
C’est l’histoire d’un voyage prévu pour les 60 ans d’Éric en 2021 qui n’a pas eu lieu. Reporté aux calendes grecques, la pandémie ne nous laissait rien entrevoir. Nous étions tous les deux déçus et dépités.
C’est aussi l’histoire d’un voyage que j’ai entrepris il y a 40 ans, entré par une petite porte de cet état sans en voir l’ensemble. D’où l’envie d’y revenir.
C’est enfin l’histoire d’un vieux rêve. Bien avant notre installation à Chennai et concours de circonstance, Éric piaffait d’impatience de visiter cette région de l’Inde.
C’est maintenant chose faite pour tous les deux.
Dans un secret faussement gardé, sans rien dévoiler, je me suis mis à la préparation d’un voyage qui restera pour le coup, absolument inoubliable. Mission accomplie ; je n’ai jamais été aussi heureux de le rendre si heureux et émerveillé !

Il y avait des ingrédients indispensables à la réussite de cette équipée. Voyager en voiture pour pouvoir s’arrêter en chemin, découvrir des paysages uniques, visiter cette terre de maharajas et leurs innombrables palais et forteresses, dormir comme des « raj » en leurs palais. La voiture spacieuse avec notre chauffeur Yugraj, un jeune Sikh de 24 ans de Delhi, nos guides francophones pour les visites d’importance, Anand – Rajput, la plus haute caste du Rajasthan – Antriksh, Sher Singh, Bhawani et Buba – Rajput lui aussi mais de la branche des guerriers –, la gastronomie locale ainsi que nos hébergements dans des lieux historiques et remarquables ont fait notre bonheur du début à la fin.



Voici en un clin d’œil notre parcours, un voyage de 1200 kilomètres en 12 jours du 3 au 13 février. Le Rajasthan est la terre des rois ; raj, maharaja, maharana ou maharawal selon la région, la langue, le clan, Rajputs pour la plupart. Cet état est un concentré de royaumes très anciens en mutation, en expansion, tantôt envahis, tantôt envahisseurs. Ces raj étaient des visionnaires ; bâtisseurs, esthètes, cultivés, scientifiques, artistes, amoureux, raffinés et peut-être avant tout, des guerriers ; ces rois étaient tout cela à la fois. On en voit les traces aujourd’hui encore. Un drapeau aux couleurs d’un royaume flotte au-dessus d’un palais signifie que le maharaja est présent sur ses terres, la construction d’un mausolée indique qu’un maharaja vient de mourir et son cénotaphe s’ajoutera à ceux de ses ancêtres dans le cimetière royal.


au cimetière royal, Jaisalmer


A droite : Futur mausolée du maharaja défunt, Jaisalmer


Les noms sont évocateurs. Certains ont une origine rajput, d’autres, moghol ; Amber, Bikaner, Jaisalmer et Jaipur, Udaipur, Jodhpur mais aussi Mukundgarh, Junagarh, Mehrangarh, à titre d’exemples. Tout cela rend le Rajasthan si spécial. C’est ce qui rend le Rajputana si beau.

Nous retrouvons Yugraj à l’aéroport de Jaipur. Il est presque minuit. Affichant un sourire, il montre une affichette au nom d’Éric. Le trajet semble long jusqu’à notre hôtel et dès que l’on traverse une porte (pol), on sait que l’on est entrés dans la vieille ville. A cette heure calme, quand tout le monde dort, il ne reste que les rideaux de fer baissés, quelques chiens errants et les traces de l’activité de la journée. Les rues sont sales. Nous arrivons au « Samode Haveli », une grande demeure de riche marchand transformée en hôtel de luxe. Nous nous y poserons pendant trois nuits. J’écrirai près de la piscine mes premières notes. L’air est très frais le soir, l’eau est froide et je ne me baignerai pas. Nous ressentons le piquant de l’air, nous qui venons du sud si chaud en hiver. Nous nous envelopperons dans nos châles chaque soir.



Jaipur est la capitale d’état. C’est une grande ville animée, organisée en 9 carrés, concept védique correspondant aux 9 planètes de l’astrologie chez les hindous. La ville a été peinte en rose, la couleur de bienvenue, en 1876 à l’occasion de la visite du prince de Galles, futur roi Edouard VII d’Angleterre. C’est de là que commence notre périple.





