Entre deux confinements

Attention, danger ! Entre le port de Chennai et la plage de Marina, ce gros virus se veut dissuasif ! Étrange façon de faire de la prévention. Cet affreux virus est mal placé, quasiment invisible et n’a aucune portée éducative ! Mais que c’est drôle !

Entre le 15 et le 29 juin, une petite fenêtre de liberté, de bonheur et d’oxygène s’est ouverte. Avec toutes les mesures de précautions requises et la réalité tangible de cette nouvelle situation, un rebond de vie a donné un coup de fouet à mon sang endormi, apathique, paresseux, charriant des flots d’ennui sournois, de colère intérieure, de déprime latente et de pensées toxiques.

L’armée de l’ombre du nettoyage des rues !

Certes, tous les lieux publics étaient fermés, parcs et jardins, cinémas, bars, restaurants, salons de thé et surtout, les magasins d’alcools. Gosh ! Je n’ai jamais eu autant envie de boire de l’alcool fort. Je rêve de whisky écossais single malt, de gin et de vodka. Purs ! Culs secs ! Glacés ! Nous en sommes arrivés à grignoter des amandes salées, des chips de bananes, des noix de cajou au chili, des cacahuètes épicées sans boire une goutte de liquide et certainement pas de l’eau ! Je rumine ! Je fulmine ! Sont-ce des signes d’addiction alcoolique ou des manifestations du sevrage ?

En tout état de cause et avec le retour de Bala, j’ai repris, plein d’espoir, mes visites de Chennai. Je voulais voir ce qu’était devenue la ville pendant le confinement et son réveil dans le déconfinement en cours.

Tenue de combat
lors de ma sortie !

Deux directions ont retenu mon intérêt, la gare routière à Thiruvanmiyur et la gare centrale à Parrys corner.

J’aime bien prendre la route du sud en direction de Mamallapuram et Punducherry. Elle est habituellement toujours encombrée, très animée, bruyante et commerçante. Les petites boutiques se côtoient sur une très longue portion de route jusqu’à la barrière de péage. En une organisation chaotique, l’alimentation jouxte la quincaillerie, l’outillage, l’artisanat, les églises, temples et mosquées, les ateliers de réparation, les échoppes de ventes d’animaux vivants, les poissonnières assises sur des caisses, leurs poissons « (Oh ! ) dorant » au soleil …, tout cela dans un joyeux concert de klaxons et de pétarades. Nous nous coulions tranquillement dans le flot de la circulation, Bala maître à son bord, au milieu des bicyclettes, des motos, des camionnettes transportant fruits et légumes, bouteilles de gaz et d’eau, des camions citernes et autres gros 4X4. Bala, tranquille, actionnait  le klaxon comme pour répondre aux injonctions inscrites à l’arrière des camions : « Sound Horn » ! Dans une courbe, la gare routière apparaissait poussiéreuse et active, bordée par un marché très animé. Et alors que les odeurs ne me parvenaient pas, les couleurs et l’agitation autour des stands me donnaient toujours envie de m’y arrêter.

Or, le jour de ma « sortie », le paysage est méconnaissable. La circulation éparse ne nous arrête qu’aux rares feux tricolores en marche, tous les autres clignotent à l’orange, rares sont les bruits et les bas-côtés de la route ne laissent apparaître que des rideaux fermés accentuant la laideur, la pauvreté et le désarroi. Cette période de déconfinement progressif n’autorise, à ce jour, que l’ouverture des magasins d’alimentation, des pharmacies et des distributeurs automatiques de billets. Les établissements scolaires, les universités, la grande bibliothèque, le centre de recherche, les studios de cinéma sur le chemin, sont fermés. La gare routière est bouclée, vide et sans vie. Les bus sont impeccablement alignés, immobiles. Ils n’attendent plus personne. Pas une âme qui vive : pas d’agents de sécurité autour des véhicules, pas de gardiens aux entrées de la gare. Seule la poussière tourbillonne au vent comme une menace d’ouragan. Elle se pose sur les pare-brise, sur les carrosseries, donne une impression de désert à l’américaine ! Il ne manque que les cowboys et la musique d’un Enio Morricone indien ! Les entrées de la gare sont bouclées par les barrières jaunes de la police. La petite épicerie à côté de la gare ne sert qu’une femme vêtue de blanc : un café ou un thé à dix roupies, pas de quoi faire recette. Un grand calicot bleu rappelle les recommandations sanitaires en vigueur : port du masque obligatoire et distanciation de deux mètres entre chaque personne. Personne ne viendra vérifier cela, et sûrement pas la police, absente des lieux.

Je m’aventure dans le quartier. Bala me retrouvera une heure plus tard près du temple. Tout-à-coup, la chaleur me submerge ; que j’étais bien dans la voiture ! Fin juin, à 15 heures, il doit faire 32°C. C’est la saison chaude. Au bout de trente minutes, mon tee-shirt sera mouillé. Qu’importe ! Je supporte mal mais je suis brave !

Les ruelles adjacentes à la grande route sont plus animées. On dirait que les commerces ouverts se préparent avant un prochain confinement que l’on pressent. Plusieurs camionnettes livrent des denrées alimentaires. On fait le plein des stocks. On a sans doute peur du manque quand la clientèle affluera au moment venu dans un temps que l’on espère proche. La plupart des gens porte un masque, beaucoup, pour des raisons de commodité, portent le masque sous la bouche ou sous le nez. A quoi cela sert-il dans ce cas ? Pour moi qui ai des problèmes d’audition, le port du masque ajoute à la difficulté de compréhension. Je regarde et lis habituellement sur les lèvres de mes interlocuteurs afin de mieux comprendre. Alors, porter un masque, c’est de la folie ! Cela me met mal à l’aise, mais il n’y a pas le choix ! Ici, à Chennai, ne pas jouer le jeu met la ville en troisième position après Delhi et Mumbai dans le nombre de cas d’infection covid. Les « clusters » sont nombreux et du coup, j’aborde ma petite virée avec une certaine appréhension, me disant qu’il ne faut approcher quiconque et surtout garder mes distances. Je reste fasciné par l’ambiance dans les rues : agitée souvent, calme et endormie par ailleurs.  J’aime voir la vie ici, si différente, si éloignée de la nôtre, sans que rien ne nous rapproche. Des vendeurs de rues continuent leur commerce malgré les difficultés : vendeurs de fruits, c’est la saison des mangues et nous en mangeons tous les jours. Les variétés sont nombreuses et nous adorons particulièrement les « Alphonso », soyeuses, petites, rebondies, d’un beau jaune presque ocre, juteuses, sucrées. Les vendeurs de masques ont fait bien sûr leur apparition. On a tout de même l’impression que ces masques à 15 roupies ne sont pas aux normes : un simple tissu à élastiques …

Gopura du temple Arulmigu Marundeeswarar

Je suis à une des portes du temple Arulmigu Marundeeswarar. Sa haute gopura, porte d’entrée en forme de tour, est typiquement hindoue. Les couleurs pastel des ornementations sont tendres et douces. Ce temple est très ancien, l’un des plus anciens de la ville. Il est également très étendu puisqu’il comporte trois gopuras. Selon l’agencement des temples, un grand bassin aux ablutions ne laissent entrer plus personne excepté les oies et les canards qui viennent y boire et s’y baigner sous ces fortes chaleurs. Il est même fermé par des barbelés … Accueillant !

Au pied du temple et sur deux des côtés du bassin, un marché aux fruits et aux légumes est déserté, comme si les clients avaient fui. Quelques rares hommes achètent à un jeune vendeur qui m’a l’air désespéré. Des veaux farfouillent dans des cagettes à la recherche de fanes de légumes, ou mieux encore, chapardent des fruits sur les étals. Un autre vendeur les chasse sans que cela ne les effraie. Des vaches se reposent à l’ombre d’un énorme banian. Un mainate picore sur le dos de l’une d’elles pour son plus grand bonheur. Les abords du temple sont sales, le quartier est très pauvre. On peut voir une carcasse de rickshaw devenue abri pour les chèvres du coin. Il semble qu’un nid soit juché sur le toit. Près d’une butte de terre, un homme se lave, il est torse et pieds nus. Il est derrière une moto mais ne se cache pas. Une vieille masure abrite des pauvres gens. Des poules courent partout. On se croirait dans la cour d’une ferme.

Je fais le tour du bassin et me retrouve à mon point de départ. Bala m’attend au coin d’une rue et nous roulons jusqu’à la gare ferroviaire.

