Le Kerala est une carte postale. Il promet un séjour inoubliable. Entre la côte qui longe la mer d’Arabie ou d’Oman et la chaîne de montagnes que forment les Ghats Occidentaux, le lien de ce superbe territoire est la végétation luxuriante, la jungle faite de palmiers, de cocotiers, de cacaoyers, de caféiers, d’hévéas, où l’eau s’est installée, où la mangrove s’est développée dans les backwaters, où la lumière du soleil illumine tous ces paysages agrémentés de rizières. Les plantations de thé qui épousent les Ghats sont absolument une vision de rêve. Sans compter les épices : cardamome, gingembre, cannelle, poivre, qui font de cette terre fertile, jamais sèche, une terre d’abondance.
En malayalam, la langue officielle, Kerala signifie « pays des cocotiers » ; ce n’est pas exagéré. Cette expression exotique révèle le sourire et l’accueil chaleureux des Kéralais, de la capitale de cet État communiste depuis 1957, Trivandrum (Thiruvananthapuram), à l’extrême sud, jusqu’à Cochin (Kochi) plus au nord où nous nous sommes arrêtés pour reprendre notre avion pour Chennai. Et nous n’avons parcouru que la moitié du littoral !
Plantations de thé sur la chaîne des Ghats occidentaux
Ses 600 km de côtes offrent de belles plages abritées par les cocotiers qui les bordent. Et pour se remettre des coups et des couchers de soleil sur la mer des hivers si cléments, la montagne offre le calme et la fraîcheur dans les plantations de thé qui appartiennent à 80% au magna indien Tata.
Dans les parcs naturels qui protègent les nilgiris, espèces en danger, on trouve des éléphants sauvages, des tigres et d’innombrables oiseaux.
Un nilgiri pas du tout effrayé par l’homme dans le parc naturel tout près de Munnar.
La culture n’est pas en reste. Les arts du Kathakali, dont j’avais parlé dans un article sur Kochi, est un théâtre musical qui exprime les grandes épopées du Mahabarata et du Ramayana, du kalarippayat, art martial et thérapeutique qui est la forme sportive de la médecine ayurvédique. Et bien sûr, le Kerala est un haut lieu de la médecine ayurvédique. A ce titre, les centres de soins et de massages s’inscrivent bien dans cette culture traditionnelle.
La faucille et le marteau tel le phare pour guider le peuple
Le Malabar est la terre où Vasco de Gama débarqua en 1498 (à Calicut plus au nord). Il fonda un comptoir à Cochin en 1505. Les Hollandais chassèrent les Portugais qui furent eux-mêmes chassés par le rajah de Travancore (petit royaume du sud). Et à la fin du XVIIIème siècle, les Britanniques reprirent la main comme on le sait sur tout ce petit monde puis sur tout le sous-continent. En 1956, l’État du Kerala est officiellement formé par la réunification des États de Travancore au sud, de Malabar au nord et de Cochin entre les deux. D’après le dernier recensement de 2022, la population est de 35 330 888 habitants.
Voilà en quelques mots édulcorés, la version guide touristique de ce jardin d’Eden.
Tous les trajets en voitures avec chauffeurs : Trivandrum – Varkala – Alleppey – Marayoor – Munnar – Cochin
Neuf jours de vacances ne nous aurons pas permis de visiter tout ce territoire et malheureusement, pour avoir fait des choix entre villes, mer et montagnes, nous ne sommes pas allés dans la réserve naturelle de Wayanad au nord, là où se rencontrent le Karnataka, le Tamil Nadu et le Kerala, pour observer les animaux sauvages. Il aurait fallu plus de temps. Comme il en aurait fallu plus pour profiter plus longtemps des plages et de la montagne. C’est ainsi ! Certains travaillent encore et le temps nous était compté, il faut faire avec.
Sans titre
Comme toutes les villes indiennes, traverser Trivandrum de l’aéroport à notre petit hôtel dévoile une ville sans grand intérêt. La circulation est chargée, l’environnement peu attractif. La ruelle qui mène à notre hôtel «middle-class, Indian chic», est toute défoncée. L’accueil est sympathique et la chambre convenable. Nous n’y restons qu’une nuit de toute façon.
Éric m’emmène déjeuner à la Villa Maya qu’il connaît pour y être allé lors d’une mission l’année dernière. C’est une magnifique demeure coloniale entourée d’un jardin extraordinaire.
Notre table d’où nous savourons des crabes farcis à la kéralaise est près d’une pièce d’eau dans laquelle nagent de belles carpes sous les nénuphars.
Beignets de crevettes et crabes farcisMasalas tomates et épinards de paneer
Il fait beau, je prends des photos, ébahi de tant de bien-être mais trop de mouvements, trop d’agitation, trop d’émotions, plouf ! Mon téléphone tombe à l’eau … Panique. Ma main plonge, l’attrape et tel un poisson, il me glisse entre les doigts. Je finis par le saisir et je le sors de l’eau comme s’il allait manquer d’air. Je crains qu’il ne puisse plus me servir. Il sèchera vite au soleil et tout ira bien. Ouf !
Juste pour l’ambiance
Le programme de ces 24 heures est chargé ; visite du zoo avec ses spécimens de tigres du Bengale et de léopards de l’Himalaya, visite du musée des Beaux-Arts et des arts populaires, visite du très beaux palais royal.
Vue partielle …… du palais royalNupier museum
Le lendemain, nous déjeunerons à l’Indian Coffee House, institution dans la ville pour être la seule survivante de la ville et dont l’architecture est étonnante.
Tour conique Les serveurs portent l’uniforme traditionnel des cafetiers
A l’intérieur de la maison de café, la salle monte en spirale et le mobilier n’a pas changé, béton ciré.
Un petit tour et puis s’en vont. Direction la plage.
Plage d’Odayam à Varkala où nous étions.
Varkala est à 1h30 de Trivandrum en voiture. La route longe la côte. Varkala est une très longue bande de sable parsemée de villages, de resorts, de restaurants et de bars dont l’épicentre est « the cliff », la falaise.
31 décembre
D’une belle hauteur, elle domine la mer. Cela pourrait être magnifique. Mais l’étroite bande piétonne qui la borde attire un tourisme de masse qui se presse, se bouscule dans les bruits confus de musiques, de rires gras et alcoolisés des touristes venus là pour se baigner et rôtir le jour, s’amuser la nuit. Ambiance détestable. Fort heureusement, nous résidons plus au nord, à Odayam beach, beaucoup plus calme et authentique bien que les hôtels continuent d’y pousser comme des champignons. Le sable fin est marbré. Non loin de là, il y a Black Sand Beach. D’après les guides, nous sommes sur l’une des plus belles plages du Kerala. L’eau est claire et chaude mais la mer est mouvementée. Nous nous amusons comme des enfants à nous laisser malmener par les hautes vagues. Dans un rouleau, Éric se raflera le bras sur le sable et il en gardera la trace quelques jours.
Au Blue Wave (la vague bleue)
Nous passerons le 31 décembre au Blue Wave, petit établissement que nous avons fréquenté durant les 3 jours de notre séjour.
Le 31 décembre, le jourFeux d’artifice juste après minuit sur la plage de Varkala le 1er janvier 2023
A l’inverse de Goa, pas de folie sur la plage à minuit. Notre guesthouse est à 50 mètres de la plage. Sur la plage, il fait très chaud. Les Indiens viendront se baigner et jouer à partir de 17 heures alors que les Occidentaux se font griller au soleil. Nous, nous louerons des parasols sous lesquels nous pouvons faire la sieste. Mais on est loin des confortables transats de Goa ! Après le petit déjeuner, nous allions prendre notre premier bain. Comme c’était bon ! Nous nous laissions chambouler par les vagues déjà féroces et nous dérivions au gré des courants. J’arrivais même à faire la planche !
En fin de journée, face à la mer, nous regardions le soleil décliner rapidement, teintant le ciel de rouge, de rose, de jaune et de violet. Dans la lumière tamisée, nous restions fascinés par ce spectacle. On ne se lasse jamais des couchers de soleil.
Toujours en remontant vers le nord, les 3 heures de voiture nous amènent à Alleppey, point de départ des house boats dans les backwaters. Pour rappel, les backwaters sont une série de lagunes et de lacs parallèles à la mer et en retrait de la côte de Malabar. Ces paysages sont typiques du Kerala. Vers Kochi, les voies de navigation sont étroites et entourées d’une végétation luxuriante. Les embarcations sont les traditionnels bateaux qui transportaient le grain, le riz. A Alleppey, nous naviguerons sur un grand lac, emprunterons de larges voies. On se croirait sur des « aqua boulevards ».
House boat pour 2 personnes, une chambre. Certains peuvent accueillir 14 passagers.
Les house boats sont nombreux … et le charme est rompu. Nous passerons 24 heures dans un calme relatif, nous mangerons et dormirons sur le bateau à quai pour la nuit. Nous apprécierons ce temps de détente même s’il est un peu ennuyeux. En fait, nous sommes assez déçus.
La vie …… sur l’eauNotre capitaine pêche son déjeunerNotre house boat
Mais après 5 ou 6 heures de route, nous en prendrons plein la vue dans les Ghats à l’est de l’État, à 1500 mètres d’altitude, enfin arrivés à Marayoor puis à Munnar le lendemain.
Eco-lodge à MarayoorNotre chambre à MunnarChambre à Marayoor …Notre hôte et guide… et sa pièce d’eau
Culture de la cardamome sous nos fenêtres à Munnar
Caféier en plante d’ornementForêt d’état de santal à MarayoorSouche de bois de santal, numérotée
Petite randonnée en suivant la rivière à Marayoor
Nous sommes au cœur de la production de thé de l’Inde du sud. Dans nos éco-hôtels où l’accueil est éco-friendly, situés dans des endroits isolés, entourés de cardamome et de cocotiers, nos chambres sont spacieuses, confortables et éco-responsables. Les tarifs, eux, ne sont pas économiques. Les paysages sont féériques. Les montagnes au-dessus des nuages à plus de 2600 mètres d’altitude forment de belles et douces courbes arrondies, les flancs recouverts de ces buissons typiques taillés comme dans un jardin d’agrément, courts sur pieds, ce sont les théiers. Les feuilles, écrasées entre les doigts, dégagent une bonne odeur un peu âcre. Je vous rappelle que c’est la première récolte (first flush) avant la mousson qui est la meilleure. Mais la qualité de ce thé n’est pas comparable au Darjeeling ni à l’Assam, ici on cultive le thé indien pour les Indiens. Et l’on met en sachets la poudre de thé récupérée après manipulation. Il ne sera pas exporté parce que la production n’égale pas celle du nord. Mais quels paysages ! Nous avions été admiratifs à Darjeeling, ici, on est subjugués.
Alvin, notre guide, en éclaireurNous suivons les petites sentes qui montent au cœur des plantations
Avec Alvin et Niels, un jeune Hollandais, descendu dans le même hôtel que nous, que nous avons embarqué pour la journée. Charmant et francophile !
La randonnée de 8 kilomètres dans les plantations nous fait grimper à 1850 mètres.
Sur le mont Lakshmi à 1850 mètres d’altitude …… avec une vue à 360°. Pause goûter.
Cette visite guidée par Alvin a donné un intérêt particulier à la compréhension de cette économie, la face cachée des choses – exploitation quasi esclavagiste des ouvriers – 10 heures de travail chaque jour 6 jours sur 7, récolte d’au moins 25 kilos de feuilles de thé, dix roupies par kilo supplémentaire, dérisoire, pour quelque 600 roupies par jour. Des conditions de travail très rudes – les plantations sont sur des pentes abruptes et l’on peut se demander comment les cueilleurs font pour les atteindre, à moins d’être un nilgiri, de longues heures de travail sous une chaleur accablante. Les conditions de logement, par le magnanime Tata, sont précaires, sommaires pour ne pas dire insalubres où l’on vit par familles entières, à l’instar d’Alvin, 30 ans, dans quelques mètres carré. Voilà pour certains aspects non visibles de ce que nous avons tant admiré. « Pourtant que la montagne est belle » chantait Jean Ferrat.
A Marayoor, pour les bêtesA Munnar
Les logements des familles d’ouvriers agricoles. Le père d’Alvin travaillait à la récolte du thé dès l’âge de 10 ans.
Le temps passe vite et il faut déjà quitter ce paradis et rejoindre Kochi, dernier lieu d’intérêt avant de regagner Chennai. Après les années Covid et la mise à l’arrêt de la culture, Kochi ouvre sa biennale internationale d’art contemporain. Quelle aubaine ! Nous y passerons nos dernières 24 heures, hébergés au Delight Homestay, demeure de style indo-portugais, où nous étions restés en avril dernier.
Biennale de Kochi en cours, décembre 2022 – avril 2023
Les lieux …… de la biennale … … entrepôt à épices
Petit florilège des œuvres exposées
Non, pas nous !
La gigantesque structure labyrinthique faite en bambou tressé est supportée par des traverses creuses en gros bambou. Elles deviennent instruments de musique sur lesquels chacun compose ses rythmes.
Om ou Aum, le son sacré, universel et primordial. Ce mantra est utilisé dans la pratique du yoga.
Deuxième retraite dans un ashram. L’ashram Sivananda Yoga Venanda Meenakshi se trouve à 22 km de Madurai en direction de la forêt tropicale. Il en existe quatre autres en Inde ; à Trivandrum dans le Kerala, à Gudur dans l’Andhra Pradesh et à Kutir dans l’Uttarakhand ainsi que cinq centres de yoga dont Chennai. Plus de 26 centres de yoga sont répartis dans le monde et le siège social se trouve à Val Morin, Québec au Canada. L’ashram de Madurai se situe au sud de l’État du Tamil Nadu. Non loin, les Ghats Occidentaux forment une petite chaîne de moyennes montagnes, frontière entre les États du Kerala et du Tamil Nadu.
Vendredi 11 novembre, jour de pluie.
A la Sainte Sylvie (prénom de l’une de mes sœurs), j’embarque à 9h10 dans un petit avion à hélices qui mettra 1h15 avant d’arriver à destination. Je ne pars qu’une semaine et pourtant la grosse valise que j’emmène pèse plus de 16 kg. J’y ai rangé des vêtements adaptés pour le yoga, des vêtements légers de rechange, des vêtements de ville et deux lunghis (que je ne porterai pas), tout pour l’hygiène y compris du papier toilette, des lotions corps et vêtements anti-moustiques, une lampe torche, cadenas, mon tapis de yoga et un épais coussin de méditation, des tongs, des tennis et mes sandales Birkenstock (qui ne me serviront pas). Je devrais arriver à destination en milieu de journée et à ce moment-là ce qui s’apprête à être mon aventure pourra commencer. J’ai lu le programme sur le site officiel de l’ashram, mais je ne sais pas vraiment à quoi m’attendre.
Mon tapis de yoga sur mon épaule
Le couloir de vol nous fait surplomber pour un temps le Golfe du Bengale. A cette faible altitude, on voit bien la terre. Au-dessus, le ciel bleu et entre les deux, de beaux cumulus blancs qui moutonnent le paysage aérien. Très vite, le pilote change de cap et, entrant dans les terres, nous nous dirigeons vers le sud. De loin, il semble que la longue ligne blonde de sable qui délimite la terre donne accès au vide. Là, la mer devient le ciel dans des tons plus sombres. Un fleuve est sur le point de s’y jeter. Sait-il qu’il est en bout de course, que c’est sa fin ? Ou n’est-ce pas plutôt une éternelle continuité ? Les routes ressemblent à des serpentins qui enserrent les villages, les champs et les cultures. Les ombres irrégulières, reflets jumeaux des nuages blancs, tachent ces compositions. Plus haut, les cirrus s’étirent dans le ciel bleu. On dirait une voie lactée albinos immobile, strates vitales de l’atmosphère. Je ne me projette pas encore au bout du voyage mais les nuages défilent à vive allure. J’appréhende, je suis inquiet comme à chaque fois face à l’inconnu. Je sais aussi que cela sera très différent de mon expérience à Tiruvannamalai. Mes journées seront très encadrées et les activités obligatoires. J’aimerais y être afin d’éviter de trop penser. Le pilote annonce déjà la descente. L’appareil plonge alors dans les nuages et bientôt nous discernerons les détails de la terre, un juste retour à la réalité. Les serpentins redeviendront des routes, les petits points, des villages et les tâches vertes, des champs cultivés. Le bleu du ciel disparaît laissant la place au gris. Nous allons atterrir dans quelques secondes, la piste approche à grande vitesse. Ça y est, le choc des roues sur le tarmac annonce la fin du voyage.
Le trajet en taxi dure une heure. Il emprunte la New Nathan Road, une route en travaux depuis quatre ans qui est loin d’être mise entièrement en service. Enfin, j’y suis, désorienté et ne sachant où me diriger. Le vieux chauffeur m’aidera à trouver la réception. Je suis accueilli par un charmant jeune homme, le chignon haut sur la tête, les côtés au-dessus des oreilles et la nuque rasées, les lèvres charnues et la peau sombre. Il est d’une beauté impénétrable, ce qui me refroidit un peu.
Le charmant jeune homme porte une écharpe ce matin-là à 6 heures. Méditation autour de « l’arbre à Ganesh ». Cette promenade remplace le satsang du matin, les chants résonneront dans le sous-bois. Nous serons de retour avant 7h30.
Les démarches d’inscription sont longues et laborieuses car il faut prouver que l’on est bien en règle au regard de l’immigration. Contrairement à Tiruvannamalai, ce séjour a un coût pour l’hébergement.
Accès aux chambres……par un corridor sombreC’est assez spacieux……et spartiate.
Confort minimum mais c’est propre.
Il m’attribuera une chambre individuelle, sans air conditionné mais avec un ventilateur plafonnier et une salle d’eau avec eau chaude. Le domaine ressemble à une propriété en restauration ; des parties aménagées, d’autres en construction, abandonnées ou en cours de démolition.
Siva Hall au fondLes abords de Vishnu Hall
Mais l’ensemble est cependant très beau. Les magnifiques espaces verts dissimulent les bâtiments (réfectoire, salle de thé, dortoirs et chambres, boutique, halls des enseignements, temple de Kali, déesse de la préservation, de la transformation et de la destruction).
Vue intérieure du réfectoireVishnu Hall, là où sont les élèves-professeursRéfectoireDurga Hall où l’on prend le thé. Espace de rencontresChemin qui accède aux hébergements …… dortoirs, chambres pour deux et individuelles.
Certains sont à claire-voie et couverts de feuilles de palmes séchées, d’autres, de tôles ondulées ou de bâches tendues. Le Siva Hall où auront lieu mes séances de yoga et les conférences résonnera souvent en raison des courses poursuites des bandes de singes perturbant les activités et mettant à rude épreuve notre concentration.
Shiva Hall : ma salle de yoga et de conférences
Je trouve le groupe de résidents installés dans le Durga Hall où l’on prend le thé. On me salue et je réponds timidement. On m’invite à me servir et l’on me propose même un biscuit. Ici, deux groupes cohabiteront ; les « Yoga teachers’ training course » (formation de professeurs de yoga) et les « Yoga vacation » dont je fais partie. Je vous le dis avec insistance, je n’étais pas en vacances et ma semaine n’a pas été de tout repos !
Les singes …Aménagements récents pour une meilleure accessibilité.… sont partout !
Mes premières fois. La « Lecture » (conférence) d’une heure est un désastre. Je me retrouve avec six personnes au Shiva hall. Je ne comprends rien, tant à cause de l’accent anglo-indien que par le flot d’informations ; les mots, les idées et les phrases utilisés et leur assertion. Le « professeur » dispense un cours qui permet des échanges sur des concepts et des idées qui me sont totalement étrangères. Sans s’adresser directement à moi, il indique qu’une mauvaise posture empêche une respiration correcte. Et en effet, postures et respiration sont les conditions essentielles de la bonne pratique du yoga et de la méditation. Ça commence bien. Message reçu, je me suis redressé du mieux que j’ai pu tout en sachant que mon dos allait me faire mal. Je lui en ai fait la remarque après le cours et il m’a laissé bon espoir de me « corriger ». J’ai ainsi pensé que ces conférences quotidiennes allaient a priori être difficiles à suivre, voire insurmontables. Je posai déjà des obstacles, refusant toute théosophie mêlant religion, spiritualité et philosophie. La séance de yoga de 90 minutes me laissera haletant, douloureux et mouillé. Mon corps a été mis à rude épreuve. Douze postures se sont enchaînées ponctuées par de courtes pauses de récupération ; maîtrise de la respiration contrôlée puis alternée, salutation au soleil répétée dix fois, étirements, élongations, torsions, assouplissements, équilibres. Tout cela s’enchaînant à en perdre le souffle, mes muscles peu puissants ne me permettant pas de réaliser les postures de la roue ou du corbeau et ma colonne vertébrale peu porteuse pour réaliser le poirier ou la sauterelle. A la fin de la séance, il me restait moins de trente minutes pour me rafraîchir, me reposer et me changer avant d’aller dîner à 18 heures. Une quarantaine de personnes compose le groupe. La grande majorité est jeune et je suis sans doute le plus âgé. Parmi les jeunes en formation, je repère des Occidentaux. J’apprendrai par la suite qu’il y a une Brésilienne, une Kazakhe, un Italien et une Britannique. Dans mon groupe, je suis le seul Occidental mais cela évoluera au cours de la semaine ; une Russe arrivera puis un Américain.
Au déjeuner, riz sauté, papadum, salade de chou blanc et germes de haricots.A l’heure du thé, ils essaient de chaparder des biscuits.Ils fouillent la poubelle.Une mère épouille son petit.Près de la poubelle, les singes ramassent le moindre grain de riz.
