
Cela fait six semaines que nous sommes rentrés de vacances. Une très longue intermission dans la vie du blog. Je dois m’y remettre d’autant plus qu’il va y avoir de la « matière », si j’ose dire, dans les semaines à venir. Il faut que je reprenne le rythme quotidien de l’écriture. Je fais donc un saut de quatre mois et recommence ma narration par la semaine à Delhi que nous avons passée du 22 au 29 septembre dernier. Après Chennai, Delhi est la ville indienne que je connais le mieux. Peut-être mieux encore. J’aime Delhi. J’aime marcher dans cette ville. Se déplacer en métro est facile et très pratique. Il vous emmène partout. La station Lok Kalyan Marg, sur la ligne jaune, la plus proche de notre hôtel – toujours The Claridges à New Delhi et très proche de l’Institut français où Éric travaille – est à cinq minutes à pieds. La longue et large avenue bordée de belles demeures et d’ambassades. La végétation exotique et luxuriante me soustrait du soleil. Encore une fois, après notre 4ème séjour dans la ville, je l’ai arpentée en passant sans arrêt d’Old à New Dehli par le sas qui fait la jonction, la grande Connaught Place. Ma curiosité n’a pas été totalement satisfaite. Il faudra donc un 5ème séjour que j’espère nous ferons avant de quitter l’Inde.

La pluie nous a surpris dès notre arrivée et des trombes d’eau se déversaient sur l’aéroport. Elle ne se s’est arrêtée que le surlendemain. Menacé par le temps, j’ai dû interrompre mes visites du vendredi dans Old Delhi et le samedi, avec Éric qui entamait son week-end, nous avons fini par nous retrancher à l’abri. Cependant, allant d’un lieu à un autre, nous avons pu déambuler à Palika bazaar sur Connaught Place et dans ses environs, nous nous sommes rendus à Jantar Mantar, l’Observatoire astronomique, l’un des cinq en Inde commandés par le Maharaja de Jaipur (celui de Jaipur étant classé au Patrimoine mondial de l’Unesco), nous avons découvert le Agrasen ki baoli (puits à degrés de 60 mètres de long et 15 de large) de l’époque du Mahabharat, reconstruit au XIVème siècle. Nous nous sommes arrêtés chez Wengers, célèbre pour ses patties, de délicieux petits friands fourrés à la viande ou végétariens, merveilleusement épicés. Nous les avons mangés chauds, assis sur un banc de la place. La pluie s’était arrêtée laissant un ciel de traîne qui a viré au bleu le temps d’un claquement de doigts. Tout allait pour le mieux. Puis, retour dans le passé. La tombe de Safdarjung – premier ministre de l’Empire Moghol en 1748 – considérée comme le triomphe de l’architecture tardive moghole, nous a émus. Le mausolée de grès rose et marbre blanc repose élégamment sur un parc dégageant quiétude et douceur. Il n’est d’ailleurs pas sans laisser penser au Taj Mahal.






Nous avons terminé ces jours joyeusement autour d’une table d’un restaurant japonais avec d’agréables collègues d’Éric ; Marilyne de Delhi, Prash de Mumbai chez qui nous irons dans deux semaines pour Diwali et Éva de Trivandrum, capitale du Kerala.


J’avais pour objectif de voir le maximum de choses pendant ce séjour. Je dis choses car il s’agit non seulement d’édifices qui me font « entrer » dans l’Histoire de ce pays, mais aussi observer les gens, toujours affairés, toujours en train de manger devant les stands de rues – ce qui me fascine – toujours pressés les uns contre les autres dans le métro, dans les magasins, partout. De me rassasier de certains sourires échangés. De m’amuser, comme cela m’arrive à chaque fois, d’être abordé par des Indiens qui me demandent en hindi un renseignement. Ils s’étonnent de ma réponse en anglais ; ils doivent alors en conclure que je suis originaire d’un autre état indien. De contempler la vie trépidante et chaotique de certains quartiers face à la paresse d’autres. De côtoyer le luxe et l’extrême pauvreté. De passer de l’émerveillement de tant de richesse, de beauté, de charme et de raffinement à l’écœurement de tant de misère, de laideur, de saleté et de grossièreté. De découvrir des endroits où je ne suis encore jamais allé et d’arpenter cette ville tentaculaire et réussir à faire le lien entre les lieux, dessinant ainsi petit-à-petit, dans mon cerveau, la géographie de cette ville.