Je connais maintenant un peu le quartier de Parrys corner. J’aime beaucoup la section des fleuristes pour y avoir passé plusieurs heures, me délectant des odeurs, des couleurs et de la douceur de certains regards … C’est un quartier hyper animé du lundi au samedi. Un peu comme chez Tati à Barbès à Paris ! Les petites venelles regorgent de commerces répartis par corporations. Lors de ma visite, le quartier est désert, sans surprise. Quelques échoppes proposent du café et du thé aux rares passants laissant croire à une reprise de l’activité économique.

C’est plus animé aux abords de la gare. Bala me dépose et m’attendra le temps qu’il me faudra pour voir de mes propres yeux.

Central Railway Station

Je remarque aussitôt une longue file qui s’étend sur un trottoir adjacent à la gare. Les hommes, il n’y a que des hommes, portent un masque et ont un sac de voyage à leurs pieds. Ils arrivent par bus entiers. Ils attendent. Mais quoi ? Je me dirige vers la gare. C’est un grand bâtiment rouge de style anglo-indien avec sa tour de l’horloge, datant du XIXème siècle. Des palmiers plantés sur le devant complètent le décor. Une haute clôture en fer forgé, comme un écrin, enferme ce joyau d’un temps passé. Je veux voir de près, je m’approche d’une rampe d’accès pour faire des photos et à ma plus grande surprise, constate que les entrées sont bouclées. Personne n’est dans la gare. Qu’à cela ne tienne, je me positionne pour des clichés quand j’entends des voix près de moi. L’œil fixé sur mon objectif, je n’y prends pas garde et mitraille la gare. Les voix sont toujours présentes à mes oreilles. Mes clichés pris, je regarde enfin autour de moi et remarque deux policiers assis sur des sièges en plastique, devant l’entrée interdite, non loin.  C’est en fait à moi qu’ils s’adressent. Je ne les entends pas, je ne comprends pas ce qu’ils me disent mais un geste de la main me fait comprendre que je dois m’approcher. J’accroche mon sourire à mes lèvres ne sachant pas trop quelle attitude adopter. La policière, d’emblée, ne me semble pas sympathique et me parle durement. Je ne comprends toujours pas. Son masque m’empêche de comprendre et l’anglais indien est encore pour moi une source de difficultés. Quel délit ai-je commis ? Je suis tout de suite envahi d’un sentiment de faute. Mais laquelle ? Le policier, plus âgé, prend alors la relève et m’explique calmement qu’il est interdit de prendre des photos. Tiens donc ! Et pourquoi ? Pas de réponse. C’est comme ça en ce moment. On me questionne – Qui suis-je ? Quelle est ma nationalité ? Que fais-je ici en Inde et à Chennai ? Pour mettre fin à cet entretien aussi inattendu qu’insensé, je réponds que je suis touriste. Fin de partie ! Je repars avec mes clichés, j’en ai assez entendu.

De retour dans la voiture, je demande à Bala ce que font ces hommes le long du trottoir. Il m’apprend qu’ils attendent un éventuel train de rapatriement qui les ramènera dans leur ville, Delhi ou Mumbai. Ils ne savent tout juste pas quand ils partiront. La gare est donc bouclée afin d’éviter tous débordements, fréquents en Inde, ou pour éviter qu’elle ne soit prise d’assaut sans que les forces de l’ordre ne puissent rétablir le calme.

On est bien en situation de crise sanitaire très contrôlée.

Je rentre chez nous un peu dépité et inquiet pour notre avenir en Inde. J’apprendrai d’ailleurs le soir-même par Éric que les autorités de Delhi imposent un nouveau confinement, strict cette fois, du 1er au 5 juillet avec couvre-feu le dimanche. A partir du 6, le déconfinement progressif sera scruté à la loupe et le couvre-feu maintenu tous les dimanches de juillet. Des agents des autorités sanitaires, sillonnant chaque rue de chaque quartier, font toujours régulièrement du porte-à-porte, prennent les températures, les notent sur un carnet, nous laissant entendre que l’on est tracé. Une des bonnes nouvelles est que nous allons bien. L’autre est que nous vivons dans le calme absolu.

Les puces de Pallavaram

Histoire d’avant le confinement, phase 1. Depuis un bon moment, nous avions envie de manger un bon poulet fermier. Et puis, cette envie nous est sortie de l’esprit en l’absence de pouvoir sentir la bonne odeur du poulet rôti et de croquer dans la chaire moelleuse et juteuse de ce volatile. Un jour, Bala me conduit au « Friday market », le marché aux puces qui se déploie tous les vendredis sur une longue route étroite, coincée entre la bretelle d’accès à l’aéroport et la voie de chemin de fer. Il faut y aller de bonne heure car, très vite, il fait chaud et la foule nonchalante côtoie les motos, les rickshaws et les camionnettes, donnant rapidement une impression d’étouffement. La priorité n’est pas aux piétons, mais bon sang, ce qu’il y a déjà comme monde !

Bala se gare sur un petit parking de la gare ferroviaire. Nous empruntons le tunnel d’accès aux voies et je ne comprends pas bien pourquoi nous passons par là. Une volée de marches nous fait surgir sur un quai, pour quelle destination ? Comme à l’aveugle,  je suis Bala. Nous marchons le long du quai et continuons sur le ballast. D’autres personnes suivent la même direction. Bala est attentif, il me surveille.

Des trains aux fenêtres sans vitres et toutes portes ouvertes traversent la gare et se croisent. Ils sont bondés, des hommes sur les marches-pieds. Nous marchons exactement entre deux voies quand soudain deux trains se croisent à mon niveau. C’est effrayant, assourdissant, excitant. Je suis bien en Inde.

Nous arrivons enfin aux puces. Tout d’abord, je ne vois rien de ce qui semblerait avoir été récupéré de la déchèterie ou du ferrailleur. De chaque côté de cette longue rue, des stands, souvent à même le sol, proposent toutes sortes de vieilleries en métal, en plastique : vieux jouets, vieux outils, vieux matériels de sport, appareils électroménagers d’occasion, meubles, vêtements synthétiques. Je me demande tout-à-coup ce que je fais ici. Je n’ai pas l’œil aiguisé et je déteste l’impression de vide qui n’a aucun intérêt. Versatile et impatient, il me faut une excitation immédiate ou d’un instant. Chiner longtemps ici n’est pas trop mon truc.

Puis, petit à petit, ma curiosité s’éveille et mon regard alerte devient sélectif. Je remarque que l’on me remarque ; en effet, il n’y a pas de touristes et je suis le seul étranger. Je remarque que l’on ne vend pas que des vieilleries et que certaines sont celles de rares brocanteurs. J’achèterai d’ailleurs une vasque en laiton typiquement indienne dans laquelle on dispose des fleurs et que l’on trouve dans les temples essentiellement. 

Je remarque des vendeurs, cachés du soleil sous des parapluies ou des parasols colorés. Je me rends compte que les stands ne sont pas organisés par corporation ; un vendeur de fruits côtoiera celui qui vend de vieux altères. Il y a des stands de nourriture ; des montagnes de légumes, d’herbes qui cachent à la fois le vendeur et sa bicyclette. Beaucoup vendent des poissons séchés de toutes sortes. J’aime cette odeur forte, presque répugnante. L’un d’eux est tenu par un gracieux jeune homme, ça ne manque pas de charme ! Et puis, pas de poisson sans la typique râpe-et-scie. Aucun de nos poissonniers ne s’en accommoderait car il faut d’abord coincer le socle en bois sous son genou replié, puis présenter le poisson devant la lame verticale et par un geste de va-et-vient, écailler et couper le poisson en tranches.

Râpes à écailles et scies à poissons

Nous avançons toujours. Il y a de plus en plus de monde, de plus en plus de circulation, il fait de plus en plus chaud. Il est déjà 11 heures. Je me demande bien jusqu’où Bala va me conduire. J’ai déjà envie de rentrer. Il faudra refaire tout le trajet en sens inverse. Alors que je suis dans ces pensées, la route s’élargie un peu laissant apparaître une contre-allée. Là, des toiles tendues et attachées à la clôture semblent délimiter un espace que l’on voudrait soustraire aux regards du chaland, confiné. Ainsi protégés du soleil trop fort, des animaux vivants soufflent en silence : poulets, lapins, dindons, oies, canards. Certains volatiles sont exhibés sur la cage, une patte attachée. Les poulets, les coqs ont un beau plumage, portent fièrement de belles couleurs. Ils sont hauts sur pattes, la cuisse longue et ferme. Ils ne sont pas charnus et ressemblent plutôt à des poulets de combat. C’est ici précisément que Bala veut m’amener. J’avais émis l’idée d’acheter un poulet fermier et le voilà qui me propose d’acheter un poulet fermier mais vivant ! A ma grande surprise, il se propose de se charger de la chose de A à Z … Je me laisse faire !