Manger par terre avec ses doigts, assis en tailleur n’est pas chose aisée. Nous sommes les uns à côté des autres sur cinq rangées. Nous mangeons dans un silence relatif, certains chuchotent. Ça me va. Un plateau compartimenté en inox est posé au sol avec une portion raisonnable de nourriture. Le régime sattvique est lacto-végétarien. Les menus sont composés de produits frais non transformés, aucun aliment industriel n’est consommé : riz cuisiné de différentes façons, nature, sauté, en bouillie ou en une pâte compacte et collante. Il est accompagné de dahl, de sambar ou de rasam (légumes en sauce), de salades (chou, concombre, germes de haricots ou de soja), de légumes cuisinés à sec (okras ou gombos, pommes de terre, carottes, chou-fleur ou courge). On y ajoute parfois un peu de chutney. Le plat est souvent agrémenté de papadums (galettes frites et croustillantes). Il n’y a pas de fruits à 10 heures mais une banane pour le dîner à 18 heures. On nous ressert volontiers à la demande. Mon professeur de yoga dirige le service aidé des jeunes en formation. Cela fait partie de leur karma yoga, le don de soi par le travail désintéressé. Dès 18h30, je suis dans ma chambre, fatigué, prêt à faire une sieste mais je dois rester éveillé afin de participer au satsang de 20 heures à 21h30 : rassemblés dans Vishnu Hall, nous commençons par la méditation.
Vishnu Hall à 20 heures. Le satsang va commencer : méditation, chants, musique, lecture, réflexions.
Peu à peu, nous nous enfonçons dans la nuit noire dans le plus grand silence. Bien évidemment, je peine 1) à rester assis et immobile, 2) à focaliser mon attention sur mes sensations. Pour l’instant, mes sensations m’empêchent justement de méditer ; je suis mal installé, j’ai mal au dos et aux articulations des hanches, des genoux et des chevilles, des pensées ne cessent de faire surface et se télescopent. Je trouve le temps long, je ne sais pas ce que je fais là et je m’ennuie ferme. C’est ridicule. Et voilà que je pose tout en termes d’obstacles, je fais preuve de fermeture d’esprit, je rejette ce que je ne connais pas et ne veux, a priori, pas m’engager dans une nouvelle voie, difficile, d’accès. Le guru – que j’appelle Maître – fait soudain résonner le OM indiquant la fin de la méditation. Suivront une série de chants scandés dans un ordre bien défini ; le chant quotidien, la prière universelle de fin de cérémonie et entre les deux, d’autres chants que je tente de suivre dans le livret mis à notre disposition. Pendant près d’une heure, on entendra résonner tambours, tambourins, clochettes et autres instruments à percussions. Le guru fera ensuite une courte lecture qui permettra de faire germer une réflexion. Je reste étranger à tout cela et j’ai hâte d’aller me coucher. A 21h35, je dors profondément.
Tout est dit !
La routine. Les jours se suivent et se ressemblent. Ça pose des jalons. Je me repère mieux dans le domaine. Mais je ne suis pas connecté, je suis en dehors de la communauté. Je reste dans mon coin ne parlant que si l’on m’aborde. J’ai l’air sauvage, fuyant et il m’arrive de m’isoler dans ma chambre ou dans le hall quand il n’y a personne. Un étrange mal-être est en train de m’envahir faisant ressurgir mes faiblesses, mes craintes, voire mes peurs. Dès le lundi, j’ai envie de quitter l’ashram, ce que j’aurais considéré comme un échec. Je me ravise donc et me dis qu’il faut que je fasse des efforts. Je me mets alors au travail tête baissée et suis la routine sans me poser de question. 5h30, réveil suivi du 1ersatsang à 6h00. Nous prenons le thé à 7h30. La séance de yoga – asanas (postures) et pranayama (respirations) – durera jusqu’à 9h30. A cette heure-là, j’ai faim et j’attends avec impatience l’heure du brunch. Nous avons observé un jeûne de 16 heures et ça sera comme cela toute la semaine.
Un soir, après un satsang, feu de joie …… à la pleine lune et avec de la musique.
De 11 heures à midi, c’est le karma yoga, le yoga par l’action, le travail désintéressé. On m’attribue le nettoyage du temple de Kali. Heureusement pour moi, cette tâche ne prendra que trente minutes et je retournerai me reposer dans ma chambre jusqu’à 13h30, l’heure du thé. Il m’arrivera de faire une petite sieste. De retour à Shiva Hall, j’assisterai à la conférence de 14 à 15 heures. Le guru conduira les réflexions qui deviendront de plus en plus intéressantes et qui susciteront ma participation aux réflexions et aux pensées évoquées. Je me surprends à être attentif. Puis, de 16 heures à 17h30, je participerai à la seconde séance de yoga. J’irai ensuite dîner à 18 heures, me reposerai jusqu’à 20 heures, heure du second satsang. A 22 heures, extinction des lumières. Je n’irai jamais au-delà, pris par le sommeil.
Que se passe-t-il ? Après mon passage à vide de lundi, je me suis ressaisi. Je me suis plus impliqué sur les événements de la vie quotidienne. Du fait de la régularité, cela m’a permis de me sentir plus à l’aise et enclin à faire des efforts. Je me suis donc appliqué : arrêter de me plaindre, mieux écouter ceux qui parlent, aller plus volontairement vers les autres, transpirer un peu plus au yoga, être toujours conscient de ma posture, me sentir soutenu par ceux qui m’entourent, essayer réellement de méditer, relâcher mon corps afin d’éviter les crispations et les tensions, causes de différents maux. J’ai tout-à-coup fait le lien entre les conférences, les cours de yoga et les satsang. Tout cela ne faisait-il pas un tout ? Une sorte de nœud en moi commençait à se dénouer, j’avais l’impression d’avoir trouvé le bout de la ficelle et tirer dessus me permettait de retrouver le chemin. Bien qu’encore timidement, je ressentais moins d’appréhensions. Je m’invitais dans différents groupes.
Chemin d’accès à Vishnu Hall à gauche et plus loin à droite, à Siva Hall.
Une vieille dame m’a abordé. Elle ne suivait aucun cours. Elle était juste là pour se ressourcer, s’échapper d’une vie sans doute trop trépidante pour elle. Son visage était extrêmement doux, le sourire qu’elle m’a adressé extrêmement chaleureux. Elle est venue vers moi en me saluant, me demandant mon prénom. Une façon normale de commencer, non ? Elle m’a dit venir dans cet ashram deux mois par an. A la fin du satsang du matin, on nous distribuait souvent une petite portion de cacahuètes, trois dates ou une douceur (une pâte sucrée de semoule avec des fruits ou des noix concassées) très bonne. Ces petits riens me réchauffaient le cœur, me faisant me sentir bien. Les jeunes recevaient ce petit bonus comme des enfants excités d’avoir reçu un cadeau. C’était un peu cela. Se contenter, accepter et apprécier ce que l’on nous donne. Petit à petit, je me suis mis à me tenir mieux plus longtemps assis en tailleur. Je m’en étonnais moi-même. Manger par terre ne m’incommodait plus, je résistais aux longues séances de méditation, mes postures de yoga s’amélioraient à tel point que le professeur m’encourageait à aller plus loin, à faire plus d’efforts, à avoir plus mal que ce que je ressentais douloureusement déjà. Mais j’y suis allé. En fin de semaine, il est venu vers moi plusieurs fois pour me dire que telle ou telle posture était parfaite. Je l’aurais embrassé. D’ailleurs, lors de mon dernier repas vendredi soir, à la fin de son service, je lui ai dit avec beaucoup d’émotions et du trémolo dans la voix combien j’avais apprécié sa manière de faire. Que je ne l’avais tout d’abord pas compris, pensant qu’il ne me prêtait aucune attention, mais qu’il m’avait poussé à aller plus loin, à oser faire et à me dépasser. C’est en fin de semaine que je participais aussi activement au déroulement du satsang, me joignant au groupe dans les chants et les rythmes. J’ai même dansé, invité par un jeune qui est venu me prendre par la main.
Lever du soleil sur les Ghats OccidentauxPromenade matinale en lieu et place du satsang
Dimanche 6 novembre. Vue sur les Ghats depuis un piton rocheux que nous avons escaladé.
Quel chemin avais-je parcourru ! Le Maître avait dit un peu plus tôt dans la semaine que ce qui rendait heureux était le chant et la musique. Oui, bien sûr, je le savais mais ne le vivais pas. Je n’y ai mis d’autres intentions que de me sentir bien, vivant, heureux même. J’y ajoutais un soupçon de spiritualité qui n’est en fait que le désir de s’élever un peu plus haut et d’aller au-delà de son corps physique. Car oui, j’étais heureux d’entendre la musique répétitive et entraînante. Oui encore, j’étais heureux lorsque je m’essayais, sans grand succès mais avec conviction, à chanter à l’unisson en frappant la mesure dans mes mains. Alors, mon corps, mon dos, mes articulations ne me faisaient plus mal. Ma tête restait droite, mes épaules basses et ma poitrine ressortie, tout comme on me l’avait demandé plus tôt dans la semaine, la respiration calme et régulière ; posture parfaite de l’apprenti yogi que j’étais devenu. Ces changements ont accru mon sentiment de réussite, ces réussites ont entraîné des émotions de bien-être et de bonheur. Et de fait, je me sentais heureux et empli de fierté. Fierté d’avoir tenu bon malgré mes doutes, d’avoir dépassé des limites que je m’étais toujours imposées, de me sentir inclus dans une communauté sans distinction ni préjugés, de me sentir heureux alors que ça n’était pas gagné à l’avance.
YogaRelaxationMéditation
Fin de semaine, fin de retraite. Les vendredis sont libres de toute activité à l’exception des deux satsang. Pas de yoga, pas de conférence. L’ashram est calme malgré la tension qui grandit chez les jeunes. Le lendemain matin, ils passeront leur examen final. Une épreuve écrite sur la théorie, une épreuve pratique sur le yoga. D’ailleurs, tout au long de la semaine c’était un·e jeune désigné·e qui animait notre séance de yoga du matin. 11 novembre, jour célébré de l’Armistice. Ici, il fait gris et il pleut. Je m’enferme dans ma chambre, commence à rassembler mes affaires en vue de mon départ du lendemain et écris quelques notes dans mon carnet jaune. Puis, l’idée de rester enfermé me tracasse. J’enfile mon imperméable et je sors. Le long de la route, quelques camions passent. Des conducteurs de deux-roues se protègent la tête avec un mouchoir ; dérisoire pour se protéger de la pluie mais rigolo, d’autres me sourient au passage, certains même très franchement avec de grands signes de la main. Cette promenade d’une heure me conduit à une petite entreprise de vente de vêtements ; saris, écharpes, étoles, lunghis colorés à carreaux, dothis blancs et chemises. On ne parle pas un mot d’anglais. Je finis par acheter un dothis et une chemisette blanche, vêtement traditionnel que porte la caste des brahmanes. Que vais-je en faire ? Le satsang du soir m’a échappé. Terminant mes bagages, je n’ai pas fait attention à l’heure.
Le groupe de jeunes élèves-professeurs en fin de formation après le satsang du matin.
D’ailleurs, la cloche qui ponctue les journées n’a pas retenti. Je me suis rendu dans le hall vers 19 heures, l’endroit était plongé dans le noir et il n’y avait pas un seul bruit. Manifestement, les jeunes n’étaient pas là. L’heure de la méditation était-elle passée ? A y regarder de plus près et utilisant ma lampe torche, je découvre un endroit vide. Pourquoi ? J’en conclus que l’événement avait été annulé pour une raison qui m’échappait. De même le lendemain matin. Désireux de paresser dans mon lit, je me suis enfin décidé à aller dans le hall vers 7 heures. Comme la veille, le hall était désert. Je remarquai également que les jeunes étaient bien silencieux. Et pour cause, il n’y avait personne dehors à cette heure-là. Encore un mystère. Je me dis que j’avais probablement raté des informations la veille. Au moment de mon départ prévu à 8 heures, j’ai croisé quelques jeunes. Le stress était palpable. Ils passaient leur examen dans quelques minutes. Mais, me voyant la valise à la main, ils affichèrent un grand sourire et me souhaitèrent bon voyage.
Swami Sivananda, guru fondateur de l’ashramSwami Vishnudevananda, son disciple. Auteur de cet ouvrage que j’ai acheté.
12 novembre, Saint Christian. J’arrive bien trop tôt à l’aéroport et les formalités sont vite expédiées. L’embarquement est prévu à 10h40 et le vol est à l’heure. En prenant de l’altitude après le décollage, j’ai en mémoire mes impressions de la terre du voyage aller. Les champs deviendront un camaïeu vert de pièces de puzzle, la ville, les faubourgs et les villages ressembleront à des pièces de Lego agglomérées et les plans d’eau luiront comme des miroirs cousus sur les tissus rajasthanis. Tout cela disparaîtra et réapparaîtra au gré des gros flocons blancs que sont les nuages dérivant vers l’infini, se dissolvant et se reformant, devenant tantôt icebergs, tantôt crème fouettée. Mes pensées dérivent elles aussi laissant la place à des émotions mélangées. La tristesse d’avoir quitté l’ashram et la hâte d’être rentré, de retrouver Éric. La fierté d’être sorti de ma zone de confort et mon appréhension de retrouver celle que constitue mon quotidien. La joie et la mélancolie s’engouffrent dans ma gorge et se percutent au point d’y faire un nœud. Ah ! Si j’avais des larmes, je pleurerais ! Mais au bout du compte, je me sens détendu, en paix et heureux.
Week-end de Toussaint du 29 octobre au 1er novembre 2022
Après Bollywood, nous voici dans la ville la plus sacrée de l’Inde. Et je dois rédiger cet article avant la fin de la semaine car nous serons repartis. Éric à Jaipur, Rajasthan, pour l’université d’automne organisée par l’Institut français, moi, dans l’ashram de Madurai, Tamil Nadu, pour une nouvelle retraite. Nous y resterons chacun toute la semaine.
Assi ghat
Commencer le récit de notre séjour, c’est d’abord comprendre le sens et l’importance que revêt Varanasi pour les Indiens. De plus, de nombreux Occidentaux y passent parce qu’elle est fortement emprunte de spiritualité. Je vais donc tenter de l’expliquer à partir de ce que nous avons vu et ressenti
Le Gange depuis l’étage d’un haveli du chowk
Kashi, Bénarès (ou Banaras), Varanasi. Trois noms pour une seule et même ville. Cette cité, l’une des plus anciennes au monde habitée de façon continue, a été fondée au XIème siècle av. J.-C. Elle est située sur la rive nord du Gange (Ganga) et est délimitée par deux affluents : la Varuna et l’Assi. Vous l’aurez compris, le nom de Varanasi est ainsi formé. Dans le Mahābhārat, la ville de Kāśī (काशी : Kashi) signifie « briller » en sanskrit, d’où l’appellation de « Cité de Lumière ». Bénarès est une déformation de Varanasi où les sonorités sont poches. La ville est dédiée à Shiva. Cette ville du nord de l’Inde dans l’État de l’Uttar Pradesh dont la capitale est Lucknow, est considérée comme le centre spirituel de l’Inde. Selon la tradition bouddhiste, Bouddha aurait donné son premier sermon à Sarnath, proche de Kashi. Le Premier ministre indien Narendra Modi est le député de la ville depuis 2014.
Quartier général de police dans le chowk. A l’époque du Raj britannique, les « indigènes » étaient sévèrement punis lors de tentatives de rébellion. Les Indiens avaient alors trouvé le moyen de communiquer en cachant des informations majeures dans les feuilles de bétel à mâcher.
C’est à Varanasi que se rassemble toute l’Inde par le nombre d’âmes qui la peuplent. Week-end de festivité en l’honneur de Shiva, la foule a afflué, les touristes aussi, rendant la ville encore plus délirante, bruyante, effervescente et chaotique. Varanasi est un puits où se concentre l’hindouisme dans toute son hindouïtude. Pour nous, cela a été une révélation. Inspirés par la puissance de la religion et de la spiritualité, les fervents sont en état de « choc émotionnel », certains comme en transe. L’hindouisme définit les Hindous à travers leur mode de vie et de pensée quotidiens. Ceux-ci portent les vêtements traditionnels pour la plupart, et la plupart sont de la caste des brahmanes. Beaucoup sont rasés (c’est l’usage lors d’un décès) à l’exception d’une fine longueur de cheveux noués à l’arrière de la tête, centre de la spiritualité et de la connaissance. Tous et toutes, enfants compris, ont le front barrés de blanc et de orange, marque de bénédiction par les prêtres.
Vie d’un sadhou à Varanasi ; contemplation, marijuana et méditationUn autre sadhou, beaucoup plus dénudé !
Les sadhous, à demi-nus et entièrement recouverts de la cendre des crémations, sont légions et les nombreux mendiants demandent l’aumône dans le chowk, la vieille ville. Le long des ghat (marches ou gradins de pierre qui descendent dans le Gange), les futures épousées en tenues d’apparat, pieds nus peints au henné de belles arabesques orientales, bracelets de chevilles tintant, leur distribuent les indulgences en pièces de monnaie et poignées de riz. Le bien est fait. Il n’y a pas un seul jour de l’année où Indiens et Indiennes ne viennent faire leurs ablutions rituelles à l’aube, tous désireux de s’y faire incinérer selon la tradition, sur un bûcher.
Ils viennent en masse de toute l’Inde pour cela car être incinéré à Varanasi permettrait d’atteindre le moksha, la libération du cycle des réincarnations. Les cendres sont ensuite offertes au Gange. Les enfants pré-pubères et les sadhous étant purs par nature seront tout simplement enveloppés dans un linceul, le corps lesté de pierres avant d’être donné au fleuve sacré qui les accueillera.
Notre curiosité sera assouvie, notre soif de toujours découvrir de nouvelles destinations, étanchée. La réputation de Varanasi ne fait qu’aiguiser ce sentiment urgent d’être là pour enfin voir de nos propres yeux. Dans notre imaginaire, Varanasi est la ville de l’Inde qu’il faut avoir vue, l’endroit où il faut être allé une fois dans sa vie. Varanasi semble être le reflet de l’Inde véritable, elle est son cœur battant, son âme, et même son essence pure. Tout Hindou qui se respecte désire se rendre une fois dans sa vie à Varanasi tout comme un Musulman à la Mecque, un Juif devant le Mur des Lamentations à Jérusalem ou un catholique à Saint Pierre de Rome, je suppose.
Un court instant à l’ombre d’un parasolJ’aime cet environnement coloré !
Bien nous en a pris d’y aller à cette période. Sans le savoir, le festival de Chaath puja avait lieu du vendredi au lundi soir. A cette période-là, les Hindous s’imposent trois jours de jeûne. Dès notre arrivée le samedi après-midi, le réceptionniste de notre hôtel nous recommandait d’aller sur le ghat pour assister au spectacle de Krishna en présence de Kashi Naresh, roi de Bénarès (car il existe encore des petits royaumes en Inde avec des rois aux pouvoirs restreints). A la hauteur d’Assi ghat, ce dernier trône au centre d’une flottille sur le pont supérieur d’un petit bateau bleu. Il est entouré de sa garde rapprochée et deux hommes sont agenouillés à ses pieds.
Un jeune garçon représentant Krishna jouait la scène dans l’eau au son de tambours percutés de plus en plus vite, de plus en plus fort. De jeunes hommes en maillot de bain lui lançaient des balles qu’il devait aller chercher au fond de l’eau jusqu’à ce qu’un cobra l’aide à en ressortir. Debout sur son corps et le tenant par la tête, Krishna (le 8ème avatar de Vishnou et dieu bleu de la compassion, de la tendresse et de l’amour) est ramené au bord du Gange sous les vivats des spectateurs. La foule compacte est au comble du ravissement. Applaudissements et hourras sont lancés en direction du roi ovationné telle une star. Nous sommes bousculés de toutes parts faisant en sorte de nous maintenir en nous agrippant aux épaules de ceux qui sont devant nous. Mais l’armée de policiers, bâtons à la main, a vite fait de disperser cette nuée dangereuse au milieu de laquelle nous nous trouvons. Dans la débâcle, je perds une sandale que j’arrive à récupérer in extremis. Nous sommes heureux de nous en être extraits.
Représentation d’une scène avec Lord Krishna dans l’eau devant le roi de Bénarès sur son bateau bleu devant une foule en liesse.
Le Palace on Ganges est un bel haveli (palais) aujourd’hui divisé en deux et malheureusement assez décati. Il a quand même belle allure. Et si notre chambre est propre, les parties communes ne sont pas nettes. Nous bénéficions d’une petite chambre (trop chère pour ce que c’est) au dernier étage avec une terrasse privative qui donne directement sur le Gange. C’est parfait. Notre premier regard du matin sera en direction du fleuve, nous y boirons de la bière le soir « à la fraîche » au-dessus de la vie bruyante et nous regarderons la nuit tomber, éclairée par les feux d’artifice et les lampions s’élevant haut dans le ciel assombri, au son des pétards qui nous faisaient sursauter à chaque fois.
Palace on Ganges, Assi ghat. On peut distinguer notre terrasse en surplomb.Sur notre terrasseLe Gange depuis la terrasse de notre hôtel
Nous avions établi un programme comprenant les visites incontournables nous réservant des moments d’observation, de rencontres avec les autochtones, de contemplation et de tranquillité. La vie se concentre dans la vieille ville, sur les ghat et sur le fleuve. Nous commençons par une promenade en bateau au crépuscule. La courbe en parfait croissant de lune du Gange ne comporte pas moins que 80 ghat. Au départ d’Assi, au sud, le premier ou le dernier d’entre eux, c’est selon le point de vue, nous remonterons jusqu’à celui où les crémations ont lieu. C’est aussi le plus vaste, raison pour laquelle la plupart des bateaux y sont accostés. Les bateliers nous abordent, chargent leur bateau de personnes avides d’émotions intenses, sentir le Gange vibrer en eux. Finalement, nous serons les deux seuls sur l’un d’eux et nous voguerons sur le fleuve sacré, observant la vie trépidante qui se déroule sous nos yeux ébahis. L’émotion est palpable, la gorge se serre sans que l’on puisse se l’expliquer rationnellement. J’en ai même une piloérection.
