Mode de pensée, penser en mode indien

L’échange a été éprouvant mercredi matin pour nous deux. Kamala est arrivée une fois de plus très en retard – la goutte d’eau qui a fait déborder le vase – et je lui ai réservé un accueil glacial à la place de mon habituel bonjour plutôt avenant.

Pendant plus de trente minutes, devant un café refroidi, assise sur le bord du canapé, presque en équilibre, le visage mouillé de larmes qu’elle ne pouvait plus contenir et ses tentatives d’excuses (c’est la faute du bus qui ne vient pas, c’est la faute à la circulation), j’ai joué le mauvais rôle, arguant que ma confiance en elle était trahie. Père fouettard !

Elle faisait peine à voir mais je ne savais pas encore tout. Ignorant. Mon mode de pensée occidentale, formaté, standardisé et ma réaction à fleur de peau m’ont aveuglé, outragés que nous nous sentions par son attitude apparemment désinvolte, détachée, indifférente et distante. Elle ne voulait pas être brisée.

Le lundi, elle avait formulé une demande de prêt de 30 000 roupies (360€) pour payer l’école de son fils. Les écoles publiques sont payantes alors que les écoles gouvernementales, de moins bonne qualité, sont gratuites. Mais, et c’est tout à son honneur, elle souhaite donner une meilleure éducation à ses enfants. Cette somme était-elle bien destinée à cela, s’était-on alors inquiétés ? N’allait-elle pas décider de nous quitter après avoir reçu cet argent ? Quelles garanties pouvait-elle nous fournir ? Nous ne pouvions en avoir aucune, bien évidemment. Suspicion !

Toujours une première posture de non-confiance, de prudence, de réserve, de repli sur soi, alors que je lui demandais comment nous pouvions lui faire confiance dans ces conditions ? Et de me le prouver. Pauvre de moi ! Un raisonnement sens dessus-dessous, sans sens.

Kamala a cependant menti sur un point. Elle a plutôt caché sciemment un fait. C’est Bala qui a finalement eu le fin mot en lui arrachant les vers du nez. Et elle a nié tant qu’elle a pu, la pauvresse.

Kamala ne vit pas avec ses parents à Chennai avec ses deux petits garçons de 2 et 6 ans. Elle ne rentre pas au village dès le vendredi soir jusqu’au lundi matin comme elle me l’avait dit. Elle vit avec son mari au village, à 1h30 en train de Chennai. Il lui faudra ajouter plus d’une heure de transports en commun pour arriver chez nous. Et l’on connaît l’état de la circulation dans cette ville. Elle prend le train tous les matins à 7 heures. Elle commence son service chez nous à 10 heures.

Lorsqu’elle est trop fatiguée après le travail, sans énergie pour faire le trajet inverse, elle s’offre le luxe de passer la nuit chez ses parents à Chennai. Très occasionnellement. Cela fait toute la différence. Cependant, un soir, elle a dû repartir au village car son tout-petit voulait sa maman …  Son mari lui avait demandé de rappliquer dare-dare ! A quelle heure était-elle arrivée chez elle la veille ? Dans la nuit ? Il va sans dire qu’elle n’avait pas pu venir travailler le lendemain. Cette jeune femme de 35 ans, toute menue, est déjà fatiguée par son mode de vie, écrasée par toutes ces contraintes.

La vie au village lui plaît. La famille de son mari possède une petite ferme, des arbres fruitiers. Son mari cultive la terre et cela les rend auto-suffisants. Mais ils ont besoin d’argent et c’est elle qui le rapporte au foyer.

Concernant sa demande de prêt, puisque c’est comme cela que Kamala l’envisage, elle m’a montré ce matin le reçu de l’école. Elle a bien un semestre de retard impayé pour un total de 30 495 roupies (365€). C’est bien de cette somme dont elle a besoin. Elle n’a pas menti.

S’investir dans une œuvre humanitaire à caractère éducatif ou contribuer à l’éducation du fils de notre femme de ménage, quelle différence ? Le but n’est-il pas le même ? Peut-on faire l’impasse sur ce qui nous touche directement ?

La différence est que nous connaissons Kamala et cela rend l’action directement plus humaine. Finalement, nous envisageons de ne lui demander qu’un remboursement partiel pour cette 1ère année et de payer la totalité les années suivantes. Mais ça, elle ne le sait pas encore.

Kamala ne veut pas changer ses horaires de travail comme je le lui ai proposé. Elle tient à conserver le même salaire, bien entendu, ce que je comprends.

Je pense, au moment où j’écris ces lignes, que nous devrons adapter nos points de vue et penser en mode indien afin de discerner autrement. L’histoire de Kamala est notre première épreuve.

Au cœur de Mylapore

Comme pour les autres articles décrivant des lieux qui m’ont touché, surpris, bouleversé, chamboulé, ou ému, ceux pour lesquels je ne reste pas insensible, je vais tenter de rendre celui-ci aussi vivant que l’est le district de Mylapore. Pour rappel, notre quartier, C.I.T Colony, se situe dans ce district. Il y a une foulitude de districts de Chennai à l’exemple de Egmore, Nungambakkam, Triplicane, Adyar, Besant Nagar, T. Nagar, Anna Nagar, George Town, Rapuram, Velachery, etc … Voici donc mes impressions comme je les ai vécues, pas seulement de mémoire (la mienne pourrait être altérée, diraient certains !), mais en étant au milieu de la foule toujours mouvante comme les courants et les marées, dans la bousculade et la promiscuité, au milieu des sourires ou des mines renfrognées, des poses photos, des invitations à boire le thé, à répondre aux mêmes questions, à essayer de les comprendre, pour in fine vous en rendre compte le plus fidèlement possible. Et puis, l’exactitude des faits, même si je ne sors jamais sans mon petit carnet vert dans lequel je prends des notes ou rédige à chaud, toujours sous les regards curieux des passants, dépend des images qui me restent dans la tête. Tout est question d’interprétation, ce sera ma vérité !

Difficile de résister à acheter les lotus …

Commençons par zoomer large. Voici une vue satellite de l’Inde du sud et de l’état du Tamil Nadu. Éric a pour secteur de travail tout ce sud et ses cinq états que sont le Kerala, le Karnataka, l’Andhra Pradesh, le Télangana et le Tamil Nadu. Chennai est la capitale de ce dernier et se situe géographiquement tout au nord de l’état sur la côte est du golfe du Bengale. Pour qui serait intéressé par un séjour en Inde, Chennai n’offrirait pas plus de 2-3 jours de visite. Elle a un caractère plus caché, à découvrir lentement. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’elle est sensuelle mais elle a besoin que l’on prenne du temps. Nous sommes loin des villes comme Delhi, avec ses vestiges de l’Empire moghol et sa vieille ville grouillante et bouillonnante, Mumbai, centre du cinéma Bollywood ou Kolkata, ville culturelle de l’Inde. Non, je le redis, Chennai n’est pas une ville attirante malgré le Fort Georges construit à la période de la Compagnie britannique des Indes orientales (XVIIème siècle) malheureusement dénaturé, les quelques églises catholiques, anglicane, arménienne, écossaise, ou les quelques temples hindous qui n’égalent pas ceux de Kanchipuram ou Mamallapuram. A noter cependant, et c’est amusant, que l’église anglicane, au sein du fort Georges, St Mary (புனித மேரி தேவாலயம்) est le plus ancien bâtiment britannique de l’Inde et est communément appelée « l’Abbaye de Westminster de l’est » et l’église St Andrew (the Kirk) dédiée à la communauté écossaise (புனித அந்திரேயா கோவில்) a pris, quant à elle, pour modèle St-Martin-in-the-Field à Londres. Voilà pour les références !

Mylapore est un district aisé selon les quartiers, et traditionnel qui abrite plusieurs sites sacrés et lieux culturels, notamment le temple de Kapaleeshwarar, avec sa porte tour (gopura), tout en sculptures et en couleurs ; Luz church, datant de l’époque coloniale portugaise ainsi que la basilique Saint-Thomas de Chennai, au style gothique, bâtie sur le lieu de sépulture de saint Thomas. La Madras Music Academy, à l’angle de notre carrefour, accueille des concerts et des spectacles de danse populaires. Mylapore est un centre historique, religieux et commerçant. On y trouve tous les articles en lien avec les temples mais aussi bon nombre de restaurants, vaissellerie et articles de cuisine en métal, paniers en osier ainsi que les incontournables magasins de vêtements et de joaillerie.

Voilà le district de Mylapore

A déambuler dans les temples, je remarque que les Indiens ont les pieds larges et trapus et aux doigts courts et écartés. Bien plantés dans le sol. Des pieds de gens de la terre. Ce sont des terriens. Les femmes portent des bagues à certains orteils. Ils ont le corps souple et flexible, quel que soit leur âge ou leur corpulence. Ils peuvent s’asseoir en tailleur les deux genoux touchant le sol, le dos bien droit. Ou bien être assis les deux jambes tendues dans une position qui semble si naturelle comme j’ai pu le remarquer chez ces femmes qui enfilaient des fleurs de jasmin en guirlandes pour le temple. Elles faisaient également des bouquets de feuillage à offrir à Shiva. Auraient-ils une constitution différente de la nôtre avec des articulations plus souples ou pratiquent-ils le yoga depuis le plus jeune âge ? Moi, je ne tiendrai pas 10 minutes sans commencer à gesticuler !

Je suis devant le temple de Kapaleeshwarar au cœur de Mylapore. Le centre historique et spirituel. Il y règne une ambiance de ferveur, le temple est bondé de 9h30 à midi et de 16h00 à 21h00. Les brahmanes bénissent à la chaîne. Les files s’allongent, les offrandes de fleurs et d’argent sont généreuses. Des dizaines de coupelles à huile sont allumées devant les sanctuaires. Cependant, interdiction absolue de prendre les divinités en photos et l’on est surveillé !

Il est 16h00 et le temple vient juste d’ouvrir. Deux militaires se déchaussent à l’entrée. Sont-ils de service ? On est accueillis par une demande de dons. Un grand drap est tendu dans lequel il y a déjà beaucoup de billets de 10, 20 et 50 roupies. Je suis pieds nus moi aussi. Le sol, fait de larges pavés de grès gris, est chaud. C’est agréable mais je ressortirai avec la plante des pieds sale.

Des files de fidèles attendent avant de pouvoir approcher les sanctuaires. Ça ne fait rien, on ne perd pas son temps et on prie à bonne distance, ce qui me permet de photographier. Ils passent autour de moi qui me tiens debout en train d’écrire au milieu de cette foule. Ils font comme si je n’étais pas là, m’évitant à peine. Ils parlent tout près de mon oreille. Beaucoup fréquentent les temples ; beaucoup de vieux et de jeunes, on y vient en famille, en groupes, des jeunes filles en uniforme. Tous portent les marques sur le front : blanc, jaune, rouge.

Ils sont patients !

Dans un coin, il y a une fontaine en inox d’eau purifiée avec un gobelet en métal. On y vient boire, les lèvres ne touchent pas le gobelet. On s’asperge les pieds, on se purifie. Juste à côté de la fontaine, une femme, au visage jaune enduit de poudre de turméric, vend des coupelles en terra cotta, des mèches et de l’huile. J’ai demandé à Bala la signification du visage « jaune ». Les femmes qui ont marié un enfant souhaitent ainsi force, puissance et persévérance au mari afin de féconder son épouse. Mais Bala n’est pas fortiche en croyance. Il croit simplement … Il est assez approximatif !

Beaucoup achètent la coupelle, l’huile et les mèches et assemblent eux-mêmes tout cela.

Ici aussi, je n’aurai pas accès au saint du saint, je ne verrai pas Shiva car je suis un non-hindou. Ça sent la nourriture. Les gens s’installent par terre et commencent à manger la nourriture sacrée ; elle aussi est couleur safran.

Une femme distribue de l’eau d’une petite bouteille en plastique. Cette eau est blanche et odorante, qu’y a-t-il dedans ? Un attroupement se forme autour d’elle. La femme, qui ne se distingue en rien des autres femmes, verse un peu de ce liquide dans le creux de la main de qui la lui tend. Ceux qui la reçoivent, en boivent une partie et versent le reste sur leur tête ; j’appelle cela de l’auto-bénédiction !

Dans la grande galerie, les gens sont assis par petits groupes, très peu sont seuls. Une vieille femme dort à mes pieds, enveloppée dans un joli sari. Elle a l’air paisible, le bruit, les mouvements ne la gênent pas. Quelle capacité ont-ils à dormir à même le sol, n’importe quand, n’importe où !

La grande galerie

Je ne comprends pas tous les rituels que j’observe. Les brahmanes sont très occupés. Ils reçoivent des offrandes et offrent en retour. Fleurs pour fleurs, nourriture pour nourriture, mais l’argent ne va que dans un sens. Après tout, les temples, donc les brahmanes, ne vivent que de dons. Et l’on sait à quel point les temples sont puissants … et influents ! Celui devant moi, un trentenaire, a les bras tatoués, un bon visage grassouillet qui ne manque pas de charme, de magnifiques cheveux longs et brillants retenus en un petit chignon et il a de gros tétons (Oups ! Blasphémé-je ?). Il accumule les billets sous son ventre. Devant lui, la foule est de plus en plus dense. L’attire-t-il ?

Je quitte maintenant le temple pour voir l’activité autour. Le quartier vivant est composé de nombreux restaurants, de vendeurs de rues, de magasins de toutes sortes. Et la circulation est toujours aussi folle, infernale ! Et jour-là, le quartier est d’autant plus bruyant et animé que c’est le jour de Shiva. On est vendredi, ce n’est pas un bon jour pour Bala qui voit d’un mauvais oeil mon envie de découverte au milieu de cette circulation, mais, de mon point de vue, égoïstement, c’est génial et très inspirant ! Les rickshaws sont partout. Ils sont en grande partie responsables de ce chaos parce qu’ils s’arrêtent absolument n’importe où. Les stands de fruits embaument le fruit du jacquier dont c’est la saison, mais ils encombrent la circulation également. J’en vois se faire méchamment déplacer par la police qui ordonne de dégager plus loin. Ainsi, on cache juste la poussière sous le tapis ! Les motos et les scooters vous rouleraient presque sur les pieds pour passer. C’est juste fou !

Aux abords du temple, on vend dans des coupes, une noix de coco, quelques bananes et des fleurs. C’est une jolie composition. C’est une offrande. Toutes les fleurs à offrir sont magnifiques et très fraîches. Cela sent le jasmin, longs serpents dociles enroulés sur eux-mêmes, endormis.

J’arrive au bassin aux ablutions, à l’arrière du temple, entouré de clôture. Dans la ruelle qui y accède, tout passe et là aussi, des petits stands de tout … Du côté temple, des vendeurs de fleurs, du côté bassin, une armada de deux roues en stationnement. Une cloche sonne. Quelle en est la signification ? Elle n’indique pas l’heure. De ce côté du temple, les plus précautionneux laissent leurs sandales au garde-chaussures moyennant quelques roupies. Dans cette ruelle, des mendiants, des unijambistes, des estropiés, tous assis par terre mendient sans parler, sans tendre la main, mais en portant une main à la bouche, « j’ai faim », ou « donnez-moi à manger ».

Un groupe de jeunes lycéennes achète des tresses de fleurs qu’elles mettent à leurs cheveux. C’est beau et ça sent bon.

Beaucoup d’hommes portent le dothi blanc. Ils font partie de la caste supérieure des brahmanes.

Les stands de fleurs sont tenus par de jeunes hommes. Ils confectionnent les guirlandes. Ces choses si fragiles sont manipulées avec dextérité, adresse mais également avec vigueur sans jamais endommager les fleurs qui se laissent enserrer autour du rafia et les maintiendra ainsi plusieurs heures.

Ce jour-là, le retour sera chaotique, la circulation effrénée. On roule au pas, les motos sont dans tous les sens. Il n’y a plus de règles de conduite. En cette fin de journée, les vendeurs de rues se sont étalés sur les trottoirs, le long des caniveaux. Les fruits et les légumes ont l’air frais et ça sent le fruit du jacquier que les vendeurs épluchent, mettant la chair jaune à nue, filandreuse, soyeuse mais non juteuse.

Non loin de Kapaleeshwarar, le temple universel de Sri Ramakrishna Math (le Math est un ordre monastique qui prêche l’unité fondamentale de toutes les religions) est un bel édifice rose entouré d’un très beau jardin fleuri. Et l’endroit est juste paisible, reposant en dehors du tumulte de la ville.

Un peu plus au sud, on trouve la cathédrale basilique San Thome. C’est un bel édifice impressionnant par sa taille et la blancheur exarcerbée par le soleil. Bâtie par les Portugais en 1523, elle fût « dénaturée » par les Britanniques en 1896 en un style néogothique, où « néo » a toute sa signification.

Enfin, plus près de chez nous, Luz Church, Notre-Dame-de-la-Lumière, est une jolie petite église bâtie elle aussi par les Portugais en 1516 et qui a gardé son architecture d’origine. C’est le plus ancien bâtiment européen de Chennai.

Autour de ces deux édifices religieux de confession catholique et entourés de palmiers, il y a peu de mouvement. Les endroits sont très calmes et tranquilles, je dirai même désertés. A l’intérieur de ces lieux de culte, on peut voir quelques fidèles en prière fervente. L’adoration des images pieuses n’est pas sans me rappeler les pratiques de l’église orthodoxe où les fidèles baisent les pieds des images pieuses et des statues de saints. Cependant, la gestuelle est un peu celle des hindouistes.

Sortis de ces lieux vivants, bruyants ou calmes et reposants, nous rejoignons les grandes avenues, c’est déjà plus respirable et la circulation y est un peu plus fluide. Ça pétarade, ça klaxonne, ça débouche de partout. Tout cela est Mylapore, et tout ça pour moi, c’est l’Inde.

Chez nous

Le jour de la Saint Valentin, cela faisait deux mois que nous avions emménagé à Rena Apartments. Nous étions des happy Valentines ! Et nous le sommes toujours.

Papier de coton de la fabrique artisanale de Puducherry

Compte tenu de notre situation que je développerai ci-après, nous essayons de faire de notre appartement un lieu dans lequel on se sent bien, un nid douillet où on peut cocooner. La vie trépidante en Inde et à Chennai impose d’avoir un havre de paix, un lieu de vie confortable pour pouvoir retrouver son énergie ou la mettre en veille afin de mieux se ressourcer … même si cela est souvent relatif (rappelez-vous le billet « Chennai, ou il n’y a pas de sots métiers »).

Laissez-moi donc vous décrire ici l’épine que nous avons sous le pied. Notre visa à entrée unique a expiré le 14 janvier. Depuis cette date, nous sommes dans l’attente d’une régularisation qui tarde à venir. Le stress et l’impatience ont quelque peu pris le dessus. Si nous sommes parfois apaisés, parfois agacés, notre situation a, malgré tout, évolué. La semaine dernière, Éric obtenait sa carte d’identité indienne, prête depuis le 18 janvier (4 jours seulement après l’expiration de notre visa), mais gardée sur une pile de dossiers au Ministère des Affaires Extérieures (MAE) à Chennai. L’intervention de la Consule générale de France a sans doute débloqué la situation. Quant à moi, ces mêmes autorités sont bien disposées à me délivrer ma carte, disent-elles, mais il leur faut l’aval de Delhi. Et de nouveau, c’est une partie de ping-pong qui se joue entre les deux administrations. Pourquoi, me demanderez-vous peut-être ? La raison est simple et maintenant évidente. L’Inde ne reconnaissant pas le mariage de personnes de même sexe, notre présence sur le sol indien relève d’une nouveauté qu’elle ne sait comment gérer d’une part, et est un sujet d’embarras, d’autre part car cela met en cause un agent de l’État français en possession d’un passeport officiel. L’ambassadeur, mis au courant, suit le dossier de près … disent les agents du service de l’ambassade. Hum, hum ! A voir ! Il devrait intervenir cette semaine après la visite du président américain. Et je referme cette parenthèse assez pénible pour justement reprendre la voie de ce qui nous apaise : chez nous.

Vous voyez à quel point Éric est contrarié !!! Hihihi !

Dimanche 23 février, nous avons farniente dans la matinée, puis sommes partis en « self tour operator » visiter deux églises et un temple hindou dans les districts de Mylapore et d’Egmore, au centre de Chennai.

Pour l’heure, je me sens plutôt d’humeur à vous faire entrer chez nous et vous faire découvrir tranquillement, notre déco en attendant notre déménagement.

Les petits fauteuils ont des coussins depuis aujourd’hui. Bien plus confortable !

Nous avions anticipé des aménagements à l’occasion de notre excursion à Kanchipuram, le jour de la fête de Pongal. Lors du passage dans la boutique qui a suivi la visite d’un atelier de confection de saris en soie, nous avons acheté des housses de coussins qui « habillent » les canapés et le fauteuil.

Notre belle sculpture en bois représentant la chasse aux tigres à dos d’éléphant trône en majesté sur un petit buffet. Elle est mise en valeur par une belle orchidée. Un paravent miniature en ébène serti de médaillons peints fait le pendant. Est venue s’ajouter une lampe dont l’abat-jour est à motif végétal. Éric l’avait achetée à Pondichéry lors de son dernier déplacement.

Cette sculpture vient de New Delhi, lorsque nous y étions fin décembre-début janvier.

Les sièges en rotin sont maintenant garnis de châles négligemment posés. Éric en reçoit un dès qu’il se rend pour la première fois à une réunion protocolaire (les établissements scolaires et universitaires en ce qui le concerne). Nous en avons maintenant un jaune, un bleu, un vert, un or et bleu et un rose. Combien en aurons-nous dans quatre ans ?

Il y a même un châle sur le lit … L’Or, J’Adore !

Les nouvelles lampes de chevet dans une chambre d’amis et celle posée au sol dans l’entrée sont nos derniers achats à la foire des artisans de la fondation Kalakshetra (souvenez-vous le billet « Ce soir, on danse »), ainsi qu’une paire de kartals et trois petits pots en laiton. Ceci a terminé de satisfaire nos envies de nouveautés. Et nous en sommes contents.

Les kartals sont des instruments de musique traditionnels. On passe le pouce et l’index dans les anneaux et on les frappe l’un contre l’autre. Les petits disques métalliques s’entre-choquent alors créant le rythme des chants et des danses.

Le ruban fait de lamelles de bambou reliées par des fils est minutieusement gravé de scènes « mytho-sacrées ». Les faces cachées nous amusent beaucoup. Au centre de chaque paire de lames, un médaillon rond amovible se soulève et laisse voir vers le haut, un animal, et vers le bas une position du Kamasutra. Dix poses au total ! Il y a de quoi fantasmer !

On a vraiment envie de retrouver nos effets, pour la plupart acquis en Bulgarie ! Créer un nouvel espace personnel, chercher les meilleurs emplacements, essayer, changer, revenir à ce que nous ne voulions pas deux minutes auparavant, discuter, pinailler, tergiverser, se prendre le nez et se le rendre, pour finalement être d’accord, trouver ce qui conviendra à tous les deux.

Et je n’oublierai pas Kamala en train de faire des chapatis et Bala en train de couper du vellam (sucre naturel brun). Nous avons fait installer un ventilateur dans la cuisine parce que ça va chauffer hot à partir d’avril-mai, à la saison chaude.

Kamala confectionne d’excellents chapatis. Ces galettes de pain non levé sont délicieuses avec les plats en sauce (curry, sambhar) et avec du houmous, par exemple.

Voilà, ce billet tout simple est terminé. Je voulais vous faire entrer dans notre intimité, vous inviter chez nous, partager avec vous notre quotidien, vous donner des envies d’Inde, en espérant vous retrouver dans le prochain billet qui décrira notre district, Mylapore.

Allez, encore un éléphant ! Très beaux effets, visuel dans cette boule ajourée en marbre, lorsqu’on y place une bougie, ou olfactif, lorsqu’on y place un cône d’encens.
C’est bien mieux comme ça et ce sera l’image de la fin !
Éric est d’autant plus content qu’il vient d’apprendre que son passeport avec le visa est en route pour Chennai. Il le trouvera au Bureau de France jeudi matin ! Bou -ou-ou !!! Et moi ?

Pongal à Kanchipuram

Équation à deux inconnues : x + y = 3

Sachant que x = Pongal et y = Kanchipuram, trouvez une des solutions à cette égalité.

La mi-janvier (cette année, c’était le 15) marque la fin des moissons. Dans une ambiance de fête, les familles préparent le pongal, un plat de riz et de lentilles, dahl, cuisiné dans des marmites de terre neuves. Pongal symbolise prospérité et abondance. C’est grâce au labeur des buffles dans les champs que les hommes peuvent se nourrir. En remerciement, ils les nourrissent à leur tour en leur offrant ce fameux pongal, d’où le nom de cette fête. A cette occasion, les vaches sacrées sont lavées et leurs cornes peintes. Une marque sur leur front les protège ; bénies par les dieux !

Vous connaissez la valeur de x.

Central station

Kanchipuram est une grosse bourgade qui se trouve à 80 km au sud-ouest de Chennai, soit 1h30 en auto. Son nom signifie la « ville d’or » ou « ville des temples ». Cette petite ville doit son intense animation à une activité économique et touristique très florissante. En effet, c’est un centre renommé pour la production de la soie et la fabrication artisanale de saris et autres tissus décoratifs pour la maison ou accessoires à porter. Bon nombre de sa population s’est spécialisé dans le tissage et a converti une partie de son habitation en atelier que l’on peut visiter et voir ses tisserands travailler sur leur métier à tisser mécanique.

Fabrication d’un sari en soie. Le métier à tisser, comparable à un orgue, se « joue » avec les pieds …

Orgue de Barbarie aussi, car on détermine le motif des pièces à tisser à partir de cartes perforées, reliées entre elles et constituant un ruban, déterminant ainsi le « jeu » à donner à la pièce de tissu. Véritables cartes mémoire, utilisées au début de l’informatique au XIXème siècle.

Vous connaissez maintenant la valeur de y.

Reste à déterminer l’égalité 3.

Sachant que Kanchipuram est une des sept villes sacrées de l’hindouisme et qu’elle fut la capitale d’une des trois dynasties régnantes, cette ville très animée compte aujourd’hui un grand nombre de temples.

Ces dynasties se rencontrent, se croisent et se superposent parfois. Leurs territoires varient en superficie, leur puissance fluctue en fonction de leur suprématie. Vous savez qu’à la guerre, on gagne et on perd !

La plus ancienne fut le royaume Pallava – rappelez-vous le Rāmāyaṇa – dès la fin du IIIème au IXème siècles. Le premier souverain établit la capitale à Kanchipuram. Les Pallava s’implantèrent dans le sud-est de l’Inde et plus précisément dans le Tamil Nadu d’aujourd’hui. Les souverains successifs de ce royaume bâtirent Mahabalipuram – rappelez-vous le billet « Week-end à Pondichéry ».

Empire Pallava à son apogée

Les souverains de la dynastie Chola – fin IIIème siècle av. J.-C. au XIIIème siècle –  s’établirent sur un territoire variable qui s’étendait jusqu’au nord de Sumatra en Indonésie. Ils développèrent notamment un art dans l’architecture et du bronze à la cire perdue. Les musées indiens débordent de magnifiques sculptures de la période Chola très active du Xème au XIIIème siècles.

Empire Chola et influences extérieures

Ceux de la dynastie Vijayanagar s’installèrent sur le plateau du Deccan de l’Inde du sud. Ce sera le dernier des trois grands royaumes de cette région. Sa capitale est aujourd’hui Hampi, dans l’état du Karnataka voisin, ville patrimoine mondial de l’Unesco, que nous n’avons pas encore visitée. Ce royaume s’imposa du XIVème au XVIème siècles (1336-1565, plus précisément) avant d’être conquis puis pillé par la Confédération islamique du Deccan en 1565. Fin de l’épisode !

Empire Vijayanagar

Vous comprenez maintenant ce qu’est l’égalité = 3. Ce sont les trois royaumes. Mais « 3 » pourrait être l’égalité de l’équation : Pongal + Kanchipuram = trois personnes heureuses de cette magnifique excursion, Claire, Éric et moi, ou autre égalité = émotion, jubilation, bonheur, etc, etc …

Kanchipuram est en tout cas, la somme de ces trois royaumes qui vont de la fin du IIIème siècle av. J.-C. au XVIème siècle. Et je peux vous dire que c’est impressionnant ! Fin de la leçon d’arithmétique fantaisiste !

Pongal, mercredi 15 janvier, était un jour férié et nous avons décidé de partir à Kanchipuram avec Claire, notre voisine depuis peu. Journée très chaude, départ très tôt ! Il s’avèrera que cette sortie avec Claire sera plaisante parce qu’elle est une personne très agréable.

Je vous épargnerai les descriptions érudites et les noms compliqués des temples que nous avons visités. Mais les plus anciens (allez, quelle dynastie ?) sont extraordinairement beaux ! Et plus tranquilles. J’oserais avancer une comparaison surprenante en disant que c’est la différence entre l’art roman et le rococo (en excluant toute correspondance de dates). Outre la beauté architecturale et l’intérêt historique, ces temples sont des lieux de dévotion incroyable. Des brahmanes, derrière chaque colonne, sont prêts à vous bénir en échange d’un petit billet ! Les colonnades, c’est aussi ce qui surprend dans ces temples. Elles sont très nombreuses – une salle des mariages est appelée la salle aux 100 piliers – et sont extrêmement ouvragées.

Salle des mariages
Salle aux 100 piliers

Ensuite, la surprise vient du fait que certains temples sont vastes. On y déambule le long de larges allées fraîches en admirant toute cette belle architecture et parmi les fidèles, mais le sanctuaire n’est accessible qu’aux hindous … grrr ! C’est évidemment dans les sanctuaires que se trouvent les trésors !

Des cinq temples remarquables visités, deux sont dédiés à Shiva (dieu suprême et du yoga, il possède la connaissance universelle, suprême et absolue. Il est le père de Ganesh), deux sont consacrés à Vishnu (deuxième dieu de la trinité – Brahma, Vishnu et Shiva – il protège l’univers que Brahma crée et que Shiva détruit). Vishnu compte 10 avatars (incarnations d’une divinité sur terre dont : N°7, Rama, N°8, Krishna, N°9, Bouddha). Le dernier temple vénère Kamakshi (représentation de Parvati, sœur de Vishnu et épouse de Shiva). Ce dernier est l’un des plus importants du pays. J’espère ne pas vous avoir perdus dans cette généalogie !

Le premier des temples en grès rouge (VIIIème siècle) que nous avons visité est le plus ancien et le plus paisible. Il est remarquable par son importance historique et par la délicatesse du travail de la pierre. Son enceinte est plantée de lauriers roses qui rehaussent la beauté du lieu.

Un autre temple occupe un domaine de 12 ha. On y accède par un gopura – porte d’entrée en forme de tour – haut de 59 mètres. Ses sculptures datant de 1509 ne sont pas peintes, contrairement aux temples hindous.

La plupart des temples ont un bassin aux ablutions. De quoi purifier le corps avant de se présenter devant les dieux !

Le lotus, quelle fleur merveilleuse !
C’est avant tout la fleur sacrée !

Un déjeuner dans un restaurant végétarien en compagnie de Bala a rassasié nos ardeurs … Et nous sommes prêts à continuer les visites !

Vous l’aurez ainsi compris, nous avons été impressionnés, intéressés et heureux de nos visites. Autre égalité de mon équation …

Et le meilleur est pour la fin/faim, avant de repartir au soleil couchant. Achat d’une tige de canne à sucre que nous mastiquerons de retour à Chennai.

Chennai ou, il n’y a pas de sots métiers

Chennai est un archipel composé de milliers d’îlots flottants au ras des courants et des marées. Chennai est un océan dans lequel on baigne dans la lumière crue du soleil et dans la moiteur de la chaleur. Le pire est à venir. Les courants sont puissants, bruyants et les flots incessants submergent qui s’y aventure. Ces courants suivent de longues et larges artères, ne donnant place qu’à ce qui roule, et encore, faut-il encore la trouver. Ces flots roulants sont féroces pour qui tenterait une embardée.

Chennai est une jungle. Ses milliers d’îlots sont verdoyants. La végétation tropicale à feuillage persistant sec comprend une grande variété d’arbres dont plusieurs types de palmiers, des ficus elastica ou caoutchoucs, des bananiers, des banians, arbres sacrés aux étonnantes branches qui se plantent dans le sol et deviennent racines formant ainsi de nouveaux troncs. On y trouve également des plantes grimpantes et des herbes. Certains îlots ont des noms de jardin à l’exemple de Poes Garden, J Garden ou Vasantham Garden.

Autour de notre « colony »

Chennai est composée d’une multitude de colonies, vocable anglais, vestige, entres autres, de l’autorité coloniale britannique pendant plus de trois siècles. Ironie du sort suite à l’indépendance en 1947 ! Une colony est un petit quartier d’habitations, plus ou moins calme et tranquille, plus ou moins résidentiel, plus ou moins huppé, composé, pour la plupart, de petits immeubles de 2 à 5 étages. Des derniers étages et des terrasses, on surplombe la canopée. On voyage d’un îlot à un autre pour aller à Seetamal Colony, en passant par Drivers Colony, Anna Colony, Lakshimi Colony, NGO Colony, Tondiarpet Police Colony ou par Vyusar Nagar Colony, pour n’en citer que quelques-unes.

La colony ne propose pas ou peu de commerces de proximité. Des entreprises s’y sont installées, quelques vendeurs de fruits itinérants, des services « sur les trottoirs » (repasseurs, couturiers), le pressing Excello et un primeur de quartier qui font leur beurre. Ces colonies sont un peu des cités dortoirs, mais ne sont pas mortes, et mis à part les aboiements de chiens, le tintement métallique du vendeur de cacahuètes grillées qui s’annoncent plusieurs fois par jour, les voix des agents de sécurité et des chauffeurs attendant leur patron, des ménagères en saris discutant dans la rue tout en balayant devant leur porte avec des balais si typiques faits de tiges séchées de palmiers, ou encore le vrombissement de motos, les pétarades des rickshaws, les coups de klaxon intempestifs, sans oublier les jacassements et autres cris que produisent les nombreux oiseaux et écureuils perchés dans les arbres, sous nos yeux sans qu’on les distingue vraiment, et qui perturbent de leur puissante voix la relative tranquillité de notre « îlot », et bien, mis à part tout cela, ces colonies, disais-je, sont plutôt calmes. La nôtre illustre bien tout cela.

C.I.T. Colony est bordée par quatre furieuses artères ; PS Siva Swany Road à l’est, Radha Krishnan Salai Road au nord, T.T.K Road à l’ouest et Musiri Subramaniam Road au sud. Nous vivons à Mylapore, et nous y sommes bien. Les immeubles autour du nôtre sont juste corrects, la vue est imprenable ! Les plantes sur nos balcons sont un peu le prolongement de cette végétation extérieure luxuriante. Nous vivons dans un quartier où résident et travaillent des médecins, des avocats, des personnalités politiques protégées par un important quartier général de la police. Ce choix est le fait du hasard, du bon sens et du nez fin !

Les artères grondantes aux courants forts ont des courants contraires qui s’entrecroisent, se surplombent, vont dans un sens et tout-à-coup dans l’autre, butent sur un barrage de police, regorgent d’un nombre impressionnant de petites boutiques, de magasins à enseignes connues, d’échoppes collées les unes aux autres – mais comment survivent-elles ? – de centres commerciaux gigantesques, réfrigérés, ultra modernes et chics. La mondialisation nous ramène toujours un peu chez nous ! Et le monde libéral de la surconsommation bat son plein partout, comme chez nous. Ici, on n’y verra pas de « traîne savates », de va nu-pieds, de loqueteux, de miséreux, de boiteux, d’estropiés, d’éclopés. Les classes moyennes et supérieures vivent dans le monde moderne, protégées pour un temps de la vue de cette « faune » extérieure, tout comme la plupart des étrangers. Non ! A la frange des artères furieuses, dans les petites échoppes débordantes de marchandise et aux allures miteuses, petits patrons et employés ouvrent leur commerce dès 7 heures jusqu’à très tard, 6 jours sur 7 et presque toute l’année. Ce sont eux qui font vibrer cette ville-archipel, qui lui donnent son âme et font battre le cœur de Chennai.

Les gargotes sont légion. Certaines affichent une enseigne de restaurant, la plupart sont des snacks.  Dans la fureur infernale de la ville-araignée, dans la poussière et la chaleur, les commerçants vendent des litres de chai parfumé (thé au lait sucré épicé à la cardamome), de délicieux cafés sucrés au vellam et servent des plats cuisinés à faire saliver, préparent sous les yeux des clients, chapatis et parotas (galettes non levées), pétris sur des étals en inox, où les habitués s’arrêtent volontiers. Ça sent bon, ça fait envie, mais on se l’interdit … pour l’instant !

A la suite, les quincailleries, grandes comme des mouchoirs de poche, proposent à peu près de tout. Imaginez un peu Leroy Merlin ou Castorama, ces magasins de DIY, en riquiqui. Les trottoirs servent également de vitrine et l’on y entasse tout ce qui ne peut prendre place à l’intérieur : escabeaux, échelles, tubes droits et coudés, gaines, cordages, tuyaux, … Demandez, vous aurez ! D’autres boutiques vendent tout pour la maison : services de tables en inox, en plastique, en porcelaine, des boîtes de rangement pour la nourriture, indispensables dans les cuisines, de merveilleux plats en bronze, en cuivre, typiques de l’Inde, du petit électroménager, des ventilateurs, des airs conditionnés, bon marché.

Les primeurs ont également leur place, une toute petite place. Et l’on se demande comment ils peuvent encore exister avec la concurrence des supermarchés. Là encore, ce sont les habitués du quartier, les personnes âgées qui trouvent tout près de chez elles. Et tant d’autres commerces encore ! Électricité, informatique, téléphonie, reproductions et photocopies, coiffeurs, vêtements, artisanat, fleuristes, meubles, pharmacies, laveries, réparateurs de pneus, coffee shops, … Çà et là, un sanctuaire bouddhiste ramène à la spiritualité marquée dans ce pays .

Sur les trottoirs, on trouvera des repasseurs, des repriseurs, des vendeurs de noix de cocos, mais aussi, assis par terre, des réparateurs et cireurs de chaussures, dans un monde où – presque – tout le monde vit en sandale, en tong ou marche pieds nus.

Au sud de Chennai, à la recherche de petits meubles de balcon en rotin, arrêt « eau de coco » .

Elle aurait des vertus bénéfiques chez les hommes d’un « âge certain » et préviendrait de certaines maladies … à raison d’une par jour !

C’est ce que nous nous obligeons à faire !

Et enfin, dans le flot même, effrayant à certaines heures, la tête maintenue hors de l’eau et le cou sous le lourd joug de bois, de malheureux mais non moins beaux buffles, habitués à ce tohu-bohu, tirent paisiblement une charrette conduite par un vendeur de fruits (bananes, goyaves, ananas, grenades, noix de cocos), ou des transporteurs et des livreurs qui tirent et poussent à la force de bras maigres leur lourde bicyclette !

Le long d’autres saignées, on ne peut manquer les magasins qui sont la signature vestimentaire de l’Inde, qui fait son identité (exacerbée, ai-je dit ?) et l’identité des Indiens,  les très chics vêtements ethniques et traditionnels. Les femmes y achètent des saris, des salwar kameez (pantalons larges et longues tuniques), des lengha choli (longues jupes et blouses enserrant la poitrine) et des dupatta (voiles de modestie). Les hommes y trouvent des dhoti (bandes de tissu blanc longues de 4 à 5 mètres en coton ou en soie), des sherwani (longues chemises jusqu’aux genoux), des kurta (longues tuniques), des cheridar (large pantalon), des pyjama (pantalons étroits plissés aux chevilles et retombant sur les sandales) et enfin des ghatchola (châle en voile). Ces magasins ont pour voisins des bijoutiers-joailliers spécialisés pour la plupart dans les bijoux du Rajasthan dont la capitale est Jaïpur. Quand on voit le nombre et le luxe de ces boutiques, on se demande bien comment elles flottent dans ce raz-de-marée. T. Nagar en est le centre névralgique, mais on en compte beaucoup sur Cathedral Road, près de chez nous … et partout ailleurs !

Les petites rues sur-animées et surpeuplées de Royapettha ou de Adyar, juste passé le fleuve du même nom, écument le trop-plein d’énergie et la confusion des grosses artères encombrées. Là, on pourrait dessiner un tableau à plusieurs plans.  Au centre, le serpent de mer infini. De chaque côté, les activités commerciales « de trottoir » et sur la chaussée, les vendeurs de fruits à bicyclette ou à plateau tiré par un buffle. Ensuite, à même le trottoir, les cordonniers, cireurs de chaussures, vendeurs à la sauvette de faux cuir, de montres, de ceintures, de sacs. On y trouve aussi des activités artisanales telles que la fabrication de canisses en rotin. Enfin, les échoppes et les boutiques qui s’étalent dans ce sillon, pêle-mêle. Au milieu de tout cela, des gens, allongés sur le trottoir ou assis par terre, dorment ou discutent tranquillement les pieds dans le caniveau.

Le passage pour piétons a disparu sous les roues des véhicules impatients de repartir …
On ne s’énerve pas, mais pas très cool au volant, les Indiens !
On n’est pas bien là ?

Tout cela nous raconte l’histoire de cet État du Tamil Nadu, de cette ville et de ses habitants ; leur mode de vie, leur culture, leur(s) croyance(s), leur identité tamoule.  Émerge souvent de ma mémoire, des images de l’Inde visitée en 1983, à la différence qu’aujourd’hui, la technologie a envahi l’espace public. Les rickshaws s’orientent grâce à Google maps, les taxis Uber et Ola se commandent à partir d’une application et il n’y pas plus à donner la destination au chauffeur, elle est déjà enregistrée au moment de la commande. Les plateformes de commande de nourriture en ligne Zomato et Swiggi livrent à moto des centaines de milliers de déjeuners aux employés des entreprises, y compris au Bureau de France. Tous ont au moins un téléphone portable, sinon un smartphone. Et même les plus démunis, ceux qui dorment la nuit dans la rue, sous les autoponts, en pleine lumière et à même le sol, ont un téléphone collé à l’oreille. Ils sont reliés à une réalité et à leur monde. Comme nous.

Allez mes amis ! Fin de ce billet qui m’a demandé beaucoup de temps ! Esprit un peu, beaucoup, à la folie, passionnément confus en ce moment du fait de notre non-encore-régularisation de notre situation…
Nous attendons toujours que les autorités chennaites et delhiites se décident ! J’essaie de prendre de la hauteur, mais je ne sais pas très bien voler !!!

La Compagnie française des Indes orientales

Week-end à Pondichéry

C’est quand même Colbert qui nous y a attirés. Bala était au volant de son Etios. Il avait accepté d’être notre chauffeur durant le week-end et il nous conduisit à Pondichéry, un des cinq « Établissements français en Inde ».  

Sans rentrer dans l’Histoire, mais surtout pour faire court, la guerre fait rage entre les Français et les Néerlandais puis entre les Français et les Britanniques pour qui étendra son royaume en un vaste empire colonial. Les enjeux financiers sont prometteurs.

* « Je fleurirai partout où je serai porté »

La Compagnie française des Indes orientales voit le jour en 1664. Le royaume de France assoira sa puissance dans l’océan indien entre 1720 et 1740. Vous me diriez que c’est une bien courte période que vous auriez raison ! La France perdra les guerres successives à l’usure, et laissera la place libre aux Néerlandais puis aux Britanniques. En 1763, la France voit son 1er empire colonial fondre comme glace en Antarctique. Il ne lui reste alors que cinq comptoirs, les fameux « Établissements français en Inde », Pondichéry, restée française jusqu’en 1956, Karikal, Yanaon, Mahé, devenues indiennes en 1954 et Chandernagor rendue à l’Inde en 1949. Vous connaissez la suite.

Nous décidons de franchir les quelque 170 kilomètres et trois heures de route qui nous séparent de Puducherry, samedi dernier. Ce sera ma première sortie de Chennai, hors Delhi. Levés à l’aube et départ à 8 heures. Il ne fait pas encore trop chaud et Éric a prévu un arrêt sur un site classé patrimoine mondial de l’Unesco qu’il avait visité quelques semaines plus tôt et a prévu de me le faire découvrir. J’ai hâte de voir cela !

Quitter Chennai prend du temps et cette portion de route n’offre rien d’intéressant. Moi, smartphone prêt à se déclencher,  j’aime regarder les motocyclistes se déplacer en famille sur ces routes nationales chaotiques. Et je les mitraille ! Ils sont à trois ou quatre sur les motos et défient tous les dangers. Entre les parents, portés dans les bras, de jeunes nourrissons dorment paisiblement, mais aussi, penchés sur le réservoir pour protéger les yeux du vent, des enfants que 4 à 6 ans affrontent inconsciemment tous les dangers de la route. Parfois, de plus petits encore sont debout sur la selle. Je n’arrête pas de penser qu’ils pourraient glisser et chuter. Mais non, tout va bien. L’homme porte son casque, la femme son sari. Et vive les couleurs ! Bala connaît bien la route, il klaxonne raisonnablement mais régulièrement. Il faut savoir s’imposer sur la route. Éric termine sa nuit, enveloppé dans une écharpe en soie à cause de l’air conditionné dans la voiture ; sa gorge est fragile.

Nous arrivons à Mahabalipuram (Mamallapuram de son nom indien). Un site extraordinaire le long de la côte de Coromandel sur le Golfe du Bengale. La ville est en ébullition, les temples en pleine activité. Les pèlerins sont habillés de rouge ou de couleur safran. On a du mal à se frayer un chemin jusqu’au parking. Bala, imperturbable, nous mène à notre 1ère station, le temple du Rivage, érigé au VIIIème siècle sous l’ère Pallava. Il est le plus ancien du Tamil Nadu. Une splendeur architecturale !

Pèlerin connecté … et don de cheveux au temple !

La 2ème station est « Cinq Ratha ». Ratha signifie « char » en sanskrit. Ce sont des chars sans roue mais la forme de ces blocs monolithiques du VIIème siècle rappelle la fonction de véhicule des dieux. Devant chaque ratha, on est impressionnés de voir la sculpture d’un animal qui servait de monture aux divinités. Elles portent le nom des cinq frères Pandava, époux communs de Draupadi et héros de l’épopée du Mahābhārata.

Quatre ‘ratha’
Chaque animal et son ‘ratha’ sont sculptés dans une seule et même roche.

La 3ème station nous amène devant le bas-relief nommé « Ascèse d’Arjuna » ou Descente du Gange. C’est un chef-d’œuvre de l’art antique indien, sculpté dans deux énormes rochers attenants et qui représente des épisodes de la mythologie hindoue et des scènes de la vie quotidienne.

Le Gange est le sillon qui relie les deux blocs de rocher

Nous quittons ce tumulte à l’heure du déjeuner, heureux d’échapper à la foule et à l’idée de nous restaurer. Nous ne dérogeons pas à la règle d’or des ‘3 C’ : Culture, Cuisine et … zut, j’ai oublié le troisième !

Le trajet de Mamallapuram à Puducherry déroule sous nos yeux des kilomètres de rizières, de palmeraies, de marais salants où les travailleurs sont courbés sur leur outil. Les buffles avec leur piquebœuf sur la bosse sont présents dans ce paysage. Les lacs et les activités aquatiques, les huttes aux toits de feuilles de palmiers séchées, les maisons aux couleurs criardes défilent à toute allure. J’en oublie les coups de klaxon et le mauvais état de la route qui nous brinqueballe. J’absorbe cette portion de route et nous voilà déjà à la frontière du territoire, aux portes de Pondichéry.

Je vais essayer d’expliquer simplement l’exception de Pondichéry. Tout d’abord, c’est un territoire au sein de l’état du Tamil Nadu. Arrivés à cette ‘frontière’, tous les véhicules et leurs passagers doivent s’enregistrer moyennant une ‘gabelle’, un droit de passage (500 roupies pour 3 jours), ce dont nous nous acquittons. Ce territoire est grand comme un mouchoir de poche, mais White Town et son quartier français, c’est être en France, sans y être réellement tout en étant en Inde, sans y être non plus. C’est assez déroutant. A ‘Pondy’, les noms de rues sont en français, les enseignes sont écrites en français, les bâtiments, pour ceux qui sont restaurés – et il y en a beaucoup – sont des témoignages de la présence française dans ce que fut ce comptoir maritime. L’architecture rappelle la France dans ce qu’il y avait de plus beau. Seule différence, la végétation luxuriante qui ajoute au cachet de ces belles demeures et qui bénéficient de l’appellation VMF, Vieilles Maisons Françaises. Hôtels, Tribunal d’instance, Chambre de commerce, Lycée français, Alliance française, Institut français, École française d’Extrême-Orient, Consulat général, résidence du Gouverneur, la cathédrale Notre-Dame de l’Immaculée-Conception, l’église Notre-Dame des Anges, le cimetière des Capucins, la cordonnerie, le front de mer sur Goubert Salai, … sont autant de témoignages de la présence française sur ce territoire. Sans oublier la belle demeure qui abrite les ateliers de broderies des hospices de Cluny, datée de 1774.

Noix de coco poncée et vernie.
Quel bel objet sur cette stèle de bois sculpté !
Franchi le portail, on arrive dans la cour d’honneur, lieu de passage des élèves.
Consulat général de France, sur le front de mer
Très beau bâtiment sur le front de mer
Résidence du Gouverneur de Puducherry, face au parc

Depuis ce XVIIIème siècle, les Indiens nés à Pondichéry bénéficiaient de la nationalité française. Après l’indépendance de l’Inde, en 1947, ces Indiens-là ont eu à se prononcer sur leur nationalité en 1962. Un certain nombre (dont de nombreux « intouchables » qui espéraient ainsi accéder à un statut plus digne) a conservé la nationalité française. Aujourd’hui, les nouvelles générations de Français d’origine indienne ne parlent plus le français et le français est en perte de vitesse car, quoi de plus naturel, cette présence française n’est plus qu’une vitrine, un atout touristique donc financier pour la ville. Car les Français d’Inde sont Indiens et vivent selon leur culture qui n’est pas la culture française tout en se raccrochant à ce que représente, pour eux, la culture française. Et tout cela est bien normal ! J’avoue avoir ressenti une grande émotion et une pointe d’excitation dans ce paradoxe. Remonter la rue de Suffren et redescendre la rue Dumas, admirer ces belles maisons transformées en hôtels, guests houses, boutiques, cafés et restaurants, décorées avec goût et raffinement, mélangeant les cultures et les arts pour créer un style franco-indien. Quelle beauté ! Et puis, entrer dans le Lycée français ou l’Alliance française et être au centre d’une végétation merveilleuse ; palmiers, bougainvilliers et autres plantes exotiques, qui ajoutent à l’éclat de l’architecture. Entendre les jeunes entrer et sortir du lycée, ces jeunes indiens parlant français entre eux, quelle délicieux mélange ! J’ai adoré toutes ces situations, tous ces ‘anachronismes’. Ni tout-à-fait la France, ni tout-à-fait l’Inde …

A l’hôtel « Le Château », notre réceptionniste s’appelle Émile. Un grand et beau gaillard, tout en sourire et en gentillesse, mais point de français, preuve de ce que j’écrivais un peu plus haut. Dommage ! Mais en bordure de mer, nous sommes arrêtés par deux jeunes qui veulent nous prendre en photo (comme ça se fait beaucoup ici). Ils nous demandent d’où nous venons et sitôt dit, se mettent à nous parler en français, car ils sont étudiants à l’Alliance française, avec la plus grande joie. C’est émouvant !

Le dîner de samedi à « La Villa » est un enchantement pour les papilles. Le déjeuner du dimanche à la « Villa Shanti », sur la terrasse à colonnades et palmiers, rend une ambiance intemporelle. Notre serveur est exquis !

Côté shopping, les doigts nous démangent. De beaux magasins, de l’artisanat de bonne facture, à l’instar de ce beau ‘Shiva’ en bronze, quelques antiquaires … chers ! Nous craquons finalement pour une lampe sur pied pour notre salon. Et voilà, une nouvelle et jolie ambiance dans notre appartement ! Mais nous nous arrêterons à cet achat. Il ne faut surtout pas se précipiter …

Le quartier tamoul n’est pas en reste. Ici, on retrouve la palpitation indienne avec sa circulation dense et bruyante, les petites échoppes, les marchés, les petits restaurants de rue. Nous visitons le temple hindou de Sri Manakula Vinayagar dédié à Ganesh. Les pèlerins font tourner une noix de coco sur la tête avant de la fracasser aux pieds du divin éléphant ! Le petit musée offre une collection touchante (et bien décatie) de meubles coloniaux. Les bronzes de la période Chola (IIIème s. BC – XIIIème s. AD) attirent plus notre attention. Mais pas question de photographier ou même de toucher les caissons dans lesquels ces merveilles sont enfermées à jamais, ne les mettant pas en valeur. Enfin, nous ne pouvons pas faire l’impasse sur l’Ashram de Sri Aurobindo (1872-1950). Sa disciple, son bras droit, une française nommée « la Mère » (1878-1973) fondera Auroville en 1968. Cette communauté compte 2000 membres et les visiteurs, tournés vers le « yoga intégral » viennent du monde entier. La visite succincte n’offre que très peu d’intérêt pour nous. Une tombe de marbre recouverte de fleurs et des « fidèles » prostrés, têtes contre la plaque fleurie, mains à plat sur cette sainte pierre, en profonde méditation et en prière. Un arbre se tient juste à côté et l’on a pu voir une Occidentale en connexion avec cet élément végétal ; pieds bien ancrés au sol, mains et tête reliés à l’arbre. Les Occidentaux ont des allures tout droit sorties de l’époque hippy et à mes yeux, il y a un décalage avec le monde dans lequel nous vivons. Mais, peut-être ont-ils raison ?  Un passage par la librairie est obligatoire avant la sortie. Nous nous rechaussons et quittons ce lieu qui ne nous a pas touchés … par la grâce ! Un passage rapide au village des artisans terminera notre après-midi avant de retourner à l’hôtel pour se reposer et se rafraîchir. Quels merveilleux moments !

Les brahmanes sont toujours torse nu dans les temples. Les bénédictions s’enchaînent, et les billets tombent dans l’escarcelle.

Le temps est passé très vite. C’est déjà la fin du week-end et je dois penser à retourner à Chennai. Éric restera au Château jusqu’à mardi matin. Je ne veux pas être rentré trop tard car je veux profiter des lumières du soleil couchant sur les rizières et les marais salants. La route offre toujours des surprises. Mais je crains également de rouler de nuit, expérience jamais vécue en Inde. Tout compte fait, une partie du trajet se fera quand même sous les phares de la voiture et nous arriverons dans des embouteillages monstres que peuvent connaître les grandes métropoles un dimanche soir. Après presque quatre heures de trajet, je suis bien content d’être arrivé !

Couché de soleil sur les rizières

31 décembre 2019 – 5 janvier 2020

Oh ! Old Delhi !

« Where do you want to go ? », me demande-t-on.

Pour vous donner une idée de la taille du pays, un petit calcul s’impose : de Chennai, 45 minutes de trajet en voiture pour se rendre à l’aéroport. Pour un vol intérieur et compte tenu des nombreux contrôles, il vaut mieux arriver 1h30 à l’avance. 45 minutes de retard au départ. Vol Chennai-Delhi : 2h55. Transfert de l’aéroport à l’hôtel (centre de New Delhi), 1 heure. Temps total de voyage : 7h00.

Il y a tant à écrire, décrire, commenter, rendre compte de ses émotions, de ses impressions, de transcrire ce que l’on ressent, aux mots les plus justes, les plus précis, les plus réels, que, d’une part, je ne sais pas si j’en suis capable, et d’autre part, parce que l’article serait beaucoup trop long. Alors, je n’indiquerai que les lieux que nous avons visité, illustrés d’une galerie de photos, juste pour vous mettre dans l’ambiance. Par contre, à la sortie de Jama Masjid, la grande mosquée, assis sur les marches qui y mènent, j’ai pris le temps d’écrire ma vision des choses, à cru, comme on pèle un agrume, à chaud, comme le sang coule dans les veines ; des impressions, des instantanés dans le bouleversement intérieur que procure ce monde, les yeux grands écarquillés par l’étonnement de cette vie et surtout, pour m’en laisser accroire que je n’en perdrai pas une miette. J’espère que vous en re-sentirez les couleurs, les odeurs, les contacts physiques, les frôlements des personnes et des rickshaws, que vous verrez les sourires se poser sur vous, les invitations à entrer dans les échoppes et les restaurants, et qu’ainsi vous serez vous aussi dans ce tourbillon qu’est la vie dans Delhi la Vieille !

31 décembre 2019 : Arrivée tardive au « Claridges Hotel », notre lieu de résidence delhiite !!! Les dernières touches des préparatifs, l’agitation des personnels et des résidents. Les restaurants affichent complets, des musiques qui se télescopent en fond sonore. Nous décidons de nous restaurer au restaurant Pickwick. Un buffet, du vin rouge et nous choisissons la dinde rôtie et ses légumes. Nous passons au bar Aura, musique boum-boum, nous faisons aborder par un groupe déjà bien avancé en alcool. Nous trinquons sur une vodka aux douze coups de minuit. Nous montons nous coucher. Nous sommes en 2020 !

Bientôt minuit … 5, 4, 3, 2, 1 … Bonne et heureuse année 2020 !

1er janvier 2020 : Jour férié, journée de visite. Il faut en profiter car Éric commencera sa formation le lendemain.

Étonnante visite du temple sikh, Gurudwara Bangla Sahib. Visité par des milliers de fidèles (être végétarien, alcool et cigarettes interdites, être bon envers autrui), ce temple offre, chaque jour, des milliers de repas gratuits. C’est un festival de turbans colorés !

Gurudwara Blangla Sahib, ses dômes dorés et son grand bassin pour les ablutions. Photos et selfies interdits … et tout le monde s’en contre-fiche !!!

Visite guidée dans la cuisine communautaire ouverte à tous sans aucune distinction de croyance et suivons, entre autre, la fabrication des chapatis.

Où l’on sert des repas gratuits. D’autres, aussi nombreux, attendent leur tour à l’extérieur.

Direction Chandni Chowk, la station de métro au coeur de Old Deli. C’est dans cette partie de la ville que je débarquai en 1983 lors de mon voyage de deux mois en Inde, avec la ferme intention de découvrir toute l’Inde, rien que cela ! Quel naïf je faisais-là ! Les voyages de nuit en 3ème classe, à dormir sur des couchettes en bois, se sont succédé, moins onéreux que les guests houses. Et je ne le regrette pas !

Si je peux résumer un état, c’est qu’il ne faut pas être agoraphobe pour déambuler dans ces quartiers. Ici, l’espace vital se résume à être à touche-touche avec des inconnus, à frôler n’importe qui, à être frôlé par les vélos porteurs, les cyclos-pousse, les motos, les scooters, les voitures même à certains endroits. Il peut y avoir des embouteillages de piétons, c’est-à-dire qu’à un moment, plus aucun piéton ne bouge dans la circulation. Il n’y a plus de notions de trottoirs et de chaussées, les piétons ayant largement empiétés, envahis la chaussée, encore plus encombrée par les vendeurs ambulants et leur stand. C’est à proprement parlé invraisemblable et infernal. Pourtant, aucun mouvement d’humeur, pas de trace d’agacement, de nervosité, de précipitation. On essaie bien de passer devant quelqu’un, de doubler, histoire de gagner, c’est risible et ridicule, une place ou deux. Mais pas de violence physique et verbale. C’est le lot de chacun dans cet univers, on vit avec.

Les coolies attendent le travail, ou bien ils font une pause. Le plus souvent, et pour combien d’heures par jour, ils disparaissent sous la charge qu’ils portent sur l’épaule, le dos, la tête. Ils sont à la peine à tirer ou à pousser les vélos à plateforme ou les portants sur roues. Ils sont minces, voire maigres mais ont les muscles fins très fermes. Ils ne sont personne et avancent, pieds nus ou en savates usées, dans les ruelles à pas rapides, sûrs de leur destination. Ils ne voient personne et tous les évitent comme pour leur ouvrir la voie.

Vers 16h30, le soleil décline et il va faire bientôt nuit. Nous montons sur les toits d’un caravansérail. Une autre vie, loin du chaos quelque trois étages plus bas, juste au-dessus du marché aux épices. Ici, des gens vivent dans les clochetons, attisent des braseros préparant le repas du soir, les singes ont également élu domicile tout à proximité des grands arbres survivant à la pollution de la ville, quelques touristes qui, comme nous, se réjouissent de la splendeur inattendue du lieu, bénéficiant d’un magnifique coucher de soleil. De jeunes hommes s’adonnent à un passe-temps favori ; faire voler très haut des cerfs-volant. C’est fascinant !

2 janvier : Éric part à sa formation à l’Alliance française de Delhi. Je descends avec lui pour le petit déjeuner. Pour moi, ça ne sera qu’un café en attendant mon heure. Petit déjeuner vers 10 heures avec le journal ‘Hindusindia‘ que je trouve accroché à notre porte de chambre tous les matins. Ce jour-là, je me dirige vers le fort rouge, Red fort, Lal Quila, classé patrimoine mondial. Et pour cause, c’est aussi impressionnant que le tombeau de l’empereur Humayun (1508-1556) par l’étendue du site que par l’histoire de cette période et les bâtiments qui y sont plantés. Alors que Humayun repose dans cet écrin, l’empereur moghol Shâh Jahân (1592-1666) y vécu entouré de somptueux palais, d’une mosquée personnelle et d’un hammam privé. L’architecture est éblouissante en raffinement, le parc magnifiquement planté et entretenu. Les Britanniques y ont ajouté des bâtiments en périphérie du parc et qui n’enlèvent pas au charme de cet endroit. Sinon que l’on pourrait s’offusquer de l’intrusion. Je déambule pendant deux bonnes heures, profitant du très beau temps.

3 janvier : Je me suis offert le luxe de rester dans la chambre de l’hôtel. Plusieurs raisons à cela. J’avais un article à écrire, celui sur le Rāmāyaṇa. Je voulais le publier dès notre retour, il fallait qu’il soit bien avancé. Ensuite, la veille Éric m’avait demandé de l’aider à la traduction d’un compte-rendu. C’était urgent et il fallait que je le fasse dans la journée. C’était déjà beaucoup moins réjouissant ! Et puis le farniente m’a phagocyté et je me suis laissé emporter par l’histoire de mon livre du moment, « Kim » de Rudyard Kipling, road story d’un jeune ‘sahib’ plus Indien que les Indiens qui entre dans le Grand Jeu de l’espionnage à l’époque coloniale.

Nous avons dîné à Khan market au Public Affair, un restaurant branché, c’est-à-dire fréquenté par une clientèle de jeunes bobos indiens bruyants, au décor contemporain industriel dont le bar peut offrir tous les alcools vendus à des tarifs prohibitifs en Inde.

4 janvier : Je vais vers la grande mosquée, Jama Masjid, toujours dans Old Delhi et à deux stations de métro du Fort rouge. Outre l’intérêt architectural de ce grand centre religieux très fréquenté, mon esprit s’est mis en mode activité intense, à tel point qu’à la sortie de la mosquée, assis sur les marches qui dominent la ville, un peu comme celles de Montmartre, je me suis mis à observer intensément les gens, leurs vêtements, leurs attitudes, la ville et ses activités et j’ai écrit. Je vais donc tout simplement afficher une galerie de photos du lieu, puis vous rendrai compte de ma réflexion du moment.

La grande mosquée Jama Masjid dans Old Delhi

Je ne sais pas comment écrire sur cette partie de la ville. C’est parce que j’ai beaucoup à d-écrire et que ce qui fait une ville, ses rues, ses monuments, ses habitations, ses commerces, son trafic, ses habitants, sont ici hors du commun, hors de l’imaginable. Quand on connaît la population de l’Inde, dans cette toute petite partie, à Old Delhi, cette toute petite concentration de vie et d’activité humaines, on peut prendre la mesure des choses à grande échelle. Ici, dans ces ruelles étroites – pardonnez-moi le pléonasme volontaire – se côtoient les cyclos-pousse, les rickshaws, les piétons, les motos et les scooters, sans laisser le moindre espace vital, nécessaire sans lequel on pourrait se sentir oppressé, entouré, encerclé par cette marée. Un tsunami qui nous submerge tout à coup. Le bruit ajoute à cette ambiance : interpellations des marchands, cris des enfants, flots de véhicules qui klaxonnent, gyrophares de la police omniprésente, ambulances qui essaient de se frayer un passage illusoire, coincées dans la circulation engorgée. Et puis, au milieu de tout cela, la tranquillité des gens, souvent en famille, des bandes de jeunes, des hommes pour la plupart mais pas que, qui se prennent en photo en tout lieux et en toutes circonstances. Photos souvenirs ! Dans quelques années, l’Inde dépassera la Chine en nombre d’habitants. En 2019, presque un millions de bébés sont nés, pour la plus grande fierté du pays. C’est vous dire ce que l’on peut voir de bouts de chou dans les bras des mères, des pères, des soeurs, ou que l’on pose par-terre sur l’esplanade de la mosquée, comme si cela les protégeait. Ces parents-là sont comme tous les parents, ils sont fiers de leur progéniture et ne soucient pas du problème de surpopulation.

Sur les marches de Jama Masjid, je regarde tout ce monde, un peu comme un autre moi détaché de mon corps physique, de mon esprit, comme si cet autre moi vivait une vie dans un autre temps, un autre lieu. Sauf que je suis dans la réalité. C’est moi qui entends les chalands et les vendeurs de pulls, de chaussures, de couvertures, de sacs, de casseroles, s’interpeller aux pieds de la mosquée, véritable bazar. Je vois les stands de ‘street food‘. Ça sent bon ou pas, quand l’huile de friture est cramée, on attrape un cancer rien qu’à regarder ! C’est appétissant ou pas, quand sous la chaleur du soleil, la nourriture recuit et se dessèche.

Je ne vois en ce moment même que des femmes portant le voile. Le noir prédomine, mais pas seulement, les hommes portant turbans ou calottes. Je suis cette vie grouillante sous mes yeux, calme et serein. J’observe avec acuité et pourtant avec détachement.

Dans peu de temps, je vais entrer dans cette foule, plonger dans ces ruelles, me faire approcher par qui tentera, avec insistance, de me vendre quelque chose, de m’attirer dans son échoppe. Je sais que j’en ressortirai et que je retrouverai les larges avenues de New Delhi, de quoi me raccrocher à mon monde occidental, m’accrocher à une bouée de sauvetage. Ma vie confortable et sécurisante.

Eux, c’est leur univers, leur quotidien. Le bruit et la fureur, la promiscuité, les rudes conditions de vie pour vivre une vie décente. Ces milliers de gens, s’étalant sur les routes comme des petits poissons pris au piège des filets électriques au fond de leur rivière qu’est leur vie, se meuvent lentement, s’agitent sans bouger, cherchent leur espace, se fraient leur chemin. Mais ils reviennent toujours au même point, attirés, aimantés par leur portion de vie.

Soudain, mon regard est attiré par des cerfs-volants au-dessus des toits. C’est leur espace de liberté, c’est un espace vital qui prend de la hauteur. Ces jeunes hommes les manipulent avec dextérité et les font voler très haut.

Cela fait maintenant une heure que je suis assis sur ces marches. Mes genoux commencent à me faire mal, mes jambes pliées commencent à s’ankyloser. J’ai pris beaucoup de photos afin que vous me croyiez, pour que vous aussi, vous soyez dans cet univers insensé. Un jeune garçon m’aborde timidement. Il s’assoit discrètement à côté de moi et je ne le remarque pas tout de suite. Je pense que quelqu’un s’est simplement introduit dans mon espace vital. Mais non, ce jeune adolescent me parle dans un très bon anglais, en s’excusant de me déranger et de m’interrompre dans ce que je fais. Il m’avoue m’observer depuis au moins 45 minutes, prendre des photos et écrire. Il me demande pourquoi je fais cela. Je ne perçois pas de ton de reproche, mais c’est bien la curiosité qui l’a mené à me parler. Je lui explique que je prends des notes pour un article sur la mosquée, sur ce que je vois et que les photos aideront à mieux se représenter ce sur quoi j’écris. « Ah ! » dit-il, « Vous êtes un écrivain ? ». Oh, que non ! Vous savez bien que j’écris pour moi, pour vous. Cela ne fait pas de moi un écrivain. Il est touchant. Il est beau. Il me remercie, me salue et s’en va. Je le regarde s’éloigner et quelques marches plus bas, il rend compte à ses parents de notre échange. J’adore !

Il est au rapport …

Maintenant, j’y vais ! Je prends des repères. La mosquée, bien évidemment, car je ne veux surtout pas me perdre dans ces ruelles. Je ne suis pas encore prêt à me défaire de mes tensions nerveuses. Je longe la mosquée, enfile une ruelle sur la gauche et hop ! je suis dans le grand bain. Dans la première portion de rue, les petits restaurants sont les uns à côté des autres. Les fours à pain sont à découverts sur la rue. Ici, on ne vend que du poulet tandoori, biryani, là, que de la viande de mouton. Tout est cuit au charbon de bois. Quelles bonnes odeurs ! Les galettes sont appétissantes. Je finis par en acheter une (10 roupies, 0,13€), tout droit sortie du four. Elle est chaude, fondante, moelleuse, succulente. J’ai presque envie de me laisser tenter par un vrai déjeuner. L’on m’invite avec force sourires à entrer, mais non, il est déjà 16 heures ! Mon estomac le regrette encore. Cela sera pour la prochaine fois ! Je remarque tout à coup des hommes assis, recroquevillés presque, devant des restaurants. Ils ont une sale mine, ils sont pauvres, habillés de grosses toiles élimées. Je pense d’abord à quelques coolies attendant l’embauche. Mais non, ils attendent qu’on leur donne à manger. Et en effet, certains reçoivent une galette et une petite écuelle de ‘ragoût’ qu’ils dévorent alors que d’autres les regardent manger. C’est triste ! A mon passage, leurs yeux se lèvent, les mains jointes comme pour une supplique, implorants pour de la nourriture.

Je me dirige maintenant vers le métro. Tout en savourant ma galette de pain, je me faufile comme je peux au milieu de toute cette agitation. Il est presque 17h30 et je suis resté dans ce quartier plus de 4 heures.

5 janvier : C’est dimanche, jour de notre retour à Chennai. Le vol est à 17h30. Levés assez tôt, nous nous préparons pour profiter au maximum de cette journée. Nous irons à Humayun’s Tomb, belle découverte pour Éric, puis, plus proche de l’hôtel, au Lodhi Park. Je n’en fais pas de commentaire cette fois car vous pouvez vous reporter à l’article du mois de novembre. Mais, comme c’était bien !

Agréable promenade dans Lodhi parc.

J’espère sincèrement que ce long article, le plus long jusque-là écrit, vous aura intéressé. Qu’il n’est pas trop long tout de même. Vous m’en ferez un commentaire ! On vous embrasse.

Ce soir, on danse !

Décembre est à Chennai, le mois des festivals culturels classiques ; danse, théâtre, musique. Ces arts sont placés sous le signe de la culture traditionnelle indienne. Les performances sont de haut niveau, les troupes, célèbres. Samedi 28 décembre, nous avons eu la joie et le plaisir de découvrir, au sein de la Fondation Kalakshetra, un spectacle retraçant l’épopée du Rāmāyaṇa.

Tout d’abord, un mot sur cette fondation de renommée nationale. Elle se situe dans une banlieue au sud de Chennai, assez loin même du centre-ville. La vocation de son académie est l’enseignement et la préservation des arts traditionnels et de l’artisanat indiens.

Rukmini Devi Arundale (Madurai, 1904 – Chennai, 1986) en a été la fondatrice aux prix d’une grande force de caractère et d’une volonté tenace. Tout d’abord, à titre personnel. Issue de la haute caste brahmane (grande bourgeoisie indienne), elle s’est mariée à un occidental contre la volonté de sa famille et en brisant les codes de sa caste. Elle s’est de plus, consacrée à la danse traditionnelle en étudiant des ouvrages anciens afin de la porter à sa juste valeur. Les danseuses des différentes troupes étaient considérées comme des prostituées et des courtisanes et étaient ‘rattachées’ à un temple. La danse était donc un art mineur, si tant est qu’il fût considéré comme tel et les danseuses, de viles créatures. Rukmini Devi Arundale étudia la danse et, contre toute attente, devint une danseuse mondialement célèbre. Son combat la mena également à la politique.

La stelle et la statue de ‘Dame’ Arundale devant l’entrée de l’auditorium.

Je ne rentrerai pas dans les détails et n’ai nullement la prétention de chausser les lunettes d’un Maître, mais voici quelques éléments de compréhension … just for you ! La danse traditionnelle indienne retrace deux épopées. Celle du Rāmāyaṇa, poème de 48 000 vers en 24 000 couplets et celle du Mahābhārata, poème comportant 81 936 strophes, ce qui en fait le plus long poème jamais écrit. Ces poèmes sont écrits en sanskrit et sont fondateurs de l’hindouisme.

Le Rāmāyaṇa est « La Geste de Râma ». Ce poème, composé entre le IIIè s. BC et le IIIè s. AD, raconte la naissance, l’éducation du prince Râma (7è avatar – incarnation d’une divinité sur terre – du dieu Vishnu), la conquête et son union avec Sîtâ. Il raconte également son exil, l’enlèvement de Sîtâ, la délivrance et le retour de Râma sur le trône. Voilà, vous savez tout sur le Rāmāyaṇa  !

Le Mahābhārata, « La Grande Histoire des Bhārata » est une saga mythico-historique (hic) indienne. Il date des derniers siècles avant Jésus Christ, à vous de chercher lesquels ! Il relate des hauts faits guerriers entre les deux branches d’une famille royale, les Pandava et les Kaurava. C’est un peu l’histoire des Capulet et des Montaigu … en plus sanglant !

Le spectacle commence à 18 heures dans le grand auditorium de la fondation. Il durera 2h30, mais nous ne le savons pas encore. Voici quelques particularités que l’on a pu observer :

On se déchausse à l’extérieur de l’enceinte dans un espace « Foot wear ». Certains souliers sont éparpillés. Comment va-t-on retrouver les nôtres ? Va-t-on seulement les retrouver ?

Une grande majorité du public s’est vêtu pour l’occasion. C’est un festival de couleurs tant les sarees sont magnifiques. Les hommes portent des dothis blancs à bordure dorée et chemise blanche ; tenue des brahmanes.

On entre « religieusement » dans la salle et l’on attend, presque avec ferveur, de voir de quelle qualité sera le spectacle. On dit que des mélomanes battent la mesure lorsque le poème est déclamé/chanté au son des instruments. On dit qu’ils connaissent parfaitement les vers et sont attentifs au jeu des danseurs ; la moindre entorse est choquante à leurs yeux. Un peu nos « extrémistes opératiques », chez nous ! Et que l’on ne doit entendre, et encore, à peine, que le souffle des respirations !

Le parterre est rempli de sièges en rotin (un peu ambiance coloniale … je ne devrais pas l’écrire !) et le balcon de vulgaires bancs durs et inconfortables (sur lesquels nous sommes assis, billets à 100 roupies/1,30€ !).

Nous trouvons enfin de la place, notre sésame en main. Je suis très curieux de voir ce spectacle. Je suis aussi assez perplexe car je me dis que je n’y comprendrai rien ! Mais je me dis, « Christian, fais confiance ». L’attente est excitante. On sent bien, comme tout ceux autour de nous, l’attente fébrile nous traverser. Le frou-frou des sarees des femmes qui se déplacent est délicieux ! Nous sommes assis les uns contre les autres de façon à laisser de la place au plus grand monde, les bancs n’étant pas numérotés. Nous ne voyons pas d’étrangers dans la salle. Ca aussi c’est excitant, c’est comme si nous avions, nous seuls, le privilège d’assister à ce spectacle.

Le parterre est en place. Le balcon s’agite. Des spectateurs arrivent en retard et peinent à trouver une place avec une vue acceptable ; il faut toujours se serrer un peu plus. Qu’importe ! On change souvent de place car la visibilité est partielle du balcon. De notre place, un tiers de la scène est tronqué. Je sens déjà la frustration me chatouiller !

La photo est floue parce qu’il faisait sombre dans la salle, mais ça vous donne une idée de notre « joyeuseté » ! Avec nous ce soir-là, Claire du consulat de France et la très jeune Morgane, volontaire internationale, nouvellement arrivée, également affectée au consulat au Bureau de France.

Par bonheur, le petit groupe de musiciens est à l’opposé et à l’avant de la scène, de telle manière qu’on les voit bien. Ils sont assis par terre, jambes repliées croisées et garderont cette posture pendant la durée du spectacle. Le ballet est accompagné par trois voix (récitants/chantants). Elles conduiront toute la performance. A l’origine, c’est la voix d’un guru. L’ensemble instrumental comprend la flûte traversière indienne (bansurî), le luth indien (sarasvati vînâ) le hautbois (nagaswaram), le violon et les tambours (mridangam). Il y a aussi des petites percussions métalliques.

Afin de comprendre l’intrigue, à l’intar de nos salles de concert quand les opéras sont  chantés en VO, un écran projette un résumé du poème et des actions que nous verrons danser sous nos yeux. Et toute inquiétude disparaît face à notre ignorance puisqu’on ne perdra pas le fil de l’histoire. En voilà une bonne idée !

Dès les origines, il s’agit d’un ballet classique. Le Bharatanatyam est considéré comme la mère de toutes les formes de danses indiennes et a pour berceau le Tamil Nadu (dont la capitale est Chennai). Il s’est étendu rapidement à tout le sud de l’Inde. La base théorique de cette forme de danse remonte aux textes anciens du sanskrit hindu relatifs aux arts. Le nom de la danse est composé de « Bharata » et de « Natyam » qui signifie danse en sanskrit. « Bharata » est composé de « Bhava » (émotion, sentiment), de « Raga » (mélodie) et de « Tala » (rythme). Le Bharatanatyam est donc une danse qui exprime les émotions et les sentiments sur des mélodies rythmées.

Parlons danse maintenant. Dansé à l’origine par les femmes dans les temples hindus, le ballet suit une chorégraphie rigoureuse et très codée. La particularité de ces danses se traduit par l’expression impressionnante de la gestique des pieds. Les danseu.r.se.s (devadasis), nos « étoiles », ont des chevillères à grelots rythmant ainsi tous les déplacements et la gestuelle. Ils/Elles ont les yeux et la bouche très maquillés afin de bien marquer les expressions. Les devadasis (femmes) ont les mains et les pieds teintés au henné rouge de façon à voir tous les gestes jusqu’au bout des ongles. Le corps de ballet est magnifique. Les danseurs portent également des parures en or aux bras, autour du cou, les ceintures affinent les tailles, les costumes sont élaborés et chatoyants. Comme les danseuses font beaucoup de pliés, les saris pré-cousus forment à l’avant une quantité incroyable de petits plis qui se déploient en éventail au cours des évolutions laissant apparaître d’autres couleurs. Des fleurs de jasmin enserrent leurs cheveux et l’on imagine parfaitement les effluves de parfum se répandre autour d’elles et envelopper les danseurs. Leurs longs cheveux, attachés en queue de cheval, sont projetés dans l’espace à chaque pirouette. Tout est en mouvement ; les cheveux, les saris, les colliers, sans compter les corps maîtrisés ; jeu des bras et des mains dont les doigts, flexibles, sont tendus à se rompre, les jambes et les pieds qui rythment chaque mouvement. Tout bouge en une harmonie parfaite. Les tailles se cambrent, les dos se creusent, les bustes se déplacent de gauche à droite ; on a l’impression de voir des apsaras, nymphes célestes d’une grande beauté et aux mouvements graciles, surgir de la pierre et prendre vie. Les danseurs ne sont pas en reste. Leurs yeux écarquillés expriment joie, colère, gentillesse, méchanceté, jalousie, amour, lubricité, … et nous vivons leurs histoires à leur rythme.

L’entracte de 20 minutes nous a fait reprendre notre souffle, comme si nous avions été nous-mêmes sur scène ! Nous partageons tous les quatre les mêmes impressions, nous vivons les mêmes émotions et éprouvons le même enthousiasme. Nous attendons la reprise avec impatience !

Cette fois, les moustiques auront quelque peu perturbé mon attention. Heureusement, je ne me déplace jamais sans mes produits nocifs (pour moi aussi !). Je me recentre et suis, toujours avec la même concentration, la suite du ballet.

Le clou du spectacle arrivera à la toute fin. Les danseurs, présents sur scène pour le salut final, sont acclamés, surtout les « étoiles ». Metteur en scène, chorégraphe sont salués. Les musiciens se présentent au public et sont également acclamés. Petit à petit, le public se lève et se disperse. Beaucoup quitte l’auditorium et d’autres se dirigent sur la scène, les danseuses et danseurs toujours présents … Ils attendent leur public. Au départ, ne pouvant nous résoudre à partir, nous observons. Nous pensons que les danseurs « reçoivent » les compliments de leurs amis, de la famille, des habitués, comme chez nous les artistes reçoivent dans leur loge. Que nenni, nous finissons par comprendre que tous peuvent aller les féliciter, échanger avec eux. Et nous osons nous aussi. Toujours pieds nus, nous franchissons la petite marche qui mène sur la scène, sanctuaire sacré. Les « étoiles » sont prises d’assaut. Nous attendons notre tour. Et comme le font très aimablement les Indiens, nous voyant attendre en retrait, ils s’écartent pour nous permettre d’approcher les artistes. Nous échangeons des mots sincères de félicitations et avouons avoir adoré le ballet. Ils sont aimables. Ils sont tout sourire, toute gentillesse. Nulle évidence de fatigue, d’agacement face à ce public exigeant demandant son dû, celui d’être en contact physique avec les danseurs. Nous prenons des photos. Ils se laissent photographier avec grâce. Bref, du pur bonheur !

Peu après, nous retournerons, tout chamboulés, récupérer nos souliers, triste réalité ! Nous ne les avons finalement pas perdus ! Et combien nous avons été heureux pendant ces deux heures trente de spectacle. Et quelle belle introduction à la culture classique de l’Inde du sud !

Le salut final.

De l’or bleu pour les cruches

« Tant va la cruche à l’eau, qu’enfin elle se brise », Molière, Dom Juan ou le festin de pierre, Acte V, scène 2

Les cruches, les bonbonnes, tout est bon pour récolter l’eau. Elles ne sont pas en terre mais en plastique ; des bleues, des jaunes, des rouges, des vertes, des oranges. On ne trouve que ce modèle. Les jarres des temps modernes, un modèle national ! Incassable !

Chennai a subi ces dernières années depuis 2016 d’inquiétantes pénuries d’eau. Les coupures ont été nombreuses, les prix ont flambé ! On se rue sur les camions. Les conducteurs de rickshaws saisissent l’occasion de se laver sous les robinets qui laissent échapper de petits filets d’eau … rien ne se perd, tout profite. Aucun gâchis !

Ici, en Inde, et plus particulièrement à Chennai, il y a de l’eau … et parfois, il n’y en a plus !

Parce que l’eau coule des canalisations à nos robinets … puis se tarit.

Ici, en Inde, l’eau est autant une chance qu’un problème. On est entre deux eaux !

Parce qu’il y a de l’eau et que l’on ne peut pas la boire.

L’eau devient donc une affaire d’argent qui touche la plupart des Indiens et surtout les plus démunis. Mais que vaut l’eau ?

Les gens aisés, eux, nous, ne s’en préoccupent même pas. En ont-ils même conscience ? Car dans les immeubles d’habitations d‘un certain standing, dans les ‘bons quartiers’, il y a de grands réservoirs d’eau sur les toits. En cas de coupure d’eau, un système de pompage prend la relève. On ne se rend même pas compte de la coupure momentanée. Notre petit immeuble de 6 appartements en est doté.

A l’hôtel Savera, quasiment un soir sur deux, un camion citerne venait alimenter les réservoirs de l’hôtel. Au cas où … Mais, Jésus nous apporte l’eau !

J’ai vu, à plusieurs reprises, des camions citernes circuler dans la ville. J’ai naïvement pensé qu’il s’agissait de transport d’eau pour alimenter les châteaux d’eau. Mon résonnement était inversé et archi-faux !

J’ai vu, lors d’embouteillages, justement créés par ces camions citernes, stationnés sur le bas-côté de la route, en pleine ville, non loin du centre-ville, aux abords de ruelles, souvent en terre battue, cabossées et défoncées, ces portions de quartiers défavorisés, des gens accourir par grappes avec leurs cruches de 20 litres, afin de récolter leur ration d’eau.

Puis, servis, ils repartaient, qui portant la cruche sur l’épaule, qui la transportant sur un vélo, qui les entreposant sur des vélos à plateforme, s’engouffrant dans les ruelles afin de les distribuer à chaque foyer.

A quoi revient la ration d’eau quotidienne par personne dans un foyer ? Comment cette population consomme-t-elle son eau ? La fait-elle bouillir avant de la boire ?

Un récent rapport paru dans un journal national, indiquait que pour Chennai, 9 des 13 critères n’étaient pas atteints et que l’eau était donc impropre à la consommation ! Effrayant ! Pour Delhi, c’est encore pire ! De mémoire, c’est 11 sur 13. La seule ville qui sort du lot est Mumbai.

En ce qui nous concerne, il nous a fallu s’adapter à cette nouvelle situation. La cuisine est équipée d’un purificateur d’eau que nous utilisons pour laver les fruits et les légumes. Malgré tout, un trempage dans de l’eau vinaigrée ou du bicarbonate de soude s’impose. Cette eau sert également à la cuisson. Enfin, nous nous brossons les dents avec de l’eau purifiée, que l’on peut mettre en bouche, et nous buvons notre thé avec de l’eau purifiée bouillie électriquement … Quelle histoire !

Nous avons investi dans une fontaine à eau à boire. Oh ! Ce n’est pas de l’eau minérale mais de l’eau purifiée buvable (drinking water contrairement à purified water). Aquafina – groupe appartenant à Pepsi – nous livrera nos premières bonbonnes dès que nous les appellerons. Cette fontaine à eau, grande découverte, nous permet de boire de l’eau fraîche, à température ambiante ou même permet d’avoir de l’eau bouillante. Un petit compartiment réfrigéré permet le stockage de canettes. Gadget !

En plus de cela, nous achetons des bouteilles de 50 cl qu’Éric emmène au travail ou que l’on peut mettre dans sa besace lorsque l’on sort en ville. Nous achetons enfin des bouteilles d’eau minérale de 1 litre, « Himalayan », eau descendue ‘tout direct’ de la chaîne de montagnes de l’Himalaya, que l’on ne trouve pas dans tous les supermarchés. Cette eau est chère, toutes proportions gardées. C’est le prix d’une bouteille de 1,5 litre de Cristalline ! Nous pourrions la boire, pour s’en délecter, avec une paille en papier carton comme on en trouve partout dans les cafés bars ; à la pointe de l’écologie les Indiens ! Tiens donc !

En fait, l’eau courante ne sert qu’à laver la vaisselle et à se laver. C’est déjà beaucoup ! Côté eau chaude, chaque salle de douche est équipée d’un petit chauffe-eau. Très bien. Confortable et agréable. Par contre, il n’y en a pas dans la cuisine. Nous pataugeons donc à l’eau froide. Cherchez l’erreur ! Les gens s’en moquent un peu puisque, en général, ce sont les maids qui font la vaisselle …  Pas chez nous ! Mais fort heureusement, et contrairement à ce que nous avons pu entendre ici et là, notre lave-linge produit de l’eau chaude et nous pouvons laver à différentes températures. Quel luxe !

J’ouvre une petite parenthèse concernant les coupures. L’un des critères que nous nous étions fixé était le 100% back up. L’immeuble est équipé d’un générateur électrique qui prend le relais à tout moment lorsqu’il y a des coupures d’électricité. Ainsi, ni le réfrigérateur, ni les airs conditionnés, ni les ventilateurs et les lumières ne seront à l’arrêt en cas de panne. Jamais de black out !

A tout bien considérer, nous ne sommes pas à plaindre !

ps : Contact

On demand – negligible but no less important – of some of you, here is our address. How good it is to receive mail !

16/11, Rena Apartments

3rd Floor, Flat No.3A

Bishop Wallers Avenue West

Mylapore

Chennai 600004

INDIA

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