
A l’occasion de Diwali, la fête des lumières, bien plus célébrée – c’est-à-dire plus lumineuse et plus bruyante – au nord que dans le sud de l’Inde, nous avons passé quatre jours à Mumbai (Bombay), invités chez un collègue, ami d’Éric, Prash. Je l’avais rencontré lors de notre récent séjour à Delhi ; nous étions dans le même hôtel et avions passé quelques soirées ensembles. Je l’avais alors trouvé très sympathique.

L’appartement de Prash et Sami se trouve à Bandra west, quartier bobo où réside un grand nombre d’expatriés. Le « village », ainsi nommé, regorge d’activités ; boulangerie française, pâtisserie, débits d’alcools, restaurants, dont une crêperie digne de notre chère Normandie, bars branchés. Nous sommes au nord de Mumbai, à une bonne heure en taxi de la pointe sud, avec son point de référence, la « Gateway of India », la Porte de l’Inde, face au célèbre et emblématique Palace Taj Mahal.

Un peu d’histoire. Le Taj Mahal Palace Hotel a été commandé par Jamsehdji Tata et a ouvert ses portes le 16 décembre 1903. S’étant vu refuser l’accès à l’hôtel Watson alors réservé aux Européens, ce dernier aurait décidé de faire construire un hôtel de luxe accessible aux Indiens. La clientèle était, pour la plupart, des Européens, des Maharajas et l’élite de la société indienne. A son ouverture, le Taj Mahal Hotel était le premier en Inde à avoir l’électricité, des ventilateurs américains, des ascenseurs allemands, des bains turcs et des sommeliers anglais. Le premier également à obtenir la licence pour la vente d’alcools, de proposer une restauration toute la journée et le premier enfin à ouvrir une discothèque, Blow up. Et aussi et surtout le premier à embaucher des femmes. Dans une vitrine, on peut admirer des photographies de personnalités allant de Somerset Maugham, Duke Ellington, le Prince et la Princesse de Galles (Charles et Diana), Jacques Chirac, Bill Clinton ou Barack Obama.

Les sept îles « sœurs » de Bombay (Bom Baim en portugais ou « Good little Bay ») qui forment aujourd’hui Bombay (Mumbai) sont composées de l’île de Bombay, Colaba, Little Colaba, Mahim, Mazagaon, Parel et Worli. L’Armada portugaise s’empara de ces îles en 1534 puis le Portugal les offrit à l’Angleterre en dote de mariage de Catherine de Bragance avec Charles II en 1661. En 1668, Charles II les loua à l’East India Company pour £ 10 par an. Dès 1845, les îles fusionnèrent pour être rattachées au continent constituant ainsi la partie sud de Bombay (Mumbai).


Aujourd’hui encore, comme nous avons pu le constater, des travaux colossaux sont en cours, gagnant des terres sur la mer, construisant des routes-ponts au-dessus de l’eau sur de longs kilomètres et augmentant sa densité par des gratte-ciel hauts de 70 étages.

Rien d’écologique. On ne favorise ni les déplacements en transports en commun (quel Indien moyen en aurait envie d’ailleurs ? Après tant d’années de privations et l’acquisition d’un scooter, d’une moto ou d’une petite voiture, il n’en est pas question !) ni l’utilisation des vélos le long de pistes cyclables inexistantes.
Ces quatre jours ont été intenses. Nous n’avons pas perdu de temps ! Levés tôt, partis tôt, nous avons vécu à un rythme frénétique. Guide en main, nous voulions voir le plus possible. Quatre jours, quatre temps forts.
Diwali J-2 : Promenade à pied et le nez levé à la découverte de l’architecture indo-sarracénique et Art déco au cœur de Mumbai. Le trajet en taxi nous a paru interminable. Nous y sommes arrivés à la mi-journée. Tant de monde, tant de vendeurs ambulants. Nous étions enfin devant l’arche de la Gateway of India (construite en 1924). Le Taj Mahal Palace Hotel nous a semblé imposant, il nous attirait mais nous avons résisté. Nous irons un autre jour. Tout comme l’envie de prendre le bateau pour Elephanta Island. Soyons patients. Pour l’heure, nous allons découvrir à pied les bâtiments de l’ère coloniale. Nous sommes à Colaba, près du port de Mumbai. Nous longerons the Oval Maidan, immense parc où passionnés de football et joueurs de cricket s’exercent.



D’un côté, le Palais de justice, la Tour de l’horloge et l’université de style indo-sarracénique.






De l’autre côté du Maidan, des immeubles d’habitations, des banques et des assurances, des cinémas de style Art déco très bien entretenus pour la plupart.







Sur une place, nous visiterons la National Gallery of Modern Art, bâtiment circulaire, invitant à découvrir l’artiste récemment décédée Rini Dhumal qui explora toutes les formes, toutes les forces chez la femme. Le cinéma Regal est encore en activité tandis qu’Eros a définitivement fermé ses portes. Quant au Liberty, après un long creux de vague, il est en pleine rénovation pour ouvrir prochainement.