La vue sur la ville est belle. On perçoit à quel point les palais qui le borde avaient du cachet. La nuit tombe vite, les lumières s’allument petit-à-petit, les édifices embellissent au fur et à mesure qu’ils sont illuminés.
Vers 18 heures sur le Gange
Varanasi Walks propose des circuits thématiques à pied. Anand, notre guide, nous a donné rendez-vous le lendemain à 9 heures. Il faudra se lever tôt. Ah ! Les vacances ! Ce n’est pas de tout repos !
Godowlia Crossing dans le Chowk
Nous le retrouvons à Godowlia Crossing, le carrefour névralgique dont l’artère principale descend vers Dasashwamedh ghat dans la vieille ville.
Dasashwamedh ghat
Notre parcours nous mènera au cœur de la cité de lumière dans des cours et des intérieurs invisibles. Au fil des ruelles tortueuses, nous découvrirons l’architecture classique des havelis et des temples cachés.
Avec Anand au cours de notre visite matinale
A l’étage d’un haveli donnant sur le fleuve
Nous pénètrerons dans des cours de palais, éveillant la curiosité de ses habitants, les surprenant à la toilette, à la cuisine ou émergeant d’une bonne sieste.
Cours de haveli habité par plusieurs familles. Un cabanon dans un coin sert de sanitaire collectif.
Nous verrons tout cela sous le spectre de la couleur, des couleurs changeantes au cours de la matinée, façades et cours tantôt baignées de soleil ou plongées dans l’obscurité due à l’étroitesse des ruelles. Nous verrons les couleurs fanées par le temps sur des façades délabrées, d’autres chatoyantes sur des édifices restaurés, ou encore, celles lumineuses éblouissant les pierres ocre et blondes des stupas.
Nous ne verrons pas les quelque 2000 temples que compte la ville mais nous visiterons le plus célèbre et vénéré d’entre eux, Shree Kashi Vishwanath, le temple d’or, dédié à Shiva, en compagnie d’un guide-prêtre que l’on nous a attribué, histoire de bien respecter le protocole.
Shree Kashi Vishwanath avec notre prêtre-guide, étudiant à la faculté de langues. Il étudie le sanskrit. C’est lui qui nous a bénis et marqué notre front d’une pâte blanche (mélange de poudre et de lait pris sur le lingam de Shiva) puis orangé, des couleurs sacrées. Le temple d’or est enfermé dans un « caisson », the Corridor, inauguré en 2021 par le Premier ministre.
Le fleuve n’est jamais loin. Le chowk est un dédale inextricable de venelles où les piétons et les deux-roues ne font pas bon ménage. A touche-touche, de minuscules échoppes proposent nourriture, chai, soieries, épices, jouets en bois ou articles religieux. De nombreux barbiers coupent et rasent toute la journée.
Petit marché aux fleurs bien cachéMéditation dans un petit sanctuaire dans la ruelleEn haut des marches …
Parfois, une vache sacrée barre le passage. Il faudra attendre qu’elle veuille bien se déplacer malgré l’impatience de ceux qui sont bloqués.
Street foodOccupée à fouiller les déchetsDessert à base de lait, de safran, d’amandes et pistachesVendeur de bijoux, parfums … Adorable commerçant !BarbierStreet foodConfection de chapatisVendeur de chai
Ailleurs, ce sont les tambours qui annoncent la procession d’un convoi funéraire. Le défunt dans un linceul – de couleurs différentes pour un homme, une femme ou une personne âgée – recouvert de fleurs, est allongé sur un brancard en bambou porté par quatre hommes.
Les deux ghat de crémations vus du bateau : Harishchandra à gauche et Manikarnila à droite
Les crémations se déroulent à Manikarnila ghat. C’est le ghat le plus actif et le lieu final des convois funéraires où les femmes ne sont pas admises. Pendant que le corps du proche s’embrase, elles nettoieront la maison et brûleront tous les vêtements en signe de purification. Les hommes quitteront plus tard, au bout de trois heures généralement, le bûcher sans jamais se retourner … Orphée et Eurydice. Il faut laisser le défunt partir en paix. Sur la plate-forme au bord du Gange, c’est Maha Shmashan Puri, « Le feu qui ne s’arrête jamais ». Et en effet, 24h/24, les corps arrivent, brûlent ou attendent de l’être et l’on peut compter jusqu’à dix bûchers actifs en même temps. Il fait une chaleur incroyable. Les porteurs, des hors-castes, des Dom, sorte d’Intouchables, déposent les corps sur les bûchers érigés et s’en occupent dévotement. Ils sont munis de longues cannes de bambou pour attiser le feu, étaler les cendres et vérifier que tout le corps se consume. Les riches achèteront assez de bon bois, celui qui brûle lentement, pour que le corps soit complètement réduit en cendre. D’autres se contenteront d’un bois de moindre qualité et d’une plus petite quantité. Les gros os du corps n’auront alors pas le temps de brûler. Tant pis, tout cela sera « confié » au fleuve sacré. Les longues bûches sont empilées dans des entrepôts tout proches et sont pesées et comptabilisées. Une bande d’arnaqueurs se définissant comme des bénévoles (sic) nous abordera afin de nous expliquer ce que nous voyons, nous proposant même de prendre des photos depuis un point de vue exceptionnel. Ils ne demandent rien … un peu d’argent seulement mais ils oublient de dire s’il s’agit d’euros ou de dollars ! Nous savons que les photos sont strictement interdites et que tout cet espace est surveillé. Nous ne sommes pas tombés dans le panneau. Harishchandra est l’autre ghat pour les crémations. Il est plus petit et moins actif que le précédent mais c’est le plus ancien. C’est ici que les plus pauvres sont incinérés.
En préparation aux ablutions. C’est l’homme, brahmane qui conduira ce rituelPuja : offrandes et prières
Nous n’aurions pas quitté Varanasi sans avoir assisté aux pujas et aux ablutions du matin. Levés à cinq heures, nous n’avions pas loin où aller. Plus tôt encore, Assi ghat avalait la foule de croyants transportant trépieds de bambou, larges plateaux à offrandes contenant fleurs, fruits, encens, bougies, offrandes de la lumière au Gange. Des hommes dévêtus et des femmes en saris s’avançaient lentement et précautionneusement sur la rive boueuse dans les eaux fraîches à cette saison, s’agrippant les uns aux autres, puis s’immergeaient plusieurs fois, les saris flottants, les dothis mouillés moulants autour de la taille. Ils buvaient ensuite du creux de leurs mains trois gorgées de cette eau douteuse. Les chants, les percussions donnent de l’importance à ces cérémonies. Le spectacle est envoûtant, fascinant. On semble être dans un autre monde, je veux dire par là, dans un monde d’une autre dimension, dans un autre univers, au sens astronomique du terme. Tout cela, cette ambiance, les couleurs, les odeurs de fumées, les vas-et-viens incessants, comme s’il ne fallait rien rater, ne rien perdre de l’instant, où il faut vivre intensément le moment présent parce que c’était le bon moment, comme si après aurait été trop tard, nous donnait le tournis, la sensation illusoire que le monde était en train de bouger et de tourner confusément autour de nous. A six heures passées, nous sommes retournés à notre hôtel et au lit pour « terminer la nuit » ou plutôt pour commencer un nouveau jour après avoir rattrapé un peu de sommeil.
5h15, puja à Assi ghat
Un petit bonhomme habillé pour l’occasion !
Sarnath : C’est un site archéologique verdoyant non loin de Varanasi. Bouddha vint à Sarnath pour prêcher la Voie du Milieu dans son premier sermon après avoir atteint l’Éveil ou l’Illumination à Bodhgaya. Au IIIème siècle av. J.C., l’empereur Ashoka fit ériger de splendides stupas et des monastères dont il ne reste que des ruines. Un seul stupa est visible aujourd’hui. Site important du bouddhisme, les pèlerins affluents du monde entier. Le site est un havre de paix comparé à la tonitruante Varanasi. Le musée archéologique comporte de merveilleuses sculptures de pierre, de Bouddha entre autres figures. Et pour des raisons qui nous échappent, les photos sont interdites.
Soieries : Varanasi est la capitale du tissage de la soie. Celle-ci, importée du Cachemire, arrive à l’état brut. Les vers à soie ne s’acclimatent pas aux températures de l’Uttar Pradesh. Les tisserands musulmans ont acquis le savoir-faire ancestral du tissage traditionnel manuel. Châles et écharpes en soie et coton, en soie brute ou sauvage, en soie souple ou super souple, tous ces tissus sont magnifiques et délicats et cela était très tentant. Invités à boire le chai, nous sommes restés longtemps dans le magasin de gros. Les employés dépliaient sous nos yeux des dizaines de tissus qui finissaient par s’empiler sur l’estrade, mélangeant couleurs, motifs et textures que les « petites mains » repliaient derrière nous.
Certains s’y prélassent pour un court instantLord Krishna
Il nous fallait retourner une dernière fois avant le départ sur « notre » ghat. Mardi 1er novembre était enfin plus calme, plus tranquille, comme un retour à la vie normale. Les Indiens paressaient sous les grands parasols ou sur les marches.
Ils n’ont pas fini de déblayer la boue déposée sur les ghat !
On nettoyait ici à grands jets d’eau puissants la boue accumulée sur les escaliers, on goudronnait la coque d’une barque, ailleurs on récurait casseroles et marmites ou on lavait du linge.
Le goudron goutte dans l’eau pendant qu’à côté on récure les marmites ! Non loin, une femme lavait du linge.
Là, on buvait du chai, on discutait ou l’on jouait aux cartes. Le courant normal de la vie. Jusqu’au soir où l’heure de la puja sonnera de nouveau et où la foule reviendra pour célébrer le Gange à sa manière, dans la plus grande des ferveurs et de dévotion.
A l’occasion de Diwali, la fête des lumières, bien plus célébrée – c’est-à-dire plus lumineuse et plus bruyante – au nord que dans le sud de l’Inde, nous avons passé quatre jours à Mumbai (Bombay), invités chez un collègue, ami d’Éric, Prash. Je l’avais rencontré lors de notre récent séjour à Delhi ; nous étions dans le même hôtel et avions passé quelques soirées ensembles. Je l’avais alors trouvé très sympathique.
Coucher de soleil depuis l’appartement de Prash et Sami et la mer d’Arabie en fond.
L’appartement de Prash et Sami se trouve à Bandra west, quartier bobo où réside un grand nombre d’expatriés. Le « village », ainsi nommé, regorge d’activités ; boulangerie française, pâtisserie, débits d’alcools, restaurants, dont une crêperie digne de notre chère Normandie, bars branchés. Nous sommes au nord de Mumbai, à une bonne heure en taxi de la pointe sud, avec son point de référence, la « Gateway of India », la Porte de l’Inde, face au célèbre et emblématique Palace Taj Mahal.
Depuis le bateau pour l’île d’Elephanta. Le Taj (1903), sa tour (1973) et la Gateway of India (1924).
Un peu d’histoire. Le Taj Mahal Palace Hotel a été commandé par Jamsehdji Tata et a ouvert ses portes le 16 décembre 1903. S’étant vu refuser l’accès à l’hôtel Watson alors réservé aux Européens, ce dernier aurait décidé de faire construire un hôtel de luxe accessible aux Indiens. La clientèle était, pour la plupart, des Européens, des Maharajas et l’élite de la société indienne. A son ouverture, le Taj Mahal Hotel était le premier en Inde à avoir l’électricité, des ventilateurs américains, des ascenseurs allemands, des bains turcs et des sommeliers anglais. Le premier également à obtenir la licence pour la vente d’alcools, de proposer une restauration toute la journée et le premier enfin à ouvrir une discothèque, Blow up. Et aussi et surtout le premier à embaucher des femmes. Dans une vitrine, on peut admirer des photographies de personnalités allant de Somerset Maugham, Duke Ellington, le Prince et la Princesse de Galles (Charles et Diana), Jacques Chirac, Bill Clinton ou Barack Obama.
Le palace, converti en hôpital pendant la Seconde Guerre mondiale, avait une capacité de 600 lits.
Les sept îles « sœurs » de Bombay (Bom Baim en portugais ou « Good little Bay ») qui forment aujourd’hui Bombay (Mumbai) sont composées de l’île de Bombay, Colaba, Little Colaba, Mahim, Mazagaon, Parel et Worli. L’Armada portugaise s’empara de ces îles en 1534 puis le Portugal les offrit à l’Angleterre en dote de mariage de Catherine de Bragance avec Charles II en 1661. En 1668, Charles II les loua à l’East India Company pour £ 10 par an. Dès 1845, les îles fusionnèrent pour être rattachées au continent constituant ainsi la partie sud de Bombay (Mumbai).
Les sept îles de Bombay à l’origineCarte de Bombay en 1893
Aujourd’hui encore, comme nous avons pu le constater, des travaux colossaux sont en cours, gagnant des terres sur la mer, construisant des routes-ponts au-dessus de l’eau sur de longs kilomètres et augmentant sa densité par des gratte-ciel hauts de 70 étages.
Vue depuis l’île d’Elephanta. Un pont en construction dont on ne voit ni le commencement ni la fin.
Rien d’écologique. On ne favorise ni les déplacements en transports en commun (quel Indien moyen en aurait envie d’ailleurs ? Après tant d’années de privations et l’acquisition d’un scooter, d’une moto ou d’une petite voiture, il n’en est pas question !) ni l’utilisation des vélos le long de pistes cyclables inexistantes.
Ces quatre jours ont été intenses. Nous n’avons pas perdu de temps ! Levés tôt, partis tôt, nous avons vécu à un rythme frénétique. Guide en main, nous voulions voir le plus possible. Quatre jours, quatre temps forts.
Diwali J-2 : Promenade à pied et le nez levé à la découverte de l’architecture indo-sarracénique et Art déco au cœur de Mumbai. Le trajet en taxi nous a paru interminable. Nous y sommes arrivés à la mi-journée. Tant de monde, tant de vendeurs ambulants. Nous étions enfin devant l’arche de la Gateway of India (construite en 1924). Le Taj Mahal Palace Hotel nous a semblé imposant, il nous attirait mais nous avons résisté. Nous irons un autre jour. Tout comme l’envie de prendre le bateau pour Elephanta Island. Soyons patients. Pour l’heure, nous allons découvrir à pied les bâtiments de l’ère coloniale. Nous sommes à Colaba, près du port de Mumbai. Nous longerons the Oval Maidan, immense parc où passionnés de football et joueurs de cricket s’exercent.
Vue sur High Court et Clock Tower depuis Oval Maidan
D’un côté, le Palais de justice, la Tour de l’horloge et l’université de style indo-sarracénique.
Tour de l’horloge, du pur style anglaisEphistone CollegePalais de justice. L’architecte Sir Samuel Jacob (1841-1917) créa le style indo-sarracénique. Il y mêla aux styles victorien et gothique des influences moghole et rajpoute pour rassembler sans complexe et sur un même bâtiment, des dômes, des arcs-boutants gothiques, des flèches et des gargouilles.Royal !Devant le Palais de justiceDans un petit jardin public
De l’autre côté du Maidan, des immeubles d’habitations, des banques et des assurances, des cinémas de style Art déco très bien entretenus pour la plupart.
New Indian AssuranceCinéma REGALCinéma EROSCinéma LIBERTY
Sur une place, nous visiterons la National Gallery of Modern Art, bâtiment circulaire, invitant à découvrir l’artiste récemment décédée Rini Dhumal qui explora toutes les formes, toutes les forces chez la femme. Le cinéma Regal est encore en activité tandis qu’Eros a définitivement fermé ses portes. Quant au Liberty, après un long creux de vague, il est en pleine rénovation pour ouvrir prochainement.
Nous avons terminé cette journée à Chhatrapati Shivaji Terminus (autrefois Victoria Station), l’incroyable gare ferroviaire dont l’agitation extrême semble concentrer toute l’Inde. Exténués, nous n’avons pas poussé jusqu’aux bazars tout proches. Il était 17 heures passées et nous voulions rentrer, nous rafraîchir, nous poser autour d’un verre avec nos amis avant d’aller dîner. Mais au retour notre chauffeur de taxi s’est fait percuter par un scooter conduit par un très jeune garçon. Il était accompagné d’un enfant et transportait de nombreux sacs manifestement très lourds. En débouchant sans regarder (comme le font tous les Indiens) sur la voie où nous nous trouvions, dévié par la charge, il n’a pas pu maîtriser son engin et a foncé sur notre taxi. Maman arrive, puis un attroupement d’inconnus, palabres, coups de fils, attente. Nous avons finalement dû changer de véhicule.
La gare centrale Chhatrapati Shivaji Terminus dans le pur style indo-sarracénique « flamboyant ».
Diwali J-1 : Visites guidées à Dharavi Slum et à Mahalaxmi Dhobi Ghat. Autrement dit un bidonville de Mumbai et le « quai où l’on fait la lessive ». Il existe plusieurs bidonvilles à Mumbai. Celui que nous avons visité est le plus grand d’Asie, il s’étend sur 2,2 km2. Nous avions pris contact avec Reality tour & Travel pour une visite guidée. La part ONG de l’agence lui reverse 80% des sommes. La visite de 3 heures coûte 1450 ₹ par personne, soit 17,50 €. Javed, vivant lui-même dans ce bidonville nous a conquis. Jeune, souriant, intelligent, optimiste, ambitieux, il nous a montré sans misérabilisme la vie et l’activité économique dans cette ville dans la ville d’un million d’habitants (officiel) et sans doute de plus d’1,4 million d’habitants. Les photos sont interdites mais accès à quelques photos officielles en suivant le lien : Bit.ly/dharaviphotos.
Vue générale d’un quartier du bidonville Dharavi
L’accueil est amical et l’on ne s’y sent pas en insécurité. Javed nous fait entrer dans de petites entreprises ; transformation des plastiques, cartons, traitements des peaux, du cuir, potiers. Des femmes cuisinent des pappadams (galettes fines et croquantes) qu’elles font sécher au soleil sur des dômes en osier. Des quartiers contigus par corporations, quartiers d’habitations, écoles, lieux de culte. Sept églises catholiques, beaucoup de mosquées, quelques temples hindous. Seulement 700 installations sanitaires, imaginez dans quel état ! Tout est répertorié, contrôlé par les bailleurs, par l’état. Ici, on paie son loyer, ses taxes. On ne transforme rien sans accord ni autorisation. Pas de criminalité, on n’est pas dans les favelas de Rio de Janeiro. On naît, on vit, on meurt dans le slum. Certains quartiers accueillent des Indiens venus d’ailleurs, leur famille restée au village. Ces travailleurs de force envoient régulièrement de l’argent chez eux. Pour le recyclage des plastiques, ils peuvent gagner entre 200 et 700 ₹ (de 2,40 à 8,50 €) par jour. Ils vivent là où ils travaillent, dorment à même le sol, partagent les quelques mètres-carrés à plusieurs. Ils respirent des particules très nocives, travaillent pieds nus, sans gants ni lunettes de protection, pas de casques pour atténuer le bruit assourdissant des machines. Ils sont la main d’œuvre de masse, ils sont les nettoyeurs de la ville, écumant des kilomètres de rues pour vider les poubelles, récupérer les déchets des entreprises, des hôtels, des restaurants. Tous les jours de leur vie. Mais ils travaillent et ont un salaire. La « sous-classe » est celle qui vit dans la rue, sans toit, sans hygiène, sans sécurité, sans éducation. Ils sont sales, hirsutes, à moitié nus.
Dans le slum, l’activité économique rapporterait près d’un million de dollars de chiffre d’affaire. La réussite scolaire est plus élevée que dans certaines zones rurales ; l’école est gratuite et même si la qualité de l’enseignement n’est pas à la hauteur, les enfants s’y accrochent, 15% des jeunes atteint un niveau d’études supérieures. Javed a raté son entrée à l’université. Son niveau d’anglais n’était pas suffisant. Il ne lâche rien, il s’améliore et se représentera quand il sera prêt. Il est musulman et se mariera dans six mois.
Avec Javed dans le bureau de l’agence
Il faut avouer que nous sommes ressortis du bidonville un peu chamboulés et avec un tas de questions sur la vie. Avec nos 4 compères avec qui nous avons partagé nos émotions (2 Portugais, 1 Américain et 1 Britannique), nous avons pris le train pour des destinations différentes. L’ »Anglais » a continué avec nous et nous sommes allés à Mahalaxmi Dhobi Ghat, une autre sorte de bidonville, pas plus propre mais où l’on rend le linge propre. Une blanchisserie à ciel ouvert faite de ruelles étroites, de lavoirs, d’essoreuses et de machines à laver géantes. La chaleur, le bruit et les odeurs de détergent retiennent notre attention. Ici, tout comme dans le slum, on travaille et on y vit. Les cases sont à moins d’un mètre des bassins. L’eau coule à flots et ça sent la lessive. Plongés dans les lavoirs jusqu’aux genoux, des dhobi wallahs (blanchisseurs) mettent à tremper, lavent, savonnent, battent et essorent jeans, vêtements, nappes, serviettes qu’ils étendront sur les toits de tôles ondulées au soleil et sous les gratte-ciel en construction. Pas de pinces à linges, deux cordes sont entremêlées pour retenir le linge. Des ballots arrivent le matin et repartent le soir, propres. La ville y envoie tout son linge : hôtels, restaurants, entreprises, particuliers. Pas d’erreur, pas de perte, tout est organisé dans ce qui paraît être inorganisé. Remarquable !
Mahalaxmi Dhobi Ghat ; la blanchisserie de Mumbai. Un dédale de ruelles aux plus de 1000 lavoirs.Des familles vivent sur le site
Diwali : Dans la ville, les lumières sont installées partout. Aux devantures des magasins, aux fenêtres, dans les rues. Les jeunes (et les moins jeunes, tous redeviennent enfants) se préparent à faire exploser les pétards dans la plus grande excitation que l’on entendra jusque tard dans la nuit.
