La cité perdue des rois Vijayanagar

Hampi a une histoire qui durera deux siècles, de 1336 à 1565. La fin de cet âge d’or est causée brutalement par l’armée composée des cinq sultanats du Deccan. Bien que rivaux, ils se rallièrent pour faire tomber Hampi. La cité, pillée et détruite, ne se relèvera jamais.

Le complexe royal

Située sur les contreforts des Ghâts occidentaux sur 30 km2, les ruines de palais, de mandapas, de ponts, de bazaars, de citernes, de réservoirs et de quelque 400 temples gisent pour la plupart, ou restent fièrement debout quoique meurtris, dans une beauté éblouissante qui leurs valent d’être reconnus du monde moderne et classés au patrimoine mondial de l’Unesco. Les paysages embellissent ces sites d’une manière extraordinaire. Ils sont composés de terrains vallonnés, de collines et de rochers dont les énormes blocs sont posés les uns sur les autres, certains en un équilibre immobile qui semble dangereusement précaire mais que le temps n’a pas fait bouger défiant les lois de la gravité. Ces rochers et affleurements de grès (des boulders) se teintent d’ocre à la tombée du jour, au moment où le soleil décline à grande vitesse. Pendant la journée, les pierres chauffent et éblouissent mais le vert des palmeraies, des bananeraies, des champs de canne à sucre et des rizières adoucit cette rudesse tout comme la tortueuse et tumultueuse rivière Tungabhadra – affluent principal du fleuve Krishnâ, l’un des plus long en Inde (1290 km) qui délimite le nord et le sud – qui, elle, rafraîchit.

Imposant frangipanier en contrebas de Hemakutam

Hampi est un passage obligé dans le Karnataka – dont la capitale est Bangalore, Bangaluru (Silicon Valley de l’Inde) où les ingénieurs, informaticiens et autres spécialistes des nouvelles technologies sont accueillis du monde entier – pour les pèlerins hindous venus faire leurs dévotions, leurs rituels de purification et vénérer l’éléphante Lakshmi, au temple Virupaksha, incarnation de Shiva, au cœur du village.

Krishna temple

Des hippies et des « babas cool » ont quitté Goa pour venir s’y installer ; dreadlocks, piercings, tatouages et tenues indiennes de rigueur sont leurs signes du rejet du monde occidental et d’une reconnexion à l’humanité. Ainsi, à Hampi Bazaar et à Virupapur Gaddi, juste en face de l’autre côté de la rivière, les hébergements sont à touche-touche. Ici, pas de grands hôtels ni de restaurants gourmets. On vit, on dort et on mange dans les guesthouses, salles sur les toits-terrasses où les températures du matin et du soir sont idéales. A Gopi où nous résidions, nous partagions chaque jour une table avec d’autres étrangers (Japonais, Malaisiens, Néerlandais) ce qui nous donnait l’occasion de faire connaissance et d’échanger, le temps d’un repas, sur qui et ce que nous sommes. Nous entendions également parler allemand et français. L’ambiance est décontractée, sans fioritures, simple et naturelle. Les plats sont sans ambition, végétariens, savoureux pour le touriste qui vient d’arriver en Inde, juste corrects et nous nous en contentons. Nous commandons sous couvert des bières pour nos quatre soirées et nous nous partagerons une grande canette que l’on boit en cachette et dans l’obscurité de la terrasse au-dessus du restaurant. Quelle hypocrisie ! Les chambres sont simples, confort et propreté sommaires mais eau chaude et air conditionné assurés. L’accueil est chaleureux et grâce à notre hôte charmant, nous pouvons organiser nos visites et nos déplacements. Nous aurons un guide anglophone pour les visites des sites le premier jour et le même chauffeur de rickshaw pendant 3 jours, Pampa aux dents déjà rougies par le bétel malgré ses 19 ans. Les hôtels de luxe se situent à Hosapete (Hospet) à une douzaine de kilomètres du site archéologique et à Anegundi sur l’autre rive de la rivière plus à l’est.

