Le chemin qui mène aux Dieux passe par le Maharashtra, État dont Mumbai (Bombay) est la capitale.

Les congés se suivent, s’enchaînent devrais-je plutôt écrire, et ne se ressemblent pas. Dix jours après notre retour du Madhya Pradesh (voir dernier article), nous sommes repartis. Direction Aurangabad, base de nos visites des grottes d’Ellorâ et d’Ajantâ. Nous avions réservé une voiture avec chauffeur pour ces déplacements. Ahmed, en plus d’être un chauffeur prudent, a été une mine de conseils et de connaissances de sa région, ce qui lui conférait également un rôle de guide.

Nous avons atterri à Aurangabad. A peine arrivés à notre hôtel qu’une tempête s’abattait sur la ville, nous obligeant à garder la chambre, privés d’électricité et de connexion internet pour un temps. Puisque nous étions levés depuis 4 heures du matin, la sieste et le repos ont été les bienvenus. La ruelle a très vite été inondée, des jeunes s’amusaient sous la pluie rafraîchissante. Enfin, nous avons pu sortir alors que la faim nous tenaillait. Direction Bhoj, un restaurant à deux pas de l’hôtel, dont les spécialités sont les thalis végétariens, repas complets servis sur un plateau en inox, composés de galettes, de riz et de tout un tas de petites coupelles contenant des légumes avec et sans sauces, du chutney, du dahl et des desserts ; le clou étant une sorte de velouté froid de mangues de la variété Alphonso, l’une des plus goûteuses parmi les mangues. Le tout à volonté pour quelques centaines de roupies. Les serveurs étaient magnifiques, ceints de longues écharpes colorées autour de la taille et portant un turban.





Aurangabad était la ville aux plus de cinquante portes, autant de passages vers le Deccan. Il n’en reste plus que quelques-unes. Nous avons visité le mausolée Bibi-Ka-Maqbara, fin XVIIème siècle, tombeau de la première épouse du fils de l’affreux empereur moghol Aurangzed, fils du célèbre Shah Jahan (celui qui fit construire, plus tôt ce siècle-là, le mausolée Taj Mahal en l’honneur de sa bien-aimée épouse Mumtaz Mahal). D’une parfaite architecture moghole, il en est la réplique presque exacte.



au moment où je finalise cet article.
L’auto-rickshaw nous a ensuite conduit au Panchakki qui signifie moulin à eau. Il est composé d’un bassin et d’une cascade artificielle (1174), système ingénieux qui ramène l’eau des montagnes et la fait remonter par aspiration juste au-dessus d’un bassin à débordement.

A l’arrière, une mosquée (1117) abrite le tombeau d’un célèbre soufi. Non loin de là, on entend les prières du vendredi d’une mosquée voisine. Elle est remplie de fidèles. Plus tard, les rues encombrées nous donneront l’impression d’être au Pakistan. De toute évidence, ce n’est plus l’Inde multiconfessionnelle tant la concentration de Musulmans est importante.



Nous terminerons l’après-midi dans le chowk, le bazar très animé de la ville où Éric achètera une tenue kurta-pyjama dans un beau coton d’un blanc pur. Nous en profiterons pour faire l’acquisition de vêtements de pluie.





des bracelets et des colliers de façon traditionnelle.





Le lendemain de bonne heure, nous prendrons la route d’Ellorâ située à 30 kilomètres d’Aurangabad. Nous ferons une halte à Daulatabad où s’élève une forteresse du XIVème siècle perchée sur une hauteur.







Nous serons récompensés de la peine de l’ascension par une belle vue sur le plateau du Deccan. Pour la petite histoire qui coûta très cher aux sujets du sultan Muhammad bin-Tughlûq, celui-ci transféra sa capitale de Delhi à Daulatabad, on pourrait croire sur un coup de tête, obligeant la population à parcourir à pied les plus de 1000 km qui séparaient les deux villes. Plus de la moitié périrent au cours de ce pénible périple. Deux ans plus tard, ce même sultan réintégrait Delhi, entraînant dans son sillage ce qui restait de la population. Caprice des dieux ! La pluie s’est alors invitée mais nous l’avons vite chassée.

Plus tard dans la matinée, nous arrivons à Ellorâ. Il est 10h30 et il fait assez chaud sans que cette chaleur soit accablante. Pour la saison, nous avons donc la chance de pouvoir visiter sans trop souffrir. Il y a déjà du monde. Les Indiens savent qu’il faut se lever tôt. Nous optons pour une visite guidée. Ce site classé au patrimoine mondial de l’Unesco en 1983 comprend 34 grottes.

Cette succession serrée de temples et de monastères est taillée à flanc d’une haute falaise basaltique, une roche mi-dure. Les grottes datent de 600 à 1000 ap. J.-C.. La construction de ces sanctuaires traduit la tolérance dans la coexistence des trois principales religions de l’Inde ancienne. Les grottes 1 à 12 dédiées au bouddhisme ont été creusées du Vème au VIIIème siècles.