Lampions et décorationsLumièresFleurs et lampions
Ce soir-là, aller à pied au restaurant a été un moment de tous les dangers, les enfants se faisant un malin plaisir à nous envoyer des pétards allumés dans nos pattes. Quel gymkhana pédestre! Mais nous en sommes ressortis saufs !
Embarcadère à l’arrière de la Gateway of India
Au programme de cette journée, prendre le bateau au départ de la Gateway of India pour l’île d’Elephanta à environ 11 km de la côte, visiter les grottes excavées au début de l’ère chrétienne, revenir à Colaba (quartier sud de Mumbai) pour un déjeuner chez Leopold et enfin, prendre un café-gâteau au Taj Mahal Palace Hotel. Ce jour-là est férié. La foule est au rendez-vous, nous ne serons pas seuls dans les grottes. A notre avantage, nous embarquons à 10 heures, sans attente et sans trop de monde encore.
L’île d’Elephanta et sa mangrove en voie de disparition. Trois villages d’une population d’environ 1600 âmes qui vit de la pêche et du tourisme.
Une heure plus tard, nous débarquons à Elephanta jetty. Nous ne prendrons pas le petit train pour parcourir le kilomètre qui nous mène au pied de la colline de 170 mètres d’altitude. Il ne fait pas encore trop chaud. Le long du sentier, les échoppes de souvenirs, du vrai-faux de tout, bijoux, soies, pashmina, objets en marbre, … et des vendeurs de fruits coupés, de jus de cane rafraîchissant. Quelques restaurants végétariens. Mais il faut monter et les marches de pierre, hautes et inégales ralentissent notre allure. Enfin, nous sommes sur le site classé patrimoine mondial de l’Unesco.
La grotte principale avec ses nombreuses sculptures taillées dans la rocheShiva à 3 têtes. A gauche, le guerrier. A droite, sous sa forme féminine
Un petit ensemble de caves, soutenues par des piliers, dont la roche est sculptée de figures de Shiva et de déesses hindous. Le site est impressionnant. Des singes et des chiens nous tiennent compagnie et nous amusent, à l’instar de ce singe qui suce un cornet de glace qu’un homme lui a offert, un autre qui boit un soda à la bouteille ou un troisième qui prend des snacks dans la main d’une femme.
Petite famille aimante !
Alors que nous redescendons de la colline, un afflux de visiteurs débarque des bateaux qui se succèdent. Il est temps de rentrer et nous en sommes bien heureux. Les rues sont animées. Nous peinons à trouver le restaurant Leopold, recommandé par Prash.
C’est ici une institution qui a son histoire, tout comme le Taj Mahal Palace. En 2008, ces deux établissements, entre autres, furent la cible d’attentats qui firent plusieurs victimes dont deux Français au Taj. L’endroit est bondé mais nous trouvons une table de libre. On se croirait, dans un contexte différent, chez Chartier à Paris ! Nous avons faim, nous avons chaud et nous sommes fatigués. Cette halte est la bienvenue. Juste après, nous irons au Taj visiter cet endroit mythique. Les restaurants affichent complet, nous nous contenterons du café dans le lobby principal où nous dégusterons nos gâteaux. Une femme âgée en niqab, sans doute du Golfe, porte devant sa bouche une pièce en or qui la lui couvre. C’est étonnant ! Manifestement, ce groupe de personne est aisé ; bijoux, smartphones, lunettes de stars et aisance corporelle.
Lobby principal du Taj Mahal Palace Hotel situé dans la tourParvati, épouse de Shiva, en majestéLa récompense !
Diwali, J+1 : C’est le jour de notre retour à Chennai. Nous avons une bonne partie de la journée de disponible. Nos amis nous ont recommandé la visite du musée national du cinéma indien.
Le musée est composé de deux parties. Un bâtiment rose, ancien qui retrace les débuts du cinéma indien. Une tour de verre de 5 étages qui retrace le cinéma contemporain.
Bien nous en a pris, nous avons beaucoup aimé cette visite. Exclusivement orienté sur le cinéma indien dans son histoire depuis le muet jusqu’à nos jours, ce musée nous a permis de découvrir des stars, des réalisateurs phare qui ont marqué la culture indienne. Satyajit Ray est un réalisateur, un dialoguiste, un essayiste, un auteur, etc … Son film, Pather Panchali (1955) gagne 11 prix au festival de Cannes en 1956.
Satyajit RAY (1921-1992)
Il est temps de déjeuner. Non loin, le restaurant italien a bonne réputation. Notre choix n’est pas le bon et nous sommes déçus. Nous rentrerons à l’appartement pour nous rafraîchir, nous changer et être prêts pour notre départ dans l’après-midi. Le chauffeur de nos amis nous conduira à l’aéroport et nous arriverons à Chennai vers 21h30 où Bala nous attendra.
Devant la garePrash chez lui à la nuit tombéeA Elephanta island
Cela fait six semaines que nous sommes rentrés de vacances. Une très longue intermission dans la vie du blog. Je dois m’y remettre d’autant plus qu’il va y avoir de la « matière », si j’ose dire, dans les semaines à venir. Il faut que je reprenne le rythme quotidien de l’écriture. Je fais donc un saut de quatre mois et recommence ma narration par la semaine à Delhi que nous avons passée du 22 au 29 septembre dernier. Après Chennai, Delhi est la ville indienne que je connais le mieux. Peut-être mieux encore. J’aime Delhi. J’aime marcher dans cette ville. Se déplacer en métro est facile et très pratique. Il vous emmène partout. La station Lok Kalyan Marg, sur la ligne jaune, la plus proche de notre hôtel – toujours The Claridges à New Delhi et très proche de l’Institut français où Éric travaille – est à cinq minutes à pieds. La longue et large avenue bordée de belles demeures et d’ambassades. La végétation exotique et luxuriante me soustrait du soleil. Encore une fois, après notre 4ème séjour dans la ville, je l’ai arpentée en passant sans arrêt d’Old à New Dehli par le sas qui fait la jonction, la grande Connaught Place. Ma curiosité n’a pas été totalement satisfaite. Il faudra donc un 5ème séjour que j’espère nous ferons avant de quitter l’Inde.
Notre 3ème chambre en une semaine. La première fuyait du plafond juste au-dessus de la place de lit d’Éric, la seconde était d’une catégorie inférieure. Nous avons fini par être surclassés.
La pluie nous a surpris dès notre arrivée et des trombes d’eau se déversaient sur l’aéroport. Elle ne se s’est arrêtée que le surlendemain. Menacé par le temps, j’ai dû interrompre mes visites du vendredi dans Old Delhi et le samedi, avec Éric qui entamait son week-end, nous avons fini par nous retrancher à l’abri. Cependant, allant d’un lieu à un autre, nous avons pu déambuler à Palika bazaar sur Connaught Place et dans ses environs, nous nous sommes rendus à Jantar Mantar, l’Observatoire astronomique, l’un des cinq en Inde commandés par le Maharaja de Jaipur (celui de Jaipur étant classé au Patrimoine mondial de l’Unesco), nous avons découvert le Agrasen ki baoli (puits à degrés de 60 mètres de long et 15 de large) de l’époque du Mahabharat, reconstruit au XIVème siècle. Nous nous sommes arrêtés chez Wengers, célèbre pour ses patties, de délicieux petits friands fourrés à la viande ou végétariens, merveilleusement épicés. Nous les avons mangés chauds, assis sur un banc de la place. La pluie s’était arrêtée laissant un ciel de traîne qui a viré au bleu le temps d’un claquement de doigts. Tout allait pour le mieux. Puis, retour dans le passé. La tombe de Safdarjung – premier ministre de l’Empire Moghol en 1748 – considérée comme le triomphe de l’architecture tardive moghole, nous a émus. Le mausolée de grès rose et marbre blanc repose élégamment sur un parc dégageant quiétude et douceur. Il n’est d’ailleurs pas sans laisser penser au Taj Mahal.
Jantar Mantar proche de Connaught Place
Nous avons terminé ces jours joyeusement autour d’une table d’un restaurant japonais avec d’agréables collègues d’Éric ; Marilyne de Delhi, Prash de Mumbai chez qui nous irons dans deux semaines pour Diwali et Éva de Trivandrum, capitale du Kerala.
Au premier plan, le très looké Prash de Mumbai et derrière lui, Laurent, professeur FLE au Lycée français.Agrasen Ki Baoli
J’avais pour objectif de voir le maximum de choses pendant ce séjour. Je dis choses car il s’agit non seulement d’édifices qui me font « entrer » dans l’Histoire de ce pays, mais aussi observer les gens, toujours affairés, toujours en train de manger devant les stands de rues – ce qui me fascine – toujours pressés les uns contre les autres dans le métro, dans les magasins, partout. De me rassasier de certains sourires échangés. De m’amuser, comme cela m’arrive à chaque fois, d’être abordé par des Indiens qui me demandent en hindi un renseignement. Ils s’étonnent de ma réponse en anglais ; ils doivent alors en conclure que je suis originaire d’un autre état indien. De contempler la vie trépidante et chaotique de certains quartiers face à la paresse d’autres. De côtoyer le luxe et l’extrême pauvreté. De passer de l’émerveillement de tant de richesse, de beauté, de charme et de raffinement à l’écœurement de tant de misère, de laideur, de saleté et de grossièreté. De découvrir des endroits où je ne suis encore jamais allé et d’arpenter cette ville tentaculaire et réussir à faire le lien entre les lieux, dessinant ainsi petit-à-petit, dans mon cerveau, la géographie de cette ville.
SafdarjungMausolée
Pour cette semaine, j’avais projeté d’aller dans le parc Mahatmat Gandhi derrière l’hôtel de ville d’Old Delhi ainsi que sur les traces de l’époque coloniale du Raj britannique à travers ses bâtiments.
Hélas, par négligence, je ne m’étais pas enregistré en ligne pour pouvoir bénéficier de la visite du Parlement, du Secrétariat central et du Palais présidentiel. Kingsway, l’« Allée du Roi » baptisée en l’honneur du roi Georges V, Empereur des Indes – n’est plus qu’un souvenir que l’on veut effacer. Rebaptisée Rajpath (de même signification) à l’Indépendance en 1947, cette artère de 2 km relie India Gate, l’arc de triomple, au Rashtrapati Bhavan, le Palais présidentiel (autrefois le palais du Vice-roi) situé sur la colline Raisina. La nouvelle capitale contemporaine a été construite, ainsi que tous les édifices qui la longent, par l’architecte Sir Edwin Lutyens avant la visite du monarque à Delhi en 1911. Il y proclama le transfert de capitale de Calcutta à New Delhi. Le 8 septembre dernier, le Premier ministre Narendra Modi a officiellement baptisé cette voie emblématique, Kartavya Path. C’est le lieu de la parade militaire du Jour de la République les 26 janvier et des processions funéraires des dirigeants et autres leaders politiques. Le Raj britannique qui a existé de 1858 à 1947, n’est plus.
Kartavya Path. Au premier plan, India Gate. Au loin, le palais présidentiel flanqué des 2 bâtiments du Secrétariat central. Le Parlement est l’édifice circulaire, au fond.
Le parc Gandhi est une déception. Une pauvre colonne domine un parc à l’abandon, pas entretenu et sale. Quelques hommes marchent dans les allées défoncées, s’assoient sur une herbe que l’on appelait autrefois pelouse ou font la sieste sur des bancs en pierre cassés. Quant à l’hôtel de ville, bâtiment colonial ocre, il tombe en ruine et est envahi de pigeons que les passants nourrissent de graines jetées à travers les grilles de l’enceinte cadenassée.
Mahatmat Gandhi ParkHôtel de ville d’Old Delhi et ses pigeonsBelle démarche chaloupée sur Chandni Chowk Road
Vendeur de buttermilk, babeurre, aux vermicellesChandni Chowk Road avant la pluie
Autre ambiance. Purana Qila ou Old Fort est l’un des plus vieux d’Inde, il date du XVIème siècle. Il a été commandité par le second empereur moghol, Humayun (dont le mausolée n’est pas très loin). C’est un très bel exemple d’architecture pré-moghol.
Purana Qila – Old FortPorte ouestMosquéeEntretien du parc. Ci-dessous, musée des restitutions. Des œuvres d’art pillées et retrouvées aux quatre coins du monde, passant d’abord par des circuits mafieux et se retrouvant ensuite, blanchies, sur les marchés de l’art tel Sotheby’s.ShivaStatue jaïneBouddha tibétainMiniature sur ivoire XIXè. s.Ivoire. Shiva à 5 têtes et ParvathiBrahma et son épouse Brahmani
Un peu plus au sud, Nizam-ud-Din est un quartier musulman très populaire. Au fil du temps, les habitations ont empiété sur les lieux de culte et du coup, on marche pieds nus dans la rue. C’est étrange ! Aux abords des édifices religieux, il faut être coiffé d’un kufi, la calotte que l’on porte dans les lieux saints. Beaucoup de femmes avec enfant sur les bras mendient. Elles sont tenaces, elles ne lâchent rien. Tant et si bien que j’ai fini par être conduit par l’une d’elles chez un épicier et lui ai acheté 2 kilos de riz et une bouteille d’huile. Au moment de quitter l’échoppe, deux autres femmes étaient dans mon dos et me réclamaient la même chose. J’ai pris la fuite, affolé par tant de misère.
Le cœur de Nizam-ud-Din. Lieu de prières et de dévotions. On fait des offrandes et des dons. Beaucoup de pèlerins, de fumée d’encens, de musique soufie et de bénédictions. J’y ai déposé mon plateau de pétales de roses, de bâtons d’encens et de sucrerie comme tout le monde.Le kufi n’est peut-être pas assez enfoncé sur ma tête.
Il me restait du temps en raison des visites que je n’avais pas pu effectuer. Guide en main, je savais ce que je voulais faire. Me rendre à l’association caritative Salaam Baalak Trust (en référence au film de Mira Nair de 1988, Salaam Bombay !). On y propose des promenades de 2 heures au cours desquelles un ancien enfant des rues nous fait découvrir la vie, le monde de ces enfants sans-abris, certains (des chanceux ?), protégés par ces associations qui travaillent avec la police et les services sociaux à l’enfance.
PaharganjBazaar Road
Dans le quartier de Paharganj, au nord de Connaught Place et non loin de New Delhi Train Station à Old Delhi, il m’a fallu du temps pour trouver cet endroit, niché dans un dédale de ruelles dont les noms se terminent tous par wali. Mais j’y suis arrivé. Immeuble sans enseigne, petit bureau dont l’aménagement spartiate est vite oublié grâce à l’accueil chaleureux d’une jeune femme investie dans sa mission. Rendez-vous est pris le lendemain à 10 heures. Il y aura un couple d’Allemands. Cigarettes à la bouche, tatouages aux mollets, en voyage de noces (sic), nous étions tous les trois à suivre notre guide Devraj. Il a 22 ans, prend des cours de théâtre, parle un anglais moyennement compréhensible mais rend la promenade vivante et intéressante. Il nous offre un chai que l’on boit dans la rue. Très vite nous entrons dans le sujet par son expérience personnelle. Népalais d’origine, orphelin très jeune, en charge d’un plus jeune frère, une sœur mariée très tôt vivant près de Mumbai. Mais son beau-frère ne peut plus les nourrir, son frère et lui. A 12 ans, il trouve un emploi de garçon à tout faire dans une maison indienne. A 14 ans, il part pour Delhi et survit dans les rues. Il n’a que peu d’éducation, a appris l’anglais au cours des visites qu’il conduit. Il a un objectif dans la vie, être acteur, un rêve (il y croit), une illusion (il n’y pense même pas).
Photo de famille avec la sœur de Devraj, son fils à sa droite. Lui en tee-shirt jaune, sa main posée sur l’épaule de son frère. Ils ont l’air heureux !
Nous allons autour de la gare, entrons au poste de police où, au premier étage, les services sociaux sont installés. Un petit groupe d’enfants « posés » sur un vieux tapis râpé, pieds nus. Ils ont l’air poussiéreux. Une femme en sari, assise sur une chaise en plastique, trace des modèles de lettres et de chiffres sur les cahiers de ceux qui sont en âge d’écrire. L’un dort profondément au milieu de tout ce bruit. On le laisse tranquille. Un tout petit, un an peut-être, regarde ce qui se passe autour de lui. Une fillette, assez grande pour son jeune âge, nous fait de beaux sourires tout comme un garçonnet à l’air éveillé, malicieux et rigolo. On nous donne des sachets de bonbons à distribuer aux enfants. Moi, ne sachant quoi en faire, je donne mon paquet à l’un d’entre eux qui le prend avidement. Je n’avais pas compris qu’il fallait les donner un par un. Je dépose quand même un bonbon dans la main ouverte du garçon endormi. Personne ne le lui prendra. Il y a du respect entre eux. Pas de bousculade, pas de chamaillerie, pas de parole blessante. Ils sont là tous ensemble. A tour de rôle, ils se lèvent dès qu’une ligne d’écriture est terminée et en redemandent une autre. La femme écrit un modèle à reproduire pour ceux qui savent tenir le crayon. Pour les autres, les plus petits, elle trace en pointillés sur toute la ligne, le modèle à reproduire. Puis ils jouent à un jeu de plateau. Pas de tricherie, chacun attend son tour. Respect.
Quel avenir a-t-il ce petit bonhomme ? Mérite-t-il cela ?
Photo floue, je ne me sens pas à l’aise.
A la fin de la visite, Devraj nous conduit dans le local de l’association. Je retrouve la jeune femme qui m’avait accueilli la veille. Nous croisons un autre groupe de touristes. Topo sur les financements, les actions, les réussites en terme d’éducation, ceux qui étudient à l’université, ceux qui obtiennent une bourse et partent à l’étranger pour études, ceux qui restent en contact toute leur vie alors qu’ils sont mariés, travaillent et sont inclus dans la société. Même à plus de 40 ans, ils ne coupent pas le cordon. Michele Obama est prise en photo à Delhi avec des membres du trust. On est fiers de cette photo. Sur une mappemonde épinglée sur le mur, des fils de laine rouge partent d’Inde et sont tendus vers les pays donateurs où il y a une représentation de l’association. La France en fait partie.
Dans le bureau de l’association à la fin du circuit
J’achète un sac en tissu noir. Tout cela m’aura coûté 1200₹ (≈14€). Devraj part raccompagner les Allemands, je reste. Je n’ai pas eu le réflexe de lui laisser un pourboire. Mais je lui ai demandé son numéro de téléphone. Il s’est empressé de me le donner, comme l’espoir de quelque chose. Plus tard, Éric m’a reproché d’avoir manqué d’esprit. Il avait raison et je m’en suis voulu.
De retour à Chennai, j’ai contacté Devraj pour prendre de ses nouvelles et m’excuser. « Y a-t- il un moyen de te faire parvenir de l’argent ? » Le lendemain, il m’envoyait un message me disant qu’il ne pouvait pas payer sa classe de théâtre. Nous lui avons transféré une centaine d’euros via Googlepay, facile et pratique. Maintenant, il me dit manquer d’argent pour se rendre à Surat (dans le Gujarat) avec son frère où vit maintenant leur sœur pour Diwali. La fête des Lumières. Que faire, nom d’un chien ?
Me voilà prêt à partir. Je souris mais au fond de moi, il y a un peu d’anxiété.
Un besoin prémédité. Il a toujours été dans mes projets de vie en Inde de fréquenter un ashram, de vivre une mini-retraite coupé du monde extérieur pendant quelques jours et voir comment je réagirais. Cela me semblait indispensable tout comme le sont le yoga, la méditation, les principes ayurvédiques et la recherche du bien-être. Tout cela sans savoir comment cela fonctionnait, quelle en était la routine quotidienne et ce qui était attendu que l’on y fasse. J’avais envie d’aller vers l’inconnu et sortir de ma zone de confort. Cela n’avait pas pu se faire jusqu’à aujourd’hui, tous les ashrams avaient fermé leur portail à cause de la situation sanitaire.
Thiruvanamalai est une petite ville d’environ 150 000 habitants située à 4h30 de route au sud-ouest de Chennai. Elle est dominée par le mont sacré Arunachala qui culmine à 800 mètres d’altitude. C’est l’une des cinq villes où Shiva serait apparu et donc un des lieux les plus vénérés du Tamil Nadu. Les nuits de la pleine lune, des milliers de pèlerins parcourent pieds nus les 14 km autour du mont. Le temple Arunachaleshwar, l’un des plus vastes du pays, s’étend sur 10 ha. Les parties les plus anciennes datent du IXème siècle et I’un de ses gopuras (porte d’entrée), haut de 66 mètres, date du XVIIème siècle. Tout cela fait que cette ville est chargée de grande spiritualité et, à ce titre, compte plusieurs ashrams célèbres.
Le temple Arunachaleshwar et la ville de Thiruvanamalai des hauteurs du mont Arunachala
Sri Ramanasramam est l’ashram où j’ai posé mon sac à dos pendant six jours. Pourquoi celui-ci, me demanderez-vous peut-être ? Et bien parce qu’il a une réputation bien établie et parce que, après avoir attentivement détaillé le site web, la question de toute la vie de son gourou (le maître spirituel) Bhagavan Sri Ramana Maharshi, “Nan yar ?” (Qui suis-je ?) m’a intrigué et a eu une résonnance qu’il me fallait en comprendre le sens ou, en tout cas, essayer d’en comprendre ses motivations.
L’ashram est situé à environ un kilomètre du grand temple, au pied du Mont Arunachala au nord. Sa construction date du début du XXème siècle. Sri Bhagavan y vécut de 1922 jusqu’à sa mort en 1950. Il y atteignit le nirvana en 1947 à 20h45. Sa parole et son enseignement en ont fait l’un des premiers gourous à avoir eu une portée internationale.
Sri Bhagavan à 21 ans dans la grotteSri Bhagavan sur sa peau de léopard qui ne le quittait jamais
C’est un très grand et beau domaine verdoyant, à la végétation luxuriante et parsemé de fleurs odorantes. Au centre de la cour d’entrée se dresse un magnifique madhuca longifolia (Butter tree ou Iluppai tree) au large tronc noueux, vieux de 400 ans et considéré comme un arbre sacré.