Il nous amènera à Udaipur, dite « la Venise de l’ouest » pour les nombreux lacs qui la délimitent. Ici, les couleurs sont chaudes, la pierre lumineuse et changeante au soleil. La pierre ocre contrebalance avec le marbre blanc des bâtiments qui lui font face, comme dans un duel. Ainsi, le palais royal, dont l’enceinte ocre tombe à pic dans l’eau, affronte la blancheur éblouissante du palais-hôtel du Lake palace.



Ailleurs, à Jaisalmer, c’est la blondeur dorée de la ville, des palais et de la citadelle qui captera notre attention.



La pierre, sous le soleil écrasant du désert du Thar, ce mini-Sahara (c’est moi qui le dit), renvoie la chaleur. Il fait jusqu’à 48°C six mois dans l’année et il n’y a aucune précipitation. Février est la fin de la meilleure période.
Musiciens dans le désert




On retrouvera cette même ambiance à Bikaner, autre ville en bordure du désert qui compte d’immenses havelis désaffectés et nous épate par sa forteresse époustouflante de beauté et de richesse.





Passé les Monts Aravali, petite chaîne de montagnes qui coupe le Rajasthan du nord au sud, les paysages arides sont parsemés de buissons secs et courts.







A l’est, c’est la plaine interminable, un peu ennuyeuse où les villages sont nombreux et les bourgs très agités. Partout, la même animation ininterrompue : la circulation, les embouteillages, les coups de klaxon, l’effervescence du commerce, des fruits et des légumes à tous les coins de rue, dans les échoppes, sur les vélos à plateau, à même le sol, les produits posés sur de simples bâches.


Nous attendrons avec impatience d’être dans la « ville bleue », Jodhpur. Des hauteurs de la forteresse, nous remarquerons que beaucoup de toits bleus sont en tôle ondulée donnant l’impression que presque toute la vieille ville a revêtu cette couleur. D’en bas, il en va tout autrement. Seul un quartier bien restauré avec de jolies boutiques chics « à touristes » est coloré. Partout ailleurs, le bleu est délavé ou il n’en reste que quelques traces qu’il faut bien chercher. Notre guide manquera sa mission de nous mener aux endroits les plus intéressants parce qu’il faut bien le dire, mon déjeuner m’avait occasionné de terribles crampes d’estomac et des maux de ventre qui m’ont empêché d’apprécier cette visite que nous avons écourtée.


En voiture, nous avions des temps de trajets de 3 à 5 heures. Certains matins, nous partions dès 8 heures. Avec notre accord, Yugraj nous berçait pendant une heure ou deux de musique et de chants enregistrés par des gourous Sikhs . C’était très apaisant au point de somnoler. Les trajets semblaient ainsi plus courts et moins monotones.
Nos journées étaient rythmées par des visites de forteresses et de citadelles, de palais, de havelis, de temples hindous et jaïns. Ces derniers sont nombreux dans la région. Nous avons fait les boutiques, souvent du lèche-vitrines, afin d’admirer le travail des artisans (textiles et bijoux essentiellement). Nous avons également dégusté le meilleur lassi jamais bu jusqu’à aujourd’hui dans des gobelets jetables en terre cuite. Le « Lassiwala » à Jaipur est un établissement très populaire dans la ville nouvelle, institution où l’on se rend depuis 1944.



Jaipur a été notre premier choc culturel. Entre le City Palace avec son palais royal, le « Palais des Vents » où les femmes du harem pouvaient regarder dans la rue sans être vues à travers les ouvertures en moucharabieh, et l’Observatoire royal, patrimoine de l’Unesco, nous avons commencé sur les chapeaux de roues !