Nous nous arrêterons devant un vendeur de jus de canne à sucre. Je n’en avais encore jamais bu. Ma première question à Bala : « Est-ce qu’on peut le boire sans risque ? ». Devant nous, trois jeunes filles, toutes les trois de blanc vêtues, gloussent à ma question en me regardant, un rien aguicheuses ! Je me reprends, je leur souris et bois, avec un certain plaisir, cet excellent breuvage rafraîchissant.

Dans la voiture, sur le chemin du retour, un malheureux poulet, la tête hors de mon sac à mes pieds, le bec ouvert, salivant et apeuré, ne sait pas encore ce qui va lui arriver dans la cuisine …

Street Art à Kannagi

Histoire d’avant le confinement. Bala a bien compris que ce qui nous intéresse, Éric et moi, c’est la nouveauté, la découverte de lieux incontournables, la surprise, ce qu’il faut avoir vu, ne rien rater. Un samedi, nous nous laissons conduire dans un quartier au sud de Chennai. Là où il y a des peintures murales, nous dit-il. En route pour Kannagi Nagar ! En route pour Kannagi Art District !

Dès que l’on quitte la route principale, on entre, par de petites rues sinueuses, dans un quartier où l’on n’a pas vraiment envie d’aller. Bala nous dira mezza vocce que c’est un coupe-gorge la nuit. A bon entendeur … La voiture s’arrête aux abords d’une immense esplanade vide. Des barres d’immeubles de trois étages disposées en U, hideuses et décaties, font face au poste de police, immense bâtisse d’où le droit et le devoir devraient s’imposer. 

Ce quartier de Kannagi où vivent des pauvres, des expulsés relogés que l’état a sédentarisé, des gens qui vivaient dans des bidonvilles, est le plus grand site de relocalisation en Inde comptant une population de 80 000 personnes dont beaucoup étaient pêcheurs. Mais c’est ce qu’il y a de pire selon Bala : prostitution, criminalité, drogue, ce monde « underground » qui essaie de survivre ou qui se cache dans la misère. Taux de chômage élevé, extrême pauvreté, manque d’éducation, manque d’hygiène, manque de confort, manque d’accès aux soins, peut-être, bref, manque de tout. L’on verra plus tard que ces gens ne manquent pas de dignité et gardent le sourire. Et la St+ art India Foundation a mis l’art dans la rue au service de sa population en engageant le dialogue entre les artistes et la communauté.

Nous trouvons une pancarte. Tant bien que mal – elle est si haut perchée – nous lirons les explications de ce projet, le 5ème en Inde après New Delhi, Hyderabad, Mumbai et Goa. « ST+ ART – Kannagi Art District », le projet nous invite à la visite.

Pour des explications plus lisibles, allez sur internet : Kannagi art district, Chennai
Façade peinte au fond à droite : The New Door par l’artiste espagnol Antonyo Marest

Aux premiers regards circulaires, la grande esplanade semble vide et silencieuse. Puis, petit à petit et au fur et à mesure que nous la traversons sur sa longueur, la vie de quartier apparaît. Un groupe de jeunes garçons, pieds nus, jouent au football. Sur notre droite, le long d’un rez-de-chaussée aux couleurs vives, de jeunes graffeurs peignent un mur, l’un assis sur un vélo à plateforme, des pots de peinture posés au sol. Un peu plus loin, un autre groupe a le nez en l’air. Aussitôt, nous regardons aussi. Sur le toit, des ouvriers surveillent l’intervention d’un des leurs en équilibre sur un fragile échafaudage dressé sur la façade. Ils nous regardent et nous font un signe amical.

Le long bâtiment opposé arbore deux fresques murales : des personnages capturés dans des activités de la vie quotidiennes. Des gouffres noirs marquent ces peintures : ce sont des balcons sur lesquels des femmes étendent leur linge ou regardent la vie passer et d’où chacun.e nous observe. Au pied de l’immeuble, quelques voitures et rickshaws, un chien errant et des passants.

Immeuble de gauche : Untitled par l’artiste autrichien David Leitner

L’immeuble qui ferme le U montre sa façade la plus étroite. Deux visages d’enfants y sont plaqués. Ils rient de toutes leurs dents comme un message de bienvenue, optimistes. Là encore, des balcons sombres séparent ces deux visages et nous invitent à entrer dans la vie de ces gens. Cet immeuble est justement traversé par une longue coursive. A l’entrée, des habitants discutent et nous surveillent du coin de l’œil. Nous avançons et nous dirigeons droit vers ce passage.

Après quelques hésitations, nous nous y engageons. La coursive est très longue, étroite et sans lumière. Seuls les deux accès opposés diffusent la lumière du jour, engloutie par les ténèbres alors que l’on avance prudemment. Des deux côtés, portes et fenêtres nous indiquent que des gens vivent là. Une porte ouverte laisse voir un vieil homme, légèrement vêtu, étendu sur un maigre matelas posé sur un sommier en métal. Des cartons, des bidons et divers autres objets encombrent ce passage. Un panneau publicitaire indique qu’un salon de coiffure offre ses services aux femmes et aux enfants. L’intérieur est spartiate. Le bleu des murs peints veut donner l’illusion de beauté, de clarté et de bien-être. Une jeune femme forte me fait le geste de son refus d’être photographiée, mais je capture le salon. Nous avançons toujours et nous nous approchons de la sortie d’où nous remarquons qu’un groupe de jeunes hommes nous observe. Qu’attendent-ils de nous ? Que veulent-ils ? Leurs intentions sont-elles bonnes ? Ils nous regardent vraiment, comme s’ils nous attendaient. L’air de rien, nous sortons et à leur niveau, dans l’éclat de la lumière qui nous éblouit, tous ces jeunes nous saluent amicalement. Qu’avions-nous pensé ?

Alors que je continue à photographier, Éric croise un groupe trois hijra – travestis et/ou transgenres qui forment une caste à part entière – mais se souvient qu’il n’est pas conseillé de les aborder car elles peuvent nous envoyer un mauvais sort… Cette caste fera vraisemblablement l’objet d’un article pendant la durée de notre séjour. Si vous souhaitez en savoir plus :

https://www.youtube.com/watch?v=Z4tuHJey1i4

Les fresques murales sont étonnantes, vives et colorées. Des artistes nationaux et internationaux ont été invités à les réaliser. Les styles sont différents et reflètent différents regards selon que l’on est  Indien ou pas. Elles cachent la misère, la pourriture, la saleté. Elles cachent aussi l’ennui, le vide, la désillusion. Nous saluons un jeune couple d’Indiens venu comme nous voir cet endroit. Comme nous, ils mitraillent de leur appareil photo l’art et la misère. Ils sont charmants. Un peu plus loin, dans un espace poussiéreux qui aurait pu être aménagé en un terrain de jeu, des jeunes jouent au cricket avec ce qui fut autrefois une balle et une vieille batte.

Un garçonnet approche avec son air d’angelot joufflu et ses boucles de cheveux noirs. Il est torse nu, pieds nus et porte un vieux short sale. Un grand sourire éclaire son visage et il est curieux de notre présence. Il se laisse volontiers photographier. Un autre, plus réservé, semble intimidé par notre présence. Plus loin, une vieille grand-mère porte son petit-fils dans les bras. Elle s’avance vers moi, sourire édenté, et me tend cet enfant. La jeune mère les accompagne et surveille la scène. Comme c’est charmant ! Plus loin encore, des enfants jouent sur ce qui fut un court de tennis. Jouent-ils ou se lancent-ils des pierres ? D’autres, plus loin, s’amusent à poursuivre de malheureux poulets aux longues pattes maigres.

Des stands de fortune à même le sol bordent notre parcours : fruits, légumes, poissons séchés couverts de mouches, objets en plastique de la vie quotidienne. Des stands de street food proposent dans de l’huile ayant servi trop de fois, des pattes de poulets au curry et des boulettes « de quelque chose » qui ne donnent pas envie de goûter malgré les sollicitations sympathiques des vendeurs. Ça et là, des braseros indiquent que la rue est aussi l’espace de cuisine de chacun.

Et toujours et partout des enfants, des chiens, des chèvres et des vaches.