Pour cette semaine, j’avais projeté d’aller dans le parc Mahatmat Gandhi derrière l’hôtel de ville d’Old Delhi ainsi que sur les traces de l’époque coloniale du Raj britannique à travers ses bâtiments.
Hélas, par négligence, je ne m’étais pas enregistré en ligne pour pouvoir bénéficier de la visite du Parlement, du Secrétariat central et du Palais présidentiel. Kingsway, l’« Allée du Roi » baptisée en l’honneur du roi Georges V, Empereur des Indes – n’est plus qu’un souvenir que l’on veut effacer. Rebaptisée Rajpath (de même signification) à l’Indépendance en 1947, cette artère de 2 km relie India Gate, l’arc de triomple, au Rashtrapati Bhavan, le Palais présidentiel (autrefois le palais du Vice-roi) situé sur la colline Raisina. La nouvelle capitale contemporaine a été construite, ainsi que tous les édifices qui la longent, par l’architecte Sir Edwin Lutyens avant la visite du monarque à Delhi en 1911. Il y proclama le transfert de capitale de Calcutta à New Delhi. Le 8 septembre dernier, le Premier ministre Narendra Modi a officiellement baptisé cette voie emblématique, Kartavya Path. C’est le lieu de la parade militaire du Jour de la République les 26 janvier et des processions funéraires des dirigeants et autres leaders politiques. Le Raj britannique qui a existé de 1858 à 1947, n’est plus.

Le parc Gandhi est une déception. Une pauvre colonne domine un parc à l’abandon, pas entretenu et sale. Quelques hommes marchent dans les allées défoncées, s’assoient sur une herbe que l’on appelait autrefois pelouse ou font la sieste sur des bancs en pierre cassés. Quant à l’hôtel de ville, bâtiment colonial ocre, il tombe en ruine et est envahi de pigeons que les passants nourrissent de graines jetées à travers les grilles de l’enceinte cadenassée.








Vendeur de buttermilk, babeurre, aux vermicelles

avant la pluie
Autre ambiance. Purana Qila ou Old Fort est l’un des plus vieux d’Inde, il date du XVIème siècle. Il a été commandité par le second empereur moghol, Humayun (dont le mausolée n’est pas très loin). C’est un très bel exemple d’architecture pré-moghol.




Ci-dessous, musée des restitutions. Des œuvres d’art pillées et retrouvées aux quatre coins du monde, passant d’abord par des circuits mafieux et se retrouvant ensuite, blanchies, sur les marchés de l’art tel Sotheby’s.






Un peu plus au sud, Nizam-ud-Din est un quartier musulman très populaire. Au fil du temps, les habitations ont empiété sur les lieux de culte et du coup, on marche pieds nus dans la rue. C’est étrange ! Aux abords des édifices religieux, il faut être coiffé d’un kufi, la calotte que l’on porte dans les lieux saints. Beaucoup de femmes avec enfant sur les bras mendient. Elles sont tenaces, elles ne lâchent rien. Tant et si bien que j’ai fini par être conduit par l’une d’elles chez un épicier et lui ai acheté 2 kilos de riz et une bouteille d’huile. Au moment de quitter l’échoppe, deux autres femmes étaient dans mon dos et me réclamaient la même chose. J’ai pris la fuite, affolé par tant de misère.




Il me restait du temps en raison des visites que je n’avais pas pu effectuer. Guide en main, je savais ce que je voulais faire. Me rendre à l’association caritative Salaam Baalak Trust (en référence au film de Mira Nair de 1988, Salaam Bombay !). On y propose des promenades de 2 heures au cours desquelles un ancien enfant des rues nous fait découvrir la vie, le monde de ces enfants sans-abris, certains (des chanceux ?), protégés par ces associations qui travaillent avec la police et les services sociaux à l’enfance.