Vestiges du bazaar et gopura du temple Virupaksha, Hampi bazaar

Le village s’appelle Hampi bazaar parce qu’on y trouve les vestiges du bazar du XIVè siècle. Au départ du gopura du temple, les piliers et les toits de granit des échoppes de l’époque s’étirent sur un bon kilomètre de chaque côté d’une large voie qui mène au temple Achyuta-Raya au sommet de la colline Mathanga. Aujourd’hui, les habitants et les voyageurs cohabitent dans ce qui ressemble à un authentique village. Les ruelles sont cabossées et étroites, les vaches croisent les deux-roues et les rickshaws, les autochtones côtoient en bonne entente les étrangers qui font marcher l’économie locale. La vie y est animée. Le long des ruelles, les petites échoppes offrent aux chalands bijoux bon marché, objets des arts décoratifs, vêtements et tissus indiens, fausses pierres semi-précieuses, fausses statuettes en bronze ou en cuivre. On y trouve plusieurs salons de tatouages – un bon filon – mais pas de salon de massage – dommage et tant pis pour nous qui adorons nous faire malaxer, gentiment pour Éric, durement pour moi. Nous avons gravi la colline au moment du coucher du soleil. Quelle ascension et quel exploit ! Les marches de granit inégales et de hauteurs différentes ont mis nos jambes, notre cœur et notre respiration à rude épreuve. Mais le plus éprouvant pour Éric qui souffre du vertige fut de marcher à flanc de colline, au-dessus du vide sans rampe de sécurité. Se surpassant, il y est parvenu. Arrivés au sommet, s’assoir au bord du précipice ne lui a pas été facile. Mais une fois installés, nous avons pu admirer le merveilleux paysage avec une vue à 360° et l’époustouflant coucher de soleil. Notre récompense ! Hélas, nous n’étions pas les seuls, point de rendez-vous de toute la sphère touristique. Là, beaucoup de Russes, de Français et j’en passe !

Aller à Hampi se mérite. Le vol de Chennai à Bangalore d’une heure n’est que le début du voyage. Ensuite, il faut six bonnes heures de route en voiture pour l’atteindre. Passée la circulation dense en traversant la ville, une autoroute, une vraie, déroule ses kilomètres de revêtement uniforme et lisse jusqu’à Hampi. Nous ferons une pause thé le matin puis une pause déjeuner en chemin vers 13 heures, de quoi casser la monotonie du voyage et nous faire tenir jusqu’au soir.

En approchant de la chaîne de montagnes qu’on longe jusqu’à notre destination, les éoliennes en rotation ou à l’arrêt s’imposent dans ce paysage défiguré, envahisseurs immobiles inquiétantes, figées sur les crêtes, brassant mollement l’air, que c’est à se demander comment ces pylônes ailés peuvent  produire de l’énergie. Plus loin, des carrières à ciel ouvert dont les pelles chargeuses hydrauliques, les tombereaux, les draglines et les bouteurs miniers scarifient la montagne pour en extraire l’acier. Enfin, et cette dernière vision fugace soulage et rassure, nous longeons des exploitations de canne à sucre pour la transformer en jaggery (ou gur). Ce sucre non raffiné est préparé en chauffant le vesou, moût de la canne à sucre ou jus extrait directement des tiges – boisson exquise soit dit en passant – qui réduit pour finir solidifié. Ce bloc de sucre est beaucoup utilisé en cuisine.

« Hampi est le royaume des singes », pourrait-on traduire. C’est tout-à-fait juste, il y en a partout ! Et sur la plaque minéralogique, les deux premières lettres du nom de l’État. Ici, KA pour Karnataka

Le taxi nous laissera à l’entrée du village et nous atteindrons enfin notre guesthouse. Il est 16 heures. Le temps de s’approprier la chambre, de défaire notre bagage, il est temps, d’après les conseils de notre hôte, d’aller voir notre premier coucher de soleil depuis le vaste affleurement rocheux surmonté des temples d’Hemakutam, les plus anciens remontent à « l’avant Hampi » (IXè siècle), nous offrant une très belle vue sur le temple Virupaksha.

L’espace se remplit petit-à-petit et contrairement à ce dit le guide du Routard, toujours au top des expressions clichées, l’atmosphère n’est pas sereine. Il faut juste s’extraire de ce monde, s’enfermer dans sa bulle, se connecter à la nature, regarder et sentir la chaleur douce de ce soleil nous envahir, nous éblouir, se laisser submerger par tant de beauté au point d’en avoir la chair de poule et d’avoir envie de pleurer, comme si nous étions seuls au monde. C’est seulement beau ; l’attente, la vue du soleil déclinant inéluctablement, irrémédiablement en un mouvement et une trajectoire quasi immuables, les couleurs, le déclin du jour, les ombres, la nuit qui tombe et nous enveloppe.

Vue depuis l’affleurement d’Hemakutam surmonté de ruines de temples.
Les singes, au loin, profitent eux aussi, de ce moment paisible.

Des coups de sifflet nous arrachent à ce romantisme exacerbé, il faut quitter le site. Et c’est à moment-là que les gens se taisent, commotionnés émotionnellement de tant de majesté.

Je ne ferai pas le détail des visites. J’essaierai de transposer des impressions, une vision d’ensemble, laissant le soin aux guides de raconter et de décrire l’histoire et à vous, curieux, de faire vos propres recherches.

Le site principal se compose de deux parties. La ville sacrée et la ville royale. Elles sont de natures différentes.

La ville sacrée

Vitthala temple, vestiges merveilleusement bien conservés

Le temple Vitthala, un avatar de Vishnou, est le monument le mieux conservé du site. C’est un joyau. Cet endroit est sublime. Le char de Vishnou, la pièce maîtresse, semble pouvoir encore rouler. Les éléphants qui le tirent ont remplacé les chevaux dont on voit encore l’arrière-train.

Les murs du temple principal sont sculptés et les frises sont magnifiques, racontant l’histoire de ces rois puissants, richissimes, quand l’or coulait à flots et qu’on le jetait au peuple par poignées à leurs passages à dos d’éléphants royaux. Plus loin, une salle de danse aux piliers finement sculptés résonnent de différents sons lorsqu’on les frappe. Et puis, les salles du conseil et des prières. La pierre est joliment travaillée. Elle raconte des histoires, celle de la mythologie-poésie au travers du Mahabarata, et celle de la puissance des princes. Notre guide Pampa – le hasard fait qu’il porte le même nom que notre conducteur de rickshaw – nous montrera ce que notre œil ne verrait pas s’il n’était averti. Ces histoires intelligemment évoquées s’enchaînent en un rythme plaisant et dans une ambiance détendue et amicale. C’est un pro et notre trio fonctionne bien. Pampa a une excellente connaissance de l’histoire et de la religion. Mais, perdus entre ce qui relève de la religion, de la mythologie et de la poésie, nous croulons sous les noms des divinités, de leurs avatars, des rois et reines … Stop, c’en est trop ! Pampa le remarque et allège son propos. Nous préférons l’histoire et l’architecture. Qu’on nous explique les symboles, la finesse et la beauté des sculptures, qu’on nous montre leurs détails, que l’on pointe ici ou là les fresques érotiques, les déhanchés sensuels des danseuses, les musiciens, la marche des armées, des éléphants, des chevaux et des dromadaires, les scènes de chasse, qu’on nous fasse entendre le son métallique de la pierre, que l’on nous demande de tourner autour du temple afin de dénicher le surprenant ou l’incongru, qu’on nous fasse remarquer les textures, la douceur et les couleurs des pierres qui changent selon la course du soleil. Nous ne serons pas déçus. Mais épuisés, oui.

Virupaksha, temple en activité

Le temple Virupaksha, un avatar de Shiva, est le monument central de Hampi bazaar. Il en est le cœur et l’âme, donc, il vit. Son activité est intense et les fidèles s’y pressent…un peu comme dans tous les temples hindous ! Il est de belles proportions et son enceinte est étendue. On le voit de loin, parfois apparaissant au-dessus des collines ou au détour d’une boucle de la rivière. Il faut dire que son gopura datant du XVè siècle (porte d’entrée surmontée d’une tour pyramidale) impressionne par sa hauteur (près de 60 mètres sur 9 niveaux), par ses teintes jaune-beurre, par ses sculptures encore très bien conservées.

A l’opposé du temple Virupaksha, la longue et large voie « royale ».

Mais, lorsqu’on lui tourne le dos et que l’on se dirige vers la colline Mathanga éloignée d’un bon kilomètre, la voie « royale », large et majestueuse retient l’attention par la présence des vestiges du bazaar (d’où son nom). Cette enfilade continue de piliers et de toits montre à quel point la ville était active et commerçante. Aujourd’hui, le bazaar se tasse dans les ruelles du village.

Le bazar à Hampi village

La ville royale

La première impression est plutôt surprenante pour ne pas dire décevante. Quoi ? Un champ de ruines classé ? Non mais … Du complexe royal, on a fait table rase mais on mesure l’étendue des quartiers royaux depuis une esplanade pyramidale de 12 mètres de haut, tribune royale lors des festivités et célébrations religieuses ainsi que salle d’audience où l’on se plaît à croire que les ambassadeurs portugais y ont été reçus.

Des éléphants figés dans la pierre encadrent l’escalier qui y donne accès et les bas-reliefs sont magnifiques ; là encore, chevaux, éléphants, dromadaires, scènes de chasse et de bataille, toute l’histoire de ces puissants et de leur époque disparue.

Les hauts murs d’enceinte sont des empilements de gros blocs de granit de deux rangées qui se rejoignent au sommet, chargés à l’intérieur d’un remblai de terre et de cailloux. Cette épaisseur de mur d’un bon mètre n’aura pas suffi à protéger des envahisseurs. Les temples, salles de conseils, les palais, tout cela a disparu. Il n’en reste que les tracés. Par contre, on est impressionnés par le réservoir à degrés alimenté en eau par un aqueduc encore debout.

Ailleurs, le Zenana, le quartier des reines, une enclave close dans l’enclave royale, abrite un merveilleux jardin et un pavillon, le Lotus Mahal, de style hindo-sarracénique, jonction raffinée des arts indien et musulman. Aux quatre coins de cette petite enclave, ces dames étaient « protégées » par des eunuques depuis des tours de guet.

Jouxtant ce paradis, les ‘étables’ des éléphants royaux et la salle des gardes. Loin de leurs rois, ces reines avaient pour voisins des rustres et des animaux !

Étables des éléphants royaux, au fond et salle des gardes à gauche

Plus loin encore, le bain des reines. De l’extérieur, l’édifice est plutôt austère mais il cache à l’intérieur toute sa beauté, son raffinement et sa magnificence, un peu comme celle que l’on imagine chez ces reines !

Queens bath

Enfin, le temple de Hazara Rama (les milliers de Rama), temple fréquenté par la famille royale, comporte une impressionnante salle aux quatre piliers de basalte (noir) sculptés des 24 avatars de Vishnou.

A l’extérieur, il faut de suivre, telle une bande dessinée sur trois niveaux, l’aventure de l’épopée du Ramayana, obligeant les fidèles de l’époque à faire le tour religieusement  de l’édifice plusieurs fois et d’en comprendre le sens sans avoir à la lire. Nous avons été comblés de tout cela.

Le Ramayana à « lire » autour du temple

Comblés, amusés et choqués lorsque, descendus par les ghâts vers la rivière de beau matin, nous avons assisté aux rituels des ablutions. D’un côté, les hommes, de l’autre les femmes. D’un côté, ils sont presque nus, en caleçon. De l’autre, elles sont en sari. Le rite, pour les hommes, veut qu’une fois ‘purifiés’, on est neuf.

Ablutions du soir. Petites barques rondes en osier. Les vêtements sèchent sur l’affleurement

On change donc de vêtements et l’on s’habille de vêtements sortis de leurs emballages. Ceux-ci jetés par terre, emportés par le vent, par les flots. Pas un regard, pas une attention. Je me suis levé et ai descendu quelques marches pour aller dire à un homme, non mais pardon, ramassez vos déchets, un peu de respect ! A quoi bon, on m’aurait regardé d’un mauvais œil, ignoré. Il faudrait répéter la remarque pour l’un, un milliard de fois. Je me suis rassis, impuissant et dégouté. Autre fait marquant, les ‘vieux’ vêtements que l’on portait sont jetés dans la rivière, caleçons et  dhotis, emportés eux aussi par les flots.