Nous arrivons au terme de notre visite. J’ai envie de boire un chaï et remarque un vendeur le préparant sur son vélo. Une femme arrive en même temps que moi avec l’intention évidente de s’en offrir un. Elle me fait signe de commander avant elle, un grand sourire aux lèvres qui éclaire un visage rieur. Et de fait, j’en commande deux, un pour elle et un pour moi. D’abord, elle refuse mais face à mon insistance, elle finit par l’accepter, toute gênée mais flattée.

Koyambedu, le grenier de Chennai

Histoire d’avant le confinement. Les beaux souvenirs restent de cette visite et je ne sais pas quand je vais pouvoir retourner dans ce gigantesque marché d’une superficie de plus d’un km2, comprenant plus de 3000 étals et d’où 5000 tonnes de fruits et légumes partent tous les jours pour nourrir la vile. C’est un peu notre Rungis des fruits, des légumes et des fleurs.

Bala devant la halle aux fleurs

Bala sait maintenant que j’aime flâner dans les marchés, la criée aux poissons juste débarqués des chalutiers, les ventes en gros et demi-gros. J’aime voir les transactions, les relations s’établir entre les acheteurs et les vendeurs au moment critique de la négociation. J’aime voir les attitudes exagérées – parfois théâtrales – quand on pousse plus loin ces négociations. Je trouve les vendeurs fair play quand ils ajoutent un petit plus que ce qu’ils avaient pesé, comme si c’était un cadeau. Et toujours ces mouvements de la tête qui accompagnent la communication. Et toujours, les regards noirs, intenses, profonds, lumineux … et tendres.

N’ai-je pas raison ?

Koyambedu se compose de 3 immenses bâtiments ; un premier pour les fleurs, un deuxième pour les fruits et de dernier pour les légumes. C’est le grand marché du périssable. Il faut donc que cela parte vite et la préoccupation est d’éviter les pertes. Quoique les vaches rôdent et se nourrissent des déchets végétaux. C’est aussi la raison pour laquelle on vend aussi au détail. J’en ai bien évidemment profité pour faire des achats ! Le premier ayant été un bouquet de fleurs !

Je ne sais par où commencer, vers quoi me diriger, mais Bala me guide. Il me laisse m’imprégner de l’endroit, me laisse trouver mes repères et m’orienter. Un tour dans la grande halle aux fleurs nous conduit assez rapidement devant la petite boutique d’un cafetier. Première station. A notre plus grande surprise, un jeune adolescent s’active derrière le comptoir et prépare chai et café. Il a quoi, 14 ans ? Il a un visage expressif, ouvert. Il ne semble pas timide. Un vrai patron ! Il prend notre commande : Bala un café indien, moi un chai. Le jeune s’active et nous sert lorsque le patron arrive. Il nous explique que pendant sa courte absente, il a laissé la boutique en garde à son fils. Immédiatement, il vérifie notre commande. En voyant la couleur du café de Bala, il se met à grogner contre son fils, reprend le verre de café, trop clair à son goût, le jette et en refait un autre, mieux dosé. Le jeune est confus. De cafetier, il redevient le fils soumis. Il se sent peut-être humilié d’être ainsi réprimandé devant les clients. Mais le père a une fausse colère dans la voix et cela se voit à ses yeux rieurs. Nous sourions. Les cookies, délicieux sablés parfumés dans de grands bocaux, nous tentent. C’est une excellente façon de commencer cette visite ! C’est ma madeleine de Proust. Les images de mon voyage d’il y a 40 ans me reviennent en mémoire et je me revois, buvant du thé et mangeant ces mêmes cookies, dans les rues partout en Inde, à n’importe quel moment de la journée. C’est ce que je fais encore aujourd’hui. Et c’est cette Inde là qui n’a pas changé que j’aime.

Ce qui m’avait impressionné au marché aux fleurs à Parrys Corner n’est rien comparé à ce marché. Le bâtiment a l’architecture d’un gigantesque cloître ; quatre coursives en carré avec un immense patio central qui sert d’entrepôt. Ça sent bon mais l’odeur mélangée de toutes ces fleurs me prend aux narines, c’en est presque entêtant. Nous marchons littéralement sur un tapis de fleurs qui s’échappent des monticules sur les étalages ou qui débordent des sacs des acheteurs. Personne ne s’en préoccupe. C’est la perte négligeable ! Après mon achat de fleurs, Bala me propose de les emmener à la voiture ; une bonne façon de me dire qu’il n’a pas envie de continuer la visite. On se donne rendez-vous sur le parking après mes achats.

Direction le marché aux fruits. Autre bâtiment, autre architecture. Celui-ci est conçu en un dédale d’allées dans lesquelles on pourrait se perdre. Les côtés extérieurs donnent sur des aires de chargement. Les culs ouverts des camions attendent d’être chargés ou déchargés. J’assiste au déchargement des bananes. De nombreuses variétés de bananes continuent de mûrir au soleil, des grosses, des petites, des rouges, des vertes, des plantains. Un homme sur le camion, le contremaître à la pesée et les coolies qui attendent en file indienne (pourquoi diable dit-on en file indienne ?). Mon œil ne sait sur quoi se poser ; sur les régimes de bananes ou sur la charge étonnante que les coolies portent sur une épaule ? Certains prennent la pose à ma demande, un demi-sourire aux lèvres. J’adore, c’est attendrissant. Beaucoup se laisseront volontiers se faire photographier … sans contrepartie. Les fruits sont répartis par sections ; la section des ananas, celle des noix de cocos, puis celle des grenades de Kaboul (non explosives !), telle autre pour les papayes, et ainsi de suite. Certains fruits sont posés à même le sol tant il y en a, d’autres, pour les plus fragiles sont sur des étalages. C’est coloré, c’est beau et ça donne envie d’en manger. Je continue mes emplettes.

Enfin, sous une chaleur qui devient écrasante – nous sommes au début de la saison chaude – je quitte ce bâtiment et me rends dans celui où l’on vend les légumes. Les allées sont plus étroites, les commerçants plus nombreux et j’ai l’impression d’être dans un souk au Maghreb ou en Turquie. J’aime beaucoup ces endroits car j’adore la sensation d’aller partout et de voir de belles choses, mêlée à l’excitation un peu angoissante de m’y perdre et de ne pouvoir retrouver la sortie. Là encore, des monticules de légumes harmonieusement disposés sur le sol ou sur des étalages. Des montagnes d’herbes odorantes que les Indiens utilisent dans la cuisine, persil, menthe, coriandre, cari et tant d’autres que je ne connais pas. C’est si beau à voir ! Les allées sont encombrées de déchets végétaux et je marche sur ce tapis souple. Je prends beaucoup de plaisir à être là ! Toujours les mêmes regards, les mêmes sourires, les mêmes invitations à acheter ! Et j’ai envie de leur faire plaisir et de tout acheter ! Je quitte le bâtiment pour me retrouver sur une des aires de chargement. Les camions sont à touche-touche. Pour certains, on s’active à la charge, pour d’autres, à la décharge.

Mais ce qui aiguise mon regard, c’est cette armée de coolies, presque nus, de tous âges, de toutes corpulences, de toutes tailles, tous formidablement forts, les uns montrant une musculature fine, longue et sèche, les autres, une musculature puissante, athlétique et magnifiquement dessinée, ou encore ceux avec une musculature enrobée de graisse, mais non moins imposante. Tous portent le lunghi remonté à la taille afin de libérer les jambes et faciliter les déplacements. Tous portent des charges sous lesquelles ils disparaissent presque, des plus jeunes au beau visage lisse et au corps mince au plus vieux, à la bouche édentée et au corps décharné, ils s’activent à la même peine, forçats des temps modernes payés quelques centaines de roupies.

Je quitte ce lieu magique et tragique avec l’envie irrépressible d’y revenir. Je crains cependant que ce ne soit avant longtemps car Koyambedu est un « cluster » fermé pour cause du taux élevé de cas de coronavirus. C’est ce qui fait que Chennai est une des villes les plus contaminées en Inde.

Paris – Chennai

Apéro-confiné avec nos amis Christian Sahuc, Gérard Chevaillier et Serge Prigent. Un temps joyeux et du pur bonheur de se voir et sentir si proches.

