Le festival de Panguni dure neuf jours dans et autour du temple de Kapaleeshwarar. Pangani est le nom du douzième et dernier mois de l’année du calendrier tamoul (14 mars – 13 avril). C’est aussi le début de la saison chaude qui va durer jusqu’au mois de septembre-octobre et ce soir-là, il faisait encore très chaud. Après deux années d’annulation à cause de la pandémie, il va sans dire que cette fête était très attendue. Pour nous, ce sera notre première participation à un événement de cette importance.

le bassin aux ablutions
Au soir du neuvième jour, cette année le 16 mars, lors de la pleine lune, une fête votive célèbre les mariages divins de Lord Shiva et Parvati, de son fils Lord Murugan et de Deivayanai, de Lord Rama et de Sita. On célèbre également celui de Lord Ayyappan, né de l’union sacrée de Lord Shiva et de Mohini, la forme féminine de Lord Vishnu. C’est un peu compliqué et assez improbable, mais ici, les Tamouls y croient.
Le temple de Kapaleeshwarar fondé au VIIème siècle comporte des éléments architecturaux datant de l’époque du royaume Pallava. C’est l’un des plus anciens et des plus fréquentés du Tamil Nadu. Il est dédié à Shiva qui, dans un accès de colère, transforma son épouse Parvati en paon, l’obligeant à se repentir pour retrouver sa forme humaine. Kapaleeshwarar est le cœur de Mylapore, la « Cité des paons ».


Ce soir-là, 63 idoles de saints, des Nayanmars, sont transportés sur des palanquins tirés et poussés par des pèlerins. Ils tourneront autour du temple toute la nuit sous les incantations, les offrandes, les prières et les bénédictions des prêtres Brahmanes. Chaque statue est richement habillée, porte de nombreux bijoux et d’innombrables colliers de fleurs.






Le quartier autour du temple s’est paré de tentures multicolores, de drapeaux, de hauts dais sous lesquels passeront les chariots portant Dieux, Déesses et Nayanmars.

La police déployée à grand renfort d’agents assure le passage de la procession en formant une barrière de sécurité à l’aide de cordages auxquels ils s’agrippent pour ne pas être eux-mêmes bousculés et emportés par la marée vivante et mouvante, flux et reflux de la mer.
Elle rejette sur les bas-côtés cette masse fondue, fondante, prisonnière d’elle-même. Elle se presse, se croise, se bouscule et se rattrape. Je me sens moi-même poisson pris dans la nasse, se débattant pour survivre, essayant de s’échapper, écrasé par ses congénères. Je panique un moment, m’accroche à Éric qui, lui non plus n’est pas loin de se sentir submergé.






Les mouvements de foule en Inde lors de manifestations finissent souvent tragiquement. Je m’étonne de voir autant de jeunes enfants et de vieillards qui pourraient chuter et se faire piétiner. A chaque passage de chars, les croyants s’accrochent du regard aux idoles sur les palanquins et prient, les mains jointes, pieusement.
De petits groupes de fidèles font des offrandes dans la rue. Ils sont pieds nus. Au centre d’un cercle improvisé et éphémère, ils brûlent de l’encens, fracassent des noix de coco, font des dons de fruits. De la flamme des mèches à huile, ils « enferment » la fumée dans leurs mains puis les posent sur la tête de leur enfant pour les bénir. Puis ils s’en vont.
Des musiciens créent une atmosphère envoûtante, bruyante.
Les hommes, vêtus d’un lunghi blanc et la taille ceinte d’une pièce de tissu orange ou rouge, les couleurs de Lord Murugan, torse et pieds nus, frappent sur des tambours, soufflent dans de longs cors ou des coquillages, claquent des cymbales en un rythme effréné. Ils ont l’air d’être en transe, ils sourient béatement, transpirent beaucoup, s’agitent et se balancent tout en jouant.















Des hijras, transsexuels autant respectés que redoutés, ne sont pas en reste. Elles participent aux festivités et se mêlent aux brahmanes, bénissant elles-aussi les enfants et les adultes moyennant un peu d’argent – un don. Pour ne pas se perdre, les familles et les groupes de jeunes se déplacent en formant une chaîne humaine. Elles se tiennent par la main, s’accrochent aux épaules et fendent comme elles peuvent la foule compacte. Tous font de même, nous, nous essayons.