Brahmanes (caste) en dhoti
De nombreux paons font entendre leur voix disgracieuse pendant les pujas (les rituels qui appellent à la descente d’une divinité – ici, Shiva) et font la roue pour séduire les femelles, des singes courent et sautent en attendant des bananes et les nombreux petits jouent comme des enfants, quatre chiens dociles viennent à notre rencontre quand ils ne dorment pas. Ils frétillent de la queue dès qu’apparaît Bianca, une Allemande installée dans la ville depuis 13 ans, qui a pour tâche de les nourrir et enfin, plus en retrait, des vaches sacrées dont on boit le lait tous les jours.
Juste sous mes fenêtresEn attendant les bananes
Le domaine est extrêmement bien entretenu par un grand nombre de personnels de nettoyage et des agents de la sécurité le sillonnent discrètement sans relâche.
Il est composé de plusieurs bâtiments : le New Hall avec le Sanctuaire dédié à Sri Bhagavan et à sa mère, le temple de Shiva, les vastes cuisines et les réfectoires, une librairie, une bibliothèque, les bâtiments privés des brahmanes ainsi que de l’administration (bureau des hébergements, du Président, la comptabilité). Une école, “pâthashala” accueille de très jeunes enfants brahmanes (la caste) qui sont destinés à être brahmanes (des prêtres). Ils y apprennent les vedas (textes sacrés) et participent aux rites religieux plusieurs fois par jour. L’ashram est ouvert aux visiteurs, fidèles et touristes, attirés par les chants, les mantras (incantations), la méditation, les vedas et les pujas. Une quarantaine de chambres permet d’y séjourner quelques temps. Les résidents ont droit à trois repas par jour à heures fixes (7h00, 11h30, 19h30) et un thé à 16 heures. J’avais fait une demande en ligne deux mois avant mon départ et je m’y suis posé du 29 mai au 4 juin. On y reste gratuitement mais les dons sont acceptés.
Le New Hall de mon point d’observation. Il comprend, de ce côté-ci, le temple de Shiva. Au centre, le Hall et le Sanctuaire et à l’opposé, la petite salle de lecture
Ma quête. La recherche de soi, le fait de vouloir vraiment savoir qui l’on est, est-ce un vœu pieux ? Au-delà des religions, la spiritualité ne peut-elle pas nous aider à trouver notre chemin ? Doit-on se contenter de n’être qu’une enveloppe plus ou moins gracieuse sans jamais se soucier de connaître son Soi, vrai et intègre ? Faut-il éviter de se poser la question “Qui suis-je ?” et ainsi ne pas tenter d’atteindre la “réalisation du Soi” ? Cette théorie, à travers son vécu, est expliquée par Bhagavan Sri Ramana Maharshi dans ses écrits et à l’occasion d’entretiens enregistrés. Et c’est ce qui m’a poussé à entrer dans cet ashram. Mais pour y faire quoi ? La routine quotidienne allait-elle me transformer ? Le fait d’assister aux pujas, d’entendre les vedas allaient-ils m’accrocher et m’approcher de “la doctrine” ? Et si je n’avais pas l’intention d’entrouvrir une autre porte, qu’étais-je venu y faire ? A force de me chercher, allais-je me trouver ou risquais-je de me perdre ? Allais-je découvrir un autre moi, mon vrai moi ? Attendais-je d’avoir une “révélation” ? Toutes ces questions prouvent que je n’étais précisément en quête de rien et mon questionnement tournait en boucle dans ma tête. Devrais-je m’avouer que vouloir vivre cette expérience n’avait d’autre but que d’écrire un nouvel article dans le blog, pour épater la galerie, pour le fun ou pour émoustiller mon ego ? Ou pour me persuader que j’avais vécu quelque chose d’extraordinaire ? J’étais dans la confusion la plus totale en arrivant ce dimanche 29 mai à midi. Et jusqu’au lendemain, je me suis demandé ce que j’étais venu faire et comment j’allais pouvoir y rester une semaine !
Sadhou couleur safranLe sadhou en blanc et le « bonze »
Puis soudainement, tout cela n’avait plus d’importance, ces idées, ces questions ont quitté mon esprit afin de me laisser vivre le moment présent. Après mon enregistrement au bureau des hébergements, on m’a désigné d’un doigt les cuisines et là, j’ai vécu mon premier choc. Dans la grande salle du réfectoire silencieuse, des tables étroites couraient le long des quatre murs. Par terre, dix rangées de dix feuilles de bananiers pliées en deux attestaient que le service du déjeuner était terminé. Des reliquats de nourriture salissaient le sol. On m’attribua une place. Le lieu était presque désert à cette heure-là. Je me suis assis en tailleur et attendu que l’on me serve. Auparavant, j’aspergeais ma feuille pour la dépoussiérer et je bus une gorgée d’eau sans toucher de mes lèvres le gobelet, comme cela se fait en Inde. Je mangeai un dalh très liquide aux légumes sur un riz blanc, un accompagnement de légumes plus compact, plus sec, un peu de chutney et, en fin de repas, un verre de curd coupé à l’eau et parfumé aux feuilles de carry. Ceci constituerait mes repas de tous les jours.
Accès restreint sauf pour se rendre à la bibliothèque en haut des marches. A gauche, les cuisines. A droite, des habitations. Au fond, le mont Arunachala.
Ma chambre. J’ai du mal à me repérer et à trouver mon cottage. Je croise un homme qui est en communion … avec un arbre qu’il enlace tendrement, les yeux fermés, une posture que je trouve saugrenue. Il sent probablement ma présence, ouvre les yeux et me demande aimablement ce que je cherche. Il ne semble pas gêné par cette interruption mais je me sens gêné de mon intrusion involontaire dans son espace personnel. Il m’indique la direction à prendre et je finis par trouver mon cottage. L’ensemble est vieillot. La chambre est propre mais le dessus de lit est troué et les murs auraient besoin d’une bonne couche de peinture. Les trois petites fenêtres sont équipées d’une moustiquaire et un ventilateur au plafond évitera, je l’espérais, d’être piqué par les moustiques qui arriveraient à se faufiler entre les mailles. J’ai pour moi tout seul un cottage. Il est constitué d’une loggia, d’une chambre semblable à une cellule monacale et une salle d’eau attenante. Pas de douche mais un grand seau et un baquet. Mon lit est étroit et je dors sur une paillasse dure. Les nuits seront difficiles mais je n’en sentirais jamais la fatigue. Sur le mur opposé à mon lit, il y a deux photographies en noir et blanc du gourou. Pas très sexy ! Un tabouret, une chaise et un bureau constituent tout le mobilier. C’est très austère. Je m’y installe ne sachant quoi faire après …
La routine. “Jouer le jeu”, mon mantra. Je m’étais imposé deux contraintes : garder le silence et ne pas sortir de l’ashram. Je n’ai suivi ni l’un ni l’autre. Par contre, j’ai scrupuleusement suivi la routine quotidienne, emploi du temps dans ma besace.
« La pensée « Qui suis-je? » détruira toutes les autres pensées, et, semblable au bâton qu’on utilise pour remuer le bûcher, elle sera, elle aussi, finalement détruite. C’est alors que surviendra la réalisation du Soi. » in Les enseignements de Sri Ramana Maharshi
Premiers achats à la librairie. Le fascicule en français de “Nan yar ?”, “Qui suis-je ?” et la besace de l’ashram, très pratique. J’y rangeais mon passeport, mon visa et mon argent. J’y glissais ma couverture pour poser mon derrière pendant les longues heures des pujas. J’y rangeais ma bouteille d’eau, indispensable à cette saison, les clés de mon cottage, ma lotion anti-moustiques, mon smartphone pour les quelques photos « volées », et enfin, très important, j’avais sous la main mon carnet jaune dans lequel je notais mes observations et mes pensées à mes moments libres.
5h30, réveil dans une chaleur moite. J’ai très chaud malgré le ventilateur qui tourne à me décoiffer mes cheveux coupés ras. Cependant, je fais des exercices pour assouplir mes articulations. Ils s’avéreront efficaces pour mon dos et mes jambes – je vais passer presque toutes mes journées assis en tailleur par terre et après les premières 24 heures, j’ai bien cru que je n’en serais pas capable tant j’étais douloureux – puis je vais me doucher. Quel bonheur ! 6h30. Je suis prêt et je quitte mon cottage en direction du Hall dans lequel se trouve le sanctuaire. A 6h45, offrande de lait à Sri Bhagavan à laquelle j’assiste. 7h00, petit-déjeuner qui consistera toute la semaine en deux ou trois galettes de riz soufflé cuites à la vapeur (idli) servies avec une sauce épicée et un verre de thé massala. Manger au ras du sol avec mes doigts m’a fait craindre de me tacher, j’étais dans une position inconfortable. Je décidai alors de prendre mes prochains repas assis à table. J’observai autour de moi discrètement et au bout d’une semaine, j’appris à manger convenablement. Une victoire ! Silence dans la salle. L’acte de manger revêt un caractère religieux, sacré. Qui remercie-t-on ? Les vaches pour leur lait ? Les Dieux de nous permettre de nous nourrir ? Quant à moi, je remerciai ceux qui me servaient et les cuisiniers. 7h20, exit, je sors et me lave les mains au robinet. Et j’atteins mon poste d’observation à l’extérieur du Hall. Je m’assois sur les marches. Je vois les bâtiments administratifs à ma gauche, le vieil arbre centenaire dans la cour d’honneur et enfin, le portail qui ouvre sur la ville bruyante. J’aime me poster là, tout est calme à cette heure-ci. C’est mon moment favori. J’écris. Je me sens très vite calme et tranquille. Puis, de 8h00 à 10h00, c’est la deuxième puja (je n’assisterais pas à celle de 6h00). Le Hall se remplit calmement. Deux brahmanes officient. L’un deux est une véritable statue grecque, magnifique ! Les jeunes brahmanes déclament, scandent, se répondent. Certains ont l’air blasé, ennuyé, endormi. Les voix s’élèvent dans l’immense Hall (L’Unesco a proclamé la « tradition du chant védique » patrimoine culturel immatériel de l’humanité en 2003). Elles résonnent dans ce vaste espace et, entremêlées aux fumées d’encens diffusées autour du sanctuaire, ce moment se révèlera hors du temps où l’esprit s’abandonne. Je n’entends plus que les voix, je regarde de temps à autre les gestes des brahmanes, j’admire les attitudes des fidèles empruntés de dévotion. Le tintement d’une clochette retentit et appelle le dieu. Après avoir oint le lingam d’huile, d’une bonne hauteur, les brahmanes déversent des litres de lait d’une jatte en cuivre qui rejaillit sur ce qui ressemble à un sexe érigé, puis ils le lavent à l’eau sacrée. Le lingam est le symbole de Shiva. Les incantations ne se sont pas arrêtées. Dans la salle, hommes à gauche, femmes à droite, tout ce monde s’en remet à Lui, médite, certains dans une posture élégante, immobile, les yeux fermés, les mains sur les genoux, paumes tournées vers le haut, le pouce et le majeur en contact, imprégnés de ce moment, en communion, en prière. Ils ont l’esprit serein, ils paraissent heureux. Je les envie presque. Durant les premiers jours, je ne peux qu’observer.
Rien ne venait perturber ce jeune homme lorsqu’en pleine méditation.
La méditation se refuse à moi, mon esprit n’est pas assez libéré bien qu’aucune pensée ne le trouble. Je ne peux pas fermer les yeux, je ne maîtrise pas mon corps qui ressent durement l’inconfort de la position assise. Je ne suis que trop là, lourd sur terre alors que j’imagine « les autres », le corps allégé, l’esprit s’élevant, sereins. Je sais maintenant que je veux atteindre la sérénité, ressentir la quiétude, être dégagé des contraintes de la vie ordinaire. La puja se termine par un chant a cappella, interprétée tantôt par un homme, tantôt par une femme, debout face au sanctuaire. La mélodie, les paroles sont presque un murmure à l’oreille de Shiva. C’est chanté avec tant de conviction et d’émotion que ces minutes me bouleversent et m’apaisent. Après quoi, les femmes se prosternent, touchant le sol de leur front, les hommes à plat ventre, bras au-dessus de la tête, mains jointes en une dernière salutation avant de marcher inlassablement autour du sanctuaire sans que je n’en comprenne le sens. Je reste assis et me remets de mes émotions. La dernière puja de la journée aura lieu à 17h00.
10h00-11h00, distribution de quarante kilos de nourriture aux pauvres. Des pauvres, des sadhous – ceux et celles qui ont renoncé à la société, se coupant de tout pour se consacrer à l’objectif de toute vie, se libérer de l’illusion. Les Shivaïtes sont vêtus de couleur safran, les Vishnouites de blanc ou de jaune, toutes ces couleurs symbolisant la sainteté –, des vieux et des vieilles, ceux qui n’ont rien dans la vie que les paquets de haillons qu’ils transportent, recevront peut-être leur seul repas du jour. Deux types de riz, du dalh, du chutney et une banane constituent le repas. La portion est généreuse. J’y assisterai ému tous les jours, appuyé sur la barrière de bambou, à regarder, non pas l’air curieux, mais les sens à fleur de peau pour le bien que l’on peut procurer à ceux qui sont dans le besoin. Le dernier jour, sans que je m’y attende, le président de l’ashram qui participe à cette distribution quotidienne viendra vers moi me tendant une coupelle avec un dessert fait maison que je déguste religieusement du bout du doigt. J’ai pris cette offrande comme la récompense d’avoir été si attentif, si humble, tout au long de la semaine et mon cœur n’a fait qu’un bond … de joie dans ma poitrine.
« Narayana seva », « Poor feeding », distribution de nourriture aux pauvres sous le vieil arbre
11h30, déjeuner. Au son de la clochette indiquant qu’il est l’heure, les portes s’ouvrent, et nous – les résidents – entrons en ordre calme dans le réfectoire. Sur les tables et par terre, les feuilles de bananiers et le gobelet d’eau. Je ne sais pas qui sera mon voisin, ma voisine. Nous dodelinons de la tête, sourire aux lèvres signifiant que la place est libre, les mains sur la poitrine en guise de salutation. Puis l’on attend. C’est un défilé d’hommes serveurs et de seaux en Inox. Les portions sont énormes mais j’ai décidé de me restreindre en nourriture, je n’accepterai pas que l’on me resserve. Une fois servi, j’ai du mal à toucher mon plat, les mets sont brûlants et je dois attendre. Les Indiens n’ont pas ce problème. L’habitude peut-être ? On ne se parle pas, les rares discussions sont à peine audibles. Dans la salle de thé que l’on traverse pour accéder au réfectoire, quelques personnes jeûnent. Elles ne mangent qu’une banane et boivent un gobelet de lait à chaque repas. Entre 11h50 et 11h55, le service est terminé. Tout le monde sort, se lave la main et la bouche au robinet extérieur, crache. Je fais de même. J’en profite pour remplir ma bouteille avec de l’eau purifiée et je me poste à mon point d’observation.
Il fait très chaud et je reste bien à l’ombre. Les chiens font la sieste ou s’assoient près de moi, attentifs, amicaux. L’ashram s’endort, le Hall et le sanctuaire sont fermés jusqu’à 14h00. J’écris quelques lignes avant que la fatigue ne me rattrape puis je me dirige vers mon cottage où je vais me reposer jusqu’à 15h30. Parfois, je me laisse aller jusqu’à m’endormir, ce qui ne m’arrive jamais parce que je ne me le suis jamais autorisé. Je me sens bien, mon corps et mon esprit sont au repos, calmes et tranquilles. Je me laisse sombrer, je lâche prise.
16h00, l’heure du thé. Avant de quitter ma chambre, j’ai pris une douche rafraîchissante. Je longe, pieds nus, l’allée de sable qui borde des chambres à ma droite, un jardin à ma gauche est composé d’impressionnants banians et d’un petit temple.
J’aperçois parfois un singe, un paon, mais tous les jours, un vieux chien couché trouve la fraîcheur dans un trou qu’il a creusé dans le sable. Lui aussi est serein, il lève à peine la tête à mon passage. Il arrive qu’une personne vienne chercher la quiétude dans une séance de méditation. Comme je les envie ! Je n’ai pas pu encore franchir la porte du hall de méditation, comme si je n’en étais pas digne, comme si les autres étaient supérieurs à moi dans ce domaine. Dans la plus petite salle de réfectoire, chacun a droit à un gobelet de thé ou de lait chaud. Cela fait du bien. Vijay est toujours là, assis non loin de moi. Nous ne nous parlons pas encore mais nous hochons de la tête avec un sourire timide. Nous attendrons d’être sortis pour faire plus ample connaissance, toutes réserves gardées. C’est un ingénieur de Mumbai. Il porte le dhoti blanc de la caste des brahmanes et à travers son tee-shirt blanc, j’aperçois le fin cordon de coton (yajnopavita) qui ceint son torse symbolisant le rattachement à la connaissance. Il est marié et a une fille de 17 ans mais il est venu seul. Il fait une retraite environ trois fois par an car il dit en avoir besoin. Je le comprendrai une fois rentré à Chennai.
16h30-17h00, lecture en anglais des écrits de ou sur Sri Bhagavan. Dès le lundi, j’ai écouté un récit qui m’a paru fastidieux, farfelu, inintéressant. En fait, je n’écoutais pas, je survolais, je ne faisais aucun effort et je portais un jugement de valeur immédiat et sans appel. J’avais décidé de ne plus assister à cette demi-heure de lecture inutile. Le lendemain, je me ravisai, me disant que j’étais ridicule, que je portais des jugements à l’emporte-pièce et je me suis déplu. J’ai donc fait l’effort de rester jusqu’à la fin de la lecture malgré la difficulté que j’avais à comprendre l’anglais au fort accent indien et ma mauvaise audition. Au fil des jours, j’ai persévéré comprenant que pour atteindre la « Réalisation du Soi », il fallait se détacher du monde qui était le nôtre, le quitter. Mais qui aurait envie de vivre 16 ans en ermite dans une grotte en haut d’une montagne ou vivre toute une vie assis en tailleur sur une peau de léopard ?
17h00-18h00, dernière puja de la journée à laquelle j’assiste encore, comprenant maintenant les différents temps de la cérémonie et toujours avec la même émotion. Puis de 18h00 à 19h00, à la suite de l’“office”, hommes et femmes se faisant face, interprètent le parayana, mantras qui sont, je traduis de l’anglais, comme « des flèches de lumière savamment conçuesqui agissent sur l’esprit du lecteur d’une manière mystérieuse et puissante et qui le transforment, accordant compréhension et sagesse à tous ceux qui les rencontrent ». J’y assistais pendant 30 minutes environ avant de me retrancher dans le hall de méditation pour m’y essayer. A cette heure-ci, l’ashram commence à se dépeupler de ses visiteurs et le calme, comme la nuit, tombe. Quelques irréductibles sont figés dans le Hall, presqu’endormis, semble-t-il. Il m’arrive d’échanger quelques mots avec un jeune couple originaire de Bangalore, un bonze thaï, un sadhu indien tout sourire ou un rasta estropié. Le bonze m’a dit que notre tâche quotidienne est de faire en sorte que les choses soient simples, puis de les simplifier encore avant de les rendre le plus simple possible. Ça paraît simple mais ça ne l’est pas, bien au contraire !
Après avoir dîné ce deuxième soir, dans les derniers moments de ma journée, lorsque la fatigue commence à se faire sentir, une pensée m’est venue. Je m’étais posé la question de ce que j’étais venu chercher ici. Je n’en ai toujours pas la moindre idée, mais j’ai pris conscience, tout-à-coup, de ce que j’avais laissé derrière moi à Chennai. Y sont restées toutes mes interrogations, mes préoccupations, mes pensées souvent toxiques, celles qui empêchent d’avancer, mes tracas du quotidien, l’intendance, la vacuité, le superficiel. J’ai trouvé ça énorme ! Je réalise que je peux maintenant me concentrer sur moi et sur ce que je fais ici.
1er juin, ascension du mont Arunachala jusqu’à la grotte dans laquelle Sri Bhagavan s’est isolé plusieurs années, 1,4 km de promenade agréable et d’exercice physique bienvenu à travers une belle forêt.
Il est 8h30 ce matin-là et il ne fait pas encore trop chaud. En suivant un sentier ombragé, j’ai d’abord atteint le lieu de méditation de la mère de Bhagavan, puis, plus haut, la grotte.
C’est une simple grotte aménagée d’un grand portrait, enfumée d’encens. Il y fait une chaleur torride. Aucune prise de photo n’est possible mais, dans un espace dégagé de végétation, on surplombe la ville et apparaît l’immense temple. C’est si impressionnant ! La vue est magnifique.
Des gens me demandent de les prendre en photo. J’en croise d’autres qui, pour la plupart, sont pieds nus. Très peu pour moi. J’ai descendu le versant opposé me dirigeant vers la ville. Au pied du mont, je traverse un bidonville et j’arrive par le gopura à l’est du temple.
Des golams sur les marches aux couleurs naturellesGopura à l’est du temple
Grande effervescence. Plusieurs cérémonies ont lieu : perçages des oreilles d’enfants au crâne rasé et enduit de curcuma, mariages … Vers 10h45, je prends un auto-rickshaw en direction de l’ashram et j’arrive juste à temps à la fin de la distribution de nourriture aux indigents, trempé de sueur.
En attendant la cérémonieJ’ai bien chaud !