Nous avons terminé cette journée à Chhatrapati Shivaji Terminus (autrefois Victoria Station), l’incroyable gare ferroviaire dont l’agitation extrême semble concentrer toute l’Inde. Exténués, nous n’avons pas poussé jusqu’aux bazars tout proches. Il était 17 heures passées et nous voulions rentrer, nous rafraîchir, nous poser autour d’un verre avec nos amis avant d’aller dîner. Mais au retour notre chauffeur de taxi s’est fait percuter par un scooter conduit par un très jeune garçon. Il était accompagné d’un enfant et transportait de nombreux sacs manifestement très lourds. En débouchant sans regarder (comme le font tous les Indiens) sur la voie où nous nous trouvions, dévié par la charge, il n’a pas pu maîtriser son engin et a foncé sur notre taxi. Maman arrive, puis un attroupement d’inconnus, palabres, coups de fils, attente. Nous avons finalement dû changer de véhicule.

Diwali J-1 : Visites guidées à Dharavi Slum et à Mahalaxmi Dhobi Ghat. Autrement dit un bidonville de Mumbai et le « quai où l’on fait la lessive ». Il existe plusieurs bidonvilles à Mumbai. Celui que nous avons visité est le plus grand d’Asie, il s’étend sur 2,2 km2. Nous avions pris contact avec Reality tour & Travel pour une visite guidée. La part ONG de l’agence lui reverse 80% des sommes. La visite de 3 heures coûte 1450 ₹ par personne, soit 17,50 €. Javed, vivant lui-même dans ce bidonville nous a conquis. Jeune, souriant, intelligent, optimiste, ambitieux, il nous a montré sans misérabilisme la vie et l’activité économique dans cette ville dans la ville d’un million d’habitants (officiel) et sans doute de plus d’1,4 million d’habitants. Les photos sont interdites mais accès à quelques photos officielles en suivant le lien : Bit.ly/dharaviphotos.

L’accueil est amical et l’on ne s’y sent pas en insécurité. Javed nous fait entrer dans de petites entreprises ; transformation des plastiques, cartons, traitements des peaux, du cuir, potiers. Des femmes cuisinent des pappadams (galettes fines et croquantes) qu’elles font sécher au soleil sur des dômes en osier. Des quartiers contigus par corporations, quartiers d’habitations, écoles, lieux de culte. Sept églises catholiques, beaucoup de mosquées, quelques temples hindous. Seulement 700 installations sanitaires, imaginez dans quel état ! Tout est répertorié, contrôlé par les bailleurs, par l’état. Ici, on paie son loyer, ses taxes. On ne transforme rien sans accord ni autorisation. Pas de criminalité, on n’est pas dans les favelas de Rio de Janeiro. On naît, on vit, on meurt dans le slum. Certains quartiers accueillent des Indiens venus d’ailleurs, leur famille restée au village. Ces travailleurs de force envoient régulièrement de l’argent chez eux. Pour le recyclage des plastiques, ils peuvent gagner entre 200 et 700 ₹ (de 2,40 à 8,50 €) par jour. Ils vivent là où ils travaillent, dorment à même le sol, partagent les quelques mètres-carrés à plusieurs. Ils respirent des particules très nocives, travaillent pieds nus, sans gants ni lunettes de protection, pas de casques pour atténuer le bruit assourdissant des machines. Ils sont la main d’œuvre de masse, ils sont les nettoyeurs de la ville, écumant des kilomètres de rues pour vider les poubelles, récupérer les déchets des entreprises, des hôtels, des restaurants. Tous les jours de leur vie. Mais ils travaillent et ont un salaire. La « sous-classe » est celle qui vit dans la rue, sans toit, sans hygiène, sans sécurité, sans éducation. Ils sont sales, hirsutes, à moitié nus.

Dans le slum, l’activité économique rapporterait près d’un million de dollars de chiffre d’affaire. La réussite scolaire est plus élevée que dans certaines zones rurales ; l’école est gratuite et même si la qualité de l’enseignement n’est pas à la hauteur, les enfants s’y accrochent, 15% des jeunes atteint un niveau d’études supérieures. Javed a raté son entrée à l’université. Son niveau d’anglais n’était pas suffisant. Il ne lâche rien, il s’améliore et se représentera quand il sera prêt. Il est musulman et se mariera dans six mois.


Il faut avouer que nous sommes ressortis du bidonville un peu chamboulés et avec un tas de questions sur la vie. Avec nos 4 compères avec qui nous avons partagé nos émotions (2 Portugais, 1 Américain et 1 Britannique), nous avons pris le train pour des destinations différentes. L’ »Anglais » a continué avec nous et nous sommes allés à Mahalaxmi Dhobi Ghat, une autre sorte de bidonville, pas plus propre mais où l’on rend le linge propre. Une blanchisserie à ciel ouvert faite de ruelles étroites, de lavoirs, d’essoreuses et de machines à laver géantes. La chaleur, le bruit et les odeurs de détergent retiennent notre attention. Ici, tout comme dans le slum, on travaille et on y vit. Les cases sont à moins d’un mètre des bassins. L’eau coule à flots et ça sent la lessive. Plongés dans les lavoirs jusqu’aux genoux, des dhobi wallahs (blanchisseurs) mettent à tremper, lavent, savonnent, battent et essorent jeans, vêtements, nappes, serviettes qu’ils étendront sur les toits de tôles ondulées au soleil et sous les gratte-ciel en construction. Pas de pinces à linges, deux cordes sont entremêlées pour retenir le linge. Des ballots arrivent le matin et repartent le soir, propres. La ville y envoie tout son linge : hôtels, restaurants, entreprises, particuliers. Pas d’erreur, pas de perte, tout est organisé dans ce qui paraît être inorganisé. Remarquable !