Tout sur les vaches

Que vient-il à l’esprit quand on pense à l’Inde ? Exotisme, spiritualité, nombre d’habitants (1,3 milliard, Waouh !), seraient sans doute des réponses apportées. Pour moi, ce sont les odeurs, les couleurs, les sourires … et les vaches sacrées (Gao Mata). Et c’est exactement sur ces dernières que j’ai envie d’écrire. Pas de méprise ; ce n’est pas un exposé. Mais ces vaches urbaines m’intriguent et l’idée de cet article a fait son chemin. Des questions sans réponse se bousculent encore dans ma tête. Appartiennent-elles à quelqu’un ? Donne-t-elle du lait ? Les trait-on et qui ? Où dorment-elles ? Passent-elles toute leur vie à errer dans les rues ? N’ont-elles jamais eu l’occasion ou la chance de brouter de l’herbe ? De quelle qualité est leur lait ? Peut-on le boire ? Est-ce que toutes les vaches sont sacrées ou bien seulement un nombre d’heureuses élues ont droit à ce qualificatif ? Voilà pour quelques une d’entre elles …

Il y a peu de temps, mon ami Charles-Henri m’a fait part de deux articles qui m’ont intéressé. L’Inde était le pays invité d’honneur à Livres Paris 2020 – tiens, tiens, quel heureux hasard ! – au parc des expositions de la porte de Versailles, annulé officiellement pour des « raisons de santé publique ». Dans l’un des deux ouvrages que je me suis empressé de télécharger sur ma liseuse,  les vaches sont au cœur d’un roman autobiographique dont l’auteure est indienne1. Un autre heureux hasard ! Je m’en inspire fortement pour me lancer dans ce projet.

Pour répondre à la question posée plus haut, en Inde, les vaches sont un cliché, presque une carte postale mais sans le glamour ! En ville, elles sont sales, efflanquées ou ballonnées ou les deux à la fois, leurs sabots sont dégoutants et elles ont de la merde au cul ! On les voit souvent couchées sur les tas de détritus quand elles ne fourragent pas dans les poubelles, participant ainsi à augmenter la saleté et à répandre les mauvaises odeurs dans les rues. La réalité, c’est qu’elles sont vraiment sacrées. Chez nous, en Occident, nous appelons cela de la zoolâtrie religieuse. Chacun se fera sa propre idée.

La vache, Go Vada, apparaît déjà dans les grands textes canoniques de l’hindouisme connus sous le nom de Veda (vision, connaissance), composés en sanskrit védique écrit entre 1500 et 900 av. J.C. Elle joue de nombreux rôles dans les mythes hindous : elle peut être princesse guerrière, mère du monde, déesse de la fertilité, mère sacrificielle ou messagère de l’immortalité. Voilà pour le côté érudition ! Merci qui ? Merci Wikipédia2 !

Vache sacrée

La vraie réalité, c’est qu’on les voit partout déambuler dans les rues et les Indiens les vénèrent au moment des prières dans les temples et lors de certaines fêtes religieuses. On ne touche pas les vaches, on ne les bouscule pas. Lorsqu’elles tentent de voler des fruits à l’étalage des commerçants ambulants, ceux-ci les chassent en faisant de grands moulinets des bras et en leur criant dessus. Je ne pense pas qu’ils les insultent ; non, ce serait contraire à la religion ! Un troupeau vient à traverser la chaussée puis s’arrête en son mitan, et bien, soit les véhicules les contournent s’il y a assez de place ou ils s’arrêtent, klaxonnent un petit coup pour les « effrayer » et attendent que ces « déesses » veuillent bien aller voir plus loin. Mais il paraît qu’il y a des accidents de la route dans lesquels les vaches sont les victimes. Et on dit aussi qu’elles ont une mémoire d’éléphant et peuvent en vouloir à quiconque commettrait un délit jusqu’à les poursuivre pendant des années3.

Vaches sacrées urbaines comme au champs !

Les « idolâtres » sont convaincus que l’urine de vache est un remède universelle (cette idée a été reprise lors de la pandémie du covid19 quand des Indiens pensaient que boire de l’urine de vache pouvait combattre le virus). La bouse de vache, elle, est utilisée dans les rituels et dans la vie quotidienne et est considérée comme un bon désinfectant. A la fête du Pongal dans le Tamil Nadu, les marmites de terre cuite contenant le pongal sont posées sur des bouses de vache comme dessous de plats.

Les Indiens vénèrent tous les aspects de la vache et croient que la déesse de la prospérité réside dans leur anus. Le rituel, encore parfois pratiqué lors de l’entrée dans un nouveau lieu de vie (y compris un appartement dans un immeuble), qui consiste à introduire une vache et inviter un prêtre qui béniront le nouveau lieu, n’est pas rare. L’une répandra sa bénédiction de son urine et ses bouses, l’autre par ses prières. S’il le faut, la vache prendra l’ascenseur. Le nec plus ultra est que la vache urine et défèque sur le marbre des sols, splash ! … On lui offrira des friandises (tiges de canne à sucre, bananes, …) qui, dit-on, favorise ces mixions. Aujourd’hui, si l’on demande à un Indien ce que représente la vache sacrée, il répondra qu’elle porte bonheur. Sans aucune référence aux textes sacrés. Cette assertion m’a été confirmée par notre chauffeur Bala.

Mais les vaches sont devenues le symbole de l’intolérance des hindous et de la montée du nationalisme surtout depuis que Modi et son parti, le BJP (Bharatiya Janata Party) est au pouvoir. Tous les abattoirs sont interdits, laissant les musulmans dans la précarité. La vache a bien du mal à s’imposer comme la « Mère universelle ». Qu’à cela ne tienne, on utilisera les forceps.

Et puisqu’en Inde, on n’est pas à une contradiction près, tout en sacralisant les vaches et en les vénérant, on les laisse fourrager dans les détritus et ingurgiter du plastique. Et c’est bien là que réside le problème des vaches urbaines et des coopératives laitières en ville avec le manque d’hygiène. Toutes les vaches ont du plastique dans leurs estomacs. Ce plastique peut être vieux de 10 ans. Il deviendra dur comme du roc et un estomac de vache pourra contenir jusqu’à 53 kg de plastique4.

Les vaches laitières urbaines broutent l’herbe là où il y en a (les quelques aires plantées et gazonnées, les arbustes sur les terre-pleins de séparation de voies) et là où on veut bien les conduire. Mais on sait qu’en fourrageant les ordures à la recherche de végétaux à manger, elles ingurgitent inévitablement du plastique. J’ai personnellement lu (ou entendu dire, je ne m’en souviens plus précisément) qu’il était recommandé de ne pas fermer les sacs d’ordures avant de les jeter dans les bennes  afin d’éviter aux vaches de les ingurgiter ; CQFD ! D’où le mouvement, notamment de la Karuna society, demandant l’interdiction totale du plastique (Total ban of plastic). Un moyen d’empêcher les vaches de souffrir … seulement les vaches. Ah ! Oui … C’est la « Mère universelle » …

Karuna society for animals and nature défend les droits basics des vaches de vivre, de manger et de boire mais le « voyage » réel d’une vache est d’être un charognard, de devenir plastique, de donner du lait et devenir de la viande (journey of a cow : from cow to scavenger, to plastic, to milk and to meat). La vache est-elle donc un animal sacré ?

Il est intéressant de savoir pour qui vit, comme moi, dans une région où les vaches sont reines, ci-nommée la Normandie, qu’il existe des races de vaches indiennes, malheureusement en voie de disparition car elles ne produisent pas suffisamment de lait, contrairement à la FH (Frisonne Holstein). En voici quelques-unes :

La frisonne Holstein en vedette !
  • Inde du nord : les Gir du Gujarat, les Rathi du Rajasthan, les Sahiwal du Penjab,
  • Inde du sud : les Kangayam, les Bargur, les Pulikulam, les Umblachery,
  • Et puis aussi, les Hallikar, les Amrit Mahal, les Malnad Gidda au Karnataka.

Ceci nous mène, il n’y a qu’un pas, à l’ayurveda5 qui est une médecine traditionnelle  non conventionnelle indienne vieille de 5000 ans. Elle classe chaque substance selon sa saveur et ses propriétés. Tous les Indiens y font référence et s’appuient sur ses principes au point d’en faire un mode de vie, de pensée et de prières.

L’ayurveda voit dans le lait un remède universel. Le lait est comme l’ambroisie, un élixir de jeunesse éternel. Allons donc ! Voici ses bienfaits : il est doux, onctueux et rafraîchissant. Il est désaltérant, nourrissant et également aphrodisiaque (dans la tradition indienne, on offre aux jeunes mariés un verre de lait chaud agrémenté de cardamome et de safran juste avant d’entrer dans la chambre nuptiale pour passer la première nuit ensemble. Le lait chaud est supposé favoriser les galipettes.). Le lait est également utile à l’intelligence, c’est un fortifiant et un énergisant. C’est un remède à la bronchite. Il est enfin utile aux facultés mentales. Dans les épiceries bio, on trouve des petites bouteilles de lait frais et crus tiré à la main. Mais attention, on ne parle ici que du lait tiré de la vache et non du lait en brique, UHT, pasteurisé, homogénéisé. Ce lait-là n’est d’aucune utilité et ne rentre pas dans les principes ayurvédiques.