Les premiers temps de ma phase d’observation, j’attribuais un personnage connu à la vingtaine d’Occidentaux et je m’en amusais, attitude puérile et mesquine, il va sans dire. Un grand jeune homme au physique avantageux, “baba-cool”, un Merlin l’Enchanteur à la longue barbe blanche et le crâne chauve, une Mary Poppins, une Carmen enveloppée dans de longues jupes et sur-jupes blanches à dentelle, une ombrelle blanche à la main, le regard porté sur tous, un Ulk en bermuda court et à la chemise ouverte sur une poitrine velue, presque indécent, une starlette apprêtée pour un défilé de mode portant merveilleusement bien le saree, et d’autres. Des hommes surtout, jeunes et moins jeunes, même vieux, vêtus d’un dhoti de couleur. Je m’en étonnais. Qui étaient-ils ? Qu’étaient-ils venus chercher ? Qu’avaient-ils trouvé ? Je les enviais un peu. Et j’enviais leur dhoti que je m’empresserais de me procurer !
J’offrirai ce dhoti à Éric à mon retour.
3 juin, jour de la naissance de l’étoile de Bhagavan. Célébration à l’ashram. Les dais colorés sont montés, la cuisine bat son plein car un repas, en plus de celui distribué quotidiennement, sera offert à tous les fidèles présents à ce moment-là. Des centaines de personnes arrivent et la routine s’en trouve modifiée ; un chant de femmes à la fin de la puja, le Hall ne fermera pas entre 12 et 14 heures. Des chaises en plastique par centaines, des marmites géantes, un alignement de serveurs cuisiniers prêts pour le service. C’est prasadam. Comme tout le monde, je prends la file. Il fait très chaud sous les dais. Assiette en carton recyclé, une louche de riz au gingembre et citron, une louche de riz au curcuma, une louche de riz aux noix de cajou, une petite louche de riz sucré aux raisins secs. Une petite louche d’une sauce épaisse aux pommes de terre et une croquette végétarienne. Le plat est brûlant sur ma main gauche, je me sens maladroit et je crains de le renverser. Je trouve une place et attaque mon assiette trop copieuse. Je dois tout manger, ne rien gaspiller. Tonnerre de Brest ! Plus tard, j’irais voir le comptable et ferais don de 6000 roupies (env. 73 €). J’estime que cette somme est la moindre des choses que je puisse offrir pour six jours d’hébergement, de nourriture et de bien-être.
Le 4 juin à 10 heures, je quitte à regret l’ashram. C’est presque un arrachement. Je vais affronter le monde bruyant, surpeuplé, pollué, miséreux. J’ai un sentiment de compassion. Je me dirige vers la station de bus. J’embarque à 10h40 dans un autobus « DeLuxe » sans air conditionné, toutes fenêtres ouvertes, les sièges sont inconfortables et la musique crache d’une enceinte de mauvaise qualité. Le trajet coûte 175 roupies (env. 2,15 €). Après 4 heures de route dans une ambiance surchauffée durant lesquelles le chauffeur n’a pas arrêté d’actionner son avertisseur sonore (Please horn, lit-on à l’arrière des véhicules !), j’arrive fourbu dans l’après-midi à Chennai. Bala sera là pour me récupérer et je retrouverai, heureux, Éric qui a organisé cette soirée de retour. Mon esprit est calme, je me sens serein, reposé, bien. Je raconte ma semaine ne sachant par où commencer ni quoi dire. Comment exprimer ce que j’ai vécu, ressenti ? Je dis juste que c’était extraordinaire, que je ne m’attendais pas à cela, que cette expérience était unique mais qu’il faut que j’y réfléchisse. Cependant, je n’arrête pas de parler, de raconter, de dire les choses, les sentiments qui me traversent, tout sort en un flux sans fin, je deviens intarissable. Je m’enflamme, j’exulte, je suis si enthousiaste ! Je suis heureux. Je le sais maintenant, c’est ce qui ressort de cette semaine, je suis heureux. Le lendemain, nous fêterons mon anniversaire.
Célébration en musique dans le temple Arunachaleshwar.
Chaîne de l’Himalaya, les pics enneigés du Kanchenjunga au loin – Inde
Tenzing Norgay, héros national népalais pour avoir atteint l’Everest (8849 m) le 29 mai 1953
Le Sikkim est un État du nord-est de l’Inde. Gangtok, à l’est, en est la capitale actuelle. En 1641, trois lamas tibétains se retrouvent à Yuksom, première capitale du royaume, pour couronner le 1erchogyal (roi) de la tribu bhutia. Darjeeling en faisait alors partie. En 1835, les Britanniques forcèrent le chogyal à céder Darjeeling à la Compagnie britannique des Indes orientales pour une rente annuelle de 3000 roupies qui n’a jamais été versée. En 1849, les Britanniques annexent toute la région jusqu’à la plaine du Gange. Et en 1886, ils repoussent l’offensive tibétaine qui échoue à récupérer son territoire. Au tournant du siècle, encouragés par les Britanniques, les Hindous du Népal s’y installent pour former la majorité de la population. En 1975, le chogyal ainsi que son épouse américaine sont déposés et le royaume devient officiellement le 22ème État de la République d’Inde.
Le Sikkim, comme un petit doigt qui s’enfonce mollement dans le Népal, le Bhoutan et le Tibet, entremêle ses origines avec ces trois voisins dont l’histoire est mouvementée, violente et qui possède un potentiel économique non négligeable (route de la soie entre l’Inde et le Tibet, tourisme de haute montagne, industrie du thé). Son sommet le plus haut en Inde est le Kanchenjunga (plusieurs graphies possibles) qui culmine à 8586 mètres ; nous l’avons brièvement aperçu un matin. De par sa situation dans l’Himalaya, le Sikkim bénéficie de plusieurs parcs naturels protégés, offre des paysages spectaculaires, lacs de montagnes, glaciers, prairies alpines couvertes de milliers de variétés de fleurs et une faune sauvage avec les espèces des hautes montagnes : le loup et la panthère des neiges, l’ours noir, des cervidés tels les gorals, les markhors, les sambars et des bovidés à l’instar du grand bharal. On accède aux monastères bouddhistes par des chemins escarpés à travers les forêts, perchés toujours plus haut.
Panda rouge, cousin très éloigné du panda commun.Évidemment, Sylvain TESSON crierait au scandale de voir une panthère des neiges enfermée dans un zoo !
Un autre visage de l’Inde. Celle des communautés tribales éloignées de l’hindouisme. Même si celui-ci reste la première religion de la région, il semble bel et bien escamoté par le bouddhisme attesté par la présence de nombreux monastères, par les traditions, les langues et la gastronomie, enfin, par les physionomies qui rappellent l’Empire du Milieu ; des yeux très bridés, des pommettes hautes et saillantes, de petits nez, une complexion claire. Un voyage hors de l’espace indien, dans une autre Inde que celle du sud et qui ressemble, à bien s’y tromper, à ses voisins qui l’entourent.
Yuksom, les constructions suivent la montagne et les façades donnent sur le vide ! C’est particulier et assez impressionnant.
Il existe plus de dix communautés tribales mais les principales et les plus représentatives sont les Népalais pour 51% de la population sikkimaise. Viennent ensuite les Bhutia et les Limbu (16%) et enfin, les Lepcha (13%). Ces communautés se mélangent. Les mariages mixtes sont possibles. Kiren, notre guide, un Rai [raï], est marié à une Limbu. Notre chauffeur était d’une autre minorité dont j’ai oublié le nom et tous deux communiquaient en népalais. Kiren nous a permis de visiter des maisons Lepcha et Limbu. Il s’adressait aux habitants comme s’il les connaissait, très naturellement, entrant chez eux comme chez lui. On nous y invitait, sourire aux lèvres, nous saluant tout en continuant ses activités alors que nous observions tout, smartphone à la main afin de photographier ce qui nous semblait extraordinaire.
Habitation LepchaPolitique du « zéro caca » dans la nature. Les autorités sanitaires débarquent chez les habitants et en 24 heures, installent des sanitaires, notent le nom des occupants, la date et le coût des travaux : 11759 roupies pour ce cabanonHabitation LimbuFemme LimbuRuches installées sur la façade de la maisonCuisine, cuisson traditionnelle au bois
Notre ami Bijoy a fait partie du voyage. Il vit en Assam (un des États du nord-est appartenant aux « Seven Sisters « . Notre séjour d’une semaine nous aura transportés 5 jours dans le Sikkim, aux pieds des hautes montagnes à près de 1800 mètres d’altitude puis 3 jours à Darjeeling, dans le Bengale-Occidental (capitale d’État : Kolkata/Calcutta), à plus de 2100 mètres, où les théiers à flancs de collines enchantent les paysages. La saison était à la taille de ces petits arbustes odorants. Les branchages laissés au sol le fertiliseront. Depuis le XIXème siècle, ce sont des travailleuses et travailleurs népalais qui arpentent les collines, serpettes en main, tels des caprins équilibristes sur des pentes raides.
On peut récolter jusqu’à 20 kilos de feuilles de thé par jour et porter cette charge par la têteFourrage pour les animauxSur la routeSherpa. J’adore les bottes en caoutchouc dorées que tous portent dans la région ! J’en aurais voulu !
Les théiers sont protégés du soleil par les arbres qui donnent du relief aux paysages, les rendant harmonieux. Ils s’étagent alentours en de jolis cercles plats. Nous avons pu admirer des plants vieux de la fin du XIXème siècle. De là à comparer avec nos vignobles, il n’y a qu’un pas. Ne nomme-t-on d’ailleurs pas ces plantations «domaines» ? Domaines Longview, Temi, Tukvar ou Mayukh.
En chemin. Ces plantations étaient partout autour de nous. Dès le XIXè. siècle, les Britanniques ont fait défricher des hectares de forêts au profit des théiers.
Santos et KirenDans les théiers
Nous avons visité le domaine Tukvar et il m’a semblé étonnant de voir qu’avec des machines mécaniques anciennes et des installations rudimentaires, voire vétustes, la réputation de ce thé n’est pas à prouver. Le thé de Darjeeling est largement exporté pour ce qui est de la catégorie supérieure dont l’appellation est « Super Fine Tippy Golden Flowery Orange Peako 1st fluch (1ère récolte) – SF TGF OP1». Les peu fortunés n’achèteront que des brisures de feuilles ou de la poudre, résidu récupéré lors du processus de tri, puis mis en sachets (merci Lipton).
Feuilles de thé, toutes confonduesMachine à sécher les feuillesSalle de triMachine à trierAprès séchage, les feuilles sont rouléesEmballé pour l’exportationSalle d’emballage1ère étape : déshumidification des feuilles A gauche, la taille des théiers est supervisée attentivement. A droite, gros plan sur un vieux plant taillé très court
Les prix à la vente dans les bonnes maisons de thé de Darjeeling, à l’instar de Mayukh, sont dignes de ceux de Mariage Frères. Mais l’on peut apprécier une dégustation et suivre la préparation du thé par de jeunes expertes dans les règles de l’art. Là encore, j’ai fait la relation avec nos caves viticoles. Ces jeunes femmes vous parlent du thé comme on nous parle du vin. Il existe 4 sortes de thé. Le thé Vert, les feuilles hautes du théier. Ces feuilles n’ont subi aucune oxydation. Le thé Blanc, celui pour lequel on ne cueille que les 4 jeunes pousses du théier, très faiblement oxydé (environ 12%), l’Oolong, thé intermédiaire dont l’oxydation peut atteindre 70%, il peut plaire à tout le monde. Enfin, le thé Noir dont l’oxydation est complète. Je n’aborde pas ici les thés parfumés ou fumés, il ne s’agit que des thés purs.
Thé du domaine MayukhBijoy l’Assamais !Nous avons goûté aux 4 catégories de thé (blanc, vert, Oolong, noir) et 2 thés parfumés
Cette destination, c’était exactement ce dont nous avions besoin. Quitter les fortes chaleurs du sud, la moiteur, le trop plein de travail. Nous avions besoin de repos, de découvrir un mode de voyage que nous ne pratiquons habituellement pas, nous qui aimons tant visiter les monuments, les musées, parcourir les villes, arpenter les rues, entrer chez les brocanteurs, les antiquaires, sans faire de véritables pauses et pour finalement rentrer de voyage épuisés de tant de déambulations fiévreuses de peur de manquer quelque chose d’important.
360° sur une petite hauteur à la sortie de Yuksom.
Les paysages de montagnes, la vie tranquille dans les villages, l’accueil absolument hallucinant des homestay (Bed&Breakfast), conviviaux, familiaux et chaleureux ainsi que la beauté de la nature aux couleurs variées ont eu raison de nous. Mon esprit s’est presque immédiatement apaisé et je me suis dit pour la première fois : « C’est de ça dont j’ai envie, j’en ai besoin ». Le séjour dans le Sikkim nous a envoûtés. Nous avons bénéficié d’un temps merveilleux, avons découvert une cuisine différente, préparée avec les cueillettes des potagers de nos hôtes, du curd, de la crème, du ghee faits « à la maison ». Nous avons tenu dans nos bras le bébé d’une de nos hôtesses occupée à son travail, «Vous faites partie de la famille», nous avait-elle lancé à notre arrivée.
A gauche, Orchid Villa à Richenpong. A droite, Ejam Residency à Yuksom. La tradition veut que nos hôtes passent une écharpe autour de notre cou au moment du départ.
La pâte est faite de farine, de sel de roche de l’Himalaya et d’eau. On farcit de petits cercles de pâte avec ce que l’on aime, hachis de viande, de poulet, oignons, épices, épinards, « sour cream« , coriandre … et on cuit à la vapeur. Ils peuvent être frits. Notre préférence va pour la cuisson vapeur.
Notre chef et son bébéEjam ResidencyEnvie de paternité chez BijoyPendule, écriture Limbu
Ici, il n’y a pas de comparaison possible avec nos hôtels et palaces prestigieux du Rajasthan ! Une vie simple, montagnarde, sikkimaise, sans fioriture mais bonne. Nous nous sommes sentis observés, détaillés ; nous étions les seuls Occidentaux du moment. Bénéficiant d’un afflux important touristique, celui-ci représentait presque 100% d’Indiens fuyants les fortes chaleurs de la saison à Mumbai, Delhi ou Kolkata.
Tous les matins, nous nous arrêtions en chemin à l’heure du thé (massala chai) dans ces petites épiceries-cafés-restaurants.
La vie dans cette région reculée dont les conditions peuvent être difficiles, où les maisons s’étalent à flancs de montagnes, bas dans les vallées, isolées et souvent loin des routes, a-t-elle moins de valeur que notre vie urbaine ? Est-ce moins bien de marcher une heure pour se rendre à l’école quel que soit le temps ? A voir les colonnes de jeunes élèves de tous âges sur les bords des routes, ça n’en avait pas l’air. Est-ce moins bien de devoir gravir de longs escaliers du bas de la vallée pour atteindre la route qui mène au village ? Est-ce moins bien de ne pas avoir l’effervescence de la grande ville mais la tranquillité, la douceur et la beauté autour de soi ? Qu’est-ce que le bonheur ? Où est-il ? En nous ? Autour de nous ? Est-ce qu’on le fabrique ? Dès la tombée du jour, ces montagnes s’illuminaient de milliers de petites étoiles. Un reflet étoilé, vision inversée du ciel nocturne. Un enchantement. On en devinait la vie rustique. Nous les avons gravis ces escaliers ! Il faut de bonnes jambes et du souffle ! Ces gens sont robustes. Les maisons sont mal isolées. Le chaume des toits a été remplacé par la tôle ondulée, plus bruyante mais plus étanche. Ils subissent le froid de l’hiver alors que la pluie de la mousson et la fonte des neiges au printemps, tant d’eau qui se déverse en torrents, en cascades qui descendent des milliers de mètres, et se fracasse sur les routes, les ponts, gonflant les cours d’eau, arrachant le bitume, rognant des blocs de montagnes et faisant ruisseler la pierraille, bouchant et dévastant les serpents sinueux et étroits sur lesquels nous roulions. Conduire dans ces conditions-là, relève de la grande maîtrise. Il ne faut pas être pressé, il faut rester zen, ne pas avoir peur ni être kamikaze ; avancer lentement, s’arrêter pour laisser le passage, partager en se serrant au plus près du bord, reculer lorsqu’on est dans la montée, éviter les obstacles, les nids de poule, les creux et les bosses, attendre.
Ça manque de sourires messieurs !
Nous étions souvent arrêtés par les travaux de voiries en cours ; pelleteuse, déblayeuse, camions, bennes, hommes et femmes de chantier, têtes baissées sur l’ouvrage remplissant des bassines de terre, de cailloux à déverser dans les camions-bennes, cassant à la massue des blocs de pierres pour les rendre plus petites et transportables ; Cayenne, le bagne. Ces gros engins sur les routes étroites, travaillaient au même rythme lent que le permettait la circulation restée ouverte aux véhicules.
Au loin, le fleuve est la frontière entre le Sikkim à gauche et le Bengale-Occidental à droite
Sur le pont qui relie le Sikkim au Bengale-OccidentalDes paysages magnifiques et des lumières changeantes créaient des contrastes époustouflants !
Le Sikkim est un autre pays. Outre le visa en cours, un permis d’accès aux zones restreintes et protégées est requis. Ce permis nous est parvenu un mois après en avoir fait la demande, juste avant notre départ. Y figurent explicitement les lieux que nous allons visiter, tout autre nous est alors interdit. Pas d’alternative. Le guide ne prendra pas le risque de nous emmener sur l’autre versant d’une montagne si l’endroit relève d’un secteur différent. A portée d’yeux, le plus haut Bouddha d’Inde (79 m) juché sur une montagne sur le versant opposé à celui où nous étions, ne nous a pas été possible d’accès. Au poste frontière, après enregistrement et laisser-passer, un tampon d’entrée sur le territoire viendra s’ajouter aux autres dans notre passeport. Même procédure à la sortie. C’est juste incroyable ! Notre passeport porte un tampon du Sikkim ! De notre premier homestay, la police sikkimaise a téléphoné deux fois à notre sujet, Big brother is watching you ! C’est tout de même un peu effrayant. Il faut bien sûr protéger les montagnes, la faune et la flore de l’afflux touristique, mais deux poids, deux mesures, celles-ci ne concernent que les étrangers, les non-Indiens. Tiens donc !
Les routes étroites en lacets et cultures en espalierLa forêt est composée de bambou largement utilisé dans le BTP
A gauche, transformation du bambou pour en faire des cloisons. Au centre et à droite, échafaudage en bambou.
Nous avons parcouru les routes étroites et les chemins en lacets à flanc de montagnes à l’ouest et au sud du Sikkim. Rinchenpong, Yuksom, Tashiding et enfin, Namchi.
Rinchenpong, Yuksom et Tashiding à l’ouestNamchi, au sud. La capitale, Gangtok se situe à l’est.
Nous avons visité des monastères bouddhistes et une ferme bio fabriquant du vin à partir de fruits : goyaves, bananes, gingembre, pêches, raisin, … pour nos apéritifs en fin de journées. Nous avons fait de la randonnée à la découverte de l’environnement expliqué par Kiren (les plantes essentiellement, l’histoire). Nous avons rencontré des communautés tribales Bhutia, Lepcha et Limbu.
Dégustation de vins bioNos préférés : vin d’ananas et de goyave« Emmanuel(le) », l’adaptation !
Monastère de Rinchenpong
Ascension à travers la forêt pour l’atteindreOn s’essouffle vite !Les moulins à prières bouddhistes, les peintures murales et la pierre contenant l’inscription « Om Mani Padme Hum »
A l’Orchid Villa, nos fenêtres donnaient directement sur le Kanchenjunga toujours plus haut et dans les nuages toujours plus denses. Un matin cependant, nous l’avons aperçu et je me suis empressé de photographier les pics enneigés visibles un court instant, comme une apparition fantomatique, avant de disparaître derrière un voile blanc, gris épais. Quelle émotion !
Tongba, servi dans un gobelet en bois. On verse de l’eau tiède sur le millet, on laisse fermenter plusieurs minutes et on aspire à la paille. c’est vraiment particulier de goût !
Le soir de notre arrivée, on nous a proposé de boire à la paille du tongba, une boisson locale alcoolisée due à la fermentation du millet. 6 à 8° d’alcool. Les Américains diraient, pour quelque chose qu’ils n’aiment pas, «it’s different», et en effet, ça l’est !
Petit déjeuner dans le jardinDîner des produits du potagerMomos, spécialité népalaise
Nos petits-déjeuners pris au soleil dans le jardin consistaient en uttapam (sorte de galette dans laquelle sont réunis des ingrédients : oignons, tomates, chili vert, en général) ou poori (pain plat frit) que l’on trempe dans un massala de pois chiches et/ou de pommes de terre, tout en buvant un thé massala. A Yuksom, chez nos jeunes hôtes, nous nous sommes gavés un soir des momos végétariens (crème aigre faite maison, oignons et feuilles de coriandre fraîches) que nous avions confectionnés plus tôt. Nos homestay, havres de paix, étaient des petites fermes familiales éparpillées ; ici les chèvres, là les vaches, un peu plus loin, les potagers et arbres fruitiers, un petit étang regorgeant de poissons et, les racines presque dans l’eau, des plants de cannabis bien cachés … pour les bienfaits thérapeutiques, bien sûr. Le problème de la drogue est présent dans la région, raison pour laquelle des voitures étaient quasiment désossées aux postes frontières.
Monastère de Dubdi, Yuksom
Monastère de Tashiding
« Om Mani Padme Hum »
A l’ombre des moulins à prières !« Notre » Hercule !Stupeur dans les stupas !
Au « Flavours » à Namchi. La patronne nous a accueillis chaleureusement. Nous étions « ses » premiers Français, pour la citer. Elle a voulu sa photo !
Namchi, en fin de journée, visite d’un site regroupant les miniatures de temples hindous les plus célèbres. La brume nous enveloppe et à la tombée de la nuit, on y voyait à peine. Shiva en majesté. Ce qui est extraordinaire, c’est que Bijoy et Kiren participent aussi bien aux rites bouddhistes qu’hindouistes.