La suite ne nous a pas déçus. Chaque jour, nous visitions une forteresse, un palais, un temple, un musée. Nous nous promenions dans les ruelles des vieilles villes, admirant le travail artisanal, les tissus si colorés, les étoles, châles et écharpes en laine de cachemire, en pashmina, plus fine encore. Nous déjeunions sur le pouce dans la rue pour ne pas perdre de temps, nous étions avides de découvrir tous ces trésors. Et des trésors, les palais musées en recèlent ; les décorations des salles tout d’abord. Utilisant des couleurs vives que certains jureraient criardes, les murs et les plafonds étaient non seulement peints mais de petits miroirs y étaient ajoutés, reflétant ces couleurs et la lumière du jour et des bougies le soir. On imaginait bien les tentures et les tapis fermer ces grands espaces ouverts aux vents, créant ainsi une intimité, invisible de tous. Puis les expositions de textiles, vêtements de maharajas, de maharanis absolument sublimes.




Admirables créations locales dignes de la Haute Couture.
Les armureries, contre toute attente, nous ont fascinés tant par les formes diaboliques des épées, dagues et autres poignards qui devaient faire atrocement souffrir en entrant dans les chairs que par leur esthétisme. Les lames gravées, ciselées, les manches en ivoire ou en bois précieux travaillés transformaient ces armes redoutables en œuvres d’art. Ailleurs, les pièces en argent massif repoussé, berceaux, objets cérémoniels, de la maison et de la vie courante, carrosses et palanquins. Bref, une orgie de splendeur !







Dans le Shekhawati, ce sont les havelis que nous avons découverts. Ces grandes demeures palatiales datent des XVIIIème, XIXème et XXème siècles. Elles sont décorées de fresques dépeignant autant les personnages religieux (Vishnu, Krishna et Ganesh essentiellement et leurs épouses Parvati, Lakshmi) que les interprétations des nouvelles technologies de l’époque (paquebot, train à vapeur, bicyclette, avion). Ces havelis rappellent les palais du Chettinadu dans le Tamil Nadu, région que nous avions visitée en un autre temps.

ornements et richesses, aux palais de maharajas











Les temples ne nous ont pas laissés indifférents. Nous avons été surpris par le nombre important de temples jaïns ; à Jaisalmer dans la citadelle, à Bikaner et à Ranakpur sur la route entre Jaisalmer et Jodhpur. Ce dernier, le temple de Chaumukah, tout en marbre, repose sur 1444 colonnes, toutes sculptées de motifs différents. A la sortie, Éric a engagé la conversation avec un jeune prêtre tout de jaune et rouge vêtu affichant un magnifique sourire. Le jaïnisme est proche de l’hindouisme et du bouddhisme. On est jaïn de conviction, religieux ou laïc. Les croyances et principes de vie sont les mêmes dans les deux cas, excepté pour l’un des vœux majeurs : « le vœu de conduite du Brahman ». Chez les laïcs, les couples se doivent fidélité absolue tandis que pour les ascètes, le vœu de pureté signifie le célibat et l’abstinence de toutes pratiques sexuelles. Je laisse le lecteur faire ses propres commentaires ! A Udaipur, le temple hindou de Jagdish que nous avons atteint en gravissant de hautes marches, résonnait de musique joyeuse. Une petite foule, assise par terre face à un prêtre, écoutait attentivement les textes sacrés. Les couleurs, les odeurs d’encens ainsi que la musique nous ont mis en joie !




A droite, temple jaïn de Chandraprabhu à Jaisalmer








l’un des rares temples en polychrome.
Dans le sanctuaire, l’un des 24 tirthankara
(grands maîtres jaïns)










Les palais sont construits et organisés de la même façon. Plusieurs « pol », portes d’entrées conduisent à une première cour carrée avec, en son centre, le « Diwan-I-Am, la salle des Audiences publiques. A l’intérieur, le « Diwan-I-Khas », salle des Audiences privées, est somptueuse. Une deuxième cour est réservée aux femmes, épouses et concubines. On ne peut les voir, elles ont leurs quartiers ; palais pour les concubines, suites privées pour les épouses. Le maharaja, lui, vit dans ses suites, dort seul, mange seul, vit seul en quelque sorte. Des couloirs étroits, des escaliers et des coudes relient souvent les appartements du maharaja à ceux de ses épouses ou concubines.