Panguni est aussi une fête de rue. De minuscules manèges font tourner de jeunes enfants ébaudis, les vendeurs de glaces, de fleurs et de babioles (bijoux fantaisie, articles de cuisine, objets, vêtements, …) fleurissent côte à côte. On vend à profusion friandises et boissons rafraîchissantes un peu partout.


Vers 20 heures, après avoir revu le premier des chars qui avait donc fait une révolution complète du temple, nous nous dirigeons vers le fameux Saravana Bhavan. C’est la plus grande chaîne de restaurants du sud de l’Inde au monde avec quelque 33 restaurants en Inde et 78 ailleurs dans le monde. Paris, Londres et New York ont leur enseigne. Dans une salle comble et bruyante, un serveur nous attribue une table. Nous y avons savouré un dosai, grande crêpe fourrée d’une purée de pommes de terre épicée aux oignons émincés, accompagné de plusieurs gravy, sauces pimentées que nous avons payé 115 roupies (1,30 €). Un prix imbattable et certainement pas ce que l’on paierait à Paris, à Londres ou à New York !





Repus et fatigués, nous avons pris le chemin du retour, étourdis de tant de monde et de tant de bruit, espérant trouver un auto-rickshaw de disponible. Après tout, nous n’habitions pas si loin que cela et la course ne serait peut-être pas intéressante pour le conducteur. Reprenant la route en sens inverse, nous débouchâmes sur le grand carrefour réglementé par des policiers tenant en main des bâtons de plastique, feux de signalisation portatif : couleur verte, on passe, couleur rouge, on s’arrête. En théorie. Les bras en croix, ces crucifiés sur la place publique tentaient de maîtriser la situation et de s’imposer par le pouvoir que leur conférait leur uniforme. Mais les piétons dont nous faisions partie s’en moquaient royalement et effrontément passant sous leurs bras sans même se préoccuper d’eux. Les deux-roues se faufilaient sous leurs yeux impuissants, les rickshaws tournaient autour d’eux en un ballet improvisé, les motos vrombissaient, disparaissant tel le vent. Seuls les automobilistes attendaient mais klaxonnaient d’impatience. Dans ce tohu-bohu, une « Mère de tous », pauvre vache sacrée, meuglait de terreur et sans doute aussi de rage de ne pouvoir aller là où elle voulait, désemparée de tant de vacarme et d’agitation. Elle était visiblement en panique et semblait hurler en un cri rauque, désespérée à fendre l’âme. Nous n’avions plus qu’une chose à faire, fuir et nous retrouver dans le calme rassurant et confortable de notre appartement. Il nous fallait, toutes affaires cessantes, prendre une douche froide pour se relaxer mais aussi comme pour se purifier de tant d’ardeur, de tant de prières, de tant de monde. Nous laver de toutes les impuretés qui semblaient collées à notre peau et, peut-être aussi, de nos péchés, contents néanmoins d’avoir vécu cette folle expérience.


On s’y croirait presque ! On entend les tambours, on est compressé dans cette foule, on avance porté par tous ces gens, on rigole avec les familles, on entre en transe avec ces jeunes hommes, on transpire, on est porté, fatigué, impressionné par ces festivités… et on a envie de savourer ce dosai, de passer sous les bras en croix de ces policiers et ensuite d’aller prendre une bonne douche …
Merci de nous faire partager ce quotidien, ou plutôt cet aspect festif trépident de votre vie ! Là, je ne connais pas !
Je vous embrasse , malgré la chaleur ! Prenez soin de vous.
Patricia
Je suis content que tu aies ressenti – presque vécu – le côté festif de ce grand événement religieux dans cette marée humaine ! Et pour une fois, tu ne connais pas la chose !!! Prends bien soin de toi. On t’embrasse.
Que de monde !!! Bah, pas de panique, je vois ça de mon canapé…mais, comme d’habitude, tu assures « Brother » pour nous faire partager ces moments.
alors, Bravo !
Kissss
Syl
Merci Sis ! Je t’avoue avoir eu des craintes et des angoisses ce soir-là. Si j’avais pu coller mon masque sur mon visage, je l’aurais fait ! Et puis, l’ambiance a dissipé ces sentiments. Résultat : nous en sommes sortis sains et saufs !
Kiss-kiss
Xtian