Entre mer et montagnes

Le Kerala est une carte postale. Il promet un séjour inoubliable. Entre la côte qui longe la mer d’Arabie ou d’Oman et la chaîne de montagnes que forment les Ghats Occidentaux, le lien de ce superbe territoire est la végétation luxuriante, la jungle faite de palmiers, de cocotiers, de cacaoyers, de caféiers, d’hévéas, où l’eau s’est installée, où la mangrove s’est développée dans les backwaters, où la lumière du soleil illumine tous ces paysages agrémentés de rizières. Les plantations de thé qui épousent les Ghats sont absolument une vision de rêve. Sans compter les épices : cardamome, gingembre, cannelle, poivre, qui font de cette terre fertile, jamais sèche, une terre d’abondance.

En malayalam, la langue officielle, Kerala signifie « pays des cocotiers » ; ce n’est pas exagéré. Cette expression exotique révèle le sourire et l’accueil chaleureux des Kéralais, de la capitale de cet État communiste depuis 1957, Trivandrum (Thiruvananthapuram), à l’extrême sud, jusqu’à Cochin (Kochi) plus au nord où nous nous sommes arrêtés pour reprendre notre avion pour Chennai. Et nous n’avons parcouru que la moitié du littoral !

Plantations de thé sur la chaîne des Ghats occidentaux

Ses 600 km de côtes offrent de belles plages abritées par les cocotiers qui les bordent. Et pour se remettre des coups et des couchers de soleil sur la mer des hivers si cléments, la montagne offre le calme et la fraîcheur dans les plantations de thé qui appartiennent à 80% au magna indien Tata.

Dans les parcs naturels qui protègent les nilgiris, espèces en danger, on trouve des éléphants sauvages, des tigres et d’innombrables oiseaux.

Un nilgiri pas du tout effrayé par l’homme dans le parc naturel tout près de Munnar.

La culture n’est pas en reste. Les arts du Kathakali, dont j’avais parlé dans un article sur Kochi, est un théâtre musical qui exprime les grandes épopées du Mahabarata et du Ramayana, du kalarippayat, art martial et thérapeutique qui est la forme sportive de la médecine ayurvédique. Et bien sûr, le Kerala est un haut lieu de la médecine ayurvédique. A ce titre, les centres de soins et de massages s’inscrivent bien dans cette culture traditionnelle.

La faucille et le marteau tel le phare
pour guider le peuple

Le Malabar est la terre où Vasco de Gama débarqua en 1498 (à Calicut plus au nord). Il fonda un comptoir à Cochin en 1505. Les Hollandais chassèrent les Portugais qui furent eux-mêmes chassés par le rajah de Travancore (petit royaume du sud). Et à la fin du XVIIIème siècle, les Britanniques reprirent la main comme on le sait sur tout ce petit monde puis sur tout le sous-continent. En 1956, l’État du Kerala est officiellement formé par la réunification des États de Travancore au sud, de Malabar au nord et de Cochin entre les deux. D’après le dernier recensement de 2022, la population est de 35 330 888 habitants.

Voilà en quelques mots édulcorés, la version guide touristique de ce jardin d’Eden.

Tous les trajets en voitures avec chauffeurs : Trivandrum – Varkala – Alleppey – Marayoor – Munnar – Cochin

Neuf jours de vacances ne nous aurons pas permis de visiter tout ce territoire et malheureusement, pour avoir fait des choix entre villes, mer et montagnes, nous ne sommes pas allés dans la réserve naturelle de Wayanad au nord, là où se rencontrent le Karnataka, le Tamil Nadu et le Kerala, pour observer les animaux sauvages. Il aurait fallu plus de temps. Comme il en aurait fallu plus pour profiter plus longtemps des plages et de la montagne. C’est ainsi ! Certains travaillent encore et le temps nous était compté, il faut faire avec.

Sans titre

Comme toutes les villes indiennes, traverser Trivandrum de l’aéroport à notre petit hôtel  dévoile une ville sans grand intérêt. La circulation est chargée, l’environnement peu attractif. La ruelle qui mène à notre hôtel «middle-class, Indian chic», est toute défoncée. L’accueil est sympathique et la chambre convenable. Nous n’y restons qu’une nuit de toute façon.

Éric m’emmène déjeuner à la Villa Maya qu’il connaît pour y être allé lors d’une mission l’année dernière. C’est une magnifique demeure coloniale entourée d’un jardin extraordinaire.