Diwali : Dans la ville, les lumières sont installées partout. Aux devantures des magasins, aux fenêtres, dans les rues. Les jeunes (et les moins jeunes, tous redeviennent enfants) se préparent à faire exploser les pétards dans la plus grande excitation que l’on entendra jusque tard dans la nuit.



Ce soir-là, aller à pied au restaurant a été un moment de tous les dangers, les enfants se faisant un malin plaisir à nous envoyer des pétards allumés dans nos pattes. Quel gymkhana pédestre! Mais nous en sommes ressortis saufs !

Au programme de cette journée, prendre le bateau au départ de la Gateway of India pour l’île d’Elephanta à environ 11 km de la côte, visiter les grottes excavées au début de l’ère chrétienne, revenir à Colaba (quartier sud de Mumbai) pour un déjeuner chez Leopold et enfin, prendre un café-gâteau au Taj Mahal Palace Hotel. Ce jour-là est férié. La foule est au rendez-vous, nous ne serons pas seuls dans les grottes. A notre avantage, nous embarquons à 10 heures, sans attente et sans trop de monde encore.

Trois villages d’une population d’environ 1600 âmes qui vit de la pêche et du tourisme.
Une heure plus tard, nous débarquons à Elephanta jetty. Nous ne prendrons pas le petit train pour parcourir le kilomètre qui nous mène au pied de la colline de 170 mètres d’altitude. Il ne fait pas encore trop chaud. Le long du sentier, les échoppes de souvenirs, du vrai-faux de tout, bijoux, soies, pashmina, objets en marbre, … et des vendeurs de fruits coupés, de jus de cane rafraîchissant. Quelques restaurants végétariens. Mais il faut monter et les marches de pierre, hautes et inégales ralentissent notre allure. Enfin, nous sommes sur le site classé patrimoine mondial de l’Unesco.



A gauche, le guerrier. A droite,
sous sa forme féminine

Un petit ensemble de caves, soutenues par des piliers, dont la roche est sculptée de figures de Shiva et de déesses hindous. Le site est impressionnant. Des singes et des chiens nous tiennent compagnie et nous amusent, à l’instar de ce singe qui suce un cornet de glace qu’un homme lui a offert, un autre qui boit un soda à la bouteille ou un troisième qui prend des snacks dans la main d’une femme.




Alors que nous redescendons de la colline, un afflux de visiteurs débarque des bateaux qui se succèdent. Il est temps de rentrer et nous en sommes bien heureux. Les rues sont animées. Nous peinons à trouver le restaurant Leopold, recommandé par Prash.


C’est ici une institution qui a son histoire, tout comme le Taj Mahal Palace. En 2008, ces deux établissements, entre autres, furent la cible d’attentats qui firent plusieurs victimes dont deux Français au Taj. L’endroit est bondé mais nous trouvons une table de libre. On se croirait, dans un contexte différent, chez Chartier à Paris ! Nous avons faim, nous avons chaud et nous sommes fatigués. Cette halte est la bienvenue. Juste après, nous irons au Taj visiter cet endroit mythique. Les restaurants affichent complet, nous nous contenterons du café dans le lobby principal où nous dégusterons nos gâteaux. Une femme âgée en niqab, sans doute du Golfe, porte devant sa bouche une pièce en or qui la lui couvre. C’est étonnant ! Manifestement, ce groupe de personne est aisé ; bijoux, smartphones, lunettes de stars et aisance corporelle.


en majesté


Diwali, J+1 : C’est le jour de notre retour à Chennai. Nous avons une bonne partie de la journée de disponible. Nos amis nous ont recommandé la visite du musée national du cinéma indien.




Bien nous en a pris, nous avons beaucoup aimé cette visite. Exclusivement orienté sur le cinéma indien dans son histoire depuis le muet jusqu’à nos jours, ce musée nous a permis de découvrir des stars, des réalisateurs phare qui ont marqué la culture indienne. Satyajit Ray est un réalisateur, un dialoguiste, un essayiste, un auteur, etc … Son film, Pather Panchali (1955) gagne 11 prix au festival de Cannes en 1956.





Il est temps de déjeuner. Non loin, le restaurant italien a bonne réputation. Notre choix n’est pas le bon et nous sommes déçus. Nous rentrerons à l’appartement pour nous rafraîchir, nous changer et être prêts pour notre départ dans l’après-midi. Le chauffeur de nos amis nous conduira à l’aéroport et nous arriverons à Chennai vers 21h30 où Bala nous attendra.