Celles numérotées de 13 à 29, sont dédiées à l’hindouisme. Elles ont été creusées entre les VIIème et Xème siècles. Enfin, du IXème au XIème siècles, les grottes 30 à 34 sont dédiées au jaïnisme. Parmi les plus remarquables, la grotte 12 sur trois niveaux est merveilleusement imposante. Le Bouddha dégage un air de pureté dans une attitude de méditation. Au-dessus, le stupa le protège. La voûte ressemble à celle de nos églises. D’ailleurs, dans la description du sanctuaire, il est toujours question de nef et de déambulatoires, les bas-côtés séparés par des piliers. Notre guide nous fait entendre la pureté des sons. Il émet quelques notes qui se répercutent sur les parois en sons cristallins qui nous reviennent en échos. Il demandera d’abord aux Indiens, surpris par l’injonction, de se taire. Après la surprise, ils seront enchantés d’avoir assisté à l’expérience.






La grotte 16 dite de Kailasha est sûrement la plus impressionnante de par la taille et l’exploit. La construction du temple aura duré 200 ans. Le mont Kailasha est la demeure de Shiva, d’où son nom. La falaise a été excavée sur près de 250 mètres de profondeur avec les outils de l’époque, d’où l’exploit. Il en surgit une œuvre architecturale de toute beauté ; style et sculptures n’ont pas d’égal.


La 32ème grotte est dédiée à Mahavira, le 24ème et dernier Tîrthankara. Ces maîtres sont considérés comme des lumières de la foi du jaïnisme. A ce titre, ils peuvent enseigner à leurs disciples la voie pour atteindre l’illumination, le moksha. Ces représentations les montrent nus face à un disciple qui, lui, est vêtu et paré de bijoux. Les sculptures sont raffinées et délicates. Tout ceci est un enchantement et nous nous délectons de tant de prouesses et de magnificences.





Nous terminerons cette visite en gravissant la falaise pour avoir une vue plongeante sur la grotte 16. Nous sommes étonnés que l’accès soit possible compte-tenu de l’absence de protection. Nous sommes bien en Inde après tout où tout est possible ! Si nous voulons voir, nous devrons nous pencher directement au-dessus du vide. Éric flippe à cause de son vertige. Moi, je m’engage sur l’étroit passage et me penche, autant pour émoustiller mes sensations que pour me rendre compte de la profondeur (vue d’en haut) de l’excavation. Et l’ouvrage qui paraîtrait impossible à réaliser est bien sous nos yeux dans toute sa splendeur. Redescente au niveau du plancher des vaches.

Avant de prendre la route pour Ajantâ, nous déjeunons dans un restaurant proche des caves où Éric oubliera son vêtement de pluie qui n’aura pas encore servi mais qui aurait pu, vu l’état du ciel le lendemain sur le second site que nous visiterons.


Nous arrivons en début de soirée à Ajantâ. Nous avons réservé une chambre dans un hôtel géré par le MTDC (Maharashtra Tourism Department Corporation). Nous pensions que ces hôtels seraient aussi bien gérés que ceux du MPT (Madhya Pradesh Tourism). Que nenni ! C’est plutôt une grosse déception. L’accueil est glacial et les chambres à peine propres bien que literie et serviettes soient convenables. Pas de connexion wifi et pas de petit-déjeuner. Bien, nous ferons avec mais heureusement que nous n’y séjournerons qu’une nuit.

L’avantage est que le village où nous nous trouvons est à 5 km du site. Un ravin boisé au centre des monts Indhyagiri découvert par des soldats britanniques lors d’une partie de chasse en 1819 abrite les grottes. Le site est splendide. Au fond du ravin, la rivière Vaghorâ charrie les eaux boueuses dévalant les parois de la falaise d’une hauteur d’une quarantaine de mètres où se trouvent les 26 grottes.

Nous verrons ces cascades de boue à la fin de notre visite alors que la pluie s’abattait sur nous. La « construction » de ces grottes est répartie en deux phases. Une première du IIème au Ier siècle av. J.-C. et une seconde du Vème au VIème siècle ap. J.-C.. Des grottes sont ornées de merveilleuses peintures murales.








Une attention particulière est apportée aux fresques rupestres afin d’éviter les dégradations dues au temps, à la lumière et à la présence humaine en grand nombre. Ainsi, de nouveaux éclairages à la fibre optique ont fait leur apparition donnant une ambiance mystique à ces lieux de dévotion.


Certaines grottes sont des sanctuaires, des chaityagriha, d’autres des monastères, des sangharama. Ces derniers sont constitués d’un hall de réunion au fond duquel le Bouddha trône en majesté. Au-delà des piliers qui soutiennent le grand hall, des cellules sur les côtés sont destinées aux moines bouddhistes.








période antérieure à la représentation du Bouddha à forme humaine.
Les sanctuaires présentent une façade extérieure à colonnades plus ou moins travaillée et percée d’une ouverture en fer à cheval, une chaitya. A l’intérieur, le plafond est voûté sous lequel, au fond de la nef, repose le Bouddha en différentes expressions. Au-dessus de lui, un stupa surmonté d’un grand parapluie le protège. A l’arrière, une abside permet les circumambulations rituelles. Des colonnades séparent la nef des bas-côtés. La description de ces sanctuaires n’est pas sans évoquer les églises catholiques.

