Dans mon fauteuil

Ce matin, après mon petit déjeuner, installé dans un grand fauteuil, je me sens bien. Je lis le New Delhi Times distraitement. Je me laisser aller, entre méditation, contemplation et détachement, je lâche prise. Peu à peu, mes idées suivent leurs propres cours, ma vision n’a plus de focus. Tout devient fugitif, je ne retiens rien, tout s’en-fuit. J’ai tout de même assez de conscience pour actionner mon portable qui capturera les quelques images, témoins de ce long moment.

Dans un fauteuil du grand salon, je sombre petit à petit, englouti par le moelleux des coussins. Je me sens enveloppé dans un cocon confortable qui m’enferme. D’abord, rien ne se passe. Je suis comme en état végétatif dans lequel je n’ai ni énergie, ni volonté. Mon esprit flotte dans mon corps en guimauve. Je suis mou et je me plais ainsi. Je n’entends plus les bruits, les conversations et la musique d’ascenseur que de très loin.  Ma vue se dédouble, comme si je louchais. Mon regard est fixe comme celui d’un illuminé.

Lentement, mon regard s’accroche ça et là à des situations proches de moi. Je les vois de l’intérieur, de derrière mes yeux, comme dans un rêve éveillé. Elles sont fugaces. Mon fauteuil m’enveloppe toujours plus entièrement, il m’absorbe. Je fonds, au fur et à mesure que le temps passe, sur le tissu de velours à motif à fleurs stylisées. Je ne vois que ce qui traverse mon champs de vision. Les clients quittent la salle du petit déjeuner, les enfants sautillent autour de leurs parents. Beaucoup ont un portable collé à leur oreille. Certains s’assoient sur les fauteuils et les canapés tous proches. Un va-et-vient incessant passe devant mes yeux. Cependant, tous ces bruits sont silencieux à mes oreilles, je n’entends ni ne suis plus dans cette réalité-là. Je pénètre une autre sphère, je suis dans une bulle.

Mon fauteuil devient mon centre de gravité. Je distingue des employés, grimpés sur des escabeaux ou assis par terre en tailleur. Ils préparent le grand hall pour Noël. Ils accrochent les guirlandes lumineuses le long des colonnes, installent les voiles et les rosaces illuminées de fausses branches de sapin au plafond, décorent le grand sapin de plastique vert. Ces jeunes sont discrets au milieu du flot de clients qui ne les remarquent même pas. Ils installent, nettoient derrière eux et disparaissent. Tout est beau, tout est propre, tout est lisse. Le hall se pare pour les fêtes. Y aurait-il un anachronisme dans tout cela ? Les mariages hindous se succèdent dans cet hôtel. Les mariés et les invités arrivent et sont accueillis selon la tradition, en musique et en danses, où trône un sapin, une crèche et des guirlandes vertes aux lumières blanches. Ça ne gêne personne, ça ne choque pas. Ce qui compte, c’est que ces décorations marquent la fête, leur fête !

Depuis mon fauteuil, je fais un rêve éveillé. Je rêve que nous sommes installés dans notre appartement, que nous avons reçu nos papiers d’identité et nos visas, que notre déménagement est arrivé chez nous. Tout simplement.

Depuis mon fauteuil mon esprit divague, mon esprit voyage à l’intérieur de moi, à l’extérieur de tout, un peu évaporé, ma voie lactée. Je laisse donc aller toutes mes idées fugaces, mes pensées filantes, mes envies dans cette nouvelle vie, guidé par ma douce rêverie.

Depuis mon fauteuil, je voyage de Chennai en Normandie. Je voudrais me poser, enfin reposé pour vraiment voyager.
Ça ne sera pas en cette fin d’année car Chennai veut nous garder.

5 réponses sur “Dans mon fauteuil”

  1. Christian,
    J’aime beaucoup cet article qui, comme un poème en prose, m’a fait me « poser » tout en essayant de voyager jusqu’à toi, afin d’être à tes côtés… Je t’embrasse tendrement ainsi qu’Eric

    1. Merci ma Sister, ça me fait drôlement plaisir ce que tu dis des 2 derniers articles ! Beaucoup d’excitation pour l’un, beaucoup de calme pour l’autre. Des états d’âme et d’esprit toujours en balance chez moi. Je suis Gémeaux !!! Je t’embrasse tendrement aussi.

  2. Hello,
    moi dans mon lit ce matin, bien avant que le réveil ne sonne, j’ai entendu tomber la pluie contre mes stores, pluie diluvienne qui m’a réveillée. Mais rien à voir avec une pluie de mousson, j’imagine. De mon lit, mon esprit a divagué en attendant l’heure… j’étais détachée de tout, calme, pas stressée… Je pensais aux décorations de Noël que je vais devoir mettre en classe, pour le plaisir de mes élèves, du goûter que je vais sûrement organiser, des cadeaux que je vais peut-être acheter… et des manifs où je vais probablement aller crier… d’un air peu convaincu, mais pas détaché.
    Mais vous êtes bien loin de cela, et toi encore plus Christian. Et profites-en ! Mais quelque part, nous sommes en lien.
    Je vous embrasse tous les deux, celui qui divague et celui qui vaque . Patricia

    1. J’aimais beaucoup écouter les deux très bonnes émissions sur France Inter en début de soirée, si ma mémoire est bonne, « L’heure bleue » animée par Laure Adler et « Remède à la mélancolie » animée par Eva Bester. Les invité.e.s se laissent aller dans le flot de leurs pensées, de leur imaginaire, passage par la littérature obligé, où ils révèlent une partie souvent/toujours intime d’eux-mêmes. J’aime ces « divagations » qui, sous des aspects souvent mélancoliques, nous ramènent à nous-mêmes. Je t’embrasse ainsi que Tim

  3. Quelle douceur que ce rêve éveillé dans lequel tu nous transportes, quel bien-être il nous apportes dans cette course infernale de fin de période que tu connais. Nostalgie quand tu nous tiens….
    Prends soin de toi, prenez soin de vous. De tendres baisers à vous deux

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