Heureusement, Lakshmi est arrivée, pesante, docile mais déterminée. Conduite par son cornac, elle a descendu les marches du ghât pour son bain quotidien. Elle est entrée dans l’eau fraîche du matin, s’est couchée sur le côté et s’est laissé langoureusement laver. Les yeux fermés, elle a enduré le savon, la pierre ponce et la brosse. Sa trompe sortait de l‘eau afin de reprendre sa respiration. Et le cornac frottait, rinçait. Quel travail ! Il a bien fallu deux heures pour en venir à bout.

Après avoir donné plusieurs bananes à Lakshmi et un billet de 100 roupies au cornac,
ce fidèle reçoit une bénédiction sous forme d’un jet d’eau.

Puis, elle s’est lentement relevée, les pattes encore dans l’eau s’assurant qu’elle ne glisserait pas sur l’affleurement, a trempé sa trompe et s’est aspergée le dos plusieurs fois, se délectant de cette fraîcheur, heureuse. Elle a ensuite levé la patte avant afin que le cornac puisse se hisser sur son dos, et tranquillement, elle a remonté le ghât et suivi son chemin jusqu’au temple voisin.

Détails des soubassements sculptés des temples : ici, scènes de chasse mais aussi, danseuses, musiciens, …

Nous avions décidé de traverser la rivière jusqu’à Anegundi. Pampa nous a conduits jusqu’au pont qui l’enjambe. Quelle vue sur la plaine dégagée !

Partout du vert, de l’activité dans les champs de canne à sucre, dans les rizières, hommes, femmes et buffles à la tâche. En chemin, une halte obligée sur la colline du temple de Hanuman, le Dieu-singe. 575 marches à grimper en fin de matinée et il fait déjà chaud. Le temple n’a que peu d’intérêt mais, une fois encore, depuis la hauteur, la vue est à couper le souffle. Baigné dans l’hyper luminosité solaire de la mi-journée, le paysage composé d’éléments assemblés en font sa richesse et sa beauté – ruines, temples, végétation, Ghats, la rivière elle-même – enveloppés dans une brume empêchant toute netteté à l’œil nu et à travers la focale du mobile.

Qu’importe cet écrasement ! Le charme opère. On se déchausse. Les singes attendent impatiemment. Un homme me tend une banane. Un jeune singe monte le long de ma jambe, s’installe dans mes mains, réclamant sa friandise. Il saute sur mon épaule, redescend sur mon bras et s’emploie à éplucher sa banane qu’il mange en se délectant, un long moment contre moi.

C’est trop mignon !!!

Nous visiterons ensuite deux temples et une fabrique coopérative de création d’objets à partir de fibres de bananiers. Des femmes gèrent cet atelier dans lequel elles travaillent dans la bonne humeur.

Dans ce même temple, séchage et stockage des combustibles

Dans un temple, fabrication de combustible à partir de bouses de vaches. Matière sacrée, chaque pièce est marquée d’un symbole divin. Ces pavés sont utilisés en cuisine mais aussi offerts aux divinités lors de pooja.

Enfin, en longeant la rivière avec Pampa et son ami Virupa (respectivement 19 et 18 ans), nous cherchons les tourbillons de ce cours agité et tumultueux. Occasion de faire du « bouldering », escalade sur les affleurements rocheux, pour lequel nous aurons besoin de l’aide de nos jeunes amis, si agiles. Ils sont attentifs, ils assurent notre sécurité. C’est touchant. Nous avons plaisir à mettre les pieds dans cette eau puissante. Elle est fraîche, il fait bon et l’on aurait eu envie de s’y plonger entièrement.

« Bouldering » au son assourdissant de la rivière

Au retour, nous nous arrêtons dans le village où vit Pampa, sa maison sous un bloc rocheux. Son cousin arrive, c’est l’hôte de notre guesthouse. Il nous présente ses enfants, nous nous attendrissons, puis, le soleil déclinant, il est temps de rentrer à Hampi bazaar pour notre dernière soirée. Demain, notre chauffeur nous attendra dès 7h30.