Des escaliers taillés dans la roche relient certaines grottes entre elles et permettent également d’accéder à la rivière en contrebas. Ce travail d’excavation s’est étalé sur quatre siècles et lorsque l’on met cela en perspective, on ne peut que penser que seule la foi a motivé ce travail titanesque. Certaines grottes sont vastes et richement ornées. On a là sous les yeux des chefs-d’œuvres de l’art religieux bouddhique qui, à cette époque, exerçait un rayonnement considérable en Inde et sur le monde asiatique. Quelques grottes dont la 24 montrent parfaitement les techniques d’excavation rocheuse. C’est toujours impressionnant et impensable techniquement.


Dès 9 heures du matin, juste à l’ouverture du site, nous étions sur place. Passé le centre d’accueil avec sa billetterie, il a fallu traverser un bazar dont les commerçants commençaient à présenter leurs marchandises : souvenirs, pacotilles, pierres, bijoux, tissus et stands de nourriture. Déjà, on nous hélait. Déjà, nous fuyions. Le premier bus était cessé partir à 8h45. Dans leur guérite, les chauffeurs de ces véhicules déglingués discutaient, buvaient le chai, mangeaient mais ne s’occupaient certainement pas de transporter les touristes sur le site à 4 km de là ni de l’horaire affiché. Nous attendions, une petite poignée de visiteurs. Enfin, nous nous rendîmes aux pieds des grottes. Des nuances de gris teintaient le ciel lourd de la pluie à venir. L’air chargé d’humidité menaçait de nous mouiller à un moment ou à un autre. Après nous avoir accordé 26 grottes de répit, le ciel nous est tombé sur la tête.



Éric, privé de son vêtement de pluie, nous a contraints à nous abriter dans une grotte où « logeait » déjà une famille avec trois enfants. Impatients de sortir, ils gesticulaient en tous sens à l’indifférence évidente de leurs parents. Il a fallu l’intervention d’un gardien pour leur interdire de monter sur les rambardes de protection. Nous regardions un peu hébétés tomber la pluie. Très vite, des cascades de boue ont dévalé la falaise se jetant dans la rivière, vision hypnotisante. Les éclairs ont secoué le ciel et le tonnerre a résonné. L’apocalypse quoi ! Mais une apocalypse qui ne dure pas longtemps. Au bout d’une petite heure, nous avons pu quitter notre grotte et le site. Le soleil était revenu avec son flot de touristes indiens ; nous étions bien contents d’être arrivés si tôt.






Nous avons repris un bus moins déglingué, traversé le bazar tête baissé sans se laisser happer par les commerçants nerveux de vendre à tout prix et avons trouvé, soulagé, notre chauffeur Ahmed. Il nous fera la surprise de nous conduire à quelques kilomètres d’Ajantâ, sur un autre versant de ces collines afin d’avoir une vue d’ensemble des grottes. Une autre émotion et toujours de l’étonnement. Nous lui en avons été reconnaissants.




Après cela, enfin confortablement installés dans la voiture, nous nous sommes laissés glisser dans la somnolence jusqu’à notre retour à Aurangabad où nous avons passé notre dernière nuit avant de nous envoler pour Chennai, enchantés de ce long week-end.
Quel bel article. Félicitations pour le choix des photos. Pour une fois ce commentaire sera laissé ici et pas en direct, mission oblige. Je sais à quel point tu y es sensible. Relire ce périple me fait vibrer de nouveau. Nous lirons les articles à notre retour pour, non sans nostalgie, nous remémorer ces merveilleux moments. Baisers
Oui, je suis content de lire ton commentaire. Premier et sans doute unique mais merci d’y avoir pensé 🙂 Baisers
Et voilà, encore un autre commentaire ! Je sais que tu ne te lasses pas ! Et je lis celui d’Eric, rare ! Cet endroit avait l’air grandiose, tout comme l’orage ! Merci de nous y emmener et de nous faire le guide. Je reviendrai sur vos traces, un jour peut-être… Bonne suite de voyage et de découvertes. je vous embrasse. patricia
Coucou Patricia,
En effet, nous avons beaucoup aimé ces endroits, ces caves, ces grottes (c’est selon la langue et les faux-amis), ces bazars et tous ces gens si différents! Nous nous disons toujours que nous y reviendrons … un jour. Mais le monde est si vaste !!!
Prochaine découverte, une autre terre, dès le 2 juin …
En t’espérant en forme, on vous embrasse. X&E
Quelles richesses à tout point de vues: culturel, naturel, gastronomique… humaine!
C’est un plaisir de découvrir ces très belles photos et de lire le récit de ce périple oriental.
Bonne continuation et merci pour ces partages de voyages!
C’est un plaisir pour moi de partager nos expériences et nos émotions « indiennes ». Merci à toi de suivre ces périples. Et comme toute chose a une fin, nous quitterons l’Inde que nous aimons dans toutes ses contradictions, fin août pour un retour définitif, cette fois, en France.