Sacrée vache !

Selon ces principes, voici la liste des 9 produits à consommer tout au long de la vie : le lait, le riz, les légumineuses, le sel gemme, les fruits, l’orge, l’eau de pluie, le ghee (beurre clarifié), le miel.

Le lait est bon parce qu’une vache ingère toutes les plantes et herbes médicinales et les redonne par son lait. C’est la magie du lait de vache. Et c’est pour cela que les Indiens vénèrent cet animal.

J’ai relevé quelques principes à propos du lait qui m’ont fait sourire. Il n’est pas interdit de prendre cela au sérieux.

  • Ne pas boire de lait après avoir mangé de l’ananas ou de fruits acides car cela ferait cailler le lait dans l’estomac, beurk !
  • Les jeunes filles doivent s’enduire les seins de beurre aux herbes pour en améliorer la forme et le volume. Mesdames les moins jeunes, vous pouvez quand même essayer !
  • Le lait provenant d’une vache noire est excellent parce qu’il équilibre les 3 Doshas (Vâta – air/espace, Pitta – feu/eau, Kâpha – eau/terre) du corps. Ce sont les 3 énergies vitales de la médecine ayurvédique. Le lait d’une vache blanche est le plus mauvais,
  • Le lait tiré d’une vache tôt le matin est plus consistant parce que la vache s’est reposée toute la nuit. Les prêtres hindous utilisent le premier lait du jour pour leurs rituels et boivent le lait plus léger le soir. A voir la panse de certains, je ne suis pas sûr qu’ils ne se nourrissent que de lait !
  • Envie d’un aphrodisiaque ?  Il vous faut alors du lait d’une vache noire. Il faut la traire le soir, y ajouter du miel, du ghee et du sucre. Mélangez et buvez ! Si vous en trouvez une, essayez et faites-moi un retour !

Chez Terra, mon épicerie bio, on trouve du lait de vache cru tiré à la main (Hand milked), comme les fruits ou les légumes récoltés à la main. Comme si cette appellation était un gage de qualité. En tout cas, le côté mécanique de la récolte ou de la traite, renvoie à une image de produit industriel transformé. Je n’en ai pas encore acheté malgré tous les bons principes ayurvédiques !

Voilà, vous savez tout sur les vaches en Inde. J’espère que ce petit voyage vous a intéressé et j’attends, toujours avec impatience et plaisir, vos retours.

Je vous parlerai peut-être un jour du Jugaad qui signifie « faire preuve de créativité ». C’est le système D en Inde et c’est un système universel pour tout Indien ! Et également de l’art et de la tradition du Rangoli (en hindi) ou Kolam (en tamoul), qui sont des dessins de formes géométriques éphémères tracés chaque jour sur le sol devant les habitations et les commerces en laissant s’écouler de la poudre blanche et de couleurs de la main. Et c’est très beau !

Soyez patients et suivez-nous encore et toujours en Inde … Portez-vous bien !

1 La laitière de Bangalore, Shoba Narayan, Mercure de France, 2018 (2020 version française)

2 Les vaches sacrées : https://fr.wikipedia.org/wiki/Vache_sacr%C3%A9e

3  Les vaches ont de la mémoire : https://www.youtube.com/watch?v=JaNvgZAlXnc

4« The plastic cow project », Karuna Society for animals and nature : https://www.karunasociety.org/the-plastic-cow-project

5Ayurveda : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ayurveda

« Comme ils disent »

D’après la chanson « Comme ils disent », Charles Aznavour

Référence d’archive : https://www.youtube.com/watch?v=-4-zC8WtwBw

J’habite seul avec Éric dans un grand appartement chic, à Mylapore.

J’ai pour me tenir compagnie, liseuse, tablette et un ordi, je les adore.  

Pour ne pas Éric surmener, très souvent, je fais le marché et la cuisine.

Je range, il lave, j’essuie, la lessive je fais aussi, tu t’imagines !

Le ménage ne me fait pas peur et en bon organisateur, j’ai ma logique.

Je récure la cuisine, oui ! Je dépoussière les meubles, aussi.  Faut que j’astique.

Puis je balaie toute la maison, je lave les sols. Désinfectons ! L’eau d’Javel pique.

Et dans le marbre je vois que ça brille, me reflète parce que, on est confinés, comme ils disent.

Vers les 13 heures, j’ai un peu faim. Je déjeune de trois fois rien. Je garde la ligne.

Le petit fauteuil en rotin sur le balcon, comme je suis bien ! Je le souligne.

En ville, l’air n’est plus pollué, la circulation, terminée ! Plus de galère !

Mais soudain un rickshaw accourt, pétaradant comme aux vieux jours d’avant cette ère !

Dans la rue des gens très pressés reviennent les paniers chargés de nourriture.

J’y vais aussi car c’est mon jour. Non loin de là, au fond d’une cour. Quelle sinécure !

Grâce à Claire avec son scooter, les magasins, ça me fait peur. Quelle sottise !

L’après-midi, je fais ma vie ; Yoga, je lis et puis j’écris, même confinés, comme ils disent.

A l’heure où j’écris ces mots, c’est calme, non, il y a les oiseaux qui crient et piaillent.

Je pense à nous, à vous aussi, si loin de nous et nous ici. Quelle pagaille !

Je regarde tout autour de moi. Oh ! Que c’est beau mais je vois ma maison charmante.

Car elle me manque du feu de dieu. Le grand jardin est radieux. Elle m’enchante !

Dans notre quartier nous sommes bien. Pas d’inquiétude, de tourment, rien. Pas d’anxiété.

Le ciel est bleu, le vent est chaud. Toute la journée, les ventilos tournent sans s’arrêter.

Nul n’a le droit en vérité de sortir, bandes organisées, et je précise

Que c’est bien la nature qui, dit-on, est responsable, si on est confinés, comme ils disent.

Nous oserons, peut-être, une version enregistrée … aux risques et périls de vos oreilles ! Est-ce que le ridicule tue ?

La musique et la danse adoucissent …

Un dimanche d’avant. Déambulations au marché de l’artisanat d’Inde du sud à la fondation Kalakshetra, cette même fondation qui promeut la danse traditionnelle par de merveilleux spectacles lors du festival en décembre-janvier (relire article « Ce soir, on danse ! » du 6 janvier 2020).

Nous sommes avec Claire. Elle commande un taxi Uber depuis son smartphone et comme d’habitude, nous l’attendons car le GPS ne l’amène pas directement devant Rena Apartments. Il faut trouver une bonne âme – indienne – pour le coup de fil nécessaire afin de télé-guider le chauffeur jusque chez nous. Il arrive enfin un peu confus. Je monte à l’avant. Il est plutôt beau garçon, son visage est doux et le petit plus qui le rend attachant, est qu’il n’exagère pas sur le klaxon ! Le trajet durera une trentaine de minutes jusqu’aux environ de la fondation. Mais, à nouveau, le GPS ne répond plus et le pauvre jeune homme est obligé de s’arrêter plusieurs fois pour interroger (?) son GPS, puis il demandera à voir celui de Claire, enfin, il s’arrêtera pour demander aux passants. Nous tournons en rond, nous sommes aux alentours de la fondation mais pas devant l’entrée principale.

Pas d’énervement. La course se prolonge malgré le fait que l’ordinateur de bord n’en ait décidé autrement ! Enfin devant l’entrée principale, le chauffeur nous débarque avec soulagement, un grand sourire pour appuyer sa gentillesse et sa bonne volonté et nous lui glissons une rallonge à sa course, non comptée dans le prix initial. Il apprécie.

Sur le portail de la fondation, un panneau annonce la manifestation de ce dimanche. Il faut suivre attentivement le calendrier des événements culturels de la ville. Et ne pas en manquer sous peine de vite faire le tour de la question chennaïte …

Passé le portail, un bel aménagement nous surprend. L’accueil donne envie d’en voir plus. Et sur une immense esplanade en carré, les stands des artisans se déroulent dans une ambiance calme, sereine, feutrée et colorée. Je pense immédiatement à un cloître dans lequel nous nous promènerions. L’éclat de la lumière est tamisé par les étoffes disposées en dais au-dessus de nos têtes pour protéger du soleil. Les arbres forment un tunnel qui nous abrite. Le lieu invite à la déambulation paresseuse, à la flânerie curieuse, à la découverte d’un coup de cœur, à l’achat intempestif.

