belle bâtisse méritant une bonne restauration. Depuis la rue, l’odeur de cuisine épicée titillait nos narines. Le propriétaire nous a beaucoup émus, aimable et accueillant bien qu’il s’apprêtait à déjeuner. Il avait l’air d’un pauvre homme, mal fagoté, vêtements pas très nets, charentaises aux pieds, hygiène douteuse, dents manquantes mais le port altier, le regard intelligent et le pas alerte. Tout comme chez les « autres », la passion, l’amour et l’histoire d’une vie « portugaise » se lisaient dans ses yeux. Il nous a tout montré : la salle de bal fantomatique, l’immense salle à manger qui ne servirait jamais plus personne, la commode aux tiroirs secrets sans plus aucun secret à cacher, sa chambre avec lit à baldaquin aux voilages poussiéreux dans lequel il dormait sans doute tout seul, la collection de médailles anciennes enfermée dans des tiroirs sans secret, les bibelots poussiéreux et parfois ébréchés d’époque. Tout cela avait fait la fierté d’une famille riche et noble d’un temps à jamais révolu. Cet homme devait combattre chaque jour pour conserver son bien, son joyau. Les privations, certainement, les charges à payer aussi. Mais cette maison était la sienne et il n’avait pas d’autres alternatives que d’y vivre. La petite boîte à la sortie, discrètement placée à la vue des visiteurs pour les dons, contribuait peut-être à le maintenir à flot.


Enfin, à Quepem, le Palàcio do Deão, était d’un autre genre. Racheté par un passionné d’architecture, Indien pure souche au nom portugais surprenant, Ruben Vasco de Gama – rien à voir avec LE Vasco de Gama – a fait renaître de ses cendres cette très belle maison coloniale à l’élégante façade jaune. Si l’homme était sympathique, il a mené tambour battant la visite parce que des clients déjeunaient en terrasse. Il avait donc peu de temps à nous consacrer. Ce fut un peu décevant mais pour être francs, nous étions si rassasiés de tant de beautés et si fatigués par toutes ces visites que nous ne nous sommes pas sentis frustrés, bien heureux de pouvoir remonter en voiture pour faire baisser la température corporelle grâce à l’air conditionné. De retour à Panjim, nous irions boire une petite bière locale au café Joseph puis nous dînerions chez Viva Panjim.