Darjeeling est une ville folle. Étalée sur la montagne à 2100 mètres d’altitude, elle est constamment encombrée, bruyante et polluée. Il fallait compter le temps de déplacements en heures, les voitures (Jeeps essentiellement, combis, SUV) encombrant les routes étroites d’où il n’y avait pas d’échappatoire que de se suivre patiemment. Les chauffeurs, beaucoup se connaissent évidemment dans cette petite ville, travaillent pour une agence ou conduisent des taxis, arrivaient à discuter entre eux par la vitre ouverte de leur portière, à l’arrêt en attendant de pouvoir avancer de quelques mètres. Certains finissaient par craquer et kloxonnaient à tout rompre un instant pour se défouler, en vain. Éric et Bijoy finissaient toujours par s’endormir. Kiren aussi. Santos aux commandes. Moi, aux aguets. J’essayais d’absorber tout ce que je voyais, toujours dans le même état d’esprit fiévreux, insatiable, gourmand, émerveillé, curieux de tant de choses si différentes de « mon monde », frustré de ne pas pouvoir tout appréhender, tout mémoriser, enregistrer pour ne garder en moi que des bribes.
Le Centre de réfugiés tibétains accueille un orphelinat et manufacture des produits de l’art traditionnel vendus sur place. Visite sous la pluie !
CardageFilageFilage, système roue de vélo !Après elles, qui restera-t-il pour perpétuer ce savoir-faire ?
Ateliers de fabrication de tapis tibétains. Les femmes étaient plus jeunes et plus nombreuses. Quel travail !
Calcul : 3 X 35 kg = … de bouteilles pleines !Sherpa. Idem en montagne pour transporter les bagages des touristes qui s’exercent à l’alpinisme !
Les images s’accumulent en strates et les plus anciennes finissent écrasées. Mais je regardais à m’en faire mal aux yeux. Sur ces accès routiers, pas d’espace pour les piétons.
Vêtement traditionnel LimbuParapluie à effigie de la policeDes chutes qui viennent de haut
En gare de Darjeeling à mi-journée
Le Petit Train, un jouet …… ou le train de la joie !
Le wagon que l’on ne prendra pas. Une pièce de musée. Le reflet dans la vitre, c’est moi !
Le train à vapeur touristique (Toy train ou Joy train), affreusement bruyant, sifflant et crachant de la fumée noire, frôlait les pas de portes des habitations et des boutiques. Des gens s’en bouchaient les oreilles. Heureusement, la rue principale piétonnière est plus calme. Elle débouche sur une grande place terminée par un petit amphithéâtre d’où l’on bute sur la montagne. De beaux petits chevaux bien peignés, franges et crinières bien coupées promenaient des enfants autour de la place sous le regard des parents ravis. Vendeuses d’épis de maïs cuits au feu de bois, vendeurs de pani puri, bazar proposant des vêtements d’hiver et de montagne créaient une atmosphère survoltée. La rue principale était bondée de passants se croisant en tous sens, des enfants partout, des familles nombreuses.
Street food. C’est incontournable dans toute l’Inde.
Partout dans la ville, des femmes font cuire des épis de maïs au feu de bois sur de petits braseros improvisés. Une fois cuits, ils sont frottés au citron lime trempé dans du sel et du piment rouge. Les gens en raffolent !
Monastère Yiga Choeling à Ghoom, près de Darjeeling (1850)
Plat de riz planté d’argent en offrandeL’un des deux monastères que nous avons visités comportant des peintures murales.
Des stands de nourriture émergeaient en fin d’après-midi proposant viandes grillées, nouilles sautées et momos.
14 mai, dernière soirée à Darjeeling. La pause photo est de rigueur devant Glenary’s.
Chez Glenary’s, nous avons fait une pause dégustation de thé et avons mangé des « patties » fourrés. Celui de Bijoy sera végétarien aux piments verts. Ce salon de thé, restaurant et pub est très célèbre de la ville.
Mais notre préféré a été le petit restaurant tibétain, au pied de notre hôtel, où nous avons dégusté, après une attente qui nous a semblé interminable, de savoureuses soupes de nouilles plates «faites maison». La «fièvre acheteuse» qui consume habituellement Éric nous a entraînés chez des brocanteurs, des magasins d’art tibétain sans que nous ayons eu à ouvrir le portefeuille.
Commerçant dans le bazar de DarjeelingA gauche, un amusant boucher. Il vend de la viande de chèvre frottée au curcuma. A droite, poissons d’eau douceBazar, secteur des bouchers. Bon, les conditions d’hygiène … Bijoy et Kiren ne se sont pas résolus à y entrer !
La grisaille, la brume dense, la pluie et la fraîcheur du soir ne nous ont pas quittés à Darjeeling. Comme j’en ai été heureux ! Plus les jours passaient, moins on voyait de la hauteur. Levés un matin à 3 heures pour nous rendre au point d’observation de Tiger Hill à 2600 mètres d’altitude pour voir le lever du soleil sur les hauts pics du Kanchenjunga, a été vain. Vers 5 heures du matin, la montagne avait disparu et l’on a vu les nuages monter, l’enveloppant, l’avalant, réduisant à néant l’espoir d’une vision même éphémère de ce patrimoine mondial. Tant pis ! D’autres auront été plus chanceux que nous. Je n’ai aucun regret.
Trois jours passent vite, hélas ! Le 15 mai, nous redescendrons la montagne, nous éloignant un peu plus du Sikkim, «Oh ! Les beaux jours !». Nous aurons un dernier regard attendri sur les plantations de thé qui descendent elles aussi jusqu’à la plaine pour finir à Kurseong. Et là, nous rejoindrons les artères principales, la civilisation (sic) et l’aéroport de Bagdogra d’où nous embarquerons pour Chennai, laissant Bijoy prendre un train pour l’Assam (il restera bloqué plusieurs jours chez sa tante à Guhawati à cause des inondations qui empêchent tous déplacements). Une dernière photo de groupe et tous s’enlacent avant de s’éloigner d’un pas lourd. C’était tellement beau là-haut !
J’aimerais être Idris Maymoun Samataar Gulid, « l’éternel voyageur qui cherche la mesure de la Terre et de l’homme », personnage principal du merveilleux roman de l’auteure indienne Anita Nair Dans les jardins du Malabar, Albin Michel, 2016.
Détail d’un plan de Cochin et de la côte de Malabar à l’époque de la domination hollandaise. (Musée du Dutch Palace, Kochi, Manttacheri) Les Hollandais arrivent en 1595 puis contrôlent la ville dès 1663. On peut remarquer les backwaters.
Idris, marchand itinérant somalien, voyage dans l’actuel Kerala au XVIIème siècle, vit une série d’aventures à la rencontre des hommes, entretient le mystère grâce à son œil de verre et à travers lequel il « voit et sent les choses », aime avec passion, sensualité et volupté. Ces quatre petits jours à Kochi (Cochin) ne m’ont pas laissé le temps de vivre tout cela, ni à Éric.
Un raintree (arbre à pluie) dans le cimetière hollandais, l’un des plus anciens cimetières en Inde. Cet immense arbre est présent partout à Fort Kochi.
Une arrivée tardive à l’aéroport de Cochin nous laisserait la journée complète du lendemain. A noter que cet aéroport international est le premier de l’histoire à être alimenté uniquement par des énergies renouvelables.
Notre hôtel, le Delight Homestay. Architecture indo-portugaise
Autre état, autre langue. Habitués au tamoul, le malayalam résonnera dans les rues. “Tamil Nadu” en tamoul : தமிழ்நாடு, “Kerala(m)” en malayalam : കേരളം
Bâtiment du XVIIIème siècle de style colonial britannique
L’intense chaleur s’est collée à ma peau, me laissant transpirant, haletant, à la recherche d’air frais. Les déplacements en ville, les trajets les plus courts furent éprouvants. Par conséquent, nous nous sommes résolus à utiliser souvent les auto-rickshaws, et ils ont été une bénédiction !
Bâtiment du XVIIIème siècle de style colonial néerlandais
C’est dans cette vaste baie que les Portugais débarquèrent au XVIème siècle, et à la tête de 200 hommes, Vasco de Gama sera considéré comme étant le premier colonisateur européen sur cette côte. Il mourra de la malaria après son troisième voyage en 1524 à Cochin, sera enterré dans l’église Saint Francis. Ses ossements transférés au Portugal en 1539, c’est donc son cénotaphe, simple pierre tombale, que nous avons vu.
Église Saint Francis de style hollandaisAu-dessus des bancs, les éventails géantsCathédrale basilique Santa Cruz de style portugais
On ne sait plus si c’est la mer d’Arabie qui a submergé les terres ou si fleuves, rivières, lacs et autres cours d’eau se sont répandus, formant un enchevêtrement de terre et d’eau. On ne sait plus bien ce qui relève de la mer salée et des eaux douces, mais l’ensemble est surprenant, fascinant et forme, à l’intérieur des terres, ce que l’on désigne par les backwaters, typiques du Kerala. Le ferry est le moyen le plus rapide et le plus économique de tous déplacements. Cochin est composé d’Ernakulam, la plus grande partie de la ville nouvelle, de l’île de Willingdon, plutôt industrielle avec son port, coincée entre Ernakulam et Fort Kochi qui elle, est la petite partie occidentale de la ville et la plus intéressante d’un point de vue historique ; architectures indo-portugaises, hollandaises et britanniques. C’est à la pointe nord de la presqu’île que nous avons séjourné.
Les backwaters au départ d’Ernakulam, la plus grande partie de la ville de Cochin rattachée à la terre.
La 4ème Biennale d’art (Kochi Muziris Biennale) se déroulera de décembre 2022 à avril 2023 après deux années d’annulation. De renommée internationale, elle accueille des artistes des quatre coins de la planète et laisse à Fort Kochi des témoignages artistiques qui s’intègrent à la ville. Nous avons pu voir apparaître un peu partout les affiches annonçant déjà cet événement d’envergure. Fort Kochi fourmillera alors d’artistes, d’expositions, d’installations, de happenings et la ville verra son potentiel économique assuré et sa renommée renforcée.
Logo de la biennale
Street artStreet artDétail de sculpture murale au café KashiGalerie David HallStreet artEn haut : Café-galerie Kashi – au centre, exposition temporaire
Au café-galerie David Hall (ci-contre et infra) : Exposition, installation par de jeunes artistes locaux.
Une promenade déroule un long ruban de pavés brûlants le long de la mer. On est enfin face à l’immense mer d’Arabie. Sur cette même latitude, loin devant moi si je me positionne face à elle, je peux imaginer, presque percevoir, la corne de l’Afrique avec la Somalie et le golfe d’Aden, le pays d’Idris de notre roman. Il regardera de sa haute stature, comme moi ce qui m’entoure, à travers son œil de verre les Malayalis (habitants du Kerala) et les Tamouls du Sri Lanka et détonnera avec sa peau sombre, plus noire que celle des Indiens. C’est sur cette promenade que nous nous sommes confondus avec les visiteurs indiens et les quelques touristes occidentaux.
Dans de l’eau salée, tranches d’ananas, de mangues vertes, de carottes. Mangues entières et coupées en dés. On les sert saupoudrés de poudre de piment rouge.
Carrelets chinois ou « Fish nets«
Plusieurs fois remontée et descendue, nous avons salué les mêmes vendeurs de poissons nous proposant de nous les vendre, de nous les griller et, à nous de les manger (leur motto :You buy, we cook) ; gambas, crevettes de toutes tailles, calamars, thons, bonites, dorades, barracudas, espadons, rougets, vivaneaux et tant d’autres variétés inconnues de nous ! Sur un bout de plage, nous avons assisté avec étonnement au fonctionnement des carrelets chinois – et oui, les Chinois étaient venus dès le XIIème siècle, bien avant Vasco – actionnés par des cordages et de grosses pierres en contrepoids, plongeant l’immense filet à marée haute tandis qu’à côté, des pêcheurs démêlaient leurs filets sitôt quittés leur barque. Mais la pêche ne nous a pas semblé miraculeuse. Et partout, les vendeurs de bricoles, de babioles, des lunettes de soleil à quat’sous, des moulins à vent en plastique, des appareils à faire des pâtes de toutes les formes de la taille de jouets, vendeurs de glaces, de boissons fraîches et exotiques. Nous avons bu le célèbre kulukki Sarbath (https://youtu.be/-V1Uoz0LY8s), dont la préparation est moins spectaculaire que sur la vidéo mais surprenant et amusant, même si moins extraordinaire de goût.
Les Chinois, au XIIème siècle, arrivèrent avec leur technique de pêche connue aujourd’hui sous l’appellation carrelets chinois.
Technique de pêche plus artisanale. Pendant des heures et sous une chaleur de plomb, ces pêcheurs jettent leur filet au bord de l’eau pour parfois, sortir un petit poisson.
Sur la place Mahatma Ghandi et un peu plus loin à l’écart, sur Vasco de Gama, les vendeurs de noix de coco côtoient les auto-rickshaws qui attendent les clients tout près des jardins d’enfants à l’ombre des ramures des raintrees. Les troncs et les branches de ces énormes arbres à pluie (Samanea saman) hébergent des plantes parasites ; fougères, mousses, lichens, orchidées et nous profitions de leur couverture pour nous assoir sur des bancs. Nous regardions alors passer les amoureux en promenade, les ami.e.s qui se tenaient par la main ou par l’épaule, comme des amoureux. Ils discutaient vivement et riaient joyeusement. Des groupes de personnes plus âgées suivaient leur guide, chapeau ou parapluie sur la tête. Parfois, de grosses vagues venaient se fracasser et jetaient leur écume sur la digue à la surprise de chacun. Sur une petite plage interdite à la baignade, des jeunes entraient dans l’eau, tout habillé, et en ressortaient les bas de pantalons ou les salwar kameez, (ensemble pantalon et tunique pour les femmes) mouillés. Et tous riaient de cette bravade rafraîchissante. Tout cela avait un air de vacances dont nous profitions.
Repos à l’ombreUn adorable petit chaton « estropatte »J’adore ! Il a voulu retirer le chapeau de sa petite-fille mais je lui ai demandé de le garder, ce qu’il a fait en posant avec sérieux !
Chaque matin, nous allions prendre notre petit-déjeuner au café-galerie Kashi : sculptures dans un jardin joliment aménagé, mobilier contemporain, longues tiges d’encens à la citronnelle contre les moustiques et produits bio. Les jus étaient purs, les cafés bons et un grand choix de plats appétissants faisaient notre quotidien. Nous y retournions en général l’après-midi pour un rafraîchissement et un temps de repos bien mérité.
Photo de gauche : Ne dit-on pas : « On lui donnerait le bon Dieu sans confession … »?
Le soir, nous nous régalions des produits de la mer préparés à la kéralaise ; curry à la noix de coco, masala et surtout le pollichathu du modeste restaurant Fusion Bay près de la cathédrale basilique de la Sainte Croix (Santa Cruz). Ce met à ravir les papilles est la spécialité du chef et consiste à faire cuire un poisson avec des épices et de la coriandre, enroulé dans une feuille de bananier. Du pur bonheur !
A gauche : le poisson enveloppé dans une feuille de bananier au Fusion Bay. A droite, plat de crustacés grillés dans un restaurant de rue.
Jardin de la Ginger House
Devant l’angeAu bar de l’hôtel de Malabar
Il ne reste que 5 Juifs environ à Cochin/Kochi mais la synagogue est toujours ouverte. Enfin … pas quand on y était !
Dans le quartier juif de Mattancheri, la synagogue, les antiquaires et brocanteurs et l’hôtel restaurant Ginger House.
Ailleurs au Ginger House, au bord de l’eau, dans le quartier juif (sans plus de Juifs), nous avons goûté à l’appam, une galette à base de riz fermenté avec un centre un peu épais et spongieux que l’on découpe avec ses doigts et que l’on trempe dans un curry. Un autre bonheur arrosé cette fois d’une bonne bière bien fraîche ! Mais ici, tout-à-coup, les éclairs nous ont surpris, toujours plus intenses alors qu’une pluie diluvienne s’abattait sur le toit de la terrasse. Il nous a fallu changer de table, nous retrancher dans les endroits épargnés par les trombes d’eau. Très vite, le compteur a disjoncté nous plongeant un temps dans le noir. J’ai eu envie d’aller aux toilettes ; un serveur m’a accompagné m’abritant, sous un grand parapluie qu’il tenait des deux mains pour ne pas être emporté par le vent. J’en suis revenu la chemise et le bas de pantalon mouillés ; nous avions dû traverser un passage à découvert. La statue d’un ange changeant de couleurs, tantôt bleu, tantôt jaune, tantôt rouge, ailes déployées dominant la terrasse, a tout-à-coup disparu dans l’obscurité, impuissant devant le pouvoir des éléments.
Au lavoir municipal. De gauche à droite : Dans son lavoir, cet homme lave le linge qu’on lui apporte toute la journée – Repasseuse. Cela fait 70 ans qu’elle soulève un fer en fonte très lourd (on a testé) – Charbon de bois de noix de coco dans le fer à repasser – Ce repasseur est immortalisé, son portrait a été peint par un artiste local.
A l’arrière des lavoirs, on suspend le linge à sécher. Double cordes en fibre de coco. Pas de pinces à linge. Les dothis sont « pincés » entre deux cordes.
Tri du gingembre séché. Les épices du Kerala sont contrôlés par le « Spices board« , le ministère du commerce chargé des épices.
Spice market : Le gingembre et le poivre noir du Kerala sèchent au soleil, posés à même le sol. Dans les bâtiments autour de la cour, les entrepôts, les lieux de tri. Ici, les femmes séparent les grains de poivre. Les plus gros grains sont de la qualité supérieure. Elles se couvrent le nez car l’atmosphère de la pièce est piquante. Une forte odeur de poivre chatouille les narines.
Mais quatre jours, ça passe vite. Il nous fallait impérativement assister à un spectacle du fameux Kathakali, une des quatre grandes danses classiques de l’Inde, théâtre musical comportant 110 scènes et costumes différents. Nous en avons eu une version abrégée d’une heure sans compter les explications des codes de la part du maître de cérémonie, du gurû, sans doute le gurukkal du kalari, l’espace de danse et de combats. Les danseurs et les lutteurs, adeptes du yoga et des massages ayurvédiques pratiqués dans l’Inde du sud les rendent sveltes, forts et souples. Ils acquièrent une maîtrise parfaite de leur corps et plus spécialement des expressions du visage qui sera le langage lors de leurs performances. Assister au maquillage pendant une heure a été aussi très impressionnant.
Personnage fémininPersonnage masculinOriginaire du Kerala, le kathakali est une combinaison de drame (drama), de danse, de musique et de rituels. Ce théâtre évoque les épopées du Mahâbhârata, du Rāmāyana et la vie de Krishna. Le kathakali n’est joué que par des hommes. Les pigments utilisés pour le maquillage sont naturels (noir, blanc, rouge, vert, jaune).Ce petit théâtre est l’un des derniers du Kerala. En arrière plan, le chanteur.
Quant aux lutteurs, ils pratiquent le kalarippayatt, une des techniques d’art martial des plus anciennes.
Le kalari est un « centre d’apprentissage de la lutte ». Certes, il faut des muscles, mais on apprend ici à se servir de sa tête et à maîtriser son corps pour atteindre la victoire. La pratique du yoga et les massages sont d’une grande importance.
A gauche, combat avec des lances. A droite, démonstration avec des fouets en lanières de métal. Ça doit laisser des traces !
La seconde chose à ne pas laisser passer est une promenade dans les backwaters. Départ un matin dès 8h00 pour atteindre en une heure Ernakulam où un bateau sans moteur nous attendait. Direction un petit village sur l’île de Pookaitha. L’embarcation fut mise en mouvement grâce aux deux bateliers maniant de longues perches de bambou. Le ketuvallam transportait jadis des noix de coco, du riz et des épices. Il n’a plus qu’une fonction de tourisme de nos jours. Long d’une quinzaine de mètres, le plancher est en bois de jaquier et la structure du toit en bois de bétel. Six chaises profondes en rotin étaient posées là comme le salon sur la terrasse d’une maison coloniale. Nous nous sommes installés. Notre guide, très discret au demeurant, nous pointait de temps à autre aigles à tête blanche, cormorans, martins-pêcheurs, aigrettes. Près des rives, des nénuphars rose mettaient de la couleur au sombre des eaux calmes. Nous croisions quelques fois de toutes petites barques à pagaies, habitants des villages alentours.
Ciel changeant au cour de la journée. Le soir, au restaurant de la Ginger House, nous essuirons un sacré orage digne d’une mousson !
Et la vie dans l’eau. La vie des hommes et des femmes qui se lavent, récurent les marmites, font la lessive ou les rituelles ablutions. Nous nous faisions signe de la main, nous nous souriions, nous échangions des bonjours. Mais partout les sourires étaient sur les lèvres. Un autre bonheur ! De ce temps calme et chaud, bien qu’abrités, nous avions tendance à la somnolence. J’étais hypnotisé par les mouvements fatigants du batelier fatigué à l’avant, plantant sa longue perche tantôt à bâbord, tantôt à tribord. Et lorsque nous étions trop près de la végétation aquatique, il plantait alors sa perche sur l’épais tapis de verdure et poussait, nous remettant au cours de la navigation. Le paysage était serein, nous étions sur un temps suspendu, presque hors de l’espace-temps avant d’arriver sur « notre » île. Là, notre déjeuner était prêt. Sur une feuille de bananier, on nous servit du gros riz épais typique du Kerala, des sauces, du chutney, une banane, un curd (yaourt) caramélisé. Debout devant nous à nous servir, notre guide et son patron nous regardaient manger.
Dehors, une femme nous a montré la confection des toits tressés en utilisant des feuilles de palmiers séchées, imperméables pendant 6 mois environ même pendant la mousson ; écologique et sans sous. Les doigts de pieds tordus, peut-être par la pratique de cette activité, souriante, elle a tressé une feuille en un rien de temps. La pose photo à la fin s’est imposée à nous et nous nous y sommes livrés de bonne grâce. Vers 15h00, notre chauffeur nous attendait et nous ramenait à Fort Kochi au Delight Homestay, notre pension familiale très sympathique et incroyablement peu onéreuse. David, le propriétaire, semblait guetter notre arrivée, curieux de nos impressions. Il avait commandé cette excursion, il en a été soulagé !