Nous pensons néanmoins que nous serons « harcelés » par les artisans. Vieux réflexes de la défensive. Non point. Ils nous accueillent avec le sourire, cherchent des yeux le contact et d’un large geste du bras, nous montent les articles.

L’un vend des paniers en osier, l’autre, savetier, fabrique des sandales en cuir, le troisième, de beaux tampons encreur aux motifs indiens, le dernier, des abat-jours en peau de chèvre peints à la main. On y retrouve Shiva, Krishna et leurs merveilleuses épouses … Les vendeurs de tissus traditionnels sont plus nombreux.  Les tissus sont-ils réellement traditionnels ou sont-ils la marque de fabrique pour les touristes que nous sommes ? Ces fameux tissus indiens, madras aux motifs récurrents, retraçant les scènes mythologico-religieuses, toujours les mêmes, sur tous les supports, nappes, serviettes, torchons, linge de maison, vêtements, font-ils réellement partis de l’univers indien ?  Il est vrai, cependant, que les salwar kameez (pantalons larges et tuniques longues) que portent les femmes indiennes ne diffèrent pas de ce que nous voyons. C’est bien de l’artisanat local !

Finalement, nous nous lâchons et craquons pour des abat-jours, une carafe à eau en terra cotta – à l’usage, il s’avérera qu’elle fuit … – une paires de kartals en bois et des petites cruches en cuivre – utilisées dans les temples –chez l’unique brocanteur. Claire achètera une belle plante exotique chez le pépiniériste fort sympathique.

Cette troupe s’élance avec entrain, comme dans une improvisation, pour créer une ambiance dans la chaleur de la mi-journée, au milieu des quelques badauds.

Soudain, la musique interrompt toutes transactions. Au centre de l’esplanade, une troupe de musiciens et deux danseuses s’accordent. La musique brise la tranquillité en notes et rythmes joyeux et entraînants. Les danseuses sont parées de nombreux bijoux et de robes amples colorées. Elles tournent, virevoltent au rythme endiablé de la musique. Quatre musiciens mènent, tambours battants, la danse de ces deux femmes. On jurerait qu’elles finiront par chuter d’épuisement. Mais non, elles tournent, tels les derviches, à faire tourner nos têtes. Nous sommes épuisés pour elles. Cette folle perturbation crève le ciel serein, l’orage et le tonnerre roulent aux sons des tambours. Il fait très chaud, les danseuses transpirent, les cheveux collés au visage, comme à la peine. On étouffe pour elles. Combien de temps cela durera-t-il ? Soudain, la musique s’arrête, les danseuses, comme abattues par cet ouragan, sont immobiles, agenouillées – prostrées – au sol, les roulements de tambours s’éloignent, puis se taisent. L’orage est passé, la quiétude du lieu reprend sa place. On peut reprendre notre souffle.

Nous avons fait le tour du marché, nous avons tout vu. Nous pouvons partir.

Street food juste à la sortie de la fondation.

Promenades au parc

Et en avant-première : Information qui n’a rien à voir avec ce billet mais qui a l’impératif d’être communiquée. Après une attente insupportable de 5 mois, les autorités indiennes m’ont enfin accordé le 11 mars une extension de visa à entrées multiples. Les services de l’ambassade de France et l’Ambassadeur lui-même sont intervenus au plus haut niveau pour enfin clore ce dossier. J’attendais ce visa pour rentrer en France. C’était sans compter sur la dissémination du Covid-19 et de ses conséquences qui me clouent au sol. C’est vraiment la faute à « pas-de-chance » ! Nous restons en Inde, jusqu’à nouvel ordre des autorités françaises. Un développement plus détaillé sur la situation réelle en Inde et particulièrement à Chennai, suivra bientôt.

Place maintenant à mon billet « Promenades au parc ».

Il faut être déterminé à y aller, dire adieu à la grasse-matinée ou être prêt à affronter les coups de chaleur du début d’après-midi. Après tout, ça n’est qu’un parc. Pourquoi s’infliger ces contraintes ?

Une fois arrivé, il ne faut pas trop traîner, on ne peut s’asseoir sur les rares bancs placés de loin en loin car ils sont pris d’assaut. Il faut savoir que l’on est surveillé ; intérêt à la bonne conduite. Il ne faut pas faire de bruit, cela effraierait sans doute les oiseaux, réveillerait les chauves-souris endormies, perturberait la quiétude ambiante.

Quelques curiosités nous poussent pourtant à nous y rendre.

Au 1er plan, Bala admirant ce joli petit plan d’eau.

La première curiosité est la vedette du parc. C’est l’un des trois plus vieux banians de l’Inde. Cet arbre a été soigneusement mis en scène et c’est une réussite. Face à un petit plan d’eau circulaire, quatre palmiers ont les racines dans l’eau. Ils forment une petite oasis sous ces tropiques. Ils sont eux-mêmes entourés de lotus rose pâle aux larges feuilles vert tendre, phallus, lorsqu’ils sont encore en gros bouton, dirigés vers le bleu immaculé. L’ensemble est très beau. Le banian, au sud de cette esplanade circulaire, est tentaculaire. On ne sait pas où est le tronc originel tant des branches-racines se sont développées et étendues. Cet ensemble crée un paysage fantastique, rehausse son ancienneté par un portique, sans doute un assemblage, de pierres sculptées (divinités et animaux), référence à la période Chola (env. Xème siècle) devant lequel se trouve un banc de pierre. L’endroit est assez romantique. Le banian est protégé par des clôtures dégradées en raison de « l’avancée » de l’arbre. Il est également étroitement surveillé par des gardes qui se relaient sans relâche.

C’est une partie DU banian et ses ramifications. Où est le tronc originel ?

La deuxième curiosité donne son nom au parc. C’est la Société théosophique (Theosophical Society), fondée le 17 novembre 1875 à New York dont l’Inde est membre de la première heure. Le quartier d’Adyar à Chennai a été désigné pour en être le siège. Le théâtre d’Adyar, situé au cœur du parc, révèle les principes de cette société.

« Il n’y a pas de religion supérieure à la vérité »

Fondateurs de la Société théosophique
  1. Former un noyau de la fraternité universelle de l’humanité, sans distinction de race, credo, sexe, caste ou couleur ;
  2. Encourager l’étude comparée des religions, des philosophies et des sciences ;
  3. Étudier les lois inexpliquées de la nature et les pouvoirs latents dans l’homme, sont ses trois buts.

Adhésion de l’Inde en 1891, de la France en 1899 et de la Bulgarie en 1920.

Ses trois vérités :

  1. « Le principe qui donne la vie habite en nous et hors de nous ; il est immortel et éternellement bienfaisant. Il ne peut être vu ni entendu mais celui qui aspire à le percevoir le perçoit. »
  2. « L’âme de l’homme est immortelle, et son avenir est d’une gloire et d’une splendeur sans limites. »
  3. « Une loi divine de justice absolue, le karma, gouverne le monde, en sorte que chacun est en vérité son propre juge. […]

Piet Mondrian, Vassily Kandinsky, W.B. Yeats, G.W. Russel, Thomas Edison ou Camille Flammarion en ont été d’illustres membres.

Vue d’ensemble du théâtre et réfection du jardin et de la fontaine

Le foyer suranné du théâtre enferme toujours les vestiges de l’époque coloniale avec ses sièges en rotin et ses lustres en bronze de style indo-européen.

La troisième curiosité est la bibliothèque. Au rez-de-chaussée de ce bâtiment, une toute petite salle contient, lorsqu’on a la chance de la visiter, des manuscrits sur feuilles de palmiers, bambous, laques, de textes sacrés très anciens, fondateurs de l’hindouisme. Certains ouvrages sont si petits qu’il faut une loupe pour distinguer la minutie de ses écritures. Ces ouvrages sont écrits en javanais, sanskrit, tibétain, lepcha (dérivé du tibétain) et en birman.