Entre mer et montagnes

Le Kerala est une carte postale. Il promet un séjour inoubliable. Entre la côte qui longe la mer d’Arabie ou d’Oman et la chaîne de montagnes que forment les Ghats Occidentaux, le lien de ce superbe territoire est la végétation luxuriante, la jungle faite de palmiers, de cocotiers, de cacaoyers, de caféiers, d’hévéas, où l’eau s’est installée, où la mangrove s’est développée dans les backwaters, où la lumière du soleil illumine tous ces paysages agrémentés de rizières. Les plantations de thé qui épousent les Ghats sont absolument une vision de rêve. Sans compter les épices : cardamome, gingembre, cannelle, poivre, qui font de cette terre fertile, jamais sèche, une terre d’abondance.

En malayalam, la langue officielle, Kerala signifie « pays des cocotiers » ; ce n’est pas exagéré. Cette expression exotique révèle le sourire et l’accueil chaleureux des Kéralais, de la capitale de cet État communiste depuis 1957, Trivandrum (Thiruvananthapuram), à l’extrême sud, jusqu’à Cochin (Kochi) plus au nord où nous nous sommes arrêtés pour reprendre notre avion pour Chennai. Et nous n’avons parcouru que la moitié du littoral !

Plantations de thé sur la chaîne des Ghats occidentaux

Ses 600 km de côtes offrent de belles plages abritées par les cocotiers qui les bordent. Et pour se remettre des coups et des couchers de soleil sur la mer des hivers si cléments, la montagne offre le calme et la fraîcheur dans les plantations de thé qui appartiennent à 80% au magna indien Tata.

Dans les parcs naturels qui protègent les nilgiris, espèces en danger, on trouve des éléphants sauvages, des tigres et d’innombrables oiseaux.

Un nilgiri pas du tout effrayé par l’homme dans le parc naturel tout près de Munnar.

La culture n’est pas en reste. Les arts du Kathakali, dont j’avais parlé dans un article sur Kochi, est un théâtre musical qui exprime les grandes épopées du Mahabarata et du Ramayana, du kalarippayat, art martial et thérapeutique qui est la forme sportive de la médecine ayurvédique. Et bien sûr, le Kerala est un haut lieu de la médecine ayurvédique. A ce titre, les centres de soins et de massages s’inscrivent bien dans cette culture traditionnelle.

La faucille et le marteau tel le phare
pour guider le peuple

Le Malabar est la terre où Vasco de Gama débarqua en 1498 (à Calicut plus au nord). Il fonda un comptoir à Cochin en 1505. Les Hollandais chassèrent les Portugais qui furent eux-mêmes chassés par le rajah de Travancore (petit royaume du sud). Et à la fin du XVIIIème siècle, les Britanniques reprirent la main comme on le sait sur tout ce petit monde puis sur tout le sous-continent. En 1956, l’État du Kerala est officiellement formé par la réunification des États de Travancore au sud, de Malabar au nord et de Cochin entre les deux. D’après le dernier recensement de 2022, la population est de 35 330 888 habitants.

Voilà en quelques mots édulcorés, la version guide touristique de ce jardin d’Eden.

Tous les trajets en voitures avec chauffeurs : Trivandrum – Varkala – Alleppey – Marayoor – Munnar – Cochin

Neuf jours de vacances ne nous aurons pas permis de visiter tout ce territoire et malheureusement, pour avoir fait des choix entre villes, mer et montagnes, nous ne sommes pas allés dans la réserve naturelle de Wayanad au nord, là où se rencontrent le Karnataka, le Tamil Nadu et le Kerala, pour observer les animaux sauvages. Il aurait fallu plus de temps. Comme il en aurait fallu plus pour profiter plus longtemps des plages et de la montagne. C’est ainsi ! Certains travaillent encore et le temps nous était compté, il faut faire avec.

Sans titre

Comme toutes les villes indiennes, traverser Trivandrum de l’aéroport à notre petit hôtel  dévoile une ville sans grand intérêt. La circulation est chargée, l’environnement peu attractif. La ruelle qui mène à notre hôtel «middle-class, Indian chic», est toute défoncée. L’accueil est sympathique et la chambre convenable. Nous n’y restons qu’une nuit de toute façon.