Dans le quartier de Paharganj, au nord de Connaught Place et non loin de New Delhi Train Station à Old Delhi, il m’a fallu du temps pour trouver cet endroit, niché dans un dédale de ruelles dont les noms se terminent tous par wali. Mais j’y suis arrivé. Immeuble sans enseigne, petit bureau dont l’aménagement spartiate est vite oublié grâce à l’accueil chaleureux d’une jeune femme investie dans sa mission. Rendez-vous est pris le lendemain à 10 heures. Il y aura un couple d’Allemands. Cigarettes à la bouche, tatouages aux mollets, en voyage de noces (sic), nous étions tous les trois à suivre notre guide Devraj. Il a 22 ans, prend des cours de théâtre, parle un anglais moyennement compréhensible mais rend la promenade vivante et intéressante. Il nous offre un chai que l’on boit dans la rue. Très vite nous entrons dans le sujet par son expérience personnelle. Népalais d’origine, orphelin très jeune, en charge d’un plus jeune frère, une sœur mariée très tôt vivant près de Mumbai. Mais son beau-frère ne peut plus les nourrir, son frère et lui. A 12 ans, il trouve un emploi de garçon à tout faire dans une maison indienne. A 14 ans, il part pour Delhi et survit dans les rues. Il n’a que peu d’éducation, a appris l’anglais au cours des visites qu’il conduit. Il a un objectif dans la vie, être acteur, un rêve (il y croit), une illusion (il n’y pense même pas).

son fils à sa droite.
Lui en tee-shirt jaune, sa main posée sur l’épaule de son frère. Ils ont l’air heureux !
Nous allons autour de la gare, entrons au poste de police où, au premier étage, les services sociaux sont installés. Un petit groupe d’enfants « posés » sur un vieux tapis râpé, pieds nus. Ils ont l’air poussiéreux. Une femme en sari, assise sur une chaise en plastique, trace des modèles de lettres et de chiffres sur les cahiers de ceux qui sont en âge d’écrire. L’un dort profondément au milieu de tout ce bruit. On le laisse tranquille. Un tout petit, un an peut-être, regarde ce qui se passe autour de lui. Une fillette, assez grande pour son jeune âge, nous fait de beaux sourires tout comme un garçonnet à l’air éveillé, malicieux et rigolo. On nous donne des sachets de bonbons à distribuer aux enfants. Moi, ne sachant quoi en faire, je donne mon paquet à l’un d’entre eux qui le prend avidement. Je n’avais pas compris qu’il fallait les donner un par un. Je dépose quand même un bonbon dans la main ouverte du garçon endormi. Personne ne le lui prendra. Il y a du respect entre eux. Pas de bousculade, pas de chamaillerie, pas de parole blessante. Ils sont là tous ensemble. A tour de rôle, ils se lèvent dès qu’une ligne d’écriture est terminée et en redemandent une autre. La femme écrit un modèle à reproduire pour ceux qui savent tenir le crayon. Pour les autres, les plus petits, elle trace en pointillés sur toute la ligne, le modèle à reproduire. Puis ils jouent à un jeu de plateau. Pas de tricherie, chacun attend son tour. Respect.



A la fin de la visite, Devraj nous conduit dans le local de l’association. Je retrouve la jeune femme qui m’avait accueilli la veille. Nous croisons un autre groupe de touristes. Topo sur les financements, les actions, les réussites en terme d’éducation, ceux qui étudient à l’université, ceux qui obtiennent une bourse et partent à l’étranger pour études, ceux qui restent en contact toute leur vie alors qu’ils sont mariés, travaillent et sont inclus dans la société. Même à plus de 40 ans, ils ne coupent pas le cordon. Michele Obama est prise en photo à Delhi avec des membres du trust. On est fiers de cette photo. Sur une mappemonde épinglée sur le mur, des fils de laine rouge partent d’Inde et sont tendus vers les pays donateurs où il y a une représentation de l’association. La France en fait partie.

J’achète un sac en tissu noir. Tout cela m’aura coûté 1200₹ (≈14€). Devraj part raccompagner les Allemands, je reste. Je n’ai pas eu le réflexe de lui laisser un pourboire. Mais je lui ai demandé son numéro de téléphone. Il s’est empressé de me le donner, comme l’espoir de quelque chose. Plus tard, Éric m’a reproché d’avoir manqué d’esprit. Il avait raison et je m’en suis voulu.