Enfin, la dernière curiosité est le parc lui-même. Que l’on fasse le choix de la visite au pas de course ou préférer n’en voir qu’une partie (8h30-10h00 et 14h00-16h00 sauf week-ends et jours fériés), cet écrin de verdure, cette goulée d’oxygène est un espace de calme et un havre de paix dans la ville. Malheureusement, la tempête de 2016 a fait beaucoup de mal à la végétation, couchant et brisant de nombreuses essences. On y trouve de nombreux banians, des palmeraies, des tecks, des cotonniers sauvages d’Inde, des margousiers (neem trees), des arbres à pluie (rain trees), pour les essences les plus remarquables. Les noix de coco broyées servent d’engrais. Les massifs fleuris sont entretenus. Il y règne une atmosphère de quiétude, on se sent hors de tout, un sentiment de bien-être nous enveloppe. Lors de ma seconde visite, j’étais seul (à la première, j’étais avec Bala). J’ai pris mon temps, je n’étais pas pressé, juste heureux d’être là. Une véritable sensation de lâcher prise m’a envahi, bien-être du moment présent, entouré de tous ces arbres, à l’écoute des oiseaux, admirant stupéfait le repos agité des chauves-souris pendues aux arbres, tête en bas, ou croisant le pas du personnel travaillant ici. Quelques bâtiments jalonnent le parcours, quelques temples semblent délaissés.

Mais il faut regarder l’heure sans cesse et il est temps de partir. Sur le chemin du retour, je propose à Bala de boire une eau de coco mais il aura opté pour une variété que je ne connaissais pas. Les petites noix qui ont l’air sec contiennent une pulpe solide, assez grasse – on en fait de l’huile – blanche, spongieuse, de faible densité et bien évidemment, avec des vertus ayurvédiques incontestables (pour les reins et la prostate …). Nouvelle expérience gustative !

Après quoi, un bon café en terrasse a conclu ce délicieux après-midi.

Ici, Chennai

Cher.e.s ami.e.s et familles, l’actualité m’a obligé à modifier le rythme des publications ; la dernière datant du 6 mars, comme me l’a justement rappelé notre amie Cécile. Cela me fait plaisir, car, malgré tout cela, certain.e.s attendent encore mes posts ! Je ne vous ai pas oubliés. Je n’ai pas été négligeant. Juste indisponible. Préoccupé par la situation et des effets – ravageurs – à venir de la pandémie en Inde. 1 300 000 000 d’habitants… Ça laisse rêveur, si je puis me permettre ce trait léger !

Je vais continuer à écrire, à publier sur le blog. Mais les sorties étant impossibles maintenant, je n’aurai plus grand chose à vous montrer de cette ville, de cette région. Ah ! le bon temps de mes déambulations, de mes découvertes de lieux extra-ordinaires, des contacts avec les gens si souriants ! C’est fini pour un temps ! Il me reste toutefois sous le coude quelques articles à écrire. Je les publierai donc. Rêver, s’évader, voyager en ces temps de confinement, pourquoi vous en priverais-je ? Et pour ne pas abandonner notre projet d’écriture qui fait le lien entre vous et nous, je « rendrai compte » de notre situation et de notre vie à Chennai. Rien d’excitant, rien d’exceptionnel ni d’intéressant. Juste vous donner de nos nouvelles et continuer à faire travailler mes neurones. Et peut-être, qu’à travers vos commentaires, nous pourrions nous rapprocher, échanger des idées de recettes, d’activités, d’informations et de visites culturelles virtuelles, se former (MOOC), s’informer … Un « Où sortir en restant chez soi ? »

Nous sommes en guerre, a martelé notre président. L’Inde a mis le temps. Après l’annulation des vols à destination de l’Inde, face à l’avancée de la pandémie, le gouvernement de Modi a pris, enfin, le taureau par les cornes. Mercredi 25 mars, nous sommes confinés, c’est le lockdown. Les mesures sont celles que tout le monde connaît.

Couvre-feu national dimanche 22 mars de 7h à 21h. Vues de Chennai. C’est méconnaissable !

Éric travaille toujours au Bureau de France. Il fait partie de la cellule de crise du consulat de Pondichéry. Il doit être disponible, joignable 24/24. Son téléphone est toujours à portée de main. Nos échanges, nos soirées sont toujours interrompues par des messages, des appels, des directives et mises en place d’actions par la consule générale. Éric est concerné par le recensement des étudiants, assistants, jeunes en échange scolaire dans le sud de l’Inde au moment où le président Macron parle de rapatriement. Une partie de ces jeunes est rentrée en France. Et il a fallu, il faut maintenant s’inquiéter des ressortissants français, voyageurs, touristes, artistes du festival des Francophonies de Pondichéry sur lequel il travaillait depuis plusieurs mois, annulé. L’annulation également des vols a contribué à faire monter d’un cran la panique, l’agacement, voire l’agressivité de certains. Mais que fait la France ??? C’est ce que l’on peut lire sur les réseaux sociaux. Ah ! la critique est facile. On ne voit pas ce que font les « petites mains » derrière tout cela pour faire en sorte que cela s’arrange pour ces gens ! Etre disponible jours et nuits, week-ends compris pour négocier avec les hôteliers, l’administration aéroportuaire, s’assurer que les vols sont maintenus, en trouver d’autres si ce n’est pas le cas. Conduire, accompagner physiquement tous ces groupes, chacun ayant une histoire particulière (enfants en bas âges, maladies, séparation …), une bonne raison de rentrer, n’ayant pas assez d’argent pour régler son billet. Pour tout ce monde-là, le consulat répond présent, l’état français avance les frais. Rien ne se voit, tout finit par se régler. Les « petites mains » retournent travailler après quelques heures de sommeil, toujours disponibles. Et je suis inquiet, bien entendu, de savoir Éric, même en portant un masque, être en contact (distant, soit) avec « les autres ».

Moi j’ai eu mon lot de contacts également. J’ai profité d’avoir encore notre chauffeur pour aller faire des courses. Rassurez-vous, je n’ai pas dévalisé les magasins en papier toilette. Un paquet d’avance, de l’eau, un peu de riz et de pâtes, quelques boîtes de poissons et de sauce tomates (oui, je sais, c’est mon côté Rital, là !). Sans voiture, ça ne va pas être évident ! Heureusement, le primeur est à 10 minutes de marche de l’appartement. Les magasins d’alimentation restent ouverts. Mais le monde et la promiscuité pendant les achats m’ont rendu assez nerveux. Je porte mon masque, contrairement à la grande majorité des Indiens. Imaginez un attroupement aux caisses. J’en ai fait des réflexions, remis des gens à leur place, leur demandant de ne pas me toucher, d’aller tousser ailleurs, de me laisser de l’espace, de ne pas me passer devant effrontément ! Je suis bien content d’être confiné, je me sens en sécurité. Maintenant, je suis en charge de garder l’appartement propre, puisque nous n’avons plus notre « house maid« . 180m2, c’est grand ! Et il fait chaud ! Et puis, sans vouloir alimenter mon côté anxieux (ou concerné) du moment, je n’en désinfecte pas moins les plans de travail dans la cuisine, les poignées de portes, les sols, la salle de douche. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais je suis et c’est ainsi !

Les journaux français ont beaucoup écrit sur la situation en Inde. On a pu lire notamment que ce pays était une bombe à retardement. A voir ce que j’ai indiqué plus haut. Je ne parle pas de sa population mais de sa surpopulation … Et l’on ajoute des facteurs aggravants ; la misère et la pauvreté, le manque d’hygiène, l’inconscience des Indiens, l’impossibilité des structures hospitalières à recevoir le tsunami qui va déferler. On sait que la priorité des soins sera donnée aux Indiens. Un sentiment anti-blanc a vu le jour dans le Kérala voisin, frappé de plein fouet par l’épidémie. L’état est en alerte rouge et est bouclé. Tout est fermé. On s’est « débarrassé » des touristes étrangers. Tout se monde a afflué à Chennai puisque c’est ici qu’est l’aéroport international. Et c’est le consulat qui s’est occupé et a géré tout ce monde-là ! La boucle est bouclée !

J’entends les oiseaux. Ou plutôt, je n’entends plus que les oiseaux. La ville résonne bien encore un peu du bruit d’une circulation en sourdine – on ne klaxonne même pas aujourd’hui ! Demain, le lockdown prend effet. Nous serons tous confinés sauf exceptions avec justificatif. Éric en a un officiel, moi, pas. Les gens ont une dernière journée pour s’organiser et je suis bien content de ne pas avoir à me rendre dans les petits supermarchés pour des courses de dernières minutes. Acheter quoi, du papier toilette ? La circulation n’est réservée qu’aux véhicules indispensables ; police, ambulances, pompiers, ainsi qu’aux véhicules officiels. Le consulat a mis à disposition une voiture diplomatique pour faire le taxi des agents du Bureau de France. Moi, je n’ai que mes pieds pour marcher …

Il est 14 heures et je vais déjeuner. Prenez bien soin de vous et de ce.ux.lles que vous aimez. A bientôt de vous lire. Nous pensons bien à vous. Nous vous embrassons.