Éric m’emmène déjeuner à la Villa Maya qu’il connaît pour y être allé lors d’une mission l’année dernière. C’est une magnifique demeure coloniale entourée d’un jardin extraordinaire.

Notre table d’où nous savourons des crabes farcis à la kéralaise est près d’une pièce d’eau dans laquelle nagent de belles carpes sous les nénuphars.

Il fait beau, je prends des photos, ébahi de tant de bien-être mais trop de mouvements, trop d’agitation, trop d’émotions, plouf ! Mon téléphone tombe à l’eau … Panique. Ma main plonge, l’attrape et tel un poisson, il me glisse entre les doigts. Je finis par le saisir et je le sors de l’eau comme s’il allait manquer d’air. Je crains qu’il ne puisse plus me servir. Il sèchera vite au soleil et tout ira bien. Ouf !

Juste pour l’ambiance

Le programme de ces 24 heures est chargé ; visite du zoo avec ses spécimens de tigres du Bengale et de léopards de l’Himalaya, visite du musée des Beaux-Arts et des arts populaires, visite du très beaux palais royal.

Le lendemain, nous déjeunerons à l’Indian Coffee House, institution dans la ville pour être la seule survivante de la ville et dont l’architecture est étonnante.

A l’intérieur de la maison de café, la salle monte en spirale et le mobilier n’a pas changé, béton ciré.

Un petit tour et puis s’en vont. Direction la plage.

Plage d’Odayam à Varkala où nous étions.

Varkala est à 1h30 de Trivandrum en voiture. La route longe la côte. Varkala est une très longue bande de sable parsemée de villages, de resorts, de restaurants et de bars dont l’épicentre est « the cliff », la falaise.

D’une belle hauteur, elle domine la mer. Cela pourrait être magnifique. Mais l’étroite bande piétonne qui la borde attire un tourisme de masse qui se presse, se bouscule dans les bruits confus de musiques, de rires gras et alcoolisés des touristes venus là pour se baigner et rôtir le jour, s’amuser la nuit. Ambiance détestable. Fort heureusement, nous résidons plus au nord, à Odayam beach, beaucoup plus calme et authentique bien que les hôtels continuent d’y pousser comme des champignons. Le sable fin est marbré. Non loin de là, il y a Black Sand Beach. D’après les guides, nous sommes sur l’une des plus belles plages du Kerala. L’eau est claire et chaude mais la mer est mouvementée. Nous nous amusons comme des enfants à nous laisser malmener par les hautes vagues. Dans un rouleau, Éric se raflera le bras sur le sable et il en gardera la trace quelques jours.

Nous passerons le 31 décembre au Blue Wave, petit établissement que nous avons fréquenté durant les 3 jours de notre séjour.

A l’inverse de Goa, pas de folie sur la plage à minuit.  Notre guesthouse est à 50 mètres de la plage. Sur la plage, il fait très chaud. Les Indiens viendront se baigner et jouer à partir de 17 heures alors que les Occidentaux se font griller au soleil. Nous, nous louerons des parasols sous lesquels nous pouvons faire la sieste. Mais on est loin des confortables transats de Goa ! Après le petit déjeuner, nous allions prendre notre premier bain. Comme c’était bon ! Nous nous laissions chambouler par les vagues déjà féroces et nous dérivions au gré des courants. J’arrivais même à faire la planche !

En fin de journée, face à la mer, nous regardions le soleil décliner rapidement, teintant le ciel de rouge, de rose, de jaune et de violet. Dans la lumière tamisée, nous restions fascinés par ce spectacle. On ne se lasse jamais des couchers de soleil.

Toujours en remontant vers le nord, les 3 heures de voiture nous amènent à Alleppey, point de départ des house boats dans les backwaters. Pour rappel, les backwaters sont une série de lagunes et de lacs parallèles à la mer et en retrait de la côte de Malabar. Ces paysages sont typiques du Kerala. Vers Kochi, les voies de navigation sont étroites et entourées d’une végétation luxuriante. Les embarcations sont les traditionnels bateaux qui transportaient le grain, le riz. A Alleppey, nous naviguerons sur un grand lac, emprunterons de larges voies. On se croirait sur des « aqua boulevards ».