De retour à Chennai, j’ai contacté Devraj pour prendre de ses nouvelles et m’excuser. « Y a-t- il un moyen de te faire parvenir de l’argent ? » Le lendemain, il m’envoyait un message me disant qu’il ne pouvait pas payer sa classe de théâtre. Nous lui avons transféré une centaine d’euros via Googlepay, facile et pratique. Maintenant, il me dit manquer d’argent pour se rendre à Surat (dans le Gujarat) avec son frère où vit maintenant leur sœur pour Diwali. La fête des Lumières. Que faire, nom d’un chien ?
Coucou Christian
Ça y est, j’ai enfin trouvé le moyen de te répondre.
J’ai repris le cours du voyage après l’interruption des vacances et c’est toujours avec autant de plaisir que je découvre un nouvel épisode de ton voyage.
Je continue de découvrir l’Inde pays tellement lointain, je reprends des recherches, surtout au niveau de la géographie.
Tes commentaires, tes photos sont toujours les bienvenus.
As-tu passé tes vacances en France ?
En Normandie?
J’attends de tes nouvelles.
Bises et à bientôt.
Claudie
Bonsoir Claudie,
Whaou ! Ca me fait rudement plaisir de te retrouver au fil du blog ! Bravo ! Merci pour ton commentaire ! Les vacances d’été, qui filent toujours à grande vitesse, se sont passées en France. Très peu à Paris et beaucoup en Normandie et un peu autour de la Loire. J’espère bien te voir à notre retour !
Bises et à bientôt
Christian
Hello Christian,
moi aussi je reprends mes habitudes de lectrice, avec toujours autant d’avidité et de curiosité. J’ai bien aimé ta rencontre avec cette femme a qui tu as offert du riz, et les autres qui ont accouru ! Et aussi la visite de cette association et de son hôte Devraj , pour qui ta conscience et ton » manque d’esprit » (dixit Eric) t’ont mis à dure épreuve ! C’est le gros dilemme de l’Inde ! Comment supporter cette misère ? Comment peut-on aider ? Qui aider ?
Et pourtant, on y retourne… on ne peut rester de marbre… on fait comme on peut !
Merci pour toute cette richesse et pour tes mots, ta justesse, tes questions…
Bises à vous 2 ( dommage qu’ Eric n’ait pu faire cette visite, car il aurait sans doute contribué à une autre perception !)
Coucou Patricia,
Merci d’avoir pris le temps de ce long commentaire qui me touche.
Oui, on se pose beaucoup de questions en Inde au sujet des personnes, celles dans le besoin particulièrement. C’est très dur à vivre quand on est confronté à ces situations. La réponse n’est pas seulement l’argent ; c’est une réponse immédiate et un vrai besoin, une urgence pour les gens qui demandent, mendient. De notre point de vue, c’est la structure de la société, son fonctionnement, l’état des choses qui ne bouge/change pas pour ces gens, l’indifférence des Indiens qui eux-mêmes, sont confrontés quotidiennement à la mendicité, la pauvreté, la misère. Le jeune Devraj de l’association Salaam Baalak Trust est plein d’espoir, plein de vie. Nous l’avons aidé à deux reprises, moi, en me posant beaucoup de questions et Éric, plus direct, pragmatique, décidé à l’aider. C’est ponctuel. Cela l’aura aidé et permis de faire le voyage avec son frère pour voir leur sœur dans le Gujarat ; c’est déjà une bonne chose de leur donner les moyens d’être réunis pour Diwali. Il m’a envoyé une photo de la réunion de famille. Il est adorable ! Et tu as raison, on fait comme on peut et ne peut pas rester de marbre. Où sont les limites ? C’est un puits sans fond, quand on y pense !
Hâte de lire ton article.
Éric est à Trichy jusqu’à demain et vendredi nous partons à Mumbai.
Plein de bises et bonne écriture !
un recit toujours aussi palpitant de votre vie enInde.je suis transportee par les photos etles commentaire tres enrichissants.c est passionnant .bravo.etes vous venus passer vos vacances en France?j espere que vous allez bien et que l on pourra se revoir un jour.je commence a etre bien vieille!mais ça va j ai meme trouve un ptit amoureux;a mon age c est pas tres serieux!!!!vs embrasse amicalement
Merci Evelyne, cela fait vraiment plaisir de vous retrouver sur le blog et de savoir que vous lisez mes articles. Je suis ravi que la lecture et les photos vous intéressent.
Nos passages en France sont toujours courts et passent très vite mais nous rentrons définitivement en septembre et nous aurons alors l’occasion de nous revoir.
En attendant, restez en forme et faites vous plaisir ; il n’y a pas d’âge pour se faire du bien !
Éric se joint à moi pour vous embrasser.