0% de déchets, 100% écologique, 100% efficace. Ces toits en ramures de palmiers sont 100% étanches pendant 6 mois, le temps de la mousson.
Et voilà le travail fini ! 100% agile de ses mains et de ses pieds, la dame !
Le lendemain, jour de notre retour à Chennai, nous nous sommes rendus sur les lieux de nos déambulations, contents de ce séjour dépaysant, tristes aussi de devoir reprendre le cours normal des choses, le travail intense pour Éric, la vie de l’homme au foyer pour moi. Aujourd’hui, malgré la météo, passant du chaud de l’air au froid des airs conditionnés, subissant les courants d’air permanents du fait des fenêtres ouvertes toute la journée, sous les ventilateurs qui ne brassent que de l’air toujours chaud, j’ai attrapé un méchant rhume et mon nez coule. Malgré tout, je poursuis assidument mes séances de natation tous les matins à la piscine du Savera, mais je me baigne en tee-shirt. Ma peau ne supporte plus le soleil. J’essaie de m’astreindre quotidiennement aux exercices bénéfiques à mon dos … et à mes abdominaux. Sans grand succès jusqu’à présent, mais je persiste ! Et samedi 23 avril, nous fêterons nos 35 années de vie commune ! Au restaurant “China XO” (eXtraOrdinaire) du palace Leela, nous dégusterons un canard laqué face au Golfe du Bengale
Vue de notre chambre avec terrasse au 1er étageDavid, le propriétaire du Delight Homestay
Pause café au bord de la route dans ce lieu joliment arrangé
Au moment où j’écris ces lignes, nous sommes dans notre chambre d’hôtel. Il est 14h30, samedi. Éric travaille sur son ordinateur et je me tiens en face de lui sur la table ronde. À 16 heures, nous serons présents, au pied de la statue géante de Ghandi, à l’inauguration d’une régate : huit voiliers grands comme des coques de noix. La Consule générale de France fera un discours inaudible, paroles perdues dans le vent décoiffant face à un public parsemé. On couvrira les épaules des personnalités d’un châle traditionnel comme le veut la coutume. Tout allait bien. Bienvenus à Pondichéry.
Au travail !Prêt pour la soirée au consulatEn fin de journée, la promenade le long de la mer est très animée.
La jeune comédienne qui a fait le trajet avec nous s’est révélée très plaisante, drôle et enjouée. Je m’étais installé à l’avant à côté du chauffeur pour lui laisser plus de place et pouvoir échanger avec Éric s’ils avaient besoin de se raccorder pour leur intervention dans des établissements. Notre chauffeur était collé à son volant, position plus confortable pour lui, étant de petite taille. Je le voyais de profil. Son visage concentré sur la route était doux et avait des traits réguliers. De la poudre blanche et rouge barrait son front. Il avait dû passer par un temple avant de venir nous chercher. Il avait une jolie couleur de peau chocolat ambré. Discret mais néanmoins présent, il nous parlait, aux moments opportuns, des paysages remarquables : les marais salins et la récolte du moment à notre passage. Quitté le grand Chennai, la route est belle et typique de la vie rurale indienne. Nous traverserons de nombreux villages aux habitations traditionnelles dont les toits sont en feuilles de palmiers séchées. Les gens marchent le long de cette route, portant des ballots sur leur tête, du branchage, des brassées d’herbes. Les vaches suivent le même rythme et traversent parfois cette route très passante. Elles ne risquent rien, le savent peut-être, les automobilistes les éviteront et iront même jusqu’à s’arrêter et attendre qu’elles aient traversé.
J’avais maintenant hâte d’arriver à Puducherry. Mais à l’entrée du Territoire, les préparatifs d’une fête religieuse en bordure de route nous ont obligés à suivre une longue déviation, nous retardant d’une bonne heure. On m’a donc débarqué à la « Villa Shanti » qu’Éric fréquente quand il est à Pondichéry, puis ils ont filé pour une course contre la montre qui durerait jusque tard ce soir-là. Je me suis installé confortablement dans cette chambre très spacieuse, étudiant les guides touristiques, cherchant un endroit où déjeuner. Après un excellent plat de spaghettis, j’ai atteint le marché Goubert qui, en ce début d’après-midi, était aussi ensommeillé que les commerçants. Il faisait très chaud dans cette halle. Les allées pratiquement désertées m’ont laissé tout le loisir à la déambulation. Le secteur aux poissons nettoyé et rangé ne montrait plus que des casiers vides et des poissonnières, nonchalantes et fatiguées, prenant enfin leur repas. Du côté des fruits et légumes, c’était le calme plat avant la reprise en fin d’après-midi. Des commerçants faisaient la sieste laissant la marchandise sans surveillance, allongés à côté des bananes ou des oignons. Ce sont les régimes de bananes qui, une fois de plus comme au marché de Koyambedu à Chennai, m’ont attiré et je n’arrêtais pas de les photographier sous le regard interrogateur, surpris et amusé des vendeurs.
École de jeunes filles en face de la « Pasta Napoletana »
Elle n’est pas belle la vie ?!
Je suis allé jusqu’à filmer la découpe du régime en grappes de bananes. Et toutes ces variétés et ces belles couleurs allant du vert aux différentes nuances de jaune en passant par le rouge rubis ! Je sais déjà que cela va me manquer une fois rentrés en France !
Épices : piments du Cachemire, cumin, coriandreDes pâtes de toutes les couleursPâte de tamarin compressé. On en dilue dans de l’eau tiède et on en récupère le jus pour la cuisine.Secteur des drapiers et couturiersCes noix de coco, que nous connaissons, sont utilisées râpées pour la cuisine.
À cette heure-ci, je ne passais pas inaperçu. Il n’y avait pas de foule pour m’y fondre. On me regardait donc, la mine fatiguée, quand on ne dormait pas. Moi, j’avais horriblement chaud. Mon tee-shirt était si mouillé que c’en était embarrassant et je ne savais plus comment porter mon sac à dos. L’eau de ma bouteille était tiédasse et ne me désaltérait pas. Cependant, certains me parlaient ou me saluaient, me demandant d’où je venais. J’aimais bien ces brefs échanges spontanés, rapides et sympathiques.
D‘autres, à l’instar d’un jeune fleuriste, d’un volailler ou d’un vendeur de légumes posaient fièrement pour la photographie, exhibant biceps, torse bombé et sourire blanc Colgate, la rose rouge entre les dents ; clic, c’est dans la boîte ! J’ai tellement aimé cette visite que je me promettais d’y retourner au moment où l’activité commerciale battrait son plein. Il fallait que je voie la halle aux poissons avec des poissons et que je découvre d’autres secteurs, n’étant pas sûr d’avoir fait le tour complet de ce marché.
Tour de l’horloge au centre du marché
Pour l’heure, fatigué de tant de marche, je décidais de rentrer à l’hôtel, de profiter de la chambre et m’y reposer jusqu’à l’heure du dîner. Le restaurant offrait une carte dont la réputation n’était plus à faire. Mon serveur attitré était prévenant et attentif et j’étais servi avec le sourire. J’avais envie de manger de la viande ; je me régalais d’un massala d’agneau tout-à-fait délicieux.
Photo en haut à droite, brinjals, petites aubergines violettes. En bas à gauche, tawa, plats en fonte concave qui servent à frire, à sauter et à cuire les dosa, par exemple.Vente de courges aux abords du marché
Le lendemain matin, j’arpentais de nouveau les allées. Cette fois l’ambiance était tout autre. Les poissons, digne d’une pêche miraculeuse et dont les nombreuses espèces s’empilaient les unes sur les autres, étaient frais, les ouïes sanguinolentes preuve à l’appui. Mais le spectacle résidait dans le joyeux vacarme et les harangues des poissonnières avec leurs poissons, crevettes, crabes et calamars à leurs pieds. Chacune d’elles, à mon passage, insistait pour me vendre un lot à bon prix. Sans rien dire, le prix baissait de quelques roupies. Je n’étais pas loin de me laisser tenter, mais non, cela n’avait pas de sens bien que l’envie fût là. Je m’imaginais les cuisiner et m’en régaler. Les poissons étaient beaux, de toutes tailles, certains impressionnants. Les gros rouge-orangés ont attiré mon attention, couleur bien exotique ! Une vieille dame m’a attrapé par le bras, m’a parlé et s’est mise à rire. Sa commère édentée a renchéri. Je ne comprenais pas. Une femme plus jeune parlant un peu l’anglais a traduit, disant qu’elles voulaient toutes deux se marier avec moi. J’ai accepté, ce qui nous a bien fait bien rire. Pendant un temps, j’étais devenu l’attraction du marché. De retour dans le secteur des fruits et légumes, certains commençants m’ayant reconnu – ce n’est pas bien difficile ! – m’ont salué comme si j’étais devenu, d’un coup, un client assidu. J’y ai retrouvé le beau fleuriste qui m’a accueilli avec son merveilleux sourire et sa mine réjouie. Comme cela m’a fait plaisir !
Nettoyage et découpe des poissonsPoissons et cervettes séchés
J’ai aussi découvert au hasard des allées, à l’arrière de la halle, le secteur des poulets. Ici, on les achète vivants et les volaillers leur font la fête. Pauvres volatiles ! Aux pieds d’un vendeur, ses bêtes à plumes composaient véritablement une nature morte – c’est à propos. Elles « posaient » artistiquement sans bouger. Mais bientôt, elles se retrouveraient en « curry cuts ». L’un des commis m’a demandé de le photographier. Sous son tablier de cuir noir, il a posé, l’air faussement méchant, couteau de découpe en main, redoutable dans cette mise en scène qui l’amusait, digne du film d’horreur « Scream« . Encore une fois, je me suis réjoui de ces moments inattendus.
« Nature morte » aux poulets vivants
Partout, j’ai vu de beaux visages, des jeunes, des vieux, des hommes, des femmes et des enfants. Partout, j’ai voulu toucher ces belles peaux lisses ou ridées, imberbes ou poilues, ces belles couleurs sombres aux nuances diverses mais toutes douces et chaudes. Partout encore, les couleurs, les saris essentiellement, même dans les tenues les plus simples et bon marché. J’avais chaud et je transpirais abondamment. Je n’étais pas à l’aise dans mes vêtements mais il fallait que je reste encore un peu, je n’avais pas envie de partir. Car pour moi ce marché resterait la visite la plus passionnante de ce court séjour. J’ai pris beaucoup de photos et on m’a laissé faire. Certains regardaient même l’objectif en acquiesçant. Et puis, je suis parti.
Dans la rueSerrurier
Traversé le canal, comme l’on passe une frontière, où l’eau croupie dégage par endroit une odeur nauséabonde, je me suis retrouvé dans « White town « , le quartier français. Devant le temple hindou de Sri Manakula Vinayagar, l’éléphant vénéré, maquillé et embijouté comme un camion volé, fleurs posées sur le haut du crâne, se balançait d’avant en arrière. Dès qu’un fidèle déposait un billet au bout de sa trompe, il leur touchait la tête en une bénédiction. Ce temple est dédié, évidemment, à Ganesh, le dieu à tête d’éléphant.
Peinture au plafond à l’entrée du temple : Ganesh en majesté
À la sortie du temple, une femme « bien sous tous rapports » m’a abordé me demandant de l’argent. C’était une hijra, un transsexuel, que l’on qualifiait autrefois d’eunuque. D’un abord agréable, Jenny, c’était son nom, m’a demandé de quoi acheter un kilo de riz. N’ayant qu’un billet de 500 roupies (env. 6€), j’ai négocié pour qu’elle m’en rende 300, ce qu’elle a accepté de faire, ne m’en rendant au passage que 200, faute de monnaie … fairplay quand on fait la manche ! Elle m’a ensuite demandé mon nom, Christian, lui ai-je répondu, et m’a alors touché le front du plat de sa main. Une bénédiction de hijra porterait bonheur, éloignerait les mauvais esprits et protègerait du mala suerte, le mauvais sort que les Indiens redoutent, raisons pour lesquelles elles sont craintes. Elle m’a embrassé sur la joue et avant de se séparer, elle m’a avoué : « I love you ». C’était la relation amoureuse la plus éphémère de ma vie ! Plus tard, lorsque je racontai à Éric cette aventure, il a aussitôt regretté que je ne l’aie pas prise en photo, mais à ce moment-là, je n’avais pas osé le lui demander.
Scènes, fréquentes, de rue. A gauche, un qui n’a pas grand chose. A droite, un autre qui n’a rien.
Le samedi soir, alors qu’Éric participait à une réception au consulat à l’occasion de la journée internationale de la Francophonie, j’allais dîner dans un restaurant indien végétarien apprécié de la classe moyenne locale. Bondé, j’ai dû attendre de longues minutes avant d’être placé à une table. Étant le seul Européen, quelques regards se sont portés sur moi. Je me régalais d’un dosa rôti au ghee (beurre clarifié) accompagné de sauces plus ou moins épicées, aux tomates, aux oignons et à la noix de coco râpée. Il y avait également un dahl. Un geste spontané amical de la part d’une petite fille dans les bras de sa mère m’a réconforté et j’ai bien remarqué que les parents étaient fiers de la spontanéité de leur enfant. A la table voisine, quatre femmes avaient une discussion animée ; deux d’entre elles vêtues à l’occidental, les deux autres portaient un sari. Au bout d’un moment et m’observant du coin de l’œil ma façon de manger avec ma main droite, une des femmes m’a souri plusieurs fois en signe d’approbation ou d’appréciation pour mes tentatives de manger correctement et proprement. Avant que je ne règle mon repas d’un montant de moins de 3€, ma table était déjà attribuée à un homme seul qui a bien été content, comme moi avant lui, d’être installé aussi rapidement.
Je suis rentré à l’hôtel par des rues sombres et calmes avant d’arriver au cœur du quartier français plus animé et plus bruyant.
Dimanche serait une journée libre pour Éric avant de reprendre la route pour Chennai. Je décidai que nous irions dans le petit quartier musulman, au sud du quartier tamoul. J’avais lu dans les guides qu’il y avait de belles maisons anciennes aux balcons ouvragés dans certaines rues.
Nous sommes ensuite allés visiter la Maison Colombani, de la famille Colombani qui en avait fait don à l’Alliance française de Pondichéry il y a fort longtemps mais dont cette dernière n’avait pas les moyens financiers pour la restauration. Le propriétaire de la Villa Shanti s’est lancé dans ce projet pour en faire un lieu culturel et bistronomique. En lui souhaitant tout le succès dans cette belle aventure !
Le festival de Panguni dure neuf jours dans et autour du temple de Kapaleeshwarar. Pangani est le nom du douzième et dernier mois de l’année du calendrier tamoul (14 mars – 13 avril). C’est aussi le début de la saison chaude qui va durer jusqu’au mois de septembre-octobre et ce soir-là, il faisait encore très chaud. Après deux années d’annulation à cause de la pandémie, il va sans dire que cette fête était très attendue. Pour nous, ce sera notre première participation à un événement de cette importance.
Le temple de Kapaleeshwarar habillé de lumières et le bassin aux ablutions
Au soir du neuvième jour, cette année le 16 mars, lors de la pleine lune, une fête votive célèbre les mariages divins de Lord Shiva et Parvati, de son fils Lord Murugan et de Deivayanai, de Lord Rama et de Sita. On célèbre également celui de Lord Ayyappan, né de l’union sacrée de Lord Shiva et de Mohini, la forme féminine de Lord Vishnu. C’est un peu compliqué et assez improbable, mais ici, les Tamouls y croient.
Le temple de Kapaleeshwarar fondé au VIIème siècle comporte des éléments architecturaux datant de l’époque du royaume Pallava. C’est l’un des plus anciens et des plus fréquentés du Tamil Nadu. Il est dédié à Shiva qui, dans un accès de colère, transforma son épouse Parvati en paon, l’obligeant à se repentir pour retrouver sa forme humaine. Kapaleeshwarar est le cœur de Mylapore, la « Cité des paons ».
En bas à droite, Parvati sous la forme du paon, et ses avatarsLe temple est dédié à Shiva mais Parvati, sous la forme du paon, est très présente.Gupta, tour d’entrée du temple de Kapaleeshwarar, Mylapore
Ce soir-là, 63 idoles de saints, des Nayanmars, sont transportés sur des palanquins tirés et poussés par des pèlerins. Ils tourneront autour du temple toute la nuit sous les incantations, les offrandes, les prières et les bénédictions des prêtres Brahmanes. Chaque statue est richement habillée, porte de nombreux bijoux et d’innombrables colliers de fleurs.
Le quartier autour du temple s’est paré de tentures multicolores, de drapeaux, de hauts dais sous lesquels passeront les chariots portant Dieux, Déesses et Nayanmars.
La police déployée à grand renfort d’agents assure le passage de la procession en formant une barrière de sécurité à l’aide de cordages auxquels ils s’agrippent pour ne pas être eux-mêmes bousculés et emportés par la marée vivante et mouvante, flux et reflux de la mer.
Elle rejette sur les bas-côtés cette masse fondue, fondante, prisonnière d’elle-même. Elle se presse, se croise, se bouscule et se rattrape. Je me sens moi-même poisson pris dans la nasse, se débattant pour survivre, essayant de s’échapper, écrasé par ses congénères. Je panique un moment, m’accroche à Éric qui, lui non plus n’est pas loin de se sentir submergé.
Les mouvements de foule en Inde lors de manifestations finissent souvent tragiquement. Je m’étonne de voir autant de jeunes enfants et de vieillards qui pourraient chuter et se faire piétiner. A chaque passage de chars, les croyants s’accrochent du regard aux idoles sur les palanquins et prient, les mains jointes, pieusement.
De petits groupes de fidèles font des offrandes dans la rue. Ils sont pieds nus. Au centre d’un cercle improvisé et éphémère, ils brûlent de l’encens, fracassent des noix de coco, font des dons de fruits. De la flamme des mèches à huile, ils « enferment » la fumée dans leurs mains puis les posent sur la tête de leur enfant pour les bénir. Puis ils s’en vont.
Des musiciens créent une atmosphère envoûtante, bruyante.
Les hommes, vêtus d’un lunghi blanc et la taille ceinte d’une pièce de tissu orange ou rouge, les couleurs de Lord Murugan, torse et pieds nus, frappent sur des tambours, soufflent dans de longs cors ou des coquillages, claquent des cymbales en un rythme effréné. Ils ont l’air d’être en transe, ils sourient béatement, transpirent beaucoup, s’agitent et se balancent tout en jouant.
Des hijras, transsexuels autant respectés que redoutés, ne sont pas en reste. Elles participent aux festivités et se mêlent aux brahmanes, bénissant elles-aussi les enfants et les adultes moyennant un peu d’argent – un don. Pour ne pas se perdre, les familles et les groupes de jeunes se déplacent en formant une chaîne humaine. Elles se tiennent par la main, s’accrochent aux épaules et fendent comme elles peuvent la foule compacte. Tous font de même, nous, nous essayons.
Hijras
Panguni est aussi une fête de rue. De minuscules manèges font tourner de jeunes enfants ébaudis, les vendeurs de glaces, de fleurs et de babioles (bijoux fantaisie, articles de cuisine, objets, vêtements, …) fleurissent côte à côte. On vend à profusion friandises et boissons rafraîchissantes un peu partout.
Vers 20 heures, après avoir revu le premier des chars qui avait donc fait une révolution complète du temple, nous nous dirigeons vers le fameux Saravana Bhavan. C’est la plus grande chaîne de restaurants du sud de l’Inde au monde avec quelque 33 restaurants en Inde et 78 ailleurs dans le monde. Paris, Londres et New York ont leur enseigne. Dans une salle comble et bruyante, un serveur nous attribue une table. Nous y avons savouré un dosai, grande crêpe fourrée d’une purée de pommes de terre épicée aux oignons émincés, accompagné de plusieurs gravy, sauces pimentées que nous avons payé 115 roupies (1,30 €). Un prix imbattable et certainement pas ce que l’on paierait à Paris, à Londres ou à New York !
Repus et fatigués, nous avons pris le chemin du retour, étourdis de tant de monde et de tant de bruit, espérant trouver un auto-rickshaw de disponible. Après tout, nous n’habitions pas si loin que cela et la course ne serait peut-être pas intéressante pour le conducteur. Reprenant la route en sens inverse, nous débouchâmes sur le grand carrefour réglementé par des policiers tenant en main des bâtons de plastique, feux de signalisation portatif : couleur verte, on passe, couleur rouge, on s’arrête. En théorie. Les bras en croix, ces crucifiés sur la place publique tentaient de maîtriser la situation et de s’imposer par le pouvoir que leur conférait leur uniforme. Mais les piétons dont nous faisions partie s’en moquaient royalement et effrontément passant sous leurs bras sans même se préoccuper d’eux. Les deux-roues se faufilaient sous leurs yeux impuissants, les rickshaws tournaient autour d’eux en un ballet improvisé, les motos vrombissaient, disparaissant tel le vent. Seuls les automobilistes attendaient mais klaxonnaient d’impatience. Dans ce tohu-bohu, une « Mère de tous », pauvre vache sacrée, meuglait de terreur et sans doute aussi de rage de ne pouvoir aller là où elle voulait, désemparée de tant de vacarme et d’agitation. Elle était visiblement en panique et semblait hurler en un cri rauque, désespérée à fendre l’âme. Nous n’avions plus qu’une chose à faire, fuir et nous retrouver dans le calme rassurant et confortable de notre appartement. Il nous fallait, toutes affaires cessantes, prendre une douche froide pour se relaxer mais aussi comme pour se purifier de tant d’ardeur, de tant de prières, de tant de monde. Nous laver de toutes les impuretés qui semblaient collées à notre peau et, peut-être aussi, de nos péchés, contents néanmoins d’avoir vécu cette folle expérience.