House boat pour 2 personnes, une chambre. Certains peuvent accueillir 14 passagers.

Les house boats sont nombreux … et le charme est rompu. Nous passerons 24 heures dans un calme relatif, nous mangerons et dormirons sur le bateau à quai pour la nuit. Nous apprécierons ce temps de détente même s’il est un peu ennuyeux. En fait, nous sommes assez déçus.

Mais après 5 ou 6 heures de route, nous en prendrons plein la vue dans les Ghats à l’est de l’État, à 1500 mètres d’altitude, enfin arrivés à Marayoor puis à Munnar le lendemain.

Culture de la cardamome sous nos fenêtres à Munnar
Petite randonnée en suivant la rivière à Marayoor

Nous sommes au cœur de la production de thé de l’Inde du sud. Dans nos éco-hôtels où l’accueil est éco-friendly, situés dans des endroits isolés, entourés de cardamome et de cocotiers, nos chambres sont spacieuses, confortables et éco-responsables. Les tarifs, eux, ne sont pas économiques. Les paysages sont féériques. Les montagnes au-dessus des nuages à plus de 2600 mètres d’altitude forment de belles et douces courbes arrondies, les flancs recouverts de ces buissons typiques taillés comme dans un jardin d’agrément, courts sur pieds, ce sont les théiers. Les feuilles, écrasées entre les doigts, dégagent une bonne odeur un peu âcre. Je vous rappelle que c’est la première récolte (first flush) avant la mousson qui est la meilleure. Mais la qualité de ce thé n’est pas comparable au Darjeeling ni à l’Assam, ici on cultive le thé indien pour les Indiens. Et l’on met en sachets la poudre de thé récupérée après manipulation. Il ne sera pas exporté parce que la production n’égale pas celle du nord. Mais quels paysages ! Nous avions été admiratifs à Darjeeling, ici, on est subjugués.

Avec Alvin et Niels, un jeune Hollandais, descendu dans le même hôtel que nous,
que nous avons embarqué pour la journée. Charmant et francophile !

La randonnée de 8 kilomètres dans les plantations nous fait grimper à 1850 mètres.

Cette visite guidée par Alvin a donné un intérêt particulier à la compréhension de cette économie, la face cachée des choses – exploitation quasi esclavagiste des ouvriers – 10 heures de travail chaque jour 6 jours sur 7, récolte d’au moins 25 kilos de feuilles de thé, dix roupies par kilo supplémentaire, dérisoire, pour quelque 600 roupies par jour. Des conditions de travail très rudes – les plantations sont sur des pentes abruptes et l’on peut se demander comment les cueilleurs font pour les atteindre, à moins d’être un nilgiri, de longues heures de travail sous une chaleur accablante. Les conditions de logement, par le magnanime Tata, sont précaires, sommaires pour ne pas dire insalubres où l’on vit par familles entières, à l’instar d’Alvin, 30 ans, dans quelques mètres carré. Voilà pour certains aspects  non visibles de ce que nous avons tant admiré. « Pourtant que la montagne est belle » chantait Jean Ferrat.

Les logements des familles d’ouvriers agricoles. Le père d’Alvin travaillait à la récolte du thé dès l’âge de 10 ans.

Le temps passe vite et il faut déjà quitter ce paradis et rejoindre Kochi, dernier lieu d’intérêt avant de regagner Chennai. Après les années Covid et la mise à l’arrêt de la culture, Kochi ouvre sa biennale internationale d’art contemporain. Quelle aubaine ! Nous y passerons nos dernières 24 heures, hébergés au Delight Homestay, demeure de style indo-portugais, où nous étions restés en avril dernier.

Biennale de Kochi en cours, décembre 2022 – avril 2023

Petit florilège des œuvres exposées

La gigantesque structure labyrinthique faite en bambou tressé est supportée par des traverses creuses en gros bambou. Elles deviennent instruments de musique sur lesquels chacun compose ses rythmes.