En bas : Salle des Audiences publiques dans la 1ère cour du palais, Salle des Audiences privées, dans le palais




















Je terminerai ce panorama par les hôtels qui nous ont accueillis. Tous, à l’exception des havelis, ont une histoire liée de près aux maharajas. Pour l’un, à Jaisalmer, c’était l’un de ses trois palais. Pour un autre, à Bikaner, c’était une résidence secondaire. Pour un autre encore, à Narlai, un relais de chasse aux pieds des Monts Aravali. Des lieux magiques, fabuleux, extraordinaires au sens premier du terme. Nous avons aimé les havelis, énormes bâtisses toutes peintes et richement décorées, Le Samode à Jaipur et son « jardin extraordinaire », le Vivaana à Mandawa, et enfin des palais dignes de ceux des maharajas. Le Gajner Palace perdu dans la campagne nous a offert sa vue sur le lac alors que le plus mythique d’entre tous est à Udaipur, le Lake Palace, délicatement posé sur le lac Pichola. Ces pauses ont été un enchantement et je voulais enchanter Éric pour son anniversaire. Ce cadeau restera gravé dans notre mémoire.



























Il fait frais malgré le brasero tout proche.












Un hôtel parfait, une soirée d’anniversaire surprise.







Le retour à la réalité fut un peu brutal. Reprise du travail tambours battants pour Éric. Retour à un quotidien d’ »intendant » pour moi. Mais d’autres projets de voyages, plus courts, se précisent en avril et en mai. Nous avons ainsi l’impression de rattraper un peu le temps perdu par les restrictions sanitaires de ces deux dernières années. Il y aura donc d’autres articles en perspective qui alimenteront notre blog.
















En, attendant, régalez-vous et bonne lecture !



sur le lac Pichola
Quel magnifique Anniversaire !
Ce voyage différé _ du à la pandémie_ fait finalement rajeunir Eric de deux années… Veinard !
Quant à toutes ces merveilles, cela semble être un voyage aux mille et une nuits. Et si ça n’est pas le bon endroit , ça y ressemble par la magie des lieux qui donnerait des étoiles dans les yeux de tout un chacun… Cadeau mémorable;
Je vous embrasse bien, prenez soin de vous;
Syl
Je me suis fait aussi ce cadeau et, c’est vrai, c’est inoubliable pour tous les deux !
On t’embrasse bien fort et prends soin de toi !
C’est magnifique ! Du rêve !
J’avais moi aussi adoré cette région, sans avoir séjourné dans un palace. Je me souviens aussi des saris des femmes très colorés, des petits miroirs chatoyants qui reflétaient la lumière, du désert de Thar, des Kamel ‘safari, des musiciens… C’est vraiment une région inoubliable, surtout quand c’est son 1er voyage !
Merci de nous faire revivre ça ! J’en redemande !
Bises à vous deux et encore Bon anniversaire à Eric (je crois bien même l’avoir loupé !)
Patricia
On peut remarquer, en effet, le contraste saisissant entre la lumière crue du soleil qui se reflète partout et surtout sur la pierre et les couleurs chatoyantes des vêtements des femmes, des tissus, des tapis, couvertures, … Nous avons trouvé les assemblages de vieux tapis ou tissus en patchworks très beaux. Comme je l’écris dans l’article, le retour à la réalité est difficile après ce voyage et nous sommes un peu nostalgiques. On a envie d’y retourner, et pas seulement à cause des conditions exceptionnelles dans lesquelles nous étions, mais bien parce que le Rajasthan nous a attrapés dans ses filets magiques !
Bisous
Merci pour ce superbe reportage. Cela fait du bien de recevoir ces magnifiques images et de vous voir en pleine forme.
Merci Joyce de ton commentaire. Ce superbe voyage nous a maintenus en pleine forme. Nous avons adoré.
En t’espérant également en pleine forme,
à bientôt.
Merci Christian pour ces voyages à distance et cette « remise en selle » un plaisir à lire.
Bravo pour le descriptif et ces magnifiques photos, très objectif avec le bon et le moins bon, on s’y croirait.
Bonne continuation et à bientôt
C’est un plaisir de te retrouver au fil du blog, chère Laure. Merci à toi pour ton commentaire (et ceux des autres) qui m’incite toujours à continuer.
Et oui, à bientôt de se revoir.