Notre table d’où nous savourons des crabes farcis à la kéralaise est près d’une pièce d’eau dans laquelle nagent de belles carpes sous les nénuphars.

Il fait beau, je prends des photos, ébahi de tant de bien-être mais trop de mouvements, trop d’agitation, trop d’émotions, plouf ! Mon téléphone tombe à l’eau … Panique. Ma main plonge, l’attrape et tel un poisson, il me glisse entre les doigts. Je finis par le saisir et je le sors de l’eau comme s’il allait manquer d’air. Je crains qu’il ne puisse plus me servir. Il sèchera vite au soleil et tout ira bien. Ouf !

Juste pour l’ambiance

Le programme de ces 24 heures est chargé ; visite du zoo avec ses spécimens de tigres du Bengale et de léopards de l’Himalaya, visite du musée des Beaux-Arts et des arts populaires, visite du très beaux palais royal.

Le lendemain, nous déjeunerons à l’Indian Coffee House, institution dans la ville pour être la seule survivante de la ville et dont l’architecture est étonnante.

A l’intérieur de la maison de café, la salle monte en spirale et le mobilier n’a pas changé, béton ciré.

Un petit tour et puis s’en vont. Direction la plage.

Plage d’Odayam à Varkala où nous étions.

Varkala est à 1h30 de Trivandrum en voiture. La route longe la côte. Varkala est une très longue bande de sable parsemée de villages, de resorts, de restaurants et de bars dont l’épicentre est « the cliff », la falaise.

D’une belle hauteur, elle domine la mer. Cela pourrait être magnifique. Mais l’étroite bande piétonne qui la borde attire un tourisme de masse qui se presse, se bouscule dans les bruits confus de musiques, de rires gras et alcoolisés des touristes venus là pour se baigner et rôtir le jour, s’amuser la nuit. Ambiance détestable. Fort heureusement, nous résidons plus au nord, à Odayam beach, beaucoup plus calme et authentique bien que les hôtels continuent d’y pousser comme des champignons. Le sable fin est marbré. Non loin de là, il y a Black Sand Beach. D’après les guides, nous sommes sur l’une des plus belles plages du Kerala. L’eau est claire et chaude mais la mer est mouvementée. Nous nous amusons comme des enfants à nous laisser malmener par les hautes vagues. Dans un rouleau, Éric se raflera le bras sur le sable et il en gardera la trace quelques jours.

Nous passerons le 31 décembre au Blue Wave, petit établissement que nous avons fréquenté durant les 3 jours de notre séjour.

A l’inverse de Goa, pas de folie sur la plage à minuit.  Notre guesthouse est à 50 mètres de la plage. Sur la plage, il fait très chaud. Les Indiens viendront se baigner et jouer à partir de 17 heures alors que les Occidentaux se font griller au soleil. Nous, nous louerons des parasols sous lesquels nous pouvons faire la sieste. Mais on est loin des confortables transats de Goa ! Après le petit déjeuner, nous allions prendre notre premier bain. Comme c’était bon ! Nous nous laissions chambouler par les vagues déjà féroces et nous dérivions au gré des courants. J’arrivais même à faire la planche !

En fin de journée, face à la mer, nous regardions le soleil décliner rapidement, teintant le ciel de rouge, de rose, de jaune et de violet. Dans la lumière tamisée, nous restions fascinés par ce spectacle. On ne se lasse jamais des couchers de soleil.

Toujours en remontant vers le nord, les 3 heures de voiture nous amènent à Alleppey, point de départ des house boats dans les backwaters. Pour rappel, les backwaters sont une série de lagunes et de lacs parallèles à la mer et en retrait de la côte de Malabar. Ces paysages sont typiques du Kerala. Vers Kochi, les voies de navigation sont étroites et entourées d’une végétation luxuriante. Les embarcations sont les traditionnels bateaux qui transportaient le grain, le riz. A Alleppey, nous naviguerons sur un grand lac, emprunterons de larges voies. On se croirait sur des « aqua boulevards ».

House boat pour 2 personnes, une chambre. Certains peuvent accueillir 14 passagers.

Les house boats sont nombreux … et le charme est rompu. Nous passerons 24 heures dans un calme relatif, nous mangerons et dormirons sur le bateau à quai pour la nuit. Nous apprécierons ce temps de détente même s’il est un peu ennuyeux. En fait, nous sommes assez déçus.

Mais après 5 ou 6 heures de route, nous en prendrons plein la vue dans les Ghats à l’est de l’État, à 1500 mètres d’altitude, enfin arrivés à Marayoor puis à Munnar le lendemain.

Culture de la cardamome sous nos fenêtres à Munnar
Petite randonnée en suivant la rivière à Marayoor

Nous sommes au cœur de la production de thé de l’Inde du sud. Dans nos éco-hôtels où l’accueil est éco-friendly, situés dans des endroits isolés, entourés de cardamome et de cocotiers, nos chambres sont spacieuses, confortables et éco-responsables. Les tarifs, eux, ne sont pas économiques. Les paysages sont féériques. Les montagnes au-dessus des nuages à plus de 2600 mètres d’altitude forment de belles et douces courbes arrondies, les flancs recouverts de ces buissons typiques taillés comme dans un jardin d’agrément, courts sur pieds, ce sont les théiers. Les feuilles, écrasées entre les doigts, dégagent une bonne odeur un peu âcre. Je vous rappelle que c’est la première récolte (first flush) avant la mousson qui est la meilleure. Mais la qualité de ce thé n’est pas comparable au Darjeeling ni à l’Assam, ici on cultive le thé indien pour les Indiens. Et l’on met en sachets la poudre de thé récupérée après manipulation. Il ne sera pas exporté parce que la production n’égale pas celle du nord. Mais quels paysages ! Nous avions été admiratifs à Darjeeling, ici, on est subjugués.

Avec Alvin et Niels, un jeune Hollandais, descendu dans le même hôtel que nous,
que nous avons embarqué pour la journée. Charmant et francophile !

La randonnée de 8 kilomètres dans les plantations nous fait grimper à 1850 mètres.

Cette visite guidée par Alvin a donné un intérêt particulier à la compréhension de cette économie, la face cachée des choses – exploitation quasi esclavagiste des ouvriers – 10 heures de travail chaque jour 6 jours sur 7, récolte d’au moins 25 kilos de feuilles de thé, dix roupies par kilo supplémentaire, dérisoire, pour quelque 600 roupies par jour. Des conditions de travail très rudes – les plantations sont sur des pentes abruptes et l’on peut se demander comment les cueilleurs font pour les atteindre, à moins d’être un nilgiri, de longues heures de travail sous une chaleur accablante. Les conditions de logement, par le magnanime Tata, sont précaires, sommaires pour ne pas dire insalubres où l’on vit par familles entières, à l’instar d’Alvin, 30 ans, dans quelques mètres carré. Voilà pour certains aspects  non visibles de ce que nous avons tant admiré. « Pourtant que la montagne est belle » chantait Jean Ferrat.

Les logements des familles d’ouvriers agricoles. Le père d’Alvin travaillait à la récolte du thé dès l’âge de 10 ans.

Le temps passe vite et il faut déjà quitter ce paradis et rejoindre Kochi, dernier lieu d’intérêt avant de regagner Chennai. Après les années Covid et la mise à l’arrêt de la culture, Kochi ouvre sa biennale internationale d’art contemporain. Quelle aubaine ! Nous y passerons nos dernières 24 heures, hébergés au Delight Homestay, demeure de style indo-portugais, où nous étions restés en avril dernier.

Biennale de Kochi en cours, décembre 2022 – avril 2023

Petit florilège des œuvres exposées

La gigantesque structure labyrinthique faite en bambou tressé est supportée par des traverses creuses en gros bambou. Elles deviennent instruments de musique sur lesquels chacun compose ses rythmes.

4 réponses sur “Entre mer et montagnes”

  1. Hello vous deux ! Comme toujours, je me régale de tes mots, Christian, je savoure et je déguste vos découvertes et impressions avec bonheur et réjouissance. Et tes photos m’éblouissent ! Votre année a bien commencée sous les cieux du Kérala. Je vous souhaite encore beaucoup de bonheur pour continuer cette aventure indienne. Merci de nous enrichir et de nous faire rêver. Je vous embrasse. Patricia

    1. Coucou Patricia,
      Comme toujours, tes commentaires me touchent et me ravissent. Assidument, tu as lu et commenté chaque article pendant plus de 3 ans. Merci d’être là et de nos accompagner. L’aventure indienne continue, elle file même puisque nous entrevoyons l’échéance du départ et celui du retour. Jusqu’à présent, c’est une belle aventure. Il nous reste tant et tant à découvrir … mission impossible !
      Nous t’embrassons
      Christian et Éric

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *