Mariages (bien) arrangés

Une récente invitation à un mariage indien nous a mis en joie. Nous allions vivre une nouvelle expérience dans cette ambiance un peu morose et surtout préoccupante au moment où j’écris ce billet. Lors d’un stage de quelques mois au Bureau de France, un jeune homme a invité toute l’équipe et les conjoints à cet événement. J’étais assez impatient d’y assister tout en étant inquiet de ce rassemblement.

Le luxueux carton d’invitation annonçait vraisemblablement un mariage en grande pompe. Plusieurs centaines de personnes étaient invitées à trois cérémonies bien distinctes étalées sur deux jours ; la cérémonie religieuse, la réception et la fête. Les mariages sont étalés sur plusieurs jours pouvant aller jusqu’à une semaine. C’est une question de moyens, de notoriété, de visibilité. La fête mêle les invités ; le cercle familial élargi, les amis proches ainsi que les amis des amis, les voisins, le village si le mariage se déroule à la campagne, les collègues de travail et même tous les membres de l’entreprise, pour ne froisser personne.

En Inde, rien n’est plus beau qu’un mariage, c’est l’essence même de la raison de vivre. C’est le deuxième moment le plus important dans la vie d’une personne – et des parents – après la cérémonie du perçage des oreilles (voir billet « Kadhani Vizha »). Et qu’on le veuille ou non, les jeunes sont prédestinés à être mariés. Le mariage représente l’aboutissement d’une vie dont le but doit être atteint : fonder une famille. On estime, par ailleurs, que seulement 1% d’Indiens ne sont pas mariés. Car la vie de célibataire n’est pas concevable, surtout pour une femme. Et pour les hommes, même s’ils profitent un peu plus et mieux de la vie, il faudra bien qu’ils finissent par passer l’anneau au doigt de pied de leur dulcinée dans un futur proche, l’âge limite étant de 27-28 ans contre 25 ans pour une femme. Pour lui, ce sera une courte période de chasse active au sexe inaccessible, de plaisirs et d’amusements, chargée en testostérone et de frustrations : les jeunes femmes deviennent ainsi l’objet de tous les fantasmes, tandis que la potentielle mariée, elle, se voit, en future déesse d’un moment adulée et admirée de tous, vouée à son sort de femme, écrasée par le poids de la culture et de la tradition.

Le moment venu, la famille du garçon pense à le marier. Il est important de savoir qu’en Inde le mariage représente moins l’union de deux individus que celle de deux familles. C’est un système très clanique. Les futurs époux doivent s’entendre mais ce sont surtout les familles qui doivent être compatibles car le mariage des deux jeunes les unie tout autant. On étudie alors de très près le calendrier lunaire-solaire pour une période propice. Le jeune homme a fini ses études, il a une position stable, il lui faut donc une femme. On laissera peut-être le temps à la jeune femme de terminer ses études, sinon, ce n’est pas grave car bon nombre d’entre elles seront femmes au foyer et abandonneront, bon gré, mal gré, toute idée de vie professionnelle. L’épouse devra s’occuper de la maison et de la famille, de ses enfants et des parents de son mari. Où aurait-elle le temps de travailler ?

La « dream team » du Bureau de France avec Rhéa et Claire au 1er plan. Remerciements à Julien, au fond à côté d’Éric, pour ses photos au temple.
Le Bureau de France presque au complet !

Les cérémonies solennelles sont très codifiées, l’émotion est vive, l’agitation à son comble. Comme pour tout événement, les rôles attribués à chacun sont assez confus, du moins vu de l’extérieur. Pour l’heure, les mariés sont magnifiquement habillés, ils croulent sous le poids de leurs vêtements et des fleurs portées en collier signifiant leur union. Ils portent les plus beaux bijoux et la jeune femme a sur les mains et les pieds de merveilleux mehndī faits au henné, mettant en valeur toute sa féminité.

Vigneshwar et Pradeeksha représentent l’Inde moderne mais ils se plient à cette mise en scène qui marque un tournant dans leur vie et acceptent la tradition. Il n’y aura aucune fantaisie, aucune touche personnelle. Ils sont jeunes et pourtant, ils ne sont pas maîtres de leurs choix. Se connaissaient-ils réellement ? Avaient-ils eu le temps de se découvrir ? Avaient-ils eu le temps de penser à leur avenir de couple, d’entrevoir ce que serait leur vie commune ? Ou bien allaient-ils apprendre à vivre ensemble un quotidien jusqu’à ce qu’une forme d’amour émerge ? Que serait leur intimité ? Il est aussi possible que c’était leur choix de contracter un mariage arrangé, tout comme leurs grands-parents. La journaliste Rukmini analyse une étude de l’Université d’Oxford avec la Fondation Lok menée en 2019, enquête portée sur 100 000 Indiens vivant en milieu urbain, et dévoile que 90% des 20-30 ans ont fait un mariage arrangé, 92% chez les 30-40 ans contre 94% chez les 80-90 ans. Il n’y aurait que 3% de mariages d’amour, la palme d’or revenant à l’état de l’Assam avec 14%. Ceux-ci concernent en majorité les chrétiens et les musulmans dans des états où ces communautés sont en plus forte proportion que les hindous. Mais il existe également des mariages d’amour arrangés, histoire d’arranger les familles en restant dans la tradition tout en vivant une vraie relation amoureuse. Tout le monde est content … En théorie, si le courant ne passe pas entre les promis, l’une ou l’autre partie peut refuser d’aller plus loin. Il ne s’agit pas de mariage forcé, comme il peut en aussi exister. Le principe est simple et bien organisé. Les familles commencent par faire appel à leur réseau par le bouche à oreille. On recherche une personne de bonne famille, compatible avec la sienne en termes de niveau social, d’étude, de moyens financiers et surtout de la même caste. L’étude précitée montre que même chez les 20-30 ans l’idée d’un mariage inter-caste est rejetée à plus de 70%. Tous ces chiffres et ces pourcentages montrent que l’Inde moderne reste avant tout très traditionnelle.

Si le bouche à oreille ne fonctionne pas, les plates-formes ont bonne presse : Shaadi.com, Bharatmatrimony.com, et en France, Oulfa.fr. Demandez le programme ! Et lorsque tout est enclenché, il faut compter 2 ans avant que les cérémonies n’aient lieu (réservation des locaux, adéquation avec le calendrier, organisation avec les brahmanes du temple, liste des invités, vêtements, bijoux et tout le tintouin !).

Au mariage de Vigneshwar et Pradeeksha, mille personnes étaient attendues … nombre possible avant les restrictions sanitaires et le confinement actuel. Le lieu du temple et l’horaire très matinal ne nous ont pas permis d’assister à l’union sacrée entre les deux époux. En revanche, nous étions à la réception. Accueillis par de souriantes hôtesses, on nous a dirigés vers la salle de réception. Une rangée de « boys » en livrée nous a offert boissons fraîches et snacks. Sur un côté de la salle, des stands de nourriture proposaient  des en-cas en attendant le dîner. Dans cette vaste salle aménagée de centaines de sièges en plastique, une estrade décorée de fleurs montrait les jeunes époux en vedette, debout, stoïques, à peine souriants et un peu tendus, sans doute fatigués. Ils recevaient leurs cadeaux des mains des invités qui défilaient devant eux sur l’estrade.

Chaque remise de cadeau était l’occasion d’une prise de photo par l’équipe de photographes assignés à cet exercice fastidieux. Un écran géant permettait de suivre en direct ce défilé et de voir « de près » les épousés. Un canapé alambiqué, faussement chic et tape à l’œil  leur permettait de s’assoir quelques secondes avant la bordée suivante ou de composer une prise de vue différente. Nous avons également fait la queue avant de monter sur l’estrade, donné le cadeau collectif au nom du Bureau de France, posé pour la photo et félicité les mariés avant de redescendre par le côté opposé d’où nous étions montés. Cela n’a pris que quelques minutes. Tout cela était magistralement orchestré. Un sans-faute. Mais quel ennui ! D’abord pour les époux et ensuite, pour nous tous !

Vite, vite ! On a faim ! À l’étage inférieur, la salle-à-manger. Nous nous tenons debout au milieu d’un grand nombre d’invités gourmands. Accueillis par une composition publicitaire du traiteur, des « coins-cuisine » offraient toutes sortes de nourriture indienne. Là encore, il fallait faire la queue avec notre assiette jetable en bambou à la main et attendre que l’on nous serve. L’avantage dans l’art de manger en Inde, c’est que, dans ces situations-là, on n’est pas embarrassés par des couverts dont on ne sait quoi faire, puisque l’on mange avec les mains. Et pour ne pas faire la queue au lave-mains, je n’ai mangé que des mets « non-salissants » ! En fin de repas, il est d’usage de mastiquer une feuille de bétel contenant des graines (de fenouil, de coriandre, de melon, de sésame, de la cardamome, des feuilles de menthe) rafraîchissant l’haleine et bonne pour la digestion. Le stand qui préparait le pan masala a été immanquablement le point fort de la soirée gustative. Engloutir une feuille de bétel enflammée n’est pas banal quand même ! La surprise, après la fraction de seconde d’hésitation, était assurée.

Je ne sais pas ce qu’a fait Rhéa qui filmait la scène, mais il vous faudra tourner la tête … Cela donne quand même une idée de la chose. Et comme un dragon, je recrache de la fumée !

Alors que nous quittions les lieux vers 22 heures, des hôtesses offraient un petit sac en toile de jute contenant une noix de coco et d’autres « bricoles » dont le but était de la fracasser sur le sol afin de porter bonheur au jeune et tout nouveau couple. On ne pouvait que leur souhaiter de vivre heureux et d’avoir beaucoup d’enfants !

4 réponses sur “Mariages (bien) arrangés”

  1. Coucou les invités ,
    Après cette immersion matrimoniale , j’ai un scoop : Je ne marierai pas à l’indienne !
    Trêve de plaisanterie, ce volet culturel a comblé ma curiosité même si j’ai ressenti le poids des codes , des traditions, qui doivent peser lourds sur les épaules des intéressés… Je leur souhaite tout le bonheur du monde !
    Cet article est  » haut en couleurs  » comparé au précédent, plus intime, ce qui en fait sa richesse par sa diversité, Merci Brother !
    Même en ces temps troublés, je te _vous_ souhaite  » bon vent  » en vous embrassant bien fort ;
    Prenez bien soin de vous;

    Syl

    1. Hey Sis,
      Et tu ne penses même pas au poids de la robe brodée de perles d’argent !
      Cet article m’a, en effet, sorti du ton plus « intime » du précédent, et c’est une bonne chose.
      Porte-toi bien, prends bien soin de toi.
      Nous t’embrassons très fort.
      Xtian

  2. Hello ! Je vous trouve très beaux dans vos costumes d’invités à un mariage ! Je n’ai pas bien compris si le marié était celui qui était venu faire un stage ?
    J’adore la vdo de la feuille de bétel enflammée !
    Nous voilà témoins grâce à toi d’un mariage dans un milieu qui a des moyens. Merci pour tout ce reportage et ces émotions. Cela me rappelle des mariages en Thaïlande ou récemment à Mayotte, un peu dans le même esprit.
    Gros bisous à vous deux et prenez-soin de vous.
    Patricia

    1. Coucou Patricia,
      Merci pour les compliments sur nos costumes « de circonstances ». On aime bien nos kurtas.
      En effet, c’est le marié qui avait fait un stage au Bureau de France et tout le monde avait bien sympathisé avec ce jeune homme.
      Seul regret, j’aurais bien aimé participer à la cérémonie au temple … mais il y a des limites !!!
      Prends bien soin de ta belle personne.
      On pense bien à toi et on t’embrasse.
